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00:00 - Tout à fait. - Avec l'invité, nous abordons ce matin le douloureux sujet de l'inceste, Laurent Gaglien.
00:05 - Nous recevons Eva Thomas. Bonjour Eva Thomas. - Bonjour à vous.
00:09 - Vous avez été, c'était en 1986, la première victime d'inceste à parler à visage découvert à la télévision française.
00:17 C'était dans une émission des dossiers de l'écran consacrée au tabou de l'inceste.
00:21 La question, depuis 1986, alors c'est pas le Moyen-Âge non plus, 1986 c'est pas si vieux que ça,
00:26 est-ce que les lignes ont bougé ? Est-ce qu'on parle plus d'inceste quand même ?
00:30 - Oui, les lignes ont bougé. Et en fait, quand j'ai parlé, c'était vraiment, ce mot-là n'existait pas dans la société.
00:38 En fait, personne n'en parlait. Et l'association que j'avais créée s'appelle S.O.S. Inceste pour dire le mot.
00:44 C'était comme si c'était un gros mot. Et pendant très longtemps, même après 1987, 88, etc.,
00:51 on continuait de parler des violences intrafamiliales et tout ça pour ne pas dire le mot.
00:57 - En tout cas, votre témoignage a libéré la parole, quelque part dans la société française quand même, un peu.
01:03 Vous la libérez encore, cette parole, puisque vous siégez à la CIVIS, donc cette commission indépendante
01:09 qui doit recenser les victimes d'inceste et les enfants victimes de violences sexuelles d'une manière générale.
01:17 Vous avez fait un point hier sur votre travail, 27 000 témoignages recueillis en deux ans.
01:21 C'est très important. Parmi ces témoignages, il y a des témoignages sans doute comme celui de Mieh,
01:27 qui est au téléphone avec nous et qu'on reçoit ce matin. Bonjour, Mieh.
01:31 - Bonjour.
01:32 - Vous vous êtes aperçue, finalement, vous vous êtes rendue compte que vous aviez été victime d'inceste, vous,
01:38 32 ans après les faits. C'est ce qu'on appelle une amnésie traumatique, c'est ça ?
01:44 - Oui, tout à fait. D'ailleurs, je me faisais la réflexion que lorsque Eva Thomas, que je salue avec beaucoup d'émotion,
01:51 a parlé en 1986, j'avais 14 ans, j'étais anorexique. Et effectivement, il a fallu que j'attende 37 ans pour sortir d'une amnésie traumatique,
02:00 donc un espèce de trou noir, dont parlait bien Eva Thomas, après des crimes sexuels qui sont aussi violents.
02:07 Et deux ans de plus pour déposer plainte, parce que ma plainte qui a été classée sans suite, parce qu'il y avait prescription,
02:15 comme elle l'est pour de très nombreux victimes.
02:17 - Voilà, la prescription, c'est une des batailles, Eva Thomas, je reviens vers vous, restez avec nous, Mieh,
02:21 parce qu'on va revenir à votre témoignage, mais Eva Thomas, la prescription, c'est une des grandes batailles de la civise,
02:26 et c'est une des grandes batailles des victimes.
02:28 - Oui, c'est aussi une des grandes batailles de l'association que j'avais créée.
02:32 Et en fait, moi j'ai vécu le moment où la prescription a bougé pour la première fois, c'était en 1989,
02:40 - Puisque le délai de prescription a été amélioré.
02:42 - reporté à partir au moins de l'âge de 18 ans, de l'âge où l'enfant devient majeur.
02:52 Parce que jusqu'à présent, par exemple, si quelqu'un avait été agressé à 6 ans, à 16 ans c'était fini, puisque c'était 10 ans après les faits.
03:00 Et ça c'est grâce au procès de Saint-Brieuc, malheureusement grâce à un procès où Claudine avait porté plainte,
03:11 avait témoigné avec moi à l'émission de TF1, Médiation, on était 5 sur le plateau, 5 victimes,
03:19 son père a porté plainte en diffamation, il y a eu un procès à Saint-Brieuc,
03:24 et ils ont été condamnés, François de Clauzet, TF1 et Claudine, mais à ce moment-là les socialistes ont quand même vu que c'était le procès de la honte, etc.
03:35 Moi ça faisait 3 ans que je clamais que l'inceste c'était pas une maladie, c'était une question de droit de l'homme, une question de droit bafoué,
03:43 et que c'était comme ça qu'il fallait le traiter.
03:46 - Millet, je reviens vers vous au téléphone avec nous ce matin,
03:50 comme Eva-Thomas vous avez choisi de vous engager dans ce combat contre la prescription et pour la défense des victimes d'inceste,
03:58 une association qui s'appelle Moi aussi amnésie, c'est ça Millet ?
04:02 - Alors oui, j'ai créé l'association Moi aussi amnésie,
04:05 aujourd'hui aussi je me suis engagée dans une organisation qui s'appelle le Bright Movement,
04:10 qui est une organisation de survivants, et que nous aidons...
04:13 - Pardonnez-moi Millet, mais si son nom est anglais, c'est une association internationale qui vise à élargir le combat ?
04:21 - Tout à fait, et qui inclut tous les survivants, parce que comme Eva-Thomas, moi-même et d'autres,
04:27 on est à mieux à même de se battre sur ce sujet.
04:30 Et je voudrais dire très vite aujourd'hui que malheureusement la pédocriminalité et l'inceste s'accompagnent aujourd'hui de partages d'images et de vidéos en ligne,
04:37 et que c'est un nouveau combat que je mène parce que les jeunes victimes d'aujourd'hui subissent ce double traumatisme,
04:42 et que comme c'est un crime sans frontières, ça se règle non seulement en France, mais aussi au niveau européen,
04:47 et on a besoin que la France s'engage, on a besoin qu'Emmanuel Macron se batte contre la pédocriminalité en ligne au niveau européen.
04:54 - Et des images en ligne qui ont bien du mal également à disparaître, à être effacées, c'est encore pire que tout.
05:00 Merci Millet d'être venue témoigner ce matin sur France Bleu Isère.
05:04 Eva-Thomas, Millet parle de survivants, son engagement dans l'association Bright Movement, vous vous ressentez comme une survivante ?
05:11 - Moi non, mais beaucoup de femmes disent ça, parce que moi j'ai retrouvé la vie,
05:18 et puis en plus même victime d'inceste, quand je parlais à la télévision, tout le monde me voyait comme une victime,
05:26 mais moi je ne me vois plus comme une victime, mais surtout depuis que j'ai changé de prénom,
05:33 j'ai demandé un changement de prénom parce que mon père m'avait violée, et ce malgré la prescription,
05:39 et le fait de changer de prénom, d'avoir écrit dans un champ judiciaire que c'était vrai que mon père m'avait violée,
05:47 moi j'ai eu la chance de recevoir une lettre d'aveu de mon père, ce qui est précieux,
05:51 parce qu'à partir de ce moment-là personne ne peut plus douter soi-même,
05:55 parce qu'une des façons de faire avec cette histoire, c'est d'avoir toujours une sorte de doute qui reste
06:02 sur la réalité de ce qui s'est passé, tellement c'est puissant, tellement c'est violent.
06:06 Donc on se défend comme ça, c'est un mécanisme de défense.
06:09 - Chaque cas est différent, et chaque victime aussi fait face comme elle le peut.
06:15 On va revenir là-dessus d'ailleurs, mais d'abord Sosie Kepele, quelques témoignages sur la page Facebook de Fondue.
06:19 - Et deux commentaires notamment dont je veux vous parler, celui de Corinne, d'abord qui parle de la levée de la prescription,
06:26 qui est évidemment pour, parce qu'elle dit qu'enfant, on n'ose pas forcément parler.
06:31 Est-ce que c'est vrai selon vous Eva Thomas ? On a beaucoup plus de mal à parler effectivement quand on est enfant ?
06:37 - En fait, en plus on ne comprend pas ce qui vous arrive.
06:40 Les pères disent que tous les papas font comme ça, que c'est parce qu'ils aiment, c'est entouré de mensonges.
06:49 Le système d'emprise est très puissant, et l'enfant il est dans la terreur, il ne sait pas ce qui se passe, il ne comprend pas.
06:56 Et parler, maintenant, comme on en parle dans la société, c'est plus facile, un petit peu plus facile, en tout cas pour l'enfant,
07:07 parce qu'il peut voir, là il y a la campagne qui sort à la télévision, où on parle enfin du mot, on met le mot inceste, etc.
07:17 Des enfants peuvent voir ça, ou bien à l'école on peut leur parler des droits de l'enfant.
07:23 Il y a une ouverture de la parole pour les enfants, mais jusqu'à maintenant c'est très difficile pour un enfant.
07:31 Il n'y a pas de mots.
07:34 - C'est à noter qu'une victime se sent souvent coupable dans ces faits-là.
07:39 Ça a été dit aussi dans plusieurs émissions, c'est-à-dire qu'il y a un sentiment de culpabilité alors qu'on est victime.
07:44 - Oui, on ne se sent pas comme les autres, on sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
07:47 Et immédiatement, en plus, vous imaginez, c'est comme si on avait une bombe, on a vraiment le sentiment que si la parole sort,
07:56 on va faire exploser la famille, on se sent coupable par rapport à la famille.
08:00 C'est une culpabilité qui vous baillonne.
08:04 - Et justement par rapport à ça, il y a le commentaire de Sylvie, aussi sur la page Facebook de France Bleu Isère,
08:10 qui dit comment la question de la protection des enfants par rapport à leurs parents, s'ils sont victimes de leurs parents.
08:18 Est-ce que sur ce point-là, il faut aussi une évolution de la loi ?
08:22 - Il faut surtout une évolution de la justice parce qu'il y a énormément de mamans protectrices
08:28 qui quittent leur compagnon ou leur mari pour protéger leur enfant.
08:33 Et comme c'est parole contre parole, etc., quelquefois il y a même des traces.
08:40 Donc quand les mamans portent plainte pour défendre leur enfant, il y a des fois des dossiers qui disparaissent.
08:46 C'est une procédure très longue et elles se retrouvent parfois, on leur arrache leur enfant,
08:52 on le met à la dasse sous prétexte qu'il y a des conflits entre les parents parce que le père nie, etc.
08:57 Et c'est des situations catastrophiques.
09:00 A Grenoble, à la Cibise, la moitié des témoignages, c'était des femmes qui racontaient ça.
09:05 Des femmes de Grenoble, soutenues par leur avocate qui était venue pour dire qu'elles n'étaient pas folles,
09:10 elles racontaient leur réalité de ce qui s'était passé.
09:13 Et la justice, où n'a pas les moyens, où ne veut pas protéger les enfants.
09:19 - Où n'est pas organisée pour protéger les enfants.
09:22 - Il faut que la justice prenne conscience vraiment, sérieusement, de ce qu'elle fait quand elle laisse un enfant chez son violeur.
09:36 - Eva Thomas, merci d'être venue témoigner ce matin.
09:38 On a eu des milliers de questions à vous poser, notamment face à la prise de plainte.
09:43 Parce que les dispositifs ne sont pas toujours très simples.
09:45 L'écoute n'est pas forcément toujours là, c'est ce que disent en tout cas les victimes.
09:48 Merci d'être venue ce matin témoigner une nouvelle fois sur l'antenne de France Bleu Isère.
09:53 - On retrouve cet entretien sur francebleu.fr