Pour ou contre le concept politique ?- La Chronique linguiste de Laélia Veron

  • l’année dernière
Un concept, c’est une montée en abstraction et en généralité. Mais faut-il employer des concepts quand on veut convaincre quelqu’un, dans un échange politique ?
Référence : C. Wright Mills, L’imagination sociologique. Chronique écrite avec la collaboration de G. Fondu

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Transcript
00:00 La langue c'est aussi un instrument de pouvoir, alors analysons-la avec notre stylisticienne et linguiste maîtresse de conférences à l'université d'Orléans, je l'ai toujours.
00:10 C'est Laélia Veyron, allez-y Laélia.
00:12 Merci Charline.
00:14 Alors, avec la fête de l'humanité, le week-end dernier on avait l'embarras du choix pour parler de polémiques qui alliaient langue et politique.
00:21 Il y a eu Mélenchon qui a décidé de profiter des questions des journalistes pour faire de belles tirades sans leur répondre en mode balèque.
00:28 Il y a eu Fabien Roussel qui a essayé de lancer le mot "valise qui France", ça, ça prend moyennement.
00:33 Mais ce sur quoi je voulais m'attarder, c'est l'intervention de François Ruffin et Clémentine Autain et leur distance quant à l'emploi de mots comme intersectionnalité, patriarcat,
00:43 mais aussi les fameux mots en -isme comme libéralisme, capitalisme, etc. Et Ruffin l'a répété dans l'émission "C'est ce soir".
00:50 C'est une question de forme, c'est une question de vocabulaire.
00:54 C'est uniquement une question de vocabulaire.
00:55 C'est des concepts. Et donc les gens, ils fonctionnent pas à base de concepts, ils fonctionnent à base de leur facture d'électricité.
01:01 Ça les empêche pas de penser, d'avoir des concepts.
01:04 Alors qu'est-ce qu'un concept ? C'est une montée en abstraction et en généralité.
01:08 Le pouvoir, la société, le capitalisme.
01:11 Et en politique, on peut opposer deux stratégies, celle qui consiste à partir du concept pour aller vers les cas particuliers,
01:17 et celle de Ruffin, partir d'expériences concrètes pour éventuellement monter en généralité.
01:22 Mais au-delà de Ruffin et de la France insoumise, c'est une question qui revient souvent.
01:26 Faut-il ou non employer des concepts dans l'échange politique ?
01:29 Alors, qu'est-ce qu'on leur reproche au concept ?
01:32 Déjà d'être excluant parce que peu compréhensible, surtout quand on a l'impression qu'il peut être complexifié et décliné à l'infini.
01:39 Par exemple avec de préfixes, libéralisme, ultra-libéralisme, néolibéralisme, ultra-néolibéralisme, et on peut continuer.
01:45 On lui reproche aussi d'être répétitif, d'être redondant et d'être trop général.
01:50 Par exemple, si je vous dis "consumérisme à l'air du libéralisme et du dumping social", vous dites peut-être "ok, bof, ça reste vague".
01:58 Mais si je vous dis "Emerick Lomprey qui va se faire greffer des cheveux en Grèce, parce que ça lui coûte moins cher,
02:05 parce que les travailleurs ont moins de protection sociale là-bas, là c'est concret.
02:10 Mais attention, quelquefois ça coûte moins cher parce que la formation et le matériel sont de moins bonne qualité.
02:15 Alors, Emerick, ça commence à gratter ? C'est pour ça qu'il n'est pas là peut-être, mais bref.
02:20 Mais bon, on peut aussi défendre le concept. Un bon concept, qu'est-ce que ça permet ?
02:25 Ça permet de dépasser l'immédiateté des situations pour penser en termes systématiques.
02:29 Un concept politique, ça peut permettre de sortir des symptômes pour cibler les causes, le patriarcat par exemple.
02:35 Et on peut aussi penser qu'une tâche politique, c'est d'employer justement les concepts pour les imposer dans le débat public.
02:41 Et c'est ce qu'a répondu Daniel Obono à François Ruffin.
02:44 Mais la question principale, c'est peut-être comment banaliser le concept.
02:48 Ça peut être par l'explication didactique, ça peut être par l'incarnation par des histoires, mais ça peut être aussi par l'humour.
02:54 Un mot en -isme passe quelquefois mieux avec une bonne vanne. Il me semble que certains le savent bien ici.
02:59 (Applaudissements)

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