Moebius redux - Jean Giraud - une vie en images

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00:01:27 Moi je suis un artiste, je fais de la bande dessinée et ma préoccupation majeure c'est de faire des dessins.
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00:01:37 Il est véritablement un chercheur innovateur génial.
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00:01:46 Il n'est pas simplement un illustrateur de bande dessinée, c'est un véritable artiste.
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00:02:04 Quand on est artiste, il faut trouver sa propre voix, son propre style.
00:02:09 Mais ce gars là est extraordinaire, il se transforme sans cesse.
00:02:13 Il dit "Tiens voilà c'est moi" et le lendemain "ça c'est moi".
00:02:17 Ce qui fait que très vite je suis devenu l'homme aux trois noms, J.R.G.R.O.M.E.
00:02:23 Comment est-ce possible que ce soit le même type ?
00:02:27 C'est une faculté incroyable que de pouvoir se transformer avec les différents styles.
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00:02:35 Comme le dessin est un révélateur de l'âme, en tout cas de l'état dans lequel on est,
00:02:41 on peut, quel que soit le sujet, quel que soit le motif, quel que soit le thème, on peut voir apparaître quelque chose.
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00:02:57 Un dessinateur peut passer sa vie à dessiner des pots de yaourt.
00:03:02 Si quelqu'un faisait des pots de yaourt, on oublierait les pots de yaourt,
00:03:05 on verrait apparaître sa sensibilité la plus sacrée et la plus dérangeante.
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00:04:44 La position que j'ai eue dans la bande dessinée, c'est en grande partie due aux conditions extérieures, c'était au public.
00:04:51 Cette émergence du niveau public, elle a été le résultat d'une évolution de la société dans un plan plus général.
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00:05:00 On pourrait se plaindre en disant, mais j'ai pas demandé ça, moi je voulais être tranquille dans mon coin,
00:05:05 faire ma petite bande dessinée, peinard, pas être considéré comme un pape de la bande dessinée comme on l'a fait à une époque.
00:05:13 Mais en même temps, à quoi ça rime de se plaindre d'un truc comme ça,
00:05:16 parce que c'est basé sur l'amour, l'affection et puis la réussite de ce qu'on a voulu.
00:05:23 On se lance pas dans une profession artistique pour rater, pour être obscur.
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00:05:42 J'ai vécu à Fontenay-sous-Bois, c'est la banlieue parisienne.
00:05:46 J'étais plutôt dans une famille très modeste, ma mère m'a levée pratiquement toute seule,
00:05:53 puisque mes parents étaient séparés. J'ai pris l'habitude de me réfugier par rapport à des solitudes,
00:06:01 ou à un petit abandon à l'intérieur même de la famille, parce que ma mère travaillait et je me retrouvais souvent seul.
00:06:07 Donc le dessin, peu à peu, a pris une place d'accompagnateur, de remède à la mélancolie.
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00:06:24 J'ai dessiné comme un forcené pendant un an, un an et demi,
00:06:28 à tel point que les personnes dans ma famille qui étaient un peu responsables,
00:06:33 m'ont encouragé ou ont accepté que j'aille me présenter à une école d'art.
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00:06:45 L'arrivée dans cette école d'art m'a mis en contact avec des enfants de la bourgeoisie,
00:06:50 beaucoup plus polissés, beaucoup plus instruits, cultivés,
00:06:54 et puis avec des manières, avec un arrière-plan culturel plus élaboré.
00:06:59 Je passais de la diète culturelle presque totale, du blanc absolu,
00:07:07 à d'un seul coup une sorte de supermarché grandiose.
00:07:11 Parce qu'il faut bien dire qu'à cette époque-là, c'était une période de mutation culturelle en France,
00:07:17 et avec l'émergence surtout de la nouvelle vague.
00:07:20 C'était un phénomène incroyable et j'en ai tout de suite été très conscient,
00:07:24 et j'ai tout de suite été... j'en ai tout de suite fait mon panthéon.
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00:07:39 D'abord j'ai eu un voyage au Mexique, parce que ma mère s'est remariée avec une personne qu'elle avait rencontrée
00:07:46 qui vivait à Mexico, qui était mexicaine, et j'ai été la retrouver.
00:07:53 J'étais parti pour les vacances, puis en fin de compte je suis resté presque neuf mois.
00:07:58 C'était ma troisième année aux arts appliqués, et partie en fumée.
00:08:02 Mais c'était génial, parce que pendant un an, j'ai rien fait. C'était merveilleux.
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00:08:11 Cette traversée du désert pour moi ça a été vraiment initiatique.
00:08:15 Parce que la perte de vue pendant des heures, des heures, des heures, du plat, du plat, du soleil, le ciel bleu, chauffé à blanc... magnifique.
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00:08:30 C'est vraiment quelque chose qui m'a littéralement craqué l'âme.
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00:08:41 Et d'ailleurs à tel point que j'ai un grand plaisir à dessiner des situations
00:08:49 dans lesquelles des gens sont posés au milieu d'une surface plate de désert.
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00:09:44 J'ai vendu ma première histoire, c'était absolument inouï. J'avais 15 ans, vous imaginez, c'était absolument incroyable pour moi.
00:09:52 Je fais un petit western, j'ai fait des aventures. Alors je faisais des trucs pour les filles, je faisais des trucs pour les petits.
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00:10:02 J'ai commencé à prospecter les journaux. A Paris j'ai été voir un nouveau journal qui existait il y a un an ou deux, qui s'appelait "Pilote".
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00:10:17 Quand je suis arrivé à "Pilote", je suis tombé sur Jean-Michel Charlier.
00:10:20 Alors Jean-Michel Charlier, je le connaissais bien en tant que lecteur parce que toute mon enfance, j'avais lu ses histoires dans Spirou.
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00:10:30 Il m'a proposé de faire un western. Alors j'ai dit tout de suite oui et on a commencé "Blueberry".
00:10:35 Il y a longtemps, j'avais lu une bande dessinée western intitulée "Blueberry".
00:10:41 Et je me suis dit c'est vraiment bon, comment est-ce possible qu'un artiste français ait pu faire ça ?
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00:10:55 J'ai trouvé le nom "Blueberry". J'ai eu vraiment, on peut dire, un coup de génie.
00:11:00 C'était de prendre Belmondo comme modèle un peu pour faire "Blueberry".
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00:11:09 J'ai eu le pressentiment de faire d'un seul coup un personnage qui n'existait pas en bande dessinée.
00:11:14 C'est-à-dire un personnage avec une charge d'animalité et de sexualité que les autres n'avaient pas.
00:11:21 Quand on regarde Tintin, c'est vrai qu'il n'est pas très sexué.
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00:11:37 Ça a eu tellement de succès immédiatement que le personnage est resté et l'existence de "Blueberry" est toujours là.
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00:12:13 Je faisais mon boulot de dessinateur correctement, proprement. J'étais à l'heure, etc.
00:12:20 J'arrivais aux réunions à pilote propre et correct.
00:12:24 Mais au fond de moi-même, ça bouillonnait vachement et je me sentais différent de ça.
00:12:29 Ma tête qui bouillonnait d'idées bizarres, de science-fiction, d'avant-garde, de surréalisme, de sexualité.
00:12:39 Complètement transgressive. Peut-être pas complètement, mais assez subversive.
00:12:50 J'étais comme une espèce d'agent secret de la subversion dans le journal de pilote.
00:12:56 Je me vivais d'une façon jubilatoire. J'avançais un peu masqué.
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00:13:16 Le problème de Jean, c'est que lui, il a toujours cherché une identité.
00:13:19 Il a cherché partout une identité qu'il n'a jamais trouvée, mais qu'il a explorée sans cesse.
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00:13:39 J'ai réexpérimenté la vie au Mexique.
00:13:42 C'était en train de devenir une sorte de territoire mythique dans ma tête.
00:13:47 Il fallait absolument que j'y retourne, mais là, pas pour retrouver ma mère, mais pour m'y retrouver un peu moi-même, je sais pas quoi.
00:13:55 Donc je suis parti, cette fois tout seul.
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00:14:00 C'est la recherche du père.
00:14:02 Sa mère habitait là-bas, tu vois.
00:14:04 Et il avait un beau père mexicain.
00:14:07 Donc pour nous tous, quand il n'y a pas un père, on le cherche.
00:14:13 Et lui, moi, il a cherché une identité.
00:14:17 Qui il était, n'est-ce pas ?
00:14:19 J'ai vraiment vécu une expérience très étrange, et qui a été couronnée aussi par une séance épique avec les champignons,
00:14:27 les champignons hallucinogènes, qui a duré de 6 à 8 heures.
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00:14:44 J'étais retourné comme une chaussette, là, et psychologiquement, j'étais vraiment secoué.
00:14:50 Pendant très longtemps, je me suis même demandé si j'allais retrouver mon intégrité.
00:14:57 On le voit dans son oeuvre, c'est là qu'il y a son côté chamanique.
00:15:03 Ses recherches dans les desserts, tout ça, ses personnages magiques.
00:15:09 Ça ne vient pas de France, ça vient du Mexique.
00:15:12 C'était une initiation violente, violente.
00:15:17 Mais il est vrai que le résultat de tout ça a été une curiosité très forte pour l'univers psychique,
00:15:28 pour le monde de l'inconscient, pour l'univers parallèle du rêve,
00:15:33 et ça a alimenté mon travail.
00:15:37 A partir de ce moment-là, Moebius est devenu mon mode exploratoire de l'inconscient et du monde onirique.
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00:16:25 J'étais amoureux de Pilote, du journal, depuis longtemps.
00:16:30 Et j'ai découvert Jean-Géraud Moebius, qui est l'homme aux multiples visages.
00:16:35 La première fois qu'on s'est vus, c'était dans une soirée d'exposition à Paris,
00:16:40 où moi j'avais le culot de jeune dessinateur fou inconscient,
00:16:45 et je savais qu'il y avait une réunion où il y avait tout le monde, il y avait toute l'équipe de Pilote qui était là.
00:16:50 Et moi je suis arrivé avec des planches énormes, des grands formats,
00:16:54 et j'ai déballé mes planches sur le capot d'une voiture.
00:16:58 C'est la première fois où j'ai rencontré Moebius.
00:17:01 Et Jean m'a dit "mais t'es un grand malade, t'es un cinglé, qu'est-ce que tu fais avec ça ?"
00:17:05 Je lui ai dit "ben écoute, c'est ma vision du monde de la bande dessinée".
00:17:08 On est devenus amis à partir de ce moment-là.
00:17:11 Et on était en conflit permanent, lui et moi,
00:17:14 mais une sorte de conflit amical, chaleureux,
00:17:18 où il hurlait de mes audaces, et moi lui demandais sa connaissance.
00:17:23 Il n'y avait pas une semaine sans qu'un nouvel artiste très intéressant vienne s'agglutiner à l'équipe.
00:17:49 Je suis arrivé en 71.
00:17:52 J'ai senti quand même qu'il y avait des très fortes personnalités.
00:17:56 J'ai senti que Bossigny était parfois en difficulté,
00:18:01 qu'il se passait quelque chose d'assez...
00:18:04 Il y avait une tension quand même qui commençait à apparaître.
00:18:08 Et très vite donc on a compris qu'il y avait un clash,
00:18:11 il y avait une tension qui se passait,
00:18:14 et qui commençait à apparaître.
00:18:18 Et très vite donc on a compris qu'il y avait un clash,
00:18:20 une espèce de révolution, mini-révolution de palais.
00:18:23 La déviation n'était pas vraiment dans une routine de pilote,
00:18:29 c'était une façon de rendre compte de mon expérience avec les champignons.
00:18:35 Il n'est pas question de rester scotché dans une tradition, dans une routine.
00:18:41 Il fallait que ça saute, il fallait que ça soit fantastique !
00:18:48 Alors nous on s'est dit "merde, il faut quand même qu'on fasse une nouvelle version de Bossigny".
00:18:54 Et on a fait une nouvelle version de Bossigny.
00:18:57 Et on a fait une nouvelle version de Bossigny.
00:19:00 Alors nous on s'est dit "merde, il faut quand même qu'on fasse notre canard à nous un jour".
00:19:05 Alors évidemment il y a eu grosses cassures,
00:19:08 René Gossiny comme a connu Jean-Pierre Dionné après,
00:19:11 séparation, violence, dispute, histoire humaine éternelle, classique et autres.
00:19:18 Avec Philippe Drouillet et Jean-Pierre Dionné,
00:19:21 on a commencé à réfléchir à la création de l'équivalent,
00:19:27 mais au lieu de se spécialiser dans l'humour,
00:19:31 on voulait faire quelque chose de consacré à la science-fiction.
00:19:36 Philippe Drouillet c'était vraiment un axe fantastique
00:19:43 qui nous a donné tout de suite une impulsion très très très très forte,
00:19:48 très puissante vers l'irisme sombre et énigmatique.
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00:20:12 On était tous comme des prédateurs en train de fondre sur le marché de la peinture dessinée.
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00:20:29 "Métal Hurlant" a vraiment révolutionné le petit monde de l'édition à travers le monde entier,
00:20:35 à travers l'Europe, les Etats-Unis et même le Japon.
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00:20:50 Je crois que la première chose dont j'ai gardé le souvenir, c'était son fameux "Arzak".
00:20:55 Vous savez, celui qui vole au-dessus des gens et des falaises.
00:20:59 Il y a tellement de texture là-dedans.
00:21:02 C'était, je pense, me rappeler un oiseau.
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00:21:16 Je pense que c'était le premier numéro de "Métal Hurlant".
00:21:19 Ça m'a profondément impressionné.
00:21:22 Les visages avaient beaucoup plus à raconter.
00:21:26 On se disait, même si ce personnage a l'air jeune, il semble avoir eu la vie très dure.
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00:21:50 Nous avons construit ensemble une nouvelle bande dessinée française.
00:21:54 Et moi je me suis dit à un moment donné, nous sommes des monstres, nous sommes des dinosaures,
00:21:59 et après nous, il n'y aura personne.
00:22:01 Dès les premiers numéros, on a vu débarquer les dessinateurs avec leurs cartons.
00:22:05 "Oh, mais c'est formidable ! Je veux paraître chez vous, s'il vous plaît ! Je suis prêt à payer !"
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00:22:24 J'ai arrêté d'aimer les bandes dessinées américaines et ses super-héros.
00:22:28 Je m'intéressais plus au côté fantastique que je retrouvais chez les artistes européens.
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00:23:04 J'avais la sensation que c'était ça, que c'était incroyable.
00:23:08 Moi j'en étais bouleversé, je tremblais en dessinant.
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00:23:14 J'avais eu cette sensation en faisant "La Déviation", puis après en faisant "Le Bon Darfou",
00:23:20 et puis après "Arzak", et puis ensuite en faisant "Le Garage Hermétique".
00:23:26 Après, mon temps d'éjaculation était terminé.
00:23:32 Le grand moment qui correspond à un âge de ma vie et à une adéquation avec le milieu socioculturel,
00:23:39 c'est ces quatre histoires qui font que, quoi qu'il arrive, je fais partie de l'histoire.
00:23:48 On était des enfants qui découvrions le monde, sauf que Jean était un peu plus âgé que moi.
00:23:54 Donc il avait une expérience que moi je n'avais pas encore.
00:23:58 Simplement ma passion rejoignait sa connaissance, et que nous allions à des soirées d'amis,
00:24:04 et des soirées de tendresse, des soirées d'amitié, et des soirées d'horreur, comme à la fin.
00:24:10 Ça a été la destruction parce que moi je perdais l'être aimé, jeune, que je ne m'en suis jamais remis, même si j'ai construit ma vie.
00:24:18 Je me suis dit "Tu dois, Fifi, tu dois faire dans un album l'amour, l'hommage, que tu dois porter à ta femme".
00:24:30 Or, en bande dessinée, tu te dis "Ça ne s'est jamais fait". On ne parle pas de mort en bande dessinée.
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00:25:04 Et au bout de six mois et un jour, va savoir pourquoi, c'est une des plus grosses ventes que j'ai eue.
00:25:12 Et après chacun a dit "Maintenant, on va tracer notre route".
00:25:16 Alors maintenant on va aller chacun vers notre route, et développer notre travail.
00:25:22 Et c'est là où nous nous sommes quittés.
00:25:24 Mais Jean et moi, on a fait notre vie, notre passé, futur, présent, et je continue à avoir pour lui le plus grand respect.
00:25:34 C'est tout.
00:25:36 [Brouhaha]
00:25:52 Dans les années 60, 70, 80, la société s'ouvrait d'une façon extraordinaire.
00:25:57 Et avait besoin d'un certain nombre de talents pour pouvoir générer quelque chose de nouveau, quelque chose d'adéquat.
00:26:06 [Brouhaha]
00:26:35 [Brouhaha]
00:26:48 Il faut bien reconnaître que la bande dessinée était un genre un peu spécialisé, avec un lectorat jeune.
00:26:55 L'hémarchie des arts, ça a l'air d'être un peu en dessous. C'est quand même un art qui est moins tonitruant, moins spectaculaire que le cinéma.
00:27:05 [Brouhaha]
00:27:12 [Musique]
00:27:28 J'ai croisé Jodorowsky dans une porte, chez un producteur. J'allais livrer des dessins.
00:27:34 Il y avait une personne avec lui qui me connaissait et qui nous a présenté.
00:27:38 Tout de suite, il m'a dit "Je vous cherchais".
00:27:41 J'ai monté un film qui allait s'appeler "Dune", un célèbre livre de science-fiction.
00:27:47 Et j'ai cherché quelqu'un avec lequel faire le script, dessin par dessin.
00:27:54 Alors j'étais impressionné d'abord parce que j'étais devant Alexandre Jodorowsky, j'avais vu ses films.
00:28:00 Et c'était vraiment... Enfin à l'époque, il était très très chaud.
00:28:07 Et je lui ai proposé de venir dans trois jours à Los Angeles avec moi pour chercher celui qui allait faire les effets spéciaux.
00:28:17 Et il m'a dit qu'il doutait.
00:28:19 Alors j'ai dit "Bon, si tu ne viens pas, je vais te ranger".
00:28:22 Alors il m'a dit "Non, je vais".
00:28:24 Une semaine après cette rencontre avec Alexandre, j'étais dans l'avion à côté de Jodorowsky.
00:28:33 Et je découvrais Jodorowsky qui était vraiment un personnage, qui est vraiment une personne.
00:28:40 Et un personnage tout à fait exceptionnel, extraordinaire.
00:28:45 Et ça a été le début d'une très longue amitié qui ne s'est jamais arrêtée.
00:28:53 Jodorowsky avait vu le film "L'étoile noire" que John Carpenter et moi avions tourné.
00:29:01 Il a vu ce film-là, "Mater", et il a dit "Celui-là qui va faire les effets spéciaux".
00:29:05 Il m'a emmené à Paris et m'a fait rencontrer quelques artistes.
00:29:11 Parmi eux, il y avait cet homme incroyable qui s'appelait Jean Giraud.
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00:29:40 Je n'ai jamais vu un artiste dessiner aussi rapidement.
00:29:44 Et si on regarde la qualité stupéfiante de ce qu'il dessinait à cette vitesse,
00:29:48 c'était comme de voir se manifester quelque chose de surnaturel.
00:29:52 Il n'était pas le seul grand artiste de la production, mais il était certainement le plus important.
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00:30:06 Alexandro allouait un grand bureau à Paris.
00:30:12 Il nous a tous mis dans une pièce et a donné à chacun le matériel qu'il voulait.
00:30:20 Après Dali, Salvador Dali qui allait jouer, il m'a donné un catalogue et il l'avait "Giger".
00:30:27 Bob Venosa qui résidait chez Dali m'a téléphoné et me disait que lui, ou plutôt Jodorowsky, avait vu mon livre chez Dali.
00:30:39 Et puis peu après je suis allé à Paris et j'ai rencontré Jodorowsky.
00:30:45 Et Moebius était là aussi.
00:30:51 Moebius pouvait dessiner comme une machine, il fonctionnait comme un robot. C'était très impressionnant.
00:31:02 C'était énorme, le projet était gigantesque. Il y avait d'énormes décors, d'énormes scènes, il y avait des armées qui devaient s'affronter dans le désert.
00:31:13 Une fois que je me retrouvais seul, je me disais non mais c'est pas possible, c'est trop incroyable.
00:31:20 En fin de compte, il a fallu que je passe certaines portes pour que je me dise "Bon ben non, en fin de compte, Alexandro il est sérieux, on peut vraiment lui faire confiance".
00:31:36 Il y avait l'argent français pour le faire, complètement, mais les Etats-Unis n'ont pas donné la distribution dans les salles.
00:31:44 Et pour récupérer l'argent, on avait besoin de moins de 2000 salles, tu vois, que les grandes compagnies avaient les salles, ils n'ont pas donné les salles.
00:31:51 Ce fut un choc terrible d'apprendre que la production venait d'être annulée.
00:31:56 J'avais déjà envisagé les prochaines années de ma vie en fonction de ce projet et avec ces personnes admirables.
00:32:05 Le film allait tout simplement être remarquable.
00:32:09 Et d'un seul coup, tout avait disparu.
00:32:15 J'ai pleuré. Je crois que c'est la première chose que j'ai faite.
00:32:20 Je sais perdre. Pour moi, rater quelque chose, c'est pas un échec, c'est changer de chemin.
00:32:28 Tout de suite je me suis dit "Bien, je n'ai pas pu le faire, ça s'appelle que ça se fait pas".
00:32:33 Je ne vais pas me mettre à pleurer et faire les plaisirs aux imbéciles qui ont raté la production de souffrir.
00:32:43 Au moins, on est rentré dans une maison de santé des années, tellement il a souffert.
00:32:47 Pour lui, ça a été très très dur parce qu'il était comme un coureur de 100 mètres sur les starting blocks
00:32:56 avec le coup de feu du départ qui n'arrive jamais.
00:33:00 Ça, c'était vraiment très très frustrant.
00:33:02 Ma vie était tellement bouleversée à ce moment-là. J'avais besoin de refaire ma vie.
00:33:09 La seule chose à laquelle j'ai pensé à ce moment-là, c'était d'écrire un scénario.
00:33:14 Alors j'ai écrit "Alien".
00:33:18 "Alien" est fait avec mon équipe qui y a inventé, avec Guy, Ovan, Moe Wills.
00:33:24 Ridley Scott est un amateur éclairé d'art, un peu comme George Lucas d'ailleurs.
00:33:32 Mais il est un peu plus de la vie.
00:33:36 Il est un peu plus de la vie.
00:33:38 Ridley Scott est un amateur éclairé d'art, un peu comme George Lucas d'ailleurs.
00:33:45 Mais en plus, Ridley est un dessinateur lui-même, c'est un professionnel.
00:33:52 Quand il m'a contacté, j'ai eu l'impression d'un confrère qui me demandait un travail que lui, il n'avait pas le temps de faire.
00:34:02 Tout en sachant très très bien où était ma compétence et où était ma place.
00:34:07 Le succès du film est dû en bonne partie à la qualité du travail de Guy Guerre et au génie qu'il a eu de trouver cette créature extraordinaire.
00:34:22 Par la suite, j'ai eu affaire avec Moebius plutôt indirectement.
00:34:33 Parce qu'il avait dessiné pour Alien ses vêtements et casques d'astronautes.
00:34:39 Et ceci comme Ridley Scott le voulait.
00:34:43 Comme des anciens plongeurs.
00:34:45 Génial comme il l'a fait.
00:34:47 Il a fait un super travail.
00:34:51 [Musique]
00:34:56 [Musique]
00:35:00 [Musique]
00:35:03 [Musique]
00:35:13 [Musique]
00:35:25 [Musique]
00:35:28 Ces histoires de films Alien et Tron et les autres, si on les met dans la perspective de ma trajectoire, ils représentent des jalons.
00:35:46 Mais en soi, c'est les produits d'une industrie.
00:35:50 Si on prend ce point de vue là, moi j'ai été engagé sur ces projets là, sur ces plateaux, en tant que professionnel, à la suite d'un certain nombre de circonstances.
00:36:04 [Musique]
00:36:07 [Musique]
00:36:19 [Musique]
00:36:22 Il faut bien comprendre que, encore maintenant, pour un artiste, quelques artistes du monde, que ce soit indien, guatemaltèque, européen, peu importe,
00:36:39 être contacté par un studio d'Hollywood c'est quand même assez prestigieux.
00:36:43 En plus, culturellement, j'étais victime, entre guillemets, de ce désir de rupture avec la culture européenne,
00:36:51 et j'avais pris la culture américaine comme perspective, comme modèle, comme modélisation.
00:36:58 Le fait d'être invité à Hollywood, c'est comme d'être invité sur l'Olympe, comme un simple adorateur qui vient de se co-échoisir par les dieux.
00:37:16 Ça a l'air idiot, mais c'était vraiment ça.
00:37:20 [Musique]
00:37:26 À un certain moment, Girod en a eu marre que je l'observe travailler en permanence.
00:37:33 Il m'a demandé d'écrire une histoire qu'il pourrait publier dans "Metal Hurlant".
00:37:37 C'était bien sûr un film noir qui se passait dans le futur.
00:37:42 Je l'avais complètement oublié pendant des mois, jusqu'à ce qu'un éditeur américain décide de publier "Metal Hurlant" dans une édition anglaise, "Heavy Metal".
00:37:53 Je l'ai vu dans une librairie et je suis tombé sur l'histoire que j'ai écrite pour Jean.
00:38:00 C'était la première fois que je la voyais.
00:38:05 Il avait écrit un petit scénario qui m'a beaucoup plu et que j'ai réalisé, qui s'appelait "Long Tomorrow" et qui a eu beaucoup de succès.
00:38:16 Et d'ailleurs qui a été un peu en... comment je pourrais dire... qui a servi à Ridley Scott quand il a fait "Blade Runner".
00:38:26 Oui, je sais. Surtout les verticales dans sa conception de la cité.
00:38:33 Ridley a repris ce schéma urbain pour son "Blade Runner".
00:38:40 Et il avait raison quant à la pertinence de l'image.
00:38:45 Ce dessin-là, quand le détective privé découvre que cette beauté dans son lit se transforme comme un monstre sorti tout droit de la chose d'un autre monde.
00:38:57 Mon scénario original, c'était ça.
00:39:00 Mais ses ongles recroquevillés, c'était giro.
00:39:03 Je me suis dit que c'était parfait.
00:39:05 D'habitude, je mettais une bulle pour montrer les pensées du personnage, mais dessiner les ongles recroquevillés l'exprime encore mieux.
00:39:13 Je ne sais pas si c'est la qualité du génie de trouver juste le truc qu'il faut, mais il semble que ce soit tout à fait une qualité de Jean.
00:39:26 Toute l'esthétique de cette petite histoire s'est retrouvée dans la grande série que j'ai faite avec Jodorowsky plus tard, "L'Incale", de la série de "L'Incale".
00:39:34 On a repris un peu cet univers.
00:39:36 [Musique]
00:39:56 La rencontre qui a eu une durée, c'est celle que j'ai eue avec Jodorowsky, puisqu'on est resté en contact, on a travaillé ensemble sur des bandes dessinées.
00:40:06 [Musique]
00:40:09 Ça a été vraiment pour moi la rencontre la plus formatrice, complexe et complète de toutes celles que j'ai pu avoir avec des personnes.
00:40:19 [Musique]
00:40:36 Dans les tarots, il y a un personnage qui s'appelle les mâts, les fous, qui c'est les "gendifuls".
00:40:43 C'est l'esprit humain dans sa partie la plus primitive.
00:40:52 Les cêtres dans un niveau de conscience petit, volent, mentent, trahissent. Ils ne sont pas des héros.
00:41:01 La seule façon de permettre au lecteur de s'identifier, c'était de faire un personnage qui résiste, qui ne comprend rien, qui ne veut pas comprendre,
00:41:12 et qui jusqu'au dernier moment, nie ce qui se passe, et dans le déni total.
00:41:19 Parce que ça c'est vraiment la seule façon de faire adhérer le lecteur moderne.
00:41:28 [Musique]
00:41:35 Jodot a un aspect public qui est un metteur en scène, un auteur de bande dessinée, un écrivain, un poète, quelqu'un qui est dans une norme.
00:41:46 Mais il a à côté de ça une activité qui est presque effrayante, parce que c'est politiquement très dangereux et suspect.
00:41:56 C'est-à-dire qu'il tire les tarots et il fait des sessions de thérapie de groupe sur des modes qui sont psychomagiques, comme il dit.
00:42:07 [Musique]
00:42:30 Quand je travaille avec un dessinateur, je travaille avec lui, avec sa personne, pas seulement comme il dessine.
00:42:39 Alors d'une certaine façon, je rentre dans son psychisme, et je cherche ce qu'il aimerait faire, qu'il n'a pas fait encore, et qu'il ne sait même pas qu'il voudrait faire ça.
00:42:52 Il y a des verrous qui sont prêts à s'ouvrir d'une façon qui n'a rien à voir avec la rationalité et la raison.
00:43:04 Donc, la magie.
00:43:06 Et Alessandro, à ce niveau-là, il est très fort, parce qu'il est capable de... il ne réussit pas tout le temps, mais souvent, je l'ai vu, il va là où il y a le verrou qui est prêt à s'ouvrir.
00:43:16 Fou, comme ça, avec un tout petit machin. Ça économise 6 ans de psychanalyse.
00:43:22 Bon, après, il faut bosser, quand même.
00:43:24 La liberté artistique, on peut toujours la voir. Il y a toujours des endroits où on va la trouver.
00:43:39 [Musique]
00:44:09 J'émets des formes et des idées, mais je ne suis pas responsable. Je ne suis qu'un canal.
00:44:15 Et je me mets dans un état de transe légère, mais dans lequel je suis quelque chose d'autre agit en moi, et quelque chose qu'on peut appeler l'inconscient, ou des dieux, ou des génies, ou je ne sais pas quoi.
00:44:31 C'est possible. Ou des extraterrestres. C'est possible, on ne sait pas.
00:44:35 [Bruit de moteur]
00:44:45 Je suis tout à fait capable de changer d'univers à la seconde, à travers mon travail, je parle.
00:44:54 [Musique]
00:44:56 J'ai expérimenté cette capacité et je l'ai constatée avec ravissement. C'est un bienfait des dieux.
00:45:06 [Musique]
00:45:18 [Bruits de marchandises]
00:45:40 Je n'aime pas qu'on se définisse comme ayant héroïquement créé quelque chose de sa vie, et de le revendiquer. Ça, ça me gêne toujours.
00:45:50 Moi, je suis ci, moi je suis ça. Alors, évidemment, moi je suis plutôt quelqu'un qui ne fait pas ça.
00:45:57 [Bruits de marchandises]
00:46:07 Merci beaucoup. Bonne journée.
00:46:11 [Bruits de marchandises]
00:46:21 [Musique]
00:46:31 Moebius, tu sais, il a la partie psychologique d'un artiste, il n'a pas eu vraiment un père.
00:46:37 Alors, moi, je suis plus âgé que lui, je ne pouvais pas être son père. Il voulait, donc je voulais mettre des choses comme ça.
00:46:46 Mais il a dit à un artiste, il ne faut pas prendre sa créativité et la guider à devenir le propriétaire d'un artiste.
00:46:55 L'artiste doit être livre. Je n'ai pas voulu faire ça. Mais il cherchait un père, donc il a cherché cette gourou. Fou.
00:47:06 [Musique]
00:47:15 D'une certaine façon, un jeu d'eau au niveau intellectuel et au niveau de la perception des mécanismes, il était plus fort. Il est plus fort.
00:47:26 Par contre, à Pellegueri, lui, il était plus intéressant dans la mesure où il y avait un aspect mystérieux, qui n'est pas cernable, qui n'est pas rationnel.
00:47:40 C'est-à-dire que, quelque part, il était fou.
00:47:43 [Musique]
00:47:53 Le but de la chose était que Pellegueri propose... Il était dans l'obligation par le groupe. On était à peu près entre 100 et 200 personnes.
00:48:08 On lui demandait de nous trouver des trucs à penser, à faire et à dire ensemble.
00:48:14 [Musique]
00:48:26 Dans le groupe, on était devenus des professionnels de la communication entre personnes qui ne se connaissent pas, pour aller au cœur, dans l'intimité.
00:48:38 On utilisait des langages codés pour ne pas se sentir gêné.
00:48:43 Par exemple, la baise, c'était l'énergie sexuelle.
00:48:49 Le Q, c'était l'utilisation de l'énergie à travers la méditation, pour passer à travers des couleurs, des sons, des formes, pour entrer en contact avec des dimensions.
00:49:07 D'un seul coup, ça devenait gérable, tout ça.
00:49:10 [Musique]
00:49:31 En prenant ma décision de suivre cette voie-là, je fais un acte de choix personnel, mais vu de l'extérieur, ça pourra être perçu comme la pente fatale qui provoquait par ma propre alienation au monde.
00:49:46 Ça, c'est le problème de Jean, ce n'est pas le mien. Moi, je ne donne pas dans les sectes.
00:49:50 La manipulation humaine, je ne peux pas. Jamais. Je ne peux pas.
00:49:53 J'ai bien dit manipulation humaine. Avec le respect que je dois à Jean, on n'a pas le droit de manipuler les autres.
00:49:59 Point barre.
00:50:01 [Musique]
00:50:07 Disons que, pour être politiquement correct, il faut plutôt dire qu'il y avait un être maléfique et manipulateur au centre qui trompait tout le monde.
00:50:15 Mais, ce n'est pas si simple que ça. Ce n'est pas si simple que ça.
00:50:19 [Musique]
00:50:33 Ma famille et moi, on est quand même restés 4-5 ans dans le truc.
00:50:37 Ce n'était pas toujours facile. C'était ça qu'on demandait aussi. On demandait des choses difficiles.
00:50:45 C'était parfois difficile physiquement, mais parfois, moralement, il y avait des trucs qui étaient à la limite.
00:50:52 Alors, évidemment, il y a une frontière à laquelle on ne peut pas franchir, qui est celle de la dignité humaine.
00:50:59 [Musique]
00:51:08 Il y a un projet qui a émergé, qui a demandé à ce que j'aille à Los Angeles.
00:51:12 Lorsque j'étais à Los Angeles, ça s'est un peu distendu.
00:51:15 [Musique]
00:51:18 Les gens qui s'en allaient sont devenus nombreux, de plus en plus nombreux et de plus en plus convaincants.
00:51:23 Il y a eu un moment donné, j'ai dit « Bon, ben, j'arrête. »
00:51:26 J'ai écrit à Jean-Paul Apel, « Vraiment, t'es nul. »
00:51:31 Moi aussi, j'aurais pu lui dire « Écoute, t'es formidable, mais j'arrête. »
00:51:36 Au lieu de ça, j'avais besoin de faire une espèce de libération par rapport à un père imaginaire.
00:51:47 La pire époque artistique de Moebius était là.
00:51:50 Mais qu'est-ce qu'il a appris ? Comment son cerveau s'est explosé, s'est élargi,
00:51:56 précisément en se rendant compte, dans un moment, qu'il devait se libérer.
00:52:01 Donc, il s'est fortifié son esprit.
00:52:04 Mais il a vu d'autres thèmes mystiques, profonds.
00:52:10 C'était bon pour lui.
00:52:13 Une expérience catastrophique, mais bonne pour lui.
00:52:17 [Musique]
00:52:36 Les différentes invitations que j'avais eues aux États-Unis m'avaient mis l'eau à la bouche.
00:52:40 Dès que j'ai eu la possibilité de faire bouger ma famille,
00:52:45 et d'avoir une raison ténue d'aller vivre à Los Angeles, j'ai sauté sur l'occasion.
00:52:51 Je m'étais vraiment très bien adapté. J'aimais beaucoup.
00:52:54 C'est une ville vraiment géniale, Los Angeles.
00:52:57 Une connaissance commune nous a finalement présenté en disant
00:53:02 « Je pense que vous deux, vous devriez vous rencontrer. »
00:53:05 Et c'est ce qu'on a fait.
00:53:08 C'est comme si on faisait un jeu. On disait « Qu'est-ce qu'on ferait comme histoire si on en faisait une ensemble ? »
00:53:13 Et j'ai tout de suite pensé au Silver Surfer, que j'aimais beaucoup.
00:53:19 Je lui ai construit un personnage très philosophique.
00:53:23 Il venait d'une autre planète. Il ne pouvait pas comprendre les êtres humains.
00:53:28 Je me suis dit « Bon, peut-être que dans six mois, il va me passer un coup de fil en me disant
00:53:33 « Tu te souviens ? On avait pensé à faire ça. Qu'est-ce que tu en penses ? »
00:53:38 Non, non, ça c'est la française.
00:53:41 En fait, ce qui s'est passé, c'est que le lendemain, j'avais le scénario littéralement sur ma table.
00:53:46 Et le surlendemain, je commençais à travailler.
00:53:49 J'étais très content qu'il consente à travailler avec la méthode Marvel que j'avais conçue des années auparavant.
00:53:57 J'ai écrit l'histoire comme une simple histoire, pas comme un scénario.
00:54:03 On pourrait aussi appeler ça un plan détaillé.
00:54:07 C'est une façon de travailler qu'il pratiquait beaucoup, qui est assez sympa.
00:54:12 Parce que bon, ça permet à l'histoire de se développer graphiquement.
00:54:17 Et les dialogues après viennent là pour enrichir et préciser les choses.
00:54:23 Ici aux États-Unis, on ne commencerait jamais une BD avec le visage d'un personnage.
00:54:31 Nous devons y mettre une scène d'action.
00:54:34 Je pourrais commenter chaque plan, je crois.
00:54:37 Celle-ci est exceptionnelle.
00:54:39 Galactus marche à travers la ville et écrase des édifices.
00:54:45 Toutefois, le travail est simple et bien fait.
00:54:49 Il n'a pas essayé d'ajouter tous les détails possibles et imaginables.
00:54:57 J'aime le travail qu'il a fait avec Stan Lee.
00:55:01 Parce que Stan écrit d'une manière simple et directe.
00:55:05 C'est en quelque sorte aux antipodes de ce qui se fait dans la BD européenne.
00:55:10 Ça intéresse le grand public.
00:55:12 Alors que l'oeuvre de Moebius est pleine de pensées profondes, de personnages tourmentés, en quête de quelque chose.
00:55:18 C'est parfait pour le personnage du surfeur.
00:55:22 Je travaillais chez Marvel Comics quand il a fait ça.
00:55:26 C'était une période stimulante.
00:55:28 On se disait que maintenant les BD américaines devaient devenir plus intéressantes.
00:55:33 Si Marvel Comics laisse Moebius faire un surfeur d'argent, les choses vont changer en Amérique.
00:55:38 Parce que nous aurons la liberté de faire des oeuvres plus étranges, plus expérimentales.
00:55:42 Et des artistes d'Europe viendront travailler ici.
00:55:45 Et bien sûr, rien n'a changé.
00:55:48 Les fans de BD sont en général assez conservateurs.
00:56:02 Ils n'aiment pas le changement.
00:56:04 Si tu décides de changer la coiffure de ton personnage, ils réagiront violemment.
00:56:09 Ce n'est pas une industrie qui permet vraiment de se renouveler.
00:56:28 Pourtant, si tu n'évolues pas, tu es mort, tu finis par stagner.
00:56:34 La BD
00:56:38 La plupart des lecteurs ont trouvé qu'il avait fait un travail remarquable.
00:57:02 Ils ont aimé son style différent, son style plus profond.
00:57:06 Je crois que c'était un niveau au-dessus de la BD habituelle.
00:57:10 Je pense que Stan Lee est un commerçant, quelque part.
00:57:16 Ce n'est pas vraiment un homme qui pense que la BD est de l'art.
00:57:20 Je pense que c'est une industrie pour lui.
00:57:22 Donc cette BD, il est un artiste, que c'est Moebius, et un commerçant, que c'est Stan Lee.
00:57:31 Ils s'emmerdaient là-bas, aux États-Unis, parce qu'ils avaient les super-héros qui ont des gros muscles, mais pas de bite.
00:57:37 Je suis désolé.
00:57:38 Ou les femmes, pas de sexe, parce qu'il n'y a toujours rien en bas.
00:57:41 C'est pour ça que je déteste les super-héros.
00:57:43 En fait, Stan Lee est toujours intéressé par les mythes, les grands mythes classiques liés à la tradition mythologique grecque,
00:57:52 mais aussi à la métaphysique en général.
00:57:55 Et en s'emparant de ces personnages qui sont des demi-dieux ou des dieux, d'une façon un peu fatale,
00:58:02 il tombe dans la problématique d'une certaine métaphysique.
00:58:06 Superman me fait vomir, Batman et tout ça.
00:58:09 Tout cet empire à sa religion, c'est très important que les super-héros souffrent.
00:58:19 J'aime un fils, j'aime un père, mais je me chie dans les États-Unis.
00:58:25 [Musique]
00:58:36 Au lieu de dire "nous voulons publier votre album aux États-Unis",
00:58:41 ils disent à certains artistes "nous voulons que vous veniez ici pour dessiner Batman".
00:58:46 Mais moi, je préfère lire leurs propres histoires.
00:58:50 J'ai vu suffisamment de Batman.
00:58:53 [Musique]
00:58:59 C'est toujours "on aime votre travail, on veut le refaire et l'arranger,
00:59:04 mais on aime sincèrement ce que vous faites".
00:59:06 Alors, si vous aimez mon travail, pourquoi vous ne publiez pas mon travail ?
00:59:11 [Musique]
00:59:21 [Musique]
00:59:33 Je pense que la vraie vie, c'est d'avoir des problèmes.
00:59:38 Ce n'est pas de vivre sans problèmes.
00:59:42 La vraie vie, c'est de rouspéter contre les problèmes qui arrivent
00:59:46 et de les résoudre du mieux qu'on peut.
00:59:50 La satisfaction absolue, c'est intéressant en tant que rêve, en tant que plan.
01:00:02 [Musique]
01:00:30 [Musique]
01:00:37 Il y a eu un moment où le couple que je formais avec ma première femme
01:00:42 a fini par se déliter et par se terminer.
01:00:46 Non pas d'une façon tonitruante et dramatique,
01:00:50 mais plutôt dans un consensus mutuel d'envie de faire autre chose.
01:00:58 Il y a aussi la mort de Jean-Michel Charlier, qui a représenté une rupture considérable.
01:01:05 Toutes ces modifications, toutes ces mutations se sont mises en place,
01:01:09 mais en même temps, comme toujours, j'ai tendance à vouloir
01:01:15 que les transitions ne soient pas trop brutales.
01:01:19 [Musique]
01:01:27 La chose dont je suis vraiment sûr et qui représente vraiment une mutation très grande,
01:01:35 c'est ma rencontre avec Isabelle, la naissance de Raphaël et de Mosika
01:01:41 et la création d'une nouvelle entité familiale,
01:01:45 d'un nouveau lieu de vie et d'une nouvelle histoire.
01:01:49 Les femmes de Jean étaient aussi puissantes que sa maman, toutes fortes, très fortes.
01:01:54 On comprend pourquoi c'est là.
01:01:57 On met une petite plateforme inclinée.
01:02:00 Tu sais, les femmes des dessinateurs sont très, très, très, très savares.
01:02:04 Les femmes des dessinateurs, elles disent qu'elles veulent les contrats,
01:02:09 qu'elles veulent le pourcentage, que si, que ça.
01:02:12 Parce que le dessinateur, c'est un enfant.
01:02:16 Pas de zéro à dessiner, il a gardé son enfance.
01:02:19 Donc il a besoin d'une maman qui le protège, qui le fait marcher, tu vois.
01:02:24 Tous les dessinateurs ont des femmes qui sont très fortes comme des mères.
01:02:29 Alors il ne faut pas travailler avec les femmes des dessinateurs, s'il te plaît.
01:02:35 C'est pas facile, mais c'est génial, quoi.
01:02:40 Ça remplit, ça nourrit et ça...
01:02:44 C'est ce qui forme, c'est ce qui fait mon guide, disons,
01:02:49 dans mon travail et dans ma vie.
01:02:53 C'est là-dessus que je me cale pour savoir où je suis et ce que je dois faire.
01:02:58 Non, ce qu'il faut enlever, c'est ça.
01:03:00 - Et on garde... - Et on enlève l'horizon.
01:03:03 J'ai continué à faire "Blueberry", j'ai continué à travailler avec "Dargo".
01:03:08 Enfin, je suis revenu chez "Dargo".
01:03:10 J'essaye de maintenir tout ce que j'ai mis en place au maximum.
01:03:20 Parfois même au-delà de ce qui est raisonnable.
01:03:26 Ça, c'est un trait de caractère, je ne sais pas.
01:03:29 Je ne pourrais pas dire si c'est bien ou pas bien.
01:03:33 Jean est un homme difficile sur le plan humain
01:03:36 parce qu'il a tellement de contradictions
01:03:38 et il a parfois du mal à communiquer avec les autres.
01:03:42 Je vais dire qu'il a un égo sur des mesurés.
01:03:45 Qui d'entre nous dans ce métier n'a pas un égo démesuré ?
01:03:50 Moi le premier.
01:03:52 Il a dit "Jean Giraud l'artiste et Jean Giraud l'être humain".
01:03:56 C'est des choses.
01:03:58 Comme être humain, je me méfierais de Jean Giraud
01:04:02 parce qu'on ne peut pas le prendre.
01:04:05 On ne sait pas qui il est.
01:04:08 Je le connais comme artiste.
01:04:10 L'être humain, je ne sais pas qui il est.
01:04:13 Pendant toutes les années que je le connais, je ne le connais pas.
01:04:17 En quelque sorte, il était le plus grand génie de nous tous.
01:04:24 Mais il était aussi le plus calme.
01:04:31 Je ne sais pas quoi dire.
01:04:33 Je suis conscient d'être une source de problèmes dans mon activité professionnelle.
01:04:41 Je le sais.
01:04:42 Pas seulement pour les femmes, mais pour les enfants aussi.
01:04:47 Mais il y a un moment où je suis comme une espèce de train lancé à toute allure.
01:05:00 Je suis dans ce train.
01:05:05 Ce train c'est mon histoire.
01:05:07 De temps en temps, je change de wagon, je regarde par les fenêtres,
01:05:11 mais je ne sais pas comment arrêter le train.
01:05:14 Le train ira jusqu'à la gare, jusqu'au bout.
01:05:18 Il y a des moments, quand je vois les dégâts, les difficultés des autres,
01:05:24 il y a toujours un moment où je me dis "Bon ben tant pis".
01:05:28 Chacun résout ses problèmes.
01:05:31 Le train est parti.
01:05:34 Le train est parti.
01:05:36 [Musique]
01:06:04 Moi je suis un artiste.
01:06:06 Je fais de la bande dessinée et ma préoccupation majeure c'est de faire des dessins.
01:06:10 Accessoirement, j'ai cru que j'allais pouvoir être un prophète et un saint dessinant.
01:06:19 Mais je l'ai vraiment cru à un moment.
01:06:21 Et puis non.
01:06:23 Je suis tout simplement...
01:06:25 Là je suis un pépé, 67 ans, je commence à être un pépé.
01:06:28 Et puis je vais mourir d'une façon banale.
01:06:32 Mais je continue à dessiner.
01:06:34 Toute mon énergie est concentrée dans mon dessin pour faire des dessins qui soient un peu vibrants.
01:06:39 [Musique]
01:06:51 Ce que je veux qu'on dise de moi c'est "Il est vraiment bizarre mais bon il est là quand même".
01:06:56 C'est ça.
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01:08:14 Merci.

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