Frédéric Dagée, le recordman de France du lancer de poids est l'invité des ''Jeux dans les Yeux''

  • l’année dernière
Frédéric Dagée est recordman de France du lancer de poids depuis 2021 (20,75 m). Après une pause d’un an et la naissance de sa fille, le Niçois de 30 ans fait son retour à la compétition. Il rêve de se qualifier pour ses premiers Jeux Olympiques, l'année prochaine à Paris.

‘‘Les Yeux dans les Jeux’’. Voilà le titre de la nouvelle émission du service des sports de Nice-Matin. Jusqu’aux Jeux de Paris-2024 (26 juillet-11 août), nous vous présenterons, tous les quinze jours, un athlète azuréen qui espère se qualifier. Cette semaine, après le rugbyman à sept Antoine Zeghdar, c’est au tour du lanceur de poids Frédéric Dagée, licencié au Nice Côte d’Azur Athlétisme depuis dix ans.

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00:00 Salut à tous, bienvenue dans Les yeux dans les jeux, l'émission consacrée aux sportifs azuréens et à
00:25 leur préparation pour les Jeux de Paris 2024. Avec moi pour ce deuxième numéro, il est toujours à mes
00:31 côtés en plateau Romain Laronche, journaliste au service des sports de Nice ce matin. Salut Romain !
00:35 Salut Christopher ! Et puis on a en face de nous notre deuxième invité de cette émission, c'est Frédéric
00:42 Dagé, il est niçois, il est licencié au Nice Côte d'Azur Athlétisme. On parle d'un septuple champion
00:47 de France du lancé de poids et également un record man de France. Salut Fred ! Salut, enchanté d'être
00:54 là. Merci d'accepter cette invitation. Pour commencer, c'est Romain qui va nous faire une courte
00:59 présentation de toi. Donc Frédéric, Christopher vient de le dire, sept fois champion de France
01:05 de lancé de poids. Tu as 30 ans, tu es né dans le Loiret et tu es arrivé à Nice en 2013, donc ça fait
01:13 dix ans maintenant que tu es niçois au club. Donc cette passion pour le lancé de poids, elle vient
01:17 de loin. Donc après des débuts en natation, tu t'orientes rapidement à 12 ans sur le lancé de poids.
01:23 C'est une espèce de révélation. Donc c'est Jean-Pierre Orbati qui est ton premier prof de
01:30 cette discipline-là. Et rapidement, les résultats sont là parce que tu avais déjà le gabarit pour
01:35 et puis tu t'es entraîné en conséquence. Tu obtiens les records de France dans toutes les catégories
01:40 de jeunes. C'est vraiment le cas ? C'était une révélation pour toi cette discipline ? Honnêtement
01:46 oui. J'irais même, c'était un coup de foudre un peu quand je suis arrivé sur le stade parce que
01:51 finalement j'étais vraiment passionné de sport de force. Tous les posters de Arnold Schwarzenegger,
01:57 tout ça, j'étais vraiment axé là-dessus. Et quand je suis arrivé sur le stade et que j'ai vu Jean-Pierre
02:03 lancer, dans ma tête je me suis dit "mais c'est ça que je veux faire". Tout simplement parce qu'en
02:06 fait là ça permettait d'allier une force physique assez importante à un geste technique pour
02:12 produire une performance. Et dans ma tête, ça a bien matché de suite. Et tu dis à cette époque,
02:18 ton idole jeunesse c'est Gaëtan Bucchi, qui est lanceur de poids ? Ça l'est toujours. C'est
02:23 vraiment Gaëtan. C'est un multiple champion de France déjà. Et puis c'est un mec en or,
02:31 il est tellement gentil. Je me souviens quand j'étais tout jeune, pour 13 ans, j'accompagnais
02:37 Jean-Pierre vu qu'il a quand même été vice champion de France derrière Gaëtan justement.
02:40 Gaëtan, je le regardais avec des yeux grands comme ça, il y avait toujours une petite photo
02:46 à prendre avec lui, toujours un petit mot gentil. Même en grandissant, après avec les records de
02:50 France, on a toujours eu un bon contact. Et d'ailleurs c'est toujours le cas aujourd'hui.
02:53 C'est une des premières personnes d'ailleurs que j'ai appelé quand j'ai battu le record de France
02:56 senior pour discuter avec lui parce que j'ai suivi ses traces, un peu comme Yves Niaré,
03:03 qui était recordman de France avant moi. Et chose rare, tu battras ton idole en compétition.
03:09 Ouais, ben… Championnat de France 2016. De quelques centimètres, mais tu le bats.
03:16 C'est vrai. Qu'est-ce que tu retiens de ce moment-là justement ?
03:18 Ben, après il était toujours dans la course. Donc en vrai, franchement,
03:26 je n'ai même pas noté le moment en fait. Je pense que j'ai juste profité d'un beau concours
03:30 où j'avais à peu près les armes pour me battre contre lui.
03:35 Et puis… Ouais, et en tout cas, c'est un moment qui est marquant parce que c'est pas un peu tuer
03:41 le père, mais en tout cas c'est se dire « Ok, j'ai passé un cap ».
03:43 Ouais, il y a une prise de pouvoir, on peut le prendre comme ça parce que ça reste une
03:46 compétition. Donc même si c'est un très bon ami, même si demain il apprenait, l'objectif,
03:52 c'est forcément quand tu fais de la compétition, c'est de battre les autres.
03:56 Alors tu prends une décision forte il y a dix ans, c'est de rejoindre Nice. Et après les
04:02 Jeux de la Francophonie, c'est toi-même qui sollicite un rendez-vous auprès du président
04:06 du NCAA, Michel Loury. Exactement.
04:09 Et pour quelle raison ce changement de vie ? En fait, pour essayer de contextualiser un peu
04:16 le truc, c'est que j'avais une vie un peu perso, un peu compliquée. Donc au bout d'un moment,
04:22 on cherche un peu à s'évader. J'avais mon meilleur ami, mon frère de cœur avec qui j'ai
04:27 grandi, qui habitait pas très loin. Donc je suis parti le rejoindre, j'étais en coloc avec lui.
04:32 J'avais les Jeux de la Francophonie, je suis arrivé sur le stade de Nice que je trouvais super beau.
04:37 Le cadre, quand on vient de Montargis, c'est pas que c'est pas bien, mais c'est pas la même chose.
04:41 Je me suis dit, j'ai envie de rester ici. Et le club de Nice était un gros club,
04:48 je les ai sollicités, j'ai été très bien reçu. Alors Michel Loury, c'est quelqu'un qui d'entrée
04:55 de jeu, c'est pas qu'il était pas intéressé, mais en fait, lui, il avait besoin de savoir quel
04:58 projet c'était. Donc je me suis rendu compte qu'en fait, c'était très sérieux. Il m'a trouvé un
05:02 emploi, j'entraînais les jeunes, ils ont mis en place tout ce qu'il fallait pour que je puisse
05:06 m'entraîner. Il y avait vraiment un côté, une belle structure dans tous les domaines.
05:11 Et là, tu retrouves Jacques Pelgas, qui est un entraîneur chevronné puisqu'il avait entraîné
05:15 Laurence Monfrédie, qui a fait deux participations aux Jeux olympiques et plein d'autres choses.
05:19 Donc c'est aussi ça qui te permet de franchir un cap ?
05:24 Totalement. C'était une belle continuité en fait. J'ai eu la chance, clairement,
05:31 de pouvoir être son athlète avec Lola Son, avec plein d'autres athlètes. Il m'a emmené à un
05:38 niveau au-dessus. On s'est compris au niveau de la technique. On a bien évolué ensemble. D'ailleurs,
05:45 on a été chercher un record de France très peu de temps après. J'arrive en fin 2013, début 2014,
05:50 je prends le record de France 16 poires au championnat de France élite. Et puis derrière,
05:55 on fait un beau chemin. Donc, oui, c'est ça.
05:59 Nice, véritablement, tu prends ton envol, sept titres de champion de France consécutifs,
06:05 une participation aux championnats d'Europe et ce fameux record de France.
06:08 Il était attendu celui-là.
06:10 Voilà, c'est ce que j'allais dire. Ça faisait longtemps.
06:11 Surtout que ça fait très longtemps que j'étais capable de le faire. Mais malheureusement,
06:15 il y a des hauts, il y a des bas. Ce n'est pas facile. Pas des grosses blessures, mais voilà.
06:19 La vie d'un lanceur de poids, malheureusement, ce n'est pas que du lancé de poids. Donc,
06:23 des fois, on fait comme on peut.
06:24 Tu te prends aussi à Yves Niaré qui n'est malheureusement plus de ce monde.
06:29 Oui, oui, oui.
06:30 Ça aussi, c'est quelque chose qui a une valeur.
06:31 Ah bah, totalement. Ça me donne des frissons quand tu le dis parce que son papa est toujours
06:36 sur le stade. Il entraîne encore beaucoup d'athlètes. Et puis, c'est quelqu'un qui
06:39 a emmené, comme Gaëtan Böki, comme ceux d'avant, qui a emmené le poids à un autre
06:43 niveau. Il a fait une médaille d'argent aux championnats d'Europe en salles. Il a été
06:49 aux Jeux Olympiques. Enfin, c'était Niaré, Böki, les deux.
06:53 Donc oui, ce n'est pas anodin de battre son record. Ça a été quelque chose de très
06:57 fort, bien au-delà de la performance. Parce qu'en soi, la performance, elle est belle,
07:01 mais par rapport à ce que je suis capable de faire, elle n'est pas anecdotique. Je ne
07:05 vais pas exagérer, mais on est loin du potentiel.
07:08 Mais par contre, elle est, sentimentalement, elle était assez forte sur le record de France,
07:13 bien plus que les autres.
07:14 Alors en septembre 2022, tu décides d'arrêter ta carrière.
07:18 Oui, alors c'est compliqué de dire d'arrêter ou de faire une pause. On a plus de douze
07:22 ans, on ne fait pas des breaks. Donc j'arrête la carrière tout simplement parce que j'avais
07:27 un projet avec ma femme. On cherchait à avoir un enfant et ça nous a pris du temps, ça
07:34 nous a pris beaucoup d'énergie. Ça devenait assez compliqué de tout gérer. Et à un moment
07:39 donné, il y a des priorités. Et là, la priorité, clairement, c'était la famille. Et d'ailleurs,
07:47 ça s'est arrivé. Aujourd'hui, on est des parents très heureux. Et c'est ce qui fait
07:51 aussi que je me suis senti à m'en manquer.
07:56 Là, il y a quelques semaines, tu annonces ton retour.
08:00 Oui, alors je n'ai jamais arrêté de m'entraîner. C'est ça le truc. À un moment donné, j'ai
08:04 un petit peu détaché le côté compétition, le côté fédération, le côté... Je m'entraînais
08:09 tous les jours, ça n'a rien changé. Clairement, du lundi au samedi, j'étais à l'entraînement
08:13 parce que ça reste un besoin pour moi et une passion. Mais par contre, la priorité,
08:20 c'était la famille, ma femme, tout ça. Et donc je crois que maintenant, ça s'est fait.
08:27 Maintenant, j'arrive à reprendre la décision en accord avec ma femme parce que ça reste
08:31 quelque chose qui est assez lourd au quotidien, une préparation olympique, même avant. C'est
08:36 quelque chose qui est très prenant.
08:37 Par rapport justement à ces Jeux, maintenant, il va falloir s'y qualifier.
08:42 C'est ça.
08:43 Alors en athlétisme, il y a ce qu'on appelle des minimas. C'est une marque à effectuer
08:46 pour pouvoir participer ensuite aux Jeux olympiques.
08:48 Exactement.
08:49 Tu as un record qui est de 20m75. Les minimas sont fixés à 21m50.
08:54 C'est ça.
08:55 Est-ce que tu te sens concrètement capable d'aller atteindre une telle barre, en tout
08:58 cas, une telle marque ou est-ce que ça va pour toi être peut-être compliqué ? Comment
09:02 tu te sens alors que tu reprends tout juste ?
09:04 Alors, tu l'as dit, il y a deux façons de se qualifier. Il y a ce qui demande, la distance.
09:09 Il y a le ranking aussi.
09:10 Et après, il y a le ranking. Moi, le ranking, ce n'est pas que j'ai fait une croix dessus,
09:13 le one là. Mais en ayant pris une pause d'un an, concrètement, je suis sorti du truc.
09:18 Donc, je me fixe sur les minimas. Et même avant ça, de toute façon, dans ma tête,
09:22 c'est les minimas qu'il faut faire.
09:23 En fait, pour bien expliquer, le ranking, c'est qu'en fait, c'est un classement mondial.
09:27 Et selon où on se place dans ce classement, même si on n'a pas fait les minimas, on
09:31 peut être repêché, etc.
09:32 Il y a un nombre de points qui fait que… Exactement. Il y a deux classements en fait.
09:35 Le classement des paires fait le classement des points.
09:36 Tu te fixes donc sur ces 21m50.
09:38 Oui. Mais même avant ça, j'ai toujours été un mec dans sa tête. Je me disais qu'à
09:41 un moment donné, s'il me demande une distance à faire, c'est celle-là qu'il faut atteindre.
09:43 Quand je n'ai pas été au jeu en 2021, j'avais un petit espoir parce qu'il ne manquait
09:49 pas grand-chose pour le coup. C'était 21m10 ou 21m15. Mais à un moment donné, je n'ai
09:55 pas fait les minimas. C'est comme ça. Dans ma tête, c'est 21m50. C'est l'objectif
09:58 à atteindre. Et pour être honnête, je les visualise très bien.
10:01 Bon, c'est bien. Je n'ai pas de doute. Enfin, c'est peut-être
10:05 prétentieux. Mais au vu, par exemple, quand j'ai fait le record de France à 20m75,
10:10 c'était juste une libération d'avoir au moins sorti à peu près bien un G. Maintenant,
10:14 quand je le regarde techniquement, je me dis que c'est monstrueux la marge.
10:17 À ce moment-là, tu améliores de 40cm à peu près ton record.
10:20 Oui, mais sauf que des G à 20m et quelques, j'en ai fait un paquet. À un moment donné,
10:25 je suis un peu bloqué à cause d'une technique due à mon changement de la translation en
10:28 rotation. Il y a mes vieux démons qui me suivent, qui ne m'empêchent pas, mais qui
10:33 me freinent un peu psychologiquement. Il faut que j'arrive à passer outre. Et là, clairement,
10:37 on a attaqué un travail assez conséquent là-dessus.
10:41 Les minima, ils sont passés de 19,80 à Rio, 21,10 à Tokyo, 21,50. Comment on t'explique
10:48 cette orientation ?
10:49 C'est quoi ? C'est les grands champions de ce sport qu'on fait aujourd'hui ?
10:55 Moi, j'ai le même âge que le recordman du monde, Ryan Kruiser, qui pousse le poids
11:00 très très loin. Car même au championnat du monde, il était blessé, il fait quand
11:04 même 23,50 m. Depuis Rio, il a amené le poids à un autre niveau. Il y en a pas mal
11:14 qui ont suivi. Le fitness, la musculation, il y a eu un énorme essor depuis ces dix
11:21 dernières années. Pour moi, tout ça a eu un impact dans certains sports de force.
11:26 Par contre, ce qui est étonnant, c'est que les autres, je ne dis pas que les autres
11:30 lancer n'ont pas progressé, mais c'est celui qui a le plus progressé et qui maintient
11:34 son niveau. Donc, ils sont obligés de mettre des minima de plus en plus haut. A 21,50,
11:39 on sait très bien qu'on rentre en finale, mais ils sont obligés de mettre 21,50 pour
11:42 se dire que sinon, on va avoir trop de monde.
11:44 Par rapport à ce qu'on peut viser quand on s'appelle Frédéric Dagé aux Jeux Olympiques,
11:48 c'est quoi ? Si par bonheur, tu as la chance de te qualifier, qu'est-ce que tu pourras
11:51 viser là-bas ? Une place en finale ?
11:53 Totalement, une place en finale. Dans ma tête, je ne vois pas moins. Je te dirais même
11:58 que je vois mieux forcément, sinon ça ne sert à rien d'y aller. Je n'y vais pas
12:01 pour participer. Ce n'est pas du tout mon état d'esprit.
12:04 Ce n'est pas ton état d'esprit. Oui, pas du tout. Donc, ce que tu veux, c'est
12:09 au moins la finale. Mais je te parle de la finale, ce n'est pas de rentrer dans les
12:12 12, c'est de rentrer dans les 8. Quand je vois 2021, je vois 2016, malgré tout, oui,
12:18 ça a progressé. Mais le jour des Jeux, il y a ceux qui font des perfs chez eux et ceux
12:21 qui n'arrivent pas à faire des perfs là-bas. Et moi, la compétition, ça me transcende.
12:25 À un moment donné, tu te dis que tu vas être à la maison à Paris. Quand ça va
12:28 être ton tour de lancer, il y aura la moitié du stade qui va hurler. Normalement, tu gagnes
12:32 déjà un mètre grâce à ça. Avec une préparation correctement faite, pas de blessure et pas
12:38 de machin, il n'y a pas photo. C'est au moins la finale.
12:40 Et puis, tu as des forces aussi maintenant qui t'accompagnent.
12:42 Totalement. Pour l'instant, la force m'épuise. Mais cependant, à ce moment-là, normalement,
12:48 elle devrait me donner des ailes. Ça marche.
12:51 Je voulais te demander, tu as manqué de peu la qualification, que ce soit à Rio ou à
12:56 Tokyo. S'il y a qualification à Paris, est-ce que c'est encore plus fort ? Est-ce que
12:59 les Jeux en France, c'est le rêve d'une vie ?
13:00 Je ne sais pas. On m'a déjà posé. Je ne te cache pas que je…
13:04 Tu as du mal à réaliser, à te faire un avis là-dessus.
13:06 Non, c'est juste que tu vois, Rio, j'y suis allé en accompagnant. C'était un
13:11 truc de fou. Je pense que si je les avais fait, ça aurait été incroyable. Après,
13:17 les Jeux à Paris, ce qui est bien, c'est que tous ceux qui te suivent depuis des années,
13:24 que ce soit de près ou de loin, les proches, tout ça, c'est quand même plus facile.
13:28 Malgré que les billets ne sont pas donnés. Mais cependant, sur place, il y a peut-être
13:32 plus de monde qui peut venir te supporter. Donc, il y a un côté plus… Tu es peut-être
13:36 plus entouré. Tu te sens plus chez toi. C'est peut-être plus facile par rapport à ça,
13:41 effectivement. Puis après, il y a le public. Même si les gens ne te suivent pas au quotidien,
13:44 le fait que tu sois français et qu'ils te découvrent aux Jeux olympiques, ils vont
13:47 encourager le français. Donc, je pense qu'il y a un côté plus… Ça peut amener à un
13:52 espèce de dépassement de soi de le faire avec grâce au public, à ceux qui te suivent.
13:57 Chose qu'il n'y a peut-être pas forcément quand tu es très loin, comme à Rio ou à
14:00 Tokyo. Ce sera ton dernier défi peut-être ? Après,
14:03 tu raccroches pour deux ans ? Non, je ne pense pas.
14:04 C'est intéressant parce que vous vous posez la question, justement.
14:06 Non, je ne pense pas du tout. Je vais juste rebondir à ce que tu as dit juste avant.
14:10 Je manque de peu les minimas pour Tokyo. C'était aux championnats de France. J'avais
14:14 encore le temps de les faire, mais j'avais une compétition et je les refusais. Je les
14:18 refusais parce qu'effectivement, on avait des rendez-vous et qu'à un moment donné,
14:21 la priorité, c'était déjà ça. Je m'étais fixé les France. C'est sorti, mais pas assez
14:25 loin. Je me dis maintenant, c'est au bon vouloir ou oui et non. La fédération, malheureusement,
14:29 ne fait pas ce qu'elle veut. Il y a des minimas, il y a des choses à respecter. Ils
14:32 n'ont pas pu le faire. Mais dans ma tête, c'était un one-shot. Si je le fais, je le
14:36 fais là. Sinon, après, je me concentre sur le principal. Et là effectivement, on me
14:41 voit continuer derrière s'il n'y a pas de blessure dans son pied.
14:44 Et quel lien tu as avec la ville de Paris justement ? Est-ce que tu as déjà visité,
14:48 tu aimes cette ville ? C'est une ville un peu clivante parfois. Il y a beaucoup de monde,
14:52 les gens ne sont pas toujours sympas. Comment tu vois un peu cette ville-là ? Quel rapport,
14:56 quel lien tu entretiens avec elle ? Moi, j'y vais, mieux je me porte. Il y a
15:00 trop de monde là-bas. C'est l'enfer quand on n'est pas habitué. Dans le Loiret, à
15:03 l'Antarctique, c'est un peu campagne. Là, malgré tout, je suis venu à Nice tout à
15:07 l'heure, je suis perturbé, il y a du monde. J'aime bien les côtés où je suis tranquille.
15:11 Quand j'arrive à Paris, en général, quand j'arrive à Gare de Lyon pour les regroupements,
15:14 je suis stressé déjà. Tu sors de Gare de Lyon, tu te fais agresser par tout le monde.
15:17 Après, c'est une très belle ville. Je pense même que ça va être l'occasion avec ma
15:22 femme de pouvoir la visiter. De la redécouvrir peut-être aussi un peu avec ses amis.
15:27 Oui, j'y suis déjà allé quelques fois. Mais c'est vrai que là, dans l'ambiance
15:30 des Jeux, je pense que ça va être différent. Ce sera peut-être plus agréable. Il y aura
15:35 peut-être beaucoup plus de monde malgré tout. Mais cependant, c'est une autre facette,
15:40 c'est peut-être une autre façon de la voir.
15:41 On en a parlé tout à l'heure. Tu as mis un terme à ta carrière l'année dernière.
15:44 Tu reviens, tu dis « j'ai eu un manque ». Qu'est-ce qui te manque concrètement
15:48 à ce moment-là ? Quand tu dis « je reviens », c'est quoi le manque ? Comment il se
15:52 manifeste ?
15:53 C'est de me bagarrer avec les autres. J'adore l'entraînement, le dépassement de soi.
15:57 D'ailleurs, je m'entraîne tout seul, je m'entraîne dans mon garage. Concrètement,
16:00 je n'ai pas besoin d'être poussé à l'entraînement pour me dépasser, pour me
16:04 mettre, je vais le dire comme je le pense, en vrac à des séances. Ma femme ne revient
16:07 pas dans l'état que je me mets dans le garage à vomir tout seul, à me remettre sous la
16:12 barre tout seul. Je n'ai pas de problème de motivation.
16:14 Tu fais ta muscu dans le garage.
16:15 Oui, mais de toute façon, je m'entraînais déjà comme ça mes 10 premières années.
16:18 A la Dior, c'est là que je me révèle le mieux quand c'est dur.
16:22 Tu as besoin de ça.
16:23 Tu regardes tous mes records de France, ils sont faits pratiquement à la dernière compétition
16:26 et tout le temps au sixième essai. C'est quand je suis dos au mur que je suis le plus
16:30 dangereux. Je me mets d'entrée de jeu en difficulté. J'ai un travail extrêmement
16:34 compliqué. Ce qui m'a manqué, c'est ça, cette espèce de rapport de bagarre, d'aller
16:41 battre les autres. Surtout qu'il y a quand même un Français qui a pris le record de
16:44 France en salle l'année dernière, qui s'entraîne lui aux Etats-Unis, que je connaissais déjà
16:49 depuis quelques années, mais qui commence à se révéler.
16:51 Quel était son nom ?
16:52 Fred Mudany. Fred Mudany qui du coup est parti s'entraîner il y a quelques années dans
16:56 un système un peu universitaire aux Etats-Unis et commence à être bien.
17:00 D'un seul coup, ça te remet parce que malgré tout pendant les quelques dernières années,
17:05 j'étais assez dominant dans la discipline. Il y avait très rarement où je suis arrivé
17:13 au France en me disant « je ne vais pas gagner ». Alors que là, d'avoir une vraie concurrence,
17:17 même un mec qui est plus fort que moi pour le moment, vu que je n'ai pas relancé.
17:21 Moi, je marche à ça. Je ne sais pas si c'est d'ego ou si c'est la volonté d'aller
17:26 battre les autres, mais j'ai besoin de cette confrontation.
17:29 Ça a été trop rare en France en tout cas dans ta carrière. Ça t'a peut-être manqué
17:33 à un certain moment aussi. Tu as besoin de ça, tu aimes ça aussi.
17:36 Il y a ça, oui. En plus, la difficulté en France, c'est qu'on est, comparé aux
17:40 Etats-Unis, un mec homo aux Etats-Unis, il y en a 20. En France, il y en a un. Là,
17:44 du coup, il y en a deux. C'est une chance. Il ne faut pas la louper.
17:47 C'est sûr.
17:48 Au contraire, ça peut être bien et pour lui et pour moi, et pour la FED et pour le
17:51 lancer de toi de se dire, si on se tire la bourre tous les deux, peu importe qui gagne,
17:58 moi, je ferai tout pour, mais dans le sens où derrière, ça monte le niveau. Ça monte
18:02 le niveau et c'est bien.
18:03 Par rapport justement aussi à ton actualité, c'est aussi cette cagnotte que tu as lancée
18:07 en ligne. On mettra le lien justement en dessous de cette vidéo et de cette émission pour
18:12 que les gens, s'ils souhaitent te soutenir, puissent le faire.
18:14 Totalement.
18:15 A quoi va servir cet argent ? Explique-nous un peu. Tu es lanceur de poids en France.
18:20 Comment on a besoin de financer sa saison ? Comment ça se passe ?
18:22 Déjà, j'ai lancé cette cagnotte tout simplement parce qu'en fait, je travaille à côté.
18:28 Donc moi, mon salaire me permet de vivre comme une personne classique.
18:31 Tu es employé d'une chaîne de supermarché.
18:33 Exactement, dans les fruits et les légumes. Et si tu veux, mon salaire me permet de vivre
18:39 correctement tout simplement, comme tout le monde à peu près. Mais au-delà de ça,
18:43 la préparation, qu'elle soit olympique ou pas, une préparation de haut niveau, tout
18:47 simplement, ça coûte des sous. Alors qu'est-ce qui coûte des sous ? Il y a le matériel.
18:50 Ça va de la musculation. Il y a des choses qui s'abîment. Du matériel de musculation,
18:55 ce n'est pas donné, clairement. Surtout si on veut de la qualité, surtout quand on
18:58 commence à mettre lourd comme moi je mets. Ensuite, il y a le textile. Des vêtements
19:05 un peu précis, ça s'abîme. Ça dure une saison maximum. Il y a les chaussures. Les
19:12 chaussures, j'en passe au moins une paire tous les mois et demi. Ça va très vite les
19:15 chaussures techniques et c'est 150 euros la paire.
19:17 On ne s'en rend pas compte.
19:18 Non, on ne s'en rend pas compte. Mais sur un an, tu arrives peut-être même à 1000
19:22 euros de chaussures. Ensuite, il y a les soins. Il y a des choses qui sont prises en charge.
19:28 Mais après, au bout d'un moment, quand on s'entraîne 7 jours sur 7, à peu près 3
19:32 heures par jour, le kiné, l'ostéo, le machin, au bout d'un moment, ce n'est plus pris
19:35 en charge. Donc ça, ça te coûte des sous. Et si tu veux faire la chose correctement,
19:38 faire un bon suivi, ça, ça coûte des sous. 70 euros à chaque consultation, la moyenne.
19:42 À la fin de l'année, je te laisserai le calcul, mais c'est monstrueux. Et après,
19:47 il y a le côté aussi un peu stage, déplacement. Alors moi, je ne suis pas trop stage parce
19:52 qu'à un moment donné, j'essaie toujours de m'organiser, ce qui fait que dans mon
19:55 contexte au quotidien, j'ai ce qu'il me faut. Et là, c'est le cas. Mais cependant, de temps
19:59 en temps, de changer un peu d'air, d'aller se confronter avec 2, 3 nations sur un lieu
20:05 extérieur, mais ça coûte des sous. C'est même ce qui coûte sûrement le plus cher.
20:08 Et après, il y a tout ce qui est nutrition, compléments alimentaires. Et ça, c'est très,
20:12 très cher.
20:13 Justement, Romain avait regardé ça justement.
20:14 Oui, c'est dans une ancienne interview, tu disais quand on est lanceur de poids, l'alimentation,
20:19 c'est le prix d'un loyer quasiment.
20:20 C'est pire maintenant. C'est quand même plus cher aujourd'hui avec l'inflation. On ne va
20:25 pas se blaguer. Moi, je le sens bien. Tu fais 200 euros de course, tu ressors avec 3 sacs.
20:28 Au bout de 3 jours, il n'y a plus rien. Ma femme, elle me regarde de travers un peu.
20:32 Je ne te cache pas quand on fait des courses. Là, vraiment, ça, c'est très, très compliqué.
20:35 On fait 120 et quelques kilos comme toi, on est obligé de manger beaucoup.
20:38 Et puis, quand on cherche à en faire 130 parce qu'on fait beaucoup de musculation,
20:42 de toute façon, je vais prendre, il y a la nourriture, il y a les compléments alimentaires.
20:46 Et ça, c'est un loyer. Et encore, c'est parce que je me restreins. On est clairement
20:50 sur ça. Je me restreins très clairement. Je ne mange pas. Quand je fais des cours,
20:54 je ne mange pas ce que je veux.
20:55 Et au niveau de la cagnotte, tu as besoin de combien ? Et Romain avait aussi remarqué
21:00 qu'en 2016, ça avait plutôt bien fonctionné. Tu avais déjà fait ça pour les Jeux de
21:03 Rio.
21:04 On avait fait différemment. On avait créé un petit… J'ai perdu le nom, mais c'était
21:11 avec un compte dans une banque.
21:13 On a l'habitude d'avoir ces trucs-là.
21:15 Il y avait eu 2, 3 partenaires, même 3, 4 qui avaient mis un peu de sous. Après, pareil,
21:19 les amis, la famille, les choses comme ça.
21:21 Là, tu espères combien pour faire un budget ?
21:23 J'ai mis un montant de 10 000 euros. Maintenant, si je ne les atteins pas, je ne les atteins
21:26 pas. Mais dans ma tête, si tu veux, je me serais organisé pour le faire sans. Mais
21:35 voilà.
21:36 Là, la cagnotte, en plus, on arrive petit à petit presque à la moitié. Ce n'est
21:40 pas encore ça, mais cependant, c'est énorme pour moi.
21:42 Clairement, ça va faire une différence. Je vais clairement pouvoir m'acheter tout
21:47 ce qu'il me faut en paire de chaussures, les textiles, les machins. En gros, j'aurai
21:50 le minimum syndical pour faire les choses bien. Et c'est le plus important.
21:53 Donc, la cagnotte, en fait, elle sert clairement à ça.
21:56 Et à Rio, vous avez réussi à récupérer combien justement ?
21:59 C'était plutôt un peu Magali Brissot, un peu du Krebs qui gérait ça. Moi, dans les
22:04 papiers, ce n'est pas trop mon fort à gérer ça. Mais ça a permis d'acheter pas mal
22:07 de matériel. Moi, j'avais pu me faire une belle gamme de poids. Il y avait eu pas mal
22:11 de javelots d'acheter. On avait pu faire un aller-retour à Rio pour moi, quelques
22:15 stages, quelques soins. C'est au moins quelques milliers d'euros. Facile.
22:19 En tout cas, ça prêt plus dans une préparation comme ça.
22:23 Totalement. Parce que sinon, c'est des sous que je vais sortir moi. Et malgré tout, quand
22:26 on est papa, quand aujourd'hui, la vie n'est pas donnée, tu commences à dire, voilà,
22:31 la chaussure va faire trois mois de plus. Et pourtant, on l'a usé. Ce n'est pas le
22:34 même rendu dans le plateau. Ce n'est pas le même retour technique.
22:37 C'est les performances qui en pâtissent derrière.
22:39 Si tu veux, c'est plein de petits détails, plein de petites choses. Mais si tu le mets
22:43 bout à bout, la différence, elle est vraiment conséquente. On en est là.
22:47 Alors peut être revenir aux origines. Donc, on l'a dit, tu es né dans le Loiret.
22:54 C'est ça. Mais tu as une enfance compliquée. Est ce
22:57 que tu peux en parler? Bien sûr. Le contexte, en fait, moi, de
23:00 mon haut niveau, mes dix premières années, même un peu après, il reste compliqué.
23:07 Il y a toujours pire. On est d'accord. Mais cependant, moi, oui, ma maman était très
23:10 malade. Elle était atteinte d'une maladie qui l'a malheureusement emporté. Quand j'étais
23:15 assez jeune, je devais avoir 15, 16 ans. Donc, je l'ai toujours connu malade.
23:19 Ça a imposé en fait à la maison avec moi, mon père qui a une entreprise dans le bâtiment
23:24 et une entre une douzaine et une quinzaine de salariés à gérer.
23:27 Bon, il n'a pas été. Ce n'est pas qu'il n'a pas été présent, mais bon, voilà.
23:30 C'est compliqué entre une maman malade et un père qui gère une grosse entreprise.
23:33 Si tu veux, il faut trouver sa place. Et la priorité, ce n'était pas le sport.
23:39 Donc, ça a toujours été compliqué parce que si tu veux, moi, j'ai des souvenirs.
23:43 Mon premier record de France, c'était à Gien sur une compétition. J'étais avec
23:47 Jean-Pierre. Je fais le record de France qui était déjà en minime faire plus de 19
23:50 mètres, même au niveau mondial, c'est assez rare. Je rentre à la maison. J'étais
23:55 tout content d'annoncer ça. Et si tu veux, ma mère s'était retrouvée à l'hôpital
23:59 et s'est fait opérer en urgence. On est passé obsolète. Donc, ça a toujours été
24:02 compliqué parce que psychologiquement, ce n'est pas facile. Parce qu'en même temps,
24:08 tu comprends très bien que ce n'est que du sport et que là, il y a des choses bien
24:11 plus importantes. C'est pour ça que j'ai toujours réussi à faire la part des choses.
24:13 Mais le contexte est compliqué. Derrière, après, je me suis retrouvé sans ma maman.
24:19 Je me suis retrouvé aussi sans mon papa qui en a eu quelques désaccords pour faire un
24:24 peu simple. Donc, je me suis retrouvé à vivre une partie chez ma grand-mère. Après,
24:28 je me suis un peu émancipé. J'ai pris mon apportement. Il faut se débrouiller financièrement.
24:33 Donc, moi, j'ai de suite travaillé. Je travaillais à la ville de là où j'étais
24:37 tout simplement dans les espaces verts parce que j'étais déjà dans le même contexte
24:41 qu'aujourd'hui de travailler à côté, m'entraîner.
24:44 Donc, ça n'a jamais été très simple parce que finalement, même quand tu fais des bonnes
24:48 performances en France, tu ne peux pas être professionnel ou tu n'as pas beaucoup d'aides
24:55 qui font que tu ne peux te consacrer qu'à ça en étant serein sur l'avenir. J'ai
25:02 toujours vécu ça. Tu dis justement « j'ai toujours bossé,
25:05 j'ai toujours travaillé ». Comment ça se passe aujourd'hui ? Tu as bossé un
25:09 temps au Niscott d'Azur Athlétisme. Ensuite, tu as travaillé aussi dans une banque.
25:12 Dans une banque, oui. Et depuis quelques mois maintenant, tu bosses
25:16 dans une entreprise de supermarché dans les lieux.
25:19 Dans la grande distribution. Dans la grande distribution. Comment tu organises
25:22 tout ça entre ta vie de famille, ta vie d'athlète et ta vie justement aussi professionnelle
25:25 dans cette entreprise ? Comment ça se passe concrètement ?
25:27 Là, ça ne se voit peut-être pas, mais il y a des gros spots sous les yeux.
25:29 Tu as travaillé ce matin. Oui, j'étais à 3 heures ce matin. Ça
25:34 fait des grosses journées. Le plus dur, c'est la récupération. C'est
25:38 aussi pour ça que j'ai, avant de me relancer, avant d'officialiser, même si je m'entraînais
25:44 comme je l'ai tous les jours, je voulais voir si c'était rentable.
25:47 Parce que s'entraîner encore plus dur, il faut récupérer.
25:50 Effectivement, le travail, j'ai des horaires où je me suis organisé parce que la boîte
25:54 où je suis, on comprenne le défi que je me suis lancé.
26:00 Comme on est plusieurs, on s'organise. Je prends les horaires du matin.
26:03 Je commence très tôt, à 3h30, 4h, on attaque. Je finis aux alentours, plus ou moins 10h,
26:12 quelque chose comme ça. Derrière, je rentre.
26:15 Ma femme, qui a déjà fait la nuit avec la petite, je dors 2h en rentrant.
26:21 Tu prends le relais ? Non, je dors 2h en rentrant.
26:22 J'essaie de prendre un peu le relais derrière l'après-midi pour qu'elle puisse un peu
26:26 se reposer. Des fois, quand elle arrive à dormir, on
26:30 dort tous ensemble. Ça n'arrive pas souvent.
26:32 Et derrière, on parle d'entraînement. C'est extrêmement physique, mais j'ai
26:38 aussi et surtout la chance, c'est pour ça que j'en ai beaucoup parlé avec ma femme,
26:42 que j'ai une femme exceptionnelle là-dessus. Ce n'est pas que je suis absent, je m'occupe
26:46 énormément de ma fille dès que je peux, tous les soirs.
26:48 Mais elle prend le relais pour que je puisse aller m'entraîner 2h30, 3h, sachant que
26:55 ma femme s'entraîne tous les jours aussi pour son bien-être, mais elle vient s'entraîner
26:58 aussi. On arrive malgré tout à tout faire. C'est une passion commune.
27:03 Parce qu'elle me soutient. On n'a même pas idée ce que c'est d'être à la place
27:09 d'elle, de soutenir quelqu'un. C'est dans les deux sens. Des fois, c'est l'inverse.
27:13 Mais ce n'est pas facile d'avoir accepté ce rôle. C'est la fatigue qui est dure à
27:19 gérer. Donc, on fait au mieux. On étale sur la semaine. Du coup, je m'entraîne
27:23 7 jours sur 7 pour essayer d'étaler au maximum les séances, pour essayer de mieux les encaisser.
27:30 On différencie bien les séances physiques des séances techniques. On est en organisation
27:34 avec Jean-Pierre pour faire au mieux.
27:37 J'avais repris une interview de toi qui date d'il y a quelques années. On te posait
27:42 la question de ce qu'on prend du plaisir quand on est lanceur de poids. Et toi, tu
27:45 expliquais que ce qui te plaisait, c'était ce mélange entre force et technique. Tu peux
27:51 nous détailler un peu ?
27:52 C'est ce que je disais un peu tout à l'heure. Un lanceur de poids, je dirais que dans les
28:00 lancers, c'est pratiquement les lanceurs les plus forts. Et même à très haut niveau.
28:04 Par exemple, aux championnats du monde, les deux premiers, ce sont des mecs qui sont pratiquement
28:08 aussi forts que les hommes les plus forts du monde. C'est ce qu'on voit à la télé.
28:11 Donc, on est vraiment sur un truc assez conséquent. Mais malgré tout, être très fort, ce n'est
28:15 pas ça qui fait lancer le moins. Ce qui fait lancer le moins, c'est de pouvoir utiliser
28:19 cette force et de la mettre au service d'une technique qui va produire une belle performance
28:25 et lancer loin. Et c'est le cheminement d'arriver à ça qui me fait réellement plaisir.
28:29 C'est-à-dire qu'on est capable de faire 220 kg développé-couché. Mais il y en a
28:35 plein qui doivent faire ça. Il y en a quelques-uns qui le font dans les salles de musculation.
28:38 Mais s'il faut, ils lancent le poids à 8 m. Je m'en doutais, ça se voyait. Par exemple,
28:43 dans une salle de musculation, ça m'est déjà arrivé de tomber sur des mecs qui
28:45 étaient très forts. J'aurais fait lancer le poids, ça tombait à 7 ou 8 m.
28:50 C'est toute une technique.
28:52 On a une base de force très conséquente. Derrière, il faut faire des exercices qui
28:56 permettent de la rendre explosive, de la rendre rapide, de la rendre effective. Ensuite,
29:04 allier à ça le travail technique. Et ensuite, ça fait une performance. Et ça, ce n'est
29:10 pas le plus fort qui gagne. C'est celui qui arrive à tout faire.
29:12 Alors, on parle de technique. Tu l'as évoqué tout à l'heure, tu as changé radicalement
29:16 ta technique. Tu es passé de la translation à la rotation. Donc, si tu peux nous expliquer
29:22 les grandes lignes de différence.
29:23 La rotation, ça n'a jamais été finalement une inconnue pour moi, réellement. Tout simplement
29:29 parce qu'avec Jean-Pierre, nos 10 premières années, on était en translation. On a eu
29:32 quelques essais en rotation. Et il y a même une fois, je me souviens, après le record
29:39 de France KD où je fais 19m59 en salle. Juste derrière, j'étais un petit peu en repos,
29:47 je lance à l'entraînement. Il me dit pour changer, vu qu'on est en repos, tu lances
29:50 en rotation. Je suis allé aussi loin. Sauf que derrière, on s'est posé la question.
29:54 Jean-Pierre n'avait pas forcément à l'époque l'œil technique. Moi, je me dis que ça
30:02 marche en translation, pourquoi changer ?
30:03 Après, en junior, on a eu un stage à l'INSEP. On a eu la chance d'avoir un très grand
30:09 coach américain qui m'a dit qu'il fallait que je passe en rotation. On a encore hésité.
30:13 Je pense que j'avais une hésitation. Dans ma thèse, je me suis dit que je pensais que
30:17 j'aurais été plus loin parce qu'elle me va très bien cette technique. Et en 2016,
30:20 quand je suis allé voir les Jeux, j'étais déjà dans le stade, je ne me sentais pas
30:23 du tout à ma place. Pour moi, ma place, c'était dans le stade. Ça a été compliqué
30:28 psychologiquement. Et quand je suis rentré, il y a un moment donné, il faut faire quelque
30:31 chose. Je ne peux pas rester à 20m. Il manque 1m50.
30:34 Et la différence, pour bien expliquer un petit peu, ça ressemble à quoi ?
30:37 La translation, c'est comme un pas chassé, tout simplement. C'est un pas chassé, on
30:42 est dos à l'air, comme en rotation, mais on se déplace en arrière et on se retourne
30:45 pour lancer. Après, en rotation, ça va être un peu visuellement comme le disque, sauf
30:49 qu'au vu d'avoir le bras là, on fait un tour.
30:52 Alors que la translation, c'est vraiment le poids qui part de l'arrière de l'air
30:57 de lancer pour aller vraiment vers l'avant et que tu propulses.
30:59 C'est ça. C'est comme un pas chassé.
31:00 Les meilleurs du monde lancent tous en rotation.
31:02 Il y en a eu. Parce que l'allemand David Storl, pour l'instant, je ne sais pas s'il
31:06 va reprendre ou s'il a arrêté. Pour l'instant, il est un peu en stand-by. Il a fait une
31:09 pause. Il était en translation et il était toujours dans le top 6-7. Il y a toujours
31:16 moyen de lancer très loin en translation. Je pense juste que la rotation, elle permet
31:20 avec des qualités… Je dirais que pour faire 20 mètres dans les deux techniques, on peut
31:26 se permettre d'être moins fort physiquement en rotation qu'en translation. En translation,
31:30 pour faire 20 mètres équivalent, il faudrait être plus fort.
31:31 Fred, cette émission touche déjà à sa fin. Merci à toi d'avoir participé.
31:36 Merci à vous. C'est quelques minutes après le boulot
31:38 pour venir nous voir sur Nice. C'est avec plaisir.
31:40 On le dit, tu habites dans le bar aussi, tu t'entraînes là-bas.
31:43 Oui, il y a une petite ronde. Il y a quand même de la route. Merci à
31:46 toi en tout cas d'avoir fait le déplacement. Je vous remercie à vous.
31:48 Merci à toi. Merci à toi également Romain pour ton expertise
31:52 comme d'habitude. Merci à vous également de nous avoir suivis.
31:55 On se retrouve dans deux semaines, vous le savez désormais, pour un nouvel invité.
31:59 Merci également en régie à Sophie Dancé, Philippe Bertigny, Chloé Voirgaard et également
32:05 Karine Boutier qui ont encore une fois été des aides précieuses sur la réalisation de
32:08 cette émission. On se retrouve dans deux semaines.
32:10 Merci à vous de nous avoir suivis. Prenez soin de vous.
32:13 A bientôt. Salut. Ciao, ciao.
32:14 *musique d'outro*
32:33 Merci à tous !
32:35 [SILENCE]

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