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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:08 Place à la rencontre.
00:10 Aujourd'hui, notre invitée est écrivaine, romancière et dramaturge.
00:14 Mais aussi, pourquoi pas, un peu médecin légiste.
00:17 Dans sa dernière pièce, Autopsie mondiale, elle ausculte en effet la fin d'un monde,
00:21 celui des idoles, des paillettes et des strass, à travers deux figures mondiales de la pop,
00:25 Michael Jackson et Britney Spears.
00:27 Deux stars déchues, deux symptômes, mais de quoi ? Que disent-elles, non pas d'elles,
00:32 mais de nous ? Qui les jugeons, les annulons ou les adorons ? Qui est donc l'imposteur ?
00:37 Bonjour, Emmanuel Bayadaktam.
00:39 Bonjour.
00:40 Bienvenue dans les midis de culture.
00:41 Merci.
00:42 Avez-vous parfois le sentiment d'être dans l'imposture ?
00:45 Non, jamais.
00:46 C'est vraiment un sentiment qui m'est très étranger.
00:50 Quand vous écrivez, quand vous présentez une pièce, quand vous avez écrit vos premiers
00:54 romans par exemple, vous vous êtes pas dit "est-ce que je suis bien à ma place ?"
00:57 Non, au contraire.
00:58 L'écriture, c'est l'endroit où je me sens le plus à ma place.
01:00 Après, la publication, la promotion, c'est autre chose.
01:03 Mais non, le sentiment d'imposture, je ne connais pas.
01:06 Est-ce que vous pensez que cette pièce que vous avez écrite, Autopsie Mondiale, voulait
01:10 traiter justement de ce thème de l'imposture ? C'est-à-dire, non pas que ces stars-là
01:15 ne soient pas à leur place, mais qu'on leur fasse porter des choses qu'elles ne voulaient
01:19 peut-être pas porter ?
01:20 Alors, je ne peux pas dire que j'ai pensé à l'imposture en écrivant Autopsie Mondiale.
01:25 J'ai plutôt pensé aux enfances maltraitées et bousillées et de Michael Jackson et de
01:30 Britney Spears.
01:31 Je pense que la matrice, elle était plutôt par là.
01:34 Donc, rien à voir avec l'imposture, rien qui vous intéresse dans ce sujet-là, ni
01:40 vous par rapport à un rôle que vous pourriez jouer, ni Britney Spears ou Michael Jackson.
01:45 Non, vraiment pas.
01:46 Alors, on va tout de suite les écouter.
01:47 Désolée.
01:48 On ne peut pas.
01:49 On ne peut pas.
01:51 On ne peut pas.
01:53 On ne peut pas.
01:55 On ne peut pas.
01:57 On ne peut pas.
01:59 On ne peut pas.
02:01 On ne peut pas.
02:03 On ne peut pas.
02:04 On ne peut pas.
02:11 On ne peut pas.
02:20 On ne peut pas.
02:32 On ne peut pas.
02:55 Vous avez raison, c'est le point de départ.
03:24 C'est ce duo mythique entre Britney et Michael.
03:30 J'avais de toute façon l'intention d'écrire sur Michael Jackson, qui est déjà un personnage
03:36 de mes textes antérieurs.
03:38 Quand Michael est mort en 2009, j'écrivais un roman qui s'appelle "La princesse 2"
03:42 et j'ai intégré la mort de Michael à mon récit.
03:45 Il est présent aussi dans "Il est des hommes qui se perdront toujours".
03:48 Je reviens sur l'enfance de Michael, le fait qu'il ait été maltraité par son père,
03:54 dressé même par son père.
03:55 Il y avait ce désir de travailler sur Michael et puis il y avait cette matrice de ce duo
04:01 mythique.
04:02 J'ai rencontré un jeune comédien qui s'appelle Pierre Lefebvre-Adrien et qui joue Michael
04:09 dans "Autopsie mondiale".
04:10 En discutant avec lui, je me suis aperçue qu'il était fan de Michael, qu'il en connaissait
04:13 toutes les chorégraphies et toutes les chansons.
04:14 C'est lui qui m'a désinhibé, qui a fait que j'ai osé écrire cette pièce.
04:18 C'est parce que j'avais mon comédien.
04:19 - Vous l'appelez Michael parce qu'il a dans votre vie une place importante, particulière ?
04:25 - Oui, c'est vrai, je l'appelle Michael.
04:27 Oui, je pense que j'écoute tous les jours au moins une chanson de Michael Jackson.
04:33 Sans être une vraie fan.
04:35 - Ah bah si ! Ecouter une chanson de Michael Jackson par jour, c'est être une vraie fan !
04:41 - Tout le monde écoute du Michael...
04:43 Non ? Ah bon.
04:44 C'est vrai que je me targue peut-être à tort d'une espèce de familiarité avec son
04:50 oeuvre.
04:51 Et qu'effectivement, il y avait ce désir de mettre ces chansons en circulation dans
04:56 mes textes.
04:57 - Et alors pourquoi ce point de départ précisément, ce duo-là ? Pourquoi n'avoir pas seulement
05:01 écrit pour Michael Jackson, enfin sur Michael Jackson, mais sur ce duo-là dans cette vidéo
05:07 ? Vous étiez tombée sur cette vidéo ?
05:08 Vous l'avez inspirée ?
05:09 - Il y a une espèce de collusion entre deux personnages qui ont des trajectoires assez
05:15 proches.
05:16 Deux enfants stars, deux enfants qu'on a privés de leur enfance, qu'on a hyper sexualisés
05:22 très jeunes l'un et l'autre.
05:24 Parce que Michael, finalement, on lui a fait chanter des chansons d'amour, il avait 10
05:27 ans.
05:28 Britney, n'en parlons pas, c'était une espèce de Lolita.
05:30 Donc il y a cette collusion.
05:33 Et il y a même une espèce de paradoxe aussi dans le fait que Michael a choisi Britney
05:39 pour chanter ce duo.
05:40 C'est le seul duo qu'il fait lors des deux galas du 7 et 10 septembre 2001.
05:46 Et je pense qu'elle incarne en même temps tout ce qu'il détestait.
05:50 C'est une femme blonde, sexy, alors qu'il y a beaucoup de chansons de Michael dans lesquelles
05:57 on le sent.
05:58 Je pense à Dirty Diana, je pense à Billie Jean.
06:00 Une espèce de répulsion profonde par rapport à ce qu'incarne Britney.
06:04 En plus, le clip de « The way you make me feel », qui est reproduit sur la scène du
06:09 Madison Square Garden, c'est une scène de drague de rue.
06:12 Tout est grotesque et tout est sublime en même temps.
06:14 - Oui, alors est-ce que vous pouvez nous raconter ce qu'on voit à l'écran quand on regarde
06:19 ce duo-là ? Parce que moi, je ne la connaissais pas cette vidéo, donc je suis allée la regarder
06:22 après votre spectacle.
06:24 Et c'est vrai que le temps fait du mal à ce genre de vidéo.
06:28 C'était quand même il y a 22 ans, donc on a l'impression que tout est ringard.
06:32 Mais c'est vrai que même la mise en scène est nulle.
06:33 Elle se pavane.
06:36 - Oh, vous êtes sévère ! Elle est moins fan que vous peut-être.
06:39 - Non mais Britney Spears est quand même une excellente danseuse.
06:42 - Elle ne peut pas danser.
06:43 - Voilà, elle arpente la scène de droite à gauche en faisant mine d'être draguée
06:46 par quelqu'un qui ne la regarde pas.
06:47 - C'est ça.
06:48 Alors dites-vous qu'ils transposent le clip, qui est une scène de drague de rue où Michael
06:54 est là à courser une fille qui ne veut pas de lui en prenant des postures hyper viriles
06:59 qui sont là aussi complètement grotesques.
07:02 Et le duo avec Britney, elle est sublime, dans une petite robe verte moulante, sauf
07:08 qu'elle est perché sur des talons très hauts et qu'elle ne peut pas danser.
07:11 Et elle aurait dit, alors évidemment, je ne suis pas sûre de l'anecdote, elle aurait
07:16 dit à Michael en coulisse "écoute, je ne peux pas danser avec ces talons" et il lui
07:20 aurait répondu "marche, le monde suivra".
07:22 Parce qu'il avait bien conscience que Britney allait avoir un succès quasi-garocien.
07:28 - Est-ce que c'était aussi cette espèce de duo un peu bizarre dont vous sentiez aussi
07:32 un peu la répulsion qui vous a intéressé de mettre en scène Emmanuel Bayamakhtam ?
07:40 - Alors, il y avait le désir d'écrire ce que j'appelle une dramedie musicale, c'est-à-dire
07:45 un texte de théâtre avec des chansons, des chorégraphies.
07:49 Mais aussi de montrer deux adultes qui n'ont pas pu accéder à une vie d'adulte, ni à
08:00 une sexualité d'adulte.
08:01 Et par ailleurs, quand j'ai commencé à faire savoir que je voulais écrire sur Michael
08:06 une pièce de théâtre autour de Michael Jackson, j'ai une jeune comédienne que j'aime
08:10 beaucoup qui m'a dit "mais Emmanuel, tu ne peux pas écrire sur Michael Jackson parce
08:13 que Michael Jackson est un prédateur sexuel".
08:15 Et c'est devenu l'argument de la pièce.
08:16 Ce que je n'avais pas forcément prévu, c'est que du coup j'allais faire le procès de Michael
08:24 Jackson dans ce texte-là.
08:25 - Il faut peut-être revenir sur cette pièce-là, parce qu'on a parlé de ce point de départ
08:30 qui est cette vidéo.
08:31 Mais dans cette pièce, vous imaginez le retour, 14 ans après la mort de Michael Jackson,
08:37 de Michael Jackson et Britney Spears en duo encore une fois.
08:41 Mais dans l'intervalle, le monde a changé.
08:44 On fait quand même des débats sur cette distinction entre l'œuvre et l'homme.
08:48 On parle de pédocriminalité.
08:49 La race et le genre sont des réflexions fondamentales de notre époque.
08:53 On parle aussi de cancel culture, on annule les gens, les célébrités.
08:57 Et il y a évidemment aussi la crise climatique.
08:59 C'est ça que vous voulez nous montrer ? Ces stars qui ne sont plus dans leur époque ?
09:03 - Je ne sais pas si c'était ma réflexion au moment où j'ai commencé à écrire ce
09:11 texte, mais en tout cas, ça fait partie des sujets que Autopsie Mondiale agite.
09:17 C'est vrai que le monde a changé.
09:18 Me Too est passé par là, et c'est tant mieux.
09:21 Et c'est vrai aussi que le documentaire Leaving Neverland a fait des dégâts.
09:27 C'est devenu difficile.
09:28 - Donc ces documentaires sur Michael Jackson nous ont mis au jour justement tous ces faits
09:31 de pédocriminalité.
09:32 - C'est devenu difficile d'aimer Michael.
09:34 Alors qu'est-ce qu'on fait ?
09:35 - Qu'est-ce que vous faites ? Parce que c'est vous qui êtes fan de Michael Jackson.
09:39 - Moi, pour le coup, dans Autopsie Mondiale, j'agite mes marionnettes.
09:43 Il y a à la fois un fan qui va prendre la défense de Michael, et un personnage qui
09:47 s'appelle Opinion Mondiale qui est venu pour l'annuler.
09:50 Sachant qu'il y a des velléités d'annulation de Michael Jackson.
09:54 Il y a des radios québécoises qui ont cessé de le programmer, les producteurs des Simpsons
09:58 qui ont retiré l'épisode dans lequel on entend la voix de Michael.
10:01 Et en même temps, c'est complètement vain qu'on ne peut rien annuler aujourd'hui à
10:04 l'ère des réseaux sociaux.
10:05 Même dans la Rome Antique, ça ne marchait pas vraiment.
10:08 Alors, imaginez aujourd'hui.
10:09 Moi, je ne tranche pas.
10:12 J'espère que le spectateur sortira de cette pièce en se posant autant de questions que
10:15 moi.
10:16 Je fais avec ce trouble qui est que j'aime les chansons de Michael, je vis avec, mes
10:21 enfants aussi, mes conjoints, mes amis, enfin, mon conjoint, mon chiffre de gamme, c'est
10:26 le mari.
10:27 C'est même lui qui m'a initiée à Michael Jackson.
10:31 Qu'est-ce qu'on fait de ces révélations qui, malheureusement, laissent peu de place
10:36 aux doutes ?
10:37 C'est la réflexion de cette jeune femme qui vient vous dire "attention, il y a un
10:44 thème que tu ne peux pas éluder en parlant de Michael Jackson".
10:48 Là, vous vous dites quand même "j'y vais mais je prends en compte".
10:51 Je saute à piégeoirs même.
10:52 Au départ, vous vouliez écrire une pièce sur Michael Jackson, aussi sur ce duo.
10:57 Et à travers cette réflexion-là, vous vous êtes dit "comment je fais pour intégrer
11:00 toutes ces critiques ?" et c'est devenu l'objet.
11:02 Je ne sais pas quel tour aurait pris la pièce.
11:05 Je pense que de toute façon, j'aurais forcément dû me confronter au fait que Michael est
11:11 un prédateur sexuel.
11:12 Mais là, c'est devenu central.
11:14 Parce qu'en plus, vous ne l'avez pas écrite toute seule, cette pièce.
11:18 Il y a eu une façon un peu collective d'écrire cette pièce.
11:21 C'est l'avantage du cas.
11:23 Moi, je suis arrivée avec ce projet que j'ai proposé à Clément Poiré qui dirige
11:27 La Tempête et qui met en scène Autopsie Mondiale.
11:30 On a choisi ensemble les comédiens, même si j'avais Pierre-Adrien Lefebvre en tête,
11:34 et François Chary pour le personnage du fan.
11:37 Et ensuite, il y a eu plusieurs allers-retours entre les comédiens et moi.
11:42 J'ai modifié le texte en fonction d'eux et d'elles, en fonction de leurs propositions
11:48 ou de leurs réticences.
11:49 Par exemple, Mathilde Honneveux qui joue Britney Spears, qui fait une merveilleuse Britney Spears,
11:55 elle trouvait le rôle un peu ingrat.
11:57 Il y a des moments où elle se posait la question de son utilité dans ce spectacle.
11:59 J'ai intégré ça.
12:01 Du coup, ça a fait bichurquer le texte.
12:03 C'est comme ça que j'ai envie d'écrire.
12:05 - C'est vrai que c'est intéressant cette remarque de cette comédienne, pardonne-moi,
12:09 j'ai oublié son nom, qui interprète Britney Spears.
12:11 - Mathilde Honneveux, vous retenez ce nom.
12:14 - On le retient, qui justement nous montre que Britney Spears parfois incarne presque
12:20 un faire-valoir.
12:21 Parce que le procès qui se joue, c'est celui d'un mort.
12:24 C'est quand même dans les limbes.
12:26 C'est vraiment Michael Jackson.
12:28 Alors que Britney Spears, je le rappelle, n'est pas morte.
12:31 Et qu'à tout moment, libérée de la tutelle de son père il y a quelques mois, peut quand
12:37 même renaître et réapparaître, se réinventer.
12:40 - Oui, alors ce n'est pas vraiment ce qu'elle fait.
12:43 Pour l'instant…
12:44 - Vous avez peu d'espoir pour l'avenir de Britney Spears, je le sais.
12:47 - C'est vrai qu'elle m'intéresse moins que Michael Jackson.
12:50 Mais effectivement, elle est libre.
12:52 Que fait-elle de cette liberté ? On ne sait pas trop.
12:54 Elle se ridiculise un petit peu sur les réseaux sociaux avec des vidéos qui sont consternantes.
12:59 Je m'égare un peu.
13:02 C'est vrai que Michael est mort, Britney non.
13:04 Et en même temps, je les ai placées dans une situation où il y a quand même un doute
13:07 sur la mort de Michael.
13:08 En tout cas, lui prétend être vivant et trouve que Britney est finalement les moins que lui.
13:13 - Et puis surtout, les deux, vous les tournez assez également en dérision.
13:16 C'est-à-dire que Britney Spears arrive dans sa tenue, la même qu'elle avait au Madison
13:21 Square Garden en 2001.
13:22 Elle se casse la figure justement à cause de ses talons trop hauts.
13:26 Et Michael Jackson semble mal à l'aise, inconfortable, presque il chante faux.
13:32 Il y a quelque chose de bancal qui ressort de cette interprétation-là.
13:38 Ou même la salle de concert est brinqueballante, est noire.
13:43 Il y a des musiques qu'on ne reconnaît pas trop.
13:45 Il y a quelque chose de bancal qui ressort.
13:46 - Alors ça, ce n'est pas de mon fait, même si j'y adhère.
13:49 C'est vraiment la mise en scène de Clément Poiré.
13:51 Et je crois que lui, il n'avait pas envie de quelque chose qui relèverait du karaoké.
13:58 Il voulait que la musique soit jouée live.
14:01 Que Pierre, qui joue Michael Jackson, ne chante pas forcément très bien, alors qu'il
14:06 chante très bien.
14:07 - Oui, mais c'est vrai que c'est une question…
14:09 On peut justement se demander ce que ça contribue au personnage.
14:12 Et en même temps, on est en train de dire, est-ce que c'est voulu ou pas ?
14:15 - Alors, moi, je donne très peu d'indications scéniques quand j'écris un texte de théâtre.
14:19 Et même, je pense que je ne vais plus en mettre du tout.
14:22 - Plus de Dida Scali.
14:24 - Voilà.
14:25 Parce que de toute façon, je délègue la mise en scène à d'autres que moi.
14:28 Et là, pour le coup, il y a vraiment une équipe à la tempête.
14:31 C'est faramineux ce que ça a exigé ce spectacle en termes de lumière, de costumes, de maquillage.
14:37 - De décors aussi.
14:38 Parce qu'il y a des changements de décors.
14:40 Il y a un côté à la fois bricolé et en même temps, tout à coup, il y a un fond
14:43 qui apparaît.
14:44 Il y a une sorte de fausse fusée, de fausse navette.
14:47 - Oui, de briques et de brocs avec une planche à repasser qui sert de fusée.
14:52 Et ça, c'est le choix esthétique de Clément Poiré.
14:55 Ce côté effectivement déglingué, bancal, distordu, dissonant.
15:02 - Et que vous interprétez comment, vous ?
15:05 C'est-à-dire plutôt comme une sorte de bancalité, je ne sais même pas si ce terme existe, des
15:10 personnages ou alors plutôt du monde ?
15:13 On est dans une fin de monde et on n'est pas complètement dans le monde d'après.
15:16 - Vous êtes dans un entre-deux.
15:17 - Oui, ils sont dans des espèces de limbes.
15:19 Je crois d'ailleurs que c'était perturbant pour les comédiens et pour le metteur en
15:23 scène que je n'ai pas situé vraiment l'action.
15:26 - Et vous n'avez pas voulu les aider là-dessus ?
15:28 Vous vous prononcez ?
15:29 - Oui, je n'ai pas voulu me prononcer parce que de toute façon, dès que je leur parlais
15:31 de limbes ou de purgatoire, je voyais bien que la perplexité ne les aidait pas du tout.
15:36 Et cette idée que ce soit une espèce de concert dont on ne sait pas bien effectivement où
15:42 et quand il a lieu, ça c'est Clément Poiré.
15:44 - C'est important la mise en scène quand on dit vouloir faire une dramédie musicale.
15:48 Moi j'ai beaucoup aimé ce mot parce que quand on imagine une comédie musicale, on imagine
15:52 effectivement des décors, de la danse.
15:55 Dans une dramédie musicale, vous reprenez ces codes-là ?
15:57 - Alors, moi je voulais qu'il y ait de la musique et de la danse et il y en a.
16:03 Mais je répète, j'ai vraiment laissé toute l'attitude et à Clément Poiré et à ses
16:08 comédiens d'y mettre un peu leur patte et leur couleur.
16:13 Mais je voulais que ce soit… Dans la mesure où c'était Michael Jackson et Britney
16:19 Spears, je savais que ça n'allait pas non plus être une pièce très sobre et très
16:22 minimaliste.
16:23 Moi de toute façon mon esthétique elle est plutôt du côté du baroque et de l'excès.
16:26 Et je pense que Clément, je n'ai pas besoin de pousser beaucoup pour qu'il aille là-dedans.
16:30 Et donc, moi ça a été la surprise de découvrir début septembre ce qu'ils avaient fait de
16:36 mon texte et ça a été une merveilleuse surprise.
16:39 - Justement, on va tout de suite en écouter un extrait.
16:42 Alors on n'aura pas forcément… On n'aura même pas du tout, c'est sur les images.
16:45 Mais on aura au moins votre texte.
16:47 - Les petits-enfants étaient parfaitement consentants.
16:51 - Oh mon Dieu !
16:53 - Les petits-enfants étaient heureux de venir jusqu'à moi.
16:57 Ils reconnaissaient ma propre innocence.
17:00 Ils savaient que je ne pourrais jamais leur faire de mal.
17:05 Je n'ai jamais été un prédateur.
17:08 Au contraire, c'était moi la proie.
17:10 - Vous voyez, M. Jackson, vous admettez les faits.
17:12 - Mais je n'admets rien du tout.
17:13 - À vous, Michael. Allez, arrête. À vous.
17:15 L'aveu est la reine des preuves.
17:17 Une fois que tu auras avoué, Opinion mondiale se déclara satisfaite et passera à autre chose.
17:20 Opinion mondiale est très inconstante. Un procès chasse l'autre. Allez, vas-y.
17:23 - Opinion mondiale est très constante, au contraire.
17:27 Dans sa soif de destruction et de souillure de tout ce qui est beau et pur.
17:32 Opinion mondiale n'a jamais fait que ça.
17:35 Détruire et souiller.
17:38 - C'est Opinion mondiale qui a eu ma peau.
17:41 - Ah, à vous.
17:43 Ce n'était pas le propos folle ?
17:45 Ou le fatal nid ?
17:47 Oh, Michael, enfin !
17:49 Tu es autopsié.
17:51 Tout le monde est au courant, maintenant.
17:53 - Au courant de quoi ?
17:55 Aucune autopsie n'a jamais révélé quoi que ce soit sur la nature profonde d'un être.
17:59 - La tienne a été très édifiante.
18:01 On t'a ouvert et on n'a rien trouvé.
18:05 Tu étais vide.
18:08 12h-13h30, les midis de culture.
18:12 Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
18:15 - On est vraiment au cœur de votre pièce, Emmanuel Bayam Akhtam.
18:20 Autopsie mondiale, mise en scène par Clément Poiré.
18:23 Comment vous avez eu cette idée géniale d'opinion mondiale
18:28 qui vient asséner, juger, décréter, condamner
18:32 et qui est génialement interprétée par Louise Coldéphy ?
18:36 - Oui, merveilleuse Louise Coldéphy.
18:38 Un génie comique à mon avis, mais tous sont excellents.
18:42 Opinion mondiale, je crois qu'elle est présente dans un autre de mes livres.
18:48 Je suis même sûre.
18:50 Parce que ça, c'est vraiment l'avènement des réseaux sociaux
18:54 qui fait qu'on est en permanence confrontés à ces jugements plus ou moins unanimes,
19:00 à ces critiques, à ces censures, à ces discours.
19:04 Et opinion mondiale incarne un peu tout ça.
19:08 - Ça veut dire qu'elle est née, ce personnage, cette voix en tout cas,
19:13 je ne sais pas comment vous la qualifiez,
19:15 elle est née avec l'idée des réseaux sociaux.
19:17 Vous vous dites aussi déjà, en 2001, il y avait moins de réseaux sociaux,
19:20 mais déjà on jugeait beaucoup les artistes, Michael Jackson, Britney Spears.
19:25 Peut-être un jugement qui était plus légitimé ou d'autorité.
19:30 Et aujourd'hui, cette opinion mondiale s'est vraiment disséminée.
19:32 Chacun peut en faire partie en quelque sorte.
19:34 - C'est ça.
19:36 En l'occurrence, c'est quand même un changement notable.
19:40 J'ai l'impression qu'il y a toujours cette espèce d'arrière-fond
19:46 de jugement, de discours, auquel on a accès en permanence finalement.
19:52 Oui, beaucoup de choses ont changé depuis la mort de Michael.
19:55 - Mais au fond, quand on entend cet extrait,
19:58 on assiste bien au procès de Michael Jackson,
20:01 mais quand on regarde votre pièce,
20:03 on a l'impression qu'on fait le procès de la société,
20:05 ou alors même notre procès.
20:07 C'est-à-dire qu'en la regardant, j'ai eu l'impression à certains moments
20:10 qu'opinion mondiale, c'était moi,
20:13 et que je pouvais m'en vouloir, faire œuvre de réflexivité,
20:17 ou en tout cas de culpabilité, sur les jugements à l'emporte-pièce
20:21 que je pouvais porter sur toutes ces figures médiatiques.
20:24 - Alors oui, c'est une façon de regarder cette pièce.
20:29 Alors, moi, en tant qu'autrice, c'est différent,
20:31 parce que j'ai mis un peu de moi dans chacun des personnages,
20:34 sans m'identifier à aucun du reste.
20:36 Mais Opinion mondiale, c'est clairement nous, bien sûr.
20:38 - Donc il y a plusieurs personnages, il faut peut-être les resituer.
20:41 Il y a Opinion mondiale, il y a Michael Jackson,
20:43 Britney Spears, et puis il y a aussi le fan.
20:46 - L'archétype du fan.
20:48 - L'archétype du fan qui vient, qui intervient presque
20:51 comme une bouffée d'oxygène face à Opinion mondiale,
20:54 qui, à scène, rit, coupe la parole,
20:57 est extrêmement drôle, mais en fait effrayante.
21:00 Et là, le fan vient lui objecter des arguments
21:04 qui sont extrêmement audibles.
21:07 Est-ce que vous pouvez nous les restituer ?
21:09 - Bien sûr. Alors, il faut savoir que
21:12 moi, je me suis inspirée aussi d'un autre documentaire
21:14 qui s'appelle "This is it",
21:16 qui est un documentaire, en fait, sur les dernières répétitions
21:19 de Michael avant sa mort, puisqu'il préparait une tournée,
21:22 qui se serait appelée "This is it".
21:24 Et on voit dans ce documentaire des jeunes danseurs
21:27 qui sont auditionnés, ils passent un casting pour savoir
21:30 s'ils vont ou pas accompagner Michael Jackson dans sa tournée.
21:32 Et on voit leur émotion. Ce sont des fans, hein.
21:34 Ce sont des danseurs, mais ce sont des fans. Ils sont devenus danseurs
21:36 précisément parce qu'ils étaient fans de Michael Jackson.
21:39 Et on les voit, on en voit un en particulier,
21:42 submergés par l'émotion, parce qu'il a été retenu
21:45 et pleuré en expliquant l'importance centrale
21:48 qu'a eue Michael Jackson dans sa vie.
21:50 Donc, mon personnage de fan dans "Autopsie mondiale"
21:53 vient directement de ce documentaire.
21:56 Et il se trouve qu'en décrivant la pièce, j'avais en tête
21:59 le merveilleux François Chary, qu'il incarne donc dans "Autopsie mondiale".
22:02 Et que je me suis aussi inspirée de sa gestuelle, de son flot,
22:05 puisque j'ai déjà travaillé avec lui.
22:07 - Donc, à travers ce fan, est-ce que vous vouliez
22:10 un petit peu aussi faire une leçon de morale
22:13 à ceux qui jugent rapidement ?
22:16 En fait, cette pièce, j'ai envie de vous demander
22:19 si c'est notre procès, vous l'avez dit aussi,
22:22 si c'est pas forcément aux fans de Michael Jackson
22:25 ou à ceux de Britney Spears.
22:27 Parce qu'on peut aller la voir indépendamment de ça.
22:29 Qu'est-ce que vous vouliez que ça provoque
22:32 chez le lecteur de votre pièce, s'il achète seulement votre livre
22:35 ou s'il va au théâtre de la Tempête ?
22:37 - Alors, attention, c'est pas une pièce pédagogique,
22:39 c'est pas non plus une pièce à sujet ou à thèse.
22:42 Provoquer du trouble, ça c'est sûr.
22:45 Faire qu'on s'interroge sur l'admiration
22:48 qu'on peut avoir pour un artiste,
22:51 pour notre propension à juger et à lyncher.
22:54 Mais c'est quand même assez équilibré comme argumentaire
22:59 puisque le fan à la parole, opinion mondiale à la parole,
23:02 Michael se défend aussi en disant que finalement,
23:05 avant d'être un prédateur, il a lui-même été une proie et une victime.
23:09 Et vraiment, j'espère que la pièce n'est pas manichéenne
23:14 ou n'est pas péremptoire et qu'on n'en sort pas en se disant
23:17 que j'ai voulu réhabiliter Michael Jackson
23:20 ou au contraire, enfoncer le clou de son indignité.
23:24 Je voudrais que finalement, c'est compliqué,
23:27 mais j'ai un peu écrit cette pièce sur une ligne de crête
23:30 en évitant de basculer d'un côté ou de l'autre.
23:33 - C'était aussi une manière de ne pas vous prononcer sur ce débat
23:36 que j'ai soulevé tout à l'heure, à savoir comment on peut continuer
23:39 à être fan d'une personne dont on sait qu'elle a commis tel ou tel acte.
23:43 Et ça marche avec Michael Jackson, mais en fait ça marche avec une multiplicité
23:47 de stars qu'on peut adorer, de réalisateurs.
23:50 - D'artistes, de peintres.
23:52 - Donc cette question-là, vous n'apportez pas une réponse,
23:55 mais vous vouliez vraiment la mettre au jour ?
23:58 - Alors, de toute façon, l'annulation est impossible.
24:02 On est d'accord. En revanche...
24:05 - Il y a des annulations possibles, c'est-à-dire des personnes vivantes,
24:07 on peut leur refuser d'être distribuées avec certains films,
24:11 on ne les invite plus, on ne fait plus de papier fureux.
24:14 - De leur disserner des prix.
24:16 - Oui. Alors, priver un pédophile ou un prédateur sexuel
24:20 de la position dont il a abusé précisément
24:24 pour agresser sexuellement, ça me sent très bien.
24:29 Et la cancel culture, comme culture de la dénonciation, j'y adhère.
24:33 Et je pense qu'après, il faut faire avec ses contradictions,
24:37 ses désirs, ses névroses et ses fantasmes.
24:40 Oui, je pense qu'on peut continuer à écouter Michael,
24:43 en sachant que dans sa vie privée, il s'est très mal comporté.
24:47 Ça me parait possible. Il est mort de toute façon.
24:49 Donc il n'y aura pas d'excuses, il n'y aura pas de réparation.
24:51 - On ne pourra pas lui en vouloir et le faire payer.
24:53 Mais c'est quand même une question que moi je me pose.
24:55 C'est-à-dire que jusqu'où, en fait, les discours ambiants,
24:58 les condamnations, les dénonciations, le fait aussi de sortir des histoires comme ça,
25:03 jusqu'où ça peut réorienter un désir, une manière d'aimer telle ou telle œuvre ?
25:09 Est-ce que vous pensez que l'opinion mondiale a le pouvoir de réorienter nos désirs profondément ?
25:15 - Peut-être pas de façon radicale, mais de l'infléchir,
25:20 ou de faire qu'on soit moins inconditionnel.
25:23 Oui, bien sûr. Oui.
25:27 - Donc vous pensez que ça peut marcher ?
25:29 Que finalement, la cancel culture, sans pouvoir annuler quelqu'un,
25:34 peut quand même avoir une force de frappe en réorientant des désirs ?
25:38 Parce que quand on adore Michael Jackson,
25:41 on ne peut pas s'empêcher d'avoir envie de danser sur cette chanson.
25:45 Donc jusqu'où, en fait, presque ce mécanisme naturel,
25:48 cette spontanéité, elle peut être réformée par ça ?
25:53 On commence à danser et on s'arrête en disant "ah non" ?
25:57 - Précisément, je n'ai pas de réponse à chacun de faire avec sa conscience,
26:03 ses désirs, son admiration, son goût, sa propension à danser ou pas.
26:08 Et je voulais rajouter quelque chose, mais j'ai oublié.
26:11 En tout cas, ce qui est sûr, c'est que d'abord,
26:14 je pense qu'il ne faut pas parler de cancel culture,
26:16 il faut plutôt parler de culture de dénonciation.
26:18 Le pire, c'est quand même l'impunité.
26:20 C'est que des gens aient pu sévir impunément.
26:23 Et la dénonciation, elle me paraît légitime et nécessaire.
26:29 Après, doit-on vraiment s'empêcher de danser sur Michael Jackson ?
26:32 Non.
26:34 - Pourquoi vous tenez à cette distinction entre annulation et dénonciation ?
26:39 - L'expression cancel culture, finalement,
26:42 elle est souvent utilisée pour discréditer des luttes et des revendications
26:46 qui sont des luttes et des revendications légitimes
26:48 et qui émanent souvent de minorités.
26:50 Donc, oui, je préfère culture de la dénonciation.
26:54 - On va passer à un tout autre sujet.
26:57 - Des fois, quand on me dit "va mettre le couvert",
27:04 moi, ça me plaît pas parce qu'on fait comme si on donnait des ordres.
27:08 Alors, des fois, je le fais.
27:12 Avant, c'était toujours moi qui réservait des rostres.
27:16 Maintenant, ça me donne moins.
27:19 - Moi, c'est plutôt pour les notes.
27:22 Par exemple, je viens avec un zéro ou quelque chose comme ça,
27:26 pas une grosse note,
27:28 elle me dit en premier, quoi, "il faudra faire mieux".
27:32 Et si le lendemain matin, je viens encore avec un zéro,
27:35 "il faudra faire mieux",
27:37 eh bien, elle me gronde ou elle me punit.
27:40 - Moi, ma soeur, je suis toujours en train de la frapper
27:42 parce qu'elle me dit de me faire une sautée.
27:45 - Moi, j'ai pas le droit à la parole.
27:47 Quand on me gronde, j'ai pas le droit à une parole.
27:49 - Ma soeur, elle met toujours son petit crème de sel.
27:52 Il faut les grandir.
27:53 Pour bien les élever, il faut les grandir.
27:55 - Alors, il y a énormément de fils à tirer à partir de cet archive,
27:59 Emmanuel Bayamaktam.
28:01 C'est une émission qui date du 12 avril 1978,
28:04 émission "Les Mercredis de la jeunesse"
28:06 diffusée sur la première chaîne de l'ORTF.
28:08 Déjà, on y entend des enfants à Marseille
28:11 et c'est la ville où vous êtes nés,
28:13 la ville à laquelle vous êtes extrêmement attachés.
28:16 Et puis, il parle aussi de l'éducation
28:18 qui est quand même une forme de violence.
28:20 Ils ne peuvent pas prendre la parole.
28:22 Et enfin, juste pour raccrocher avec votre pièce,
28:25 vous nous avez présenté Britney Spears et Michael Jackson
28:28 comme avant tout des enfants fracassés,
28:31 en tout cas des adultes fracassés,
28:33 des enfants géniaux devenus adultes fracassés.
28:36 Pourquoi cette importance de l'enfance
28:39 qu'on retrouve aussi dans d'autres de vos livres ?
28:41 - Oui, c'est vrai que dans beaucoup de mes livres,
28:43 finalement, je raconte et je décris des enfants
28:46 saccagés, malmenés,
28:48 avec par des parents défaillants, irresponsables
28:51 ou franchement maltraitants et toxiques.
28:54 C'est d'ailleurs pour ça qu'au premier chef,
28:56 je me suis intéressée à Michael Jackson,
28:58 puisque comme je vous l'ai dit,
28:59 cet intérêt ne date pas d'autopsie mondiale.
29:02 Oui, elle est marrante cette archive.
29:06 - Ce qui est intéressant, c'est qu'on a l'impression
29:08 qu'elles le disent presque avec le sourire.
29:10 - Oui, vous êtes un peu jeune, mais rappelez-vous,
29:13 la rouste, c'était normal de la recevoir.
29:15 - Oui, mais c'est de dire, de parler, de dire
29:18 "J'ai pas le droit d'avoir la parole"
29:20 et de le dire en souriant presque.
29:22 Alors qu'on sent quand même ces faits durs.
29:25 - C'est là où les choses ont changé pour le mieux.
29:27 Vous ne pouvez plus impunément frapper votre enfant,
29:31 lui donner une fessée.
29:33 Je vous rappelle qu'en 78, les parents avaient encore
29:35 des martinets, c'est-à-dire des morceaux de bois
29:37 avec des lanières en cuir.
29:38 - Je sais bien, j'en ai déjà vu accrochés dans des maisons,
29:40 notamment chez les grands-parents.
29:42 - Les 78, ce n'est pas la préhistoire.
29:44 - Donc ça, c'est vraiment un sujet,
29:47 presque le fil conducteur, on pourrait dire,
29:49 de vos œuvres.
29:51 - Oui, effectivement, oui, oui,
29:53 c'est quasiment dans tous mes textes.
29:55 - Et qu'est-ce qui vous intéresse ?
29:57 - Euh...
29:59 - Oui, vous vouliez dire quelque chose ?
30:00 - Non, non, non.
30:01 - Qu'est-ce qui vous intéresse justement dans cette...
30:04 Voilà, dans cette manière de revenir sur des enfants,
30:07 ce qui finalement, en fait, ont presque échoué
30:10 à ce passage à l'acte avec l'âge adulte ?
30:13 - Bon, d'abord, ça m'intéresse d'avoir comme personnage,
30:16 et même souvent comme narrateur et narratrice
30:18 des enfants et des adolescents,
30:20 parce que je l'ai saisi à un âge
30:22 qui, sur le plan romanesque, est extrêmement intéressant,
30:24 parce que c'est un âge de métamorphose,
30:26 et puis on a dans l'enfance une espèce de radicalité,
30:29 où on a aussi une espèce d'accès à la poésie,
30:33 à la beauté qu'on perd un peu, me semble-t-il,
30:36 par la suite.
30:38 Je ne sais plus trop ce que je voulais dire,
30:40 mais en tout cas, voilà, c'est vrai que j'ai souvent
30:42 des narrateurs et des narratrices
30:44 qui ont entre 7 et 19 ans.
30:47 - Vous êtes aussi professeure de littérature.
30:50 Est-ce que vous voyez justement, dans cet enseignement,
30:54 une manière d'assurer au mieux ce passage-là,
30:59 dans le fait d'enseigner les lettres, les textes,
31:01 l'écriture, la lecture ?
31:03 - Alors, j'ai cessé d'enseigner,
31:05 c'est ma première rentrée sans classe,
31:07 mais j'ai enseigné pendant 35 ans,
31:11 essentiellement en banlieue parisienne.
31:13 Et oui, j'étais extrêmement consciente du fait que,
31:17 même si c'était très à la marge,
31:19 je pouvais transmettre, je pouvais infléchir,
31:21 je pouvais faire réfléchir, je pouvais éveiller
31:23 un esprit critique, je pouvais faire connaître
31:25 les textes qui, moi, m'ont éclairée, édifiée
31:28 et aidée à vivre.
31:30 Et cette dimension-là du métier
31:32 est ce qui nous permet de supporter
31:34 des conditions de travail souvent inqualifiables.
31:37 - C'est intéressant parce que dans la transmission
31:39 des livres qu'on fait lire, qu'on fait découvrir
31:44 à des jeunes, effectivement, c'est le moyen
31:47 de se construire, de grandir et justement
31:49 de passer de cet âge presque innocent
31:52 dont vous parliez tout à l'heure à l'âge adulte.
31:54 Vous, s'il y a un livre, par exemple,
31:56 que vous avez lu, jeune,
31:58 qui vous a aidé dans cette évolution,
32:02 il y en a un ou pas ?
32:04 - Alors, il y en a plusieurs et c'est vrai aussi
32:06 que souvent, moi j'ai beaucoup lu de contes
32:09 enfants et dans les contes, on a souvent
32:11 des personnages d'enfants fragiles, vulnérables
32:13 et petits qui s'en sortent quand même
32:15 et vont triompher de l'ogre, du monstre,
32:18 de la forêt obscure, etc.
32:19 Donc je pense que c'est important que les enfants
32:21 aient accès à cette littérature
32:23 où ils s'aperçoivent que finalement
32:25 être vulnérable, être petit, être fragile,
32:27 d'abord ça ne dure pas et puis ça...
32:29 voilà, on peut quand même s'en sortir.
32:32 Après, le vrai premier choc littéraire
32:37 pour moi, c'est Baudelaire.
32:39 Ce sont les fleurs du mal.
32:40 - Et pourquoi ?
32:42 - Bah, quand même, attendez, Baudelaire,
32:44 mais c'est merveilleux !
32:45 En tout cas, j'ai vraiment eu le sentiment
32:47 en le lisant, assez jeune,
32:49 enfin je ne sais pas, vers 13-14 ans,
32:51 de me trouver un frère en dérédiction,
32:55 un frère... enfin, j'ai eu le sentiment
32:57 d'une familiarité, d'une affinité
32:59 et je continue encore aujourd'hui
33:01 à lire les fleurs du mal.
33:03 - C'est pas le plus accessible ?
33:04 Vous l'avez conseillé aux plus jeunes ?
33:06 Quand vous étiez enseignante ?
33:07 - C'est pas le plus accessible...
33:08 - Non, c'est pas très dur, non ?
33:10 - C'est vraiment un passage obligé,
33:12 Baudelaire, au lycée...
33:14 - Et comment on fait pour enseigner aussi,
33:17 non pas seulement le goût de la lecture,
33:19 mais aussi peut-être le goût de l'écriture ?
33:21 - Alors, on fait...
33:23 enfin, moi j'étais prof de lettres,
33:25 on les fait beaucoup écrire quand même,
33:27 on les met beaucoup en situation de...
33:29 - Oui, mais est-ce que ça, ça provoque un goût ?
33:31 - Écoutez, oui...
33:37 Après, je peux pas vous dire que tous les élèves
33:39 qui sont passés entre mes ans sont devenus
33:41 des autrices et des auteurs, mais
33:43 parfois, il y a une vraie découverte,
33:45 et puis on brise un tabou,
33:47 c'est-à-dire qu'on leur montre qu'ils peuvent le faire aussi,
33:49 que tous les auteurs ne sont pas morts,
33:51 que c'est quelque chose qui peut être à eux.
33:53 Mais certains de mes élèves
33:55 avaient déjà une pratique d'écriture,
33:57 que moi et mes collègues les mettions en situation d'écrire.
33:59 On a des élèves qui écrivent des poèmes,
34:01 des chansons...
34:03 - Est-ce que vous pensez que c'est un petit peu un cliché ?
34:05 On a parlé des réseaux sociaux,
34:07 on pourrait aussi, sans tomber dans le débat sur les écrans,
34:09 parler du fait que les plus jeunes
34:11 lisent moins, n'écrivent plus...
34:13 Est-ce que vous trouvez que c'est un cliché ?
34:15 Qu'en fait, il y a quand même toujours un goût pour écrire,
34:17 et que certains écrivent
34:19 indépendamment peut-être
34:21 de ce qu'on entend
34:23 actuellement sur ces sujets-là.
34:25 Alors,
34:27 il y a des chiffres malheureusement
34:29 incontournables, qui montrent qu'effectivement
34:31 on lit moins.
34:33 Cela dit,
34:35 prenez le métro, vous verrez toujours des gens
34:37 avec des bouquins à la main, des gens très jeunes.
34:39 Et moi, il m'arrive
34:41 de me déplacer dans un établissement scolaire,
34:43 non plus en tant qu'incidente, mais en tant qu'autrice.
34:45 Et alors, évidemment, dans des situations
34:47 un peu particulières, pour eux,
34:49 qui rencontrent précisément une écrivaine,
34:51 et je suis frappée par le fait que
34:53 les livres peuvent susciter un engouement,
34:55 une ferveur, et que parfois,
34:57 ils m'amènent des textes qu'ils ont écrits en écho aux miens.
34:59 Donc, non,
35:01 ce discours un peu pessimiste
35:03 et décliniste, je n'y souscris pas.
35:05 - Vous avez écrit
35:07 onze romans, vous écrivez aussi
35:09 des polars, vous avez écrit
35:11 trois pièces de théâtre.
35:13 Comment vous choisissez tel ou tel
35:15 type d'écriture à certains moments ?
35:17 Qu'est-ce qui vous pousse à vous dire
35:19 "là, je vais faire quelque chose de plus collectif
35:21 avec le théâtre, ou là, je vais être dans une activité
35:23 solitaire en écrivant un roman" ?
35:25 - Je ne savais pas que le théâtre, ce serait aussi collectif.
35:27 - Vous avez fait... C'était trop ?
35:29 - Non, c'est extraordinaire, parce que précisément,
35:31 quand on écrit, on est très seul.
35:33 Même si moi, j'écris toujours dans les cafés,
35:35 donc je suis quand même immergée dans une espèce de vie
35:37 sociale, mais ça reste
35:39 une activité très solitaire, et tant mieux.
35:41 Et le théâtre, très vite,
35:43 le texte vous échappe, et on est dans
35:45 quelque chose qui relève presque de la troupe.
35:47 Et c'est très réjouissant,
35:49 c'est très festif, et c'est très gratifiant.
35:51 Moi, ça me repose
35:53 effectivement de ma solitude habituelle.
35:55 Après, comment je choisis ?
35:57 Je ne sais pas trop.
35:59 Ce qui est sûr, c'est que
36:01 désormais, le théâtre est dans ma vie, et je continuerai
36:03 à, j'espère en tout cas, à écrire pour le théâtre,
36:05 et à collaborer avec Clément Poiré
36:07 ou d'autres. Et puis,
36:09 en plus, plus j'écris pour le théâtre, plus je rencontre
36:11 des comédiennes et des comédiens
36:13 pour lesquels j'ai envie d'écrire.
36:15 Malheureusement, la vie est trop courte,
36:17 mais c'est vrai que j'ai envie d'écrire
36:19 pour beaucoup des comédiens
36:21 avec lesquels j'ai travaillé.
36:23 - Merci beaucoup Emmanuel Bayamaktam.
36:25 Autopsie mondiale, allez-y !
36:27 C'est au Théâtre de la Tempête à Paris jusqu'au 22 octobre,
36:29 puis en tournée dans la France
36:31 à partir de janvier...
36:33 Alors j'ai 2025, c'est tard, non ?
36:35 Janvier 2025, j'ai une mauvaise date.
36:37 Ça va être en tournée en tout cas.
36:39 - Oui, ça part en tournée, non, bien sûr.
36:41 - 2024 !
36:43 Dans une mise en scène de Clément Poiré.
36:45 Mais Autopsie mondiale, ça se lit aussi,
36:47 c'est aux éditions POL.
36:49 Et pour finir, une dernière question.
36:51 Vous avez le choix entre une chanson
36:53 de Britney Spears
36:55 ou une chanson de Michael Jackson ?
36:57 - Je pense que vous connaissez ma réponse.
36:59 Michael Jackson, évidemment.
37:01 Britney Spears, à part quelques titres...
37:03 - Vous êtes dur avec Britney Spears.
37:05 (rires)
37:07 (musique)
37:09 (musique)
37:11 I don't wanna say that they don't really care about us.
37:14 Enough is enough of this garbage!
37:17 I don't wanna say that they don't really care about us.
37:20 Diddy, Betty, Betty, sit down!
37:22 *Musique*
37:48 Skinhead, dead hit, everybody gone mad.
37:51 Situation, aggravation, everybody out of action.
37:54 In the city, on the news, everybody gone through.
37:56 Bank, bank, shock, dead, everybody gone mad.
37:59 All I wanna say is that they don't really care about us.
38:02 *Musique*
38:09 Et un grand merci à l'équipe des Midi de Culture qui se sont préparés par Issa,
38:12 2&O, Yanaïs Hisbert, Cyril Marchand, Zora Vigné, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
38:17 Réalisation Nicolas Berger, Félicie Fauger.
38:20 A la prise de son Ludovic Auger.
38:22 Pour réécouter cette émission, rendez-vous sur le site de France Culture à la page des Midi de Culture.
38:27 Merci Nicolas, bon week-end, à lundi!
38:29 A lundi.