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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 11 octobre 2023 : le caricaturiste de presse et auteur de bandes dessinées, Luz. Il publie aujourd’hui, "Testosterror" aux éditions Albin Michel.

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Transcription
00:00 - Bonjour Luz. - Bonjour.
00:01 - Vous êtes caricaturiste de presse, auteur de bandes dessinées indissociables des journaux "Fluide Glacial" et "Charlie Hebdo".
00:06 "Charlie Hebdo", le journal satirique et laïque que vous avez quitté définitivement en septembre 2015,
00:10 moins d'un an après l'attentat perpétré par les Farquashi qui ont assassiné 12 personnes, parmi lesquelles vos camarades de mine.
00:16 Parce qu'il s'agit de ça, Kabu, Wolinski, Scharbe, Honoré et Tignous.
00:20 C'est parce que le 7 janvier c'est votre anniversaire que ce matin-là, en 2015, vous avez pris le temps, en arrivant en retard,
00:27 à la conférence de rédaction, ce qui vous a sauvé la vie. Alors, vous avez, en guise de pardon mutuel, dessiné le prophète Mahomet
00:33 en une du numéro 1178, ce qui vous a rendu célèbre dans le monde entier.
00:38 Avec cette une, vous avez également été placé sous haute protection policière, 24 heures sur 24.
00:44 Depuis, votre crayon n'a rien perdu de son originalité et de son humour. Il vous sert de confident, d'exutoire.
00:49 C'est un porte-voix, finalement, pour exprimer vos émotions.
00:53 Vous avez publié, avec l'accomplicité de Virginie Despentes, Vernon Pubutex,
00:56 qui vous a permis de réentendre la musique qui avait cessé d'exister à la suite de tout ça.
01:00 Et aujourd'hui, force est de constater que vous avez repris ce sourire
01:04 et qu'on a l'impression que, déjà, vous allez mieux.
01:07 On le constate d'ailleurs avec "Testosterore", que vous publiez chez Albin Michel.
01:12 Rien que le nom, déjà, je pense que c'est pour nous déstabiliser, Luz.
01:15 - Ouais, peut-être, ouais.
01:16 - C'est l'histoire d'un virus qui nous envahit et qui touche notamment les hommes,
01:21 ceux qui sont équipés, on va dire.
01:24 Je vais citer d'ailleurs la phrase "une paire de couilles",
01:27 on ne va pas se mentir, en tout cas d'une boîte à couilles.
01:29 - C'est le terme consacré.
01:31 - Et, effectivement, évidemment, ils vont perdre de leur testostérone
01:35 à cause de cette "testosterore".
01:37 C'est une façon de dire qu'on se reconstruit, c'est ça ?
01:41 Qu'on est déconstruit, qu'on se reconstruit différemment ?
01:43 - En tout cas, mes bouquins sont là pour me fabriquer, ça, c'est sûr.
01:48 Pas forcément pour me reconstruire, mais en tout cas pour...
01:53 Peut-être, oui, il y en a eu certains qui ont été là pour ramasser le puzzle
01:57 qui était à terre pendant un certain moment.
01:59 Mais la testostérone, c'est peut-être autre chose.
02:02 C'est peut-être aussi...
02:03 Même s'il y a toujours eu de l'humour dans mes bouquins depuis que je suis passé
02:07 à la bande dessinée, depuis 2015, toujours un petit quelque chose de cocasse, etc.
02:14 Il n'y avait jamais eu un livre entier consacré à la satire.
02:19 Et je pense que ça me démangeait parce que j'en ai fait un bouquin de 300 pages
02:22 et sur un sujet qui, quand même, me motive depuis très, très, très longtemps,
02:28 qui est le mythe de la virilité.
02:32 Ce n'est même pas forcément les hommes, c'est "qu'est-ce que c'est que d'être un homme ?"
02:35 - Alors, justement, c'est une question que je voulais vous poser.
02:38 C'est quoi d'être un homme ?
02:40 - C'est quelque chose de compliqué.
02:43 J'ai compris que c'était quelque chose de compliqué déjà pour moi quand j'étais gamin,
02:46 parce que c'était ce qu'on me renvoyait d'être un homme.
02:51 C'était d'être quelqu'un de fort, c'est d'être dans un groupe d'hommes.
02:55 C'est d'aimer le football, c'est d'aimer la viande,
03:01 c'est d'aimer...
03:02 Comment dire ?
03:05 D'aimer de se retrouver entre mecs.
03:09 Et moi, j'ai toujours eu l'impression que d'être un garçon, c'était déjà pas simple.
03:14 D'être deux garçons, c'était déjà compliqué, mais d'être trois garçons, c'était déjà être une bande de cons.
03:18 Et donc, du coup, à partir de ce moment-là, il y a déjà eu une espèce de...
03:22 J'ai toujours eu une espèce de prudence par rapport à la masculinité,
03:25 en tout cas à la masculinité de groupe, avec une certaine...
03:30 J'ai trouvé cet adjectif en faisant le bouquin, c'est un certain androscepticisme.
03:35 C'était une espèce de réserve quant au fait d'être un homme parmi les hommes.
03:40 - Est-ce que vous avez changé ?
03:41 Comme on dit beaucoup, les hommes ont changé depuis pas mal de temps.
03:46 Alors effectivement, il y a eu des histoires qui ont contribué à ça et qui sont sorties,
03:50 qui, j'ai l'impression, sont beaucoup plus entendues aujourd'hui.
03:54 - Oui, enfin disons que moi, j'ai changé, moi, j'ai progressé, on va dire.
03:59 J'ai progressé, ça serait...
04:01 Je suis pas un féministe d'hier, mais je suis pas un féministe d'avant-hier non plus.
04:08 C'est-à-dire, on fait du... ça prend du temps.
04:09 Et puis, on change.
04:13 Mais justement, si ce bouquin, il est là, c'est parce que j'ai l'impression que les hommes n'ont pas tant changé que ça,
04:20 malgré Me Too. Ils n'ont pas tant changé que ça, malgré justement,
04:25 malgré le nombre de bouquins qu'il y a sur les étales de librairies,
04:28 le nombre de bouquins féministes qu'il y a sur les étales de librairies.
04:31 Il y a une espèce de truc un peu étrange.
04:34 J'ai eu l'impression que, comme si tout le travail sur l'égalité hommes-femmes, tout le travail féministe,
04:42 peu importe le nom qu'on lui donne, a été fait par les femmes,
04:45 et comme si les mecs se déchargeaient de cette charge mentale militante sur les femmes.
04:51 Genre bon, bah, oui, c'est en cours.
04:54 Ou alors, à l'inverse, ils s'en méfiaient, comme s'ils étaient...
04:58 Comme si justement tout ce travail sur l'égalité hommes-femmes était une atteinte à leur propre sphère personnelle,
05:06 de domination pour les hommes, ou même, tout bêtement,
05:10 une espèce d'inquiétude, de réappropriation de leur espace.
05:16 Alors qu'en fait, je pense que les hommes sont plus dominés par les hommes que par les femmes.
05:21 - Ce qui est fou d'ailleurs, je vais montrer quand même, parce que c'est vraiment...
05:25 Il y a 300 pages.
05:27 - Oui, il y a 300 pages.
05:28 - C'est qu'en fait, on se rend compte que pour régler le problème,
05:33 on a besoin des hommes et des femmes, et que sans les hommes, on n'y arrivera pas.
05:38 - Sans les hommes, on n'y arrivera pas, mais aussi, c'est aussi un petit peu le truc du bouquin,
05:43 c'est que peut-être pour donner un petit coup de pouce, il faut encore autre chose.
05:46 C'est pour ça que j'ai mis un virus au milieu de tout ça.
05:48 C'est-à-dire que c'est ça aussi, moi, qui m'inquiète, c'est que j'ai l'impression que ça ne bouge pas chez les mecs, vraiment.
05:55 Enfin, chez les hommes au sens large, les hommes de ma génération, mais le mal alpha, il est toujours là.
06:01 Les hommes ont besoin de se faire aider, en fait, et qu'ils n'acceptent pas de se faire aider par les femmes.
06:07 C'est ça qui est un peu étrange.
06:09 Parce que les hommes ne sont pas finalement enfermés dans un corset qui les étouffe.
06:15 C'est-à-dire le corset de la virilité d'être un homme puissant, être un homme qui contraint ses émotions,
06:23 être un homme qui refuse sa part de féminité aussi.
06:27 - Qui marque des fois son territoire.
06:29 - Qui marque des fois son territoire, oui.
06:31 Oui, c'est comme un chien.
06:33 C'est ça aussi.
06:34 Moi, c'est pour ça que j'ai mis un chien dans cette bande dessinée, parce que j'avais envie de poser la question,
06:38 est-ce qu'on est, nous, les hommes, est-ce qu'on est toujours contraints par nos pulsions ?
06:42 Est-ce qu'il y a quelque chose qui peut...
06:44 Est-ce qu'on ne peut pas réfléchir à cette idée qu'on est autre chose que des animaux ?
06:50 Et quand on voit l'actualité, de temps en temps, on a du mal à imaginer que c'est possible.
06:54 - Le chien, je précise juste qu'il est castré dans le livre et que justement, effectivement,
06:59 du coup, c'est pour le priver de ses pulsions et de ses hormones.
07:02 - Oui, il n'est pas castré au début, en fait.
07:04 Justement, au début, il est très mal alpha, en fait.
07:08 Mais le chien, il est là aussi pour montrer que les problèmes et peut-être les solutions
07:16 sont au sein de la cellule familiale ou du domestique, en tout cas.
07:22 On a vu pendant le Covid, on s'en rendu compte surtout après le Covid,
07:26 que les violences intrafamiliales avaient été multipliées par je ne sais plus combien,
07:32 mais en tout cas, avaient été très, très fortes et que justement,
07:34 cette domination masculine avait un impact incroyable sur les gens
07:44 qui sont le plus proches d'eux.
07:47 Et donc, c'est pour ça que j'avais envie de placer ma bande dessinée dans ce cadre familial
07:53 et par contre, d'être dans le "male gaze".
07:55 C'est-à-dire au début, cet homme, Jean-Pat, ne voit que ce qui l'intéresse lui,
08:00 que son égo, son ombrile, un petit peu plus bas que son ombrile d'ailleurs.
08:03 Et au fur et à mesure, son champ s'élargit.
08:06 C'est-à-dire que même dans la famille, les gens ne se sont pas posé la question
08:10 des rapports de force.
08:12 Jean-Pat, votre héros, il est commercial dans l'automobile.
08:15 Oui.
08:16 Il vend des SUV.
08:17 Oui.
08:18 Mais il pourrait être autre chose.
08:19 Il peut être partout.
08:20 Il peut être à Radio France.
08:21 Mais ce que je veux dire, c'est qu'il a du bas goût.
08:24 Il a des arguments.
08:25 Il a surtout un père, effectivement, qui lui a transmis cette testostérone
08:31 et ce regard sur le monde, ce besoin intrinsèque de virilité, de s'imposer, etc.
08:37 Effectivement, la transmission et l'éducation qu'on reçoit, Luz,
08:40 c'est le cœur du problème.
08:42 Vous gardez quoi de votre père et de vos parents, finalement ?
08:45 Alors, moi, je pense que j'ai plutôt eu de la chance dans ma sphère très intime.
08:50 C'est avec mes parents.
08:51 Mon père, il travaillait dans une banque.
08:57 Il était ouvrier, enfin salarié dans une banque.
09:01 Et il écoutait David Bowie aussi.
09:04 Donc déjà, il y a un truc, j'avais quelque chose d'assez ouvert.
09:08 Moi, je pense qu'il est plus avec les mâles de ma famille qui étaient...
09:12 Il y en a un qui était concessionnaire d'automobile.
09:14 Il y en a un autre qui était...
09:16 Enfin, qui est...
09:17 D'ailleurs, qui était... Oui, il était parce qu'il est à la retraite.
09:19 Et qui était commercial chez Canigou.
09:22 Donc, on reste toujours dans le domaine du chien.
09:24 Et qui était...
09:25 Qui sont encore des mâles alpha.
09:28 Pas forcément méchants, parce que le mâle alpha n'est pas forcément quelqu'un de méchant.
09:33 Mais qui, finalement, bossait la semaine.
09:38 Et puis le week-end, en fait, il mettait les chaussons.
09:41 Et puis il regardait...
09:42 Il y en a un qui allait chasser.
09:43 Il y en a un autre qui regardait le sport à la télé.
09:48 Et puis les femmes qui faisaient la cuisine.
09:49 Et ça, bon, c'est un autre temps.
09:51 Mais ce n'est pas si un autre temps que ça.
09:53 - Justement, dans cet ouvrage "Les testostéronés",
09:56 touché par la testostérore,
09:59 site Nelson Mandela en disant qu'un gagnant, c'est quelqu'un qui n'abandonne jamais ses rêves.
10:03 C'est vraiment ça.
10:05 - C'est une vraie citation de Mandela, en tout cas.
10:06 - Est-ce que c'est ça, être un winner aujourd'hui ?
10:09 - Je...
10:12 Je...
10:13 J'en sais rien.
10:15 J'ai trouvé la citation...
10:16 En fait, c'est le problème des citations.
10:18 C'est qu'il faudrait en parler à Nelson Mandela.
10:21 Mais sauf qu'on ne peut plus lui en parler.
10:23 Je ne sais pas de quel contexte elle est sortie.
10:26 Mais...
10:28 Mais c'est vrai que mon héros, il a...
10:31 Il fonctionne aussi avec ses formules à l'emporte-pièce,
10:34 qui peuvent être des formules intéressantes ou de développement personnel.
10:38 Au début, j'ai vachement travaillé justement sur les coaches de développement personnel.
10:41 Je me suis rendu compte qu'ils étaient très proches des coaches sportifs.
10:44 Et moi, je n'aime pas les gens qui vous imposent des injonctions,
10:48 même s'ils sont des injonctions au bonheur.
10:50 Ça, c'est très insupportable.
10:53 Et...
10:54 Et...
10:56 Et effectivement, Jean-Pat, il a un peu ce truc.
10:59 Il voudrait...
11:00 Comment dire ?
11:01 Il a des ambitions en son cœur d'être un grand homme.
11:05 Mais on a tous un petit peu ce truc-là.
11:07 On a tous envie de s'élever, d'être un petit peu plus...
11:10 D'être un petit peu mieux.
11:12 Mais ses références sont plus...
11:14 Sont plus...
11:17 Sont plus Stallone et Schwarzenegger que Sartre et Simone de Beauvoir.
11:23 - Vous en êtes où avec le bonheur, alors ?
11:26 - Moi, j'en suis où j'en suis avec le bonheur ?
11:28 Il se travaille.
11:29 - Il se travaille.
11:30 - On trouve des espaces de bonheur.
11:32 Des fois, comme tout le monde, on a envie de le dire très fort qu'on est heureux.
11:36 Des fois, on a envie de se solitaire un peu.
11:38 En tout cas, moi, je le garde pour moi.
11:39 Moi, je ne suis pas sur les réseaux sociaux.
11:41 Donc déjà, moi, j'ai un bonheur très intime.
11:43 - C'est aussi ce qui fait votre force.
11:46 C'est le moins qu'on puisse dire.
11:48 - Bah ça, moi-même, les seuls réseaux sociaux, c'est les libraires.
11:50 En fait, c'est là où je peux communiquer avec les gens.
11:53 C'est là, c'est même en publiant un bouquin, c'est là où on peut voir
11:56 si l'auteur va bien ou va moins bien.
11:59 Et peut-être que c'est un livre où je vais peut-être pas trop mal.
12:03 Et voilà, plutôt que d'aller sur TikTok, aller chez les libraires.
12:06 - De mieux en mieux, ça veut dire que la musique qui est en vous,
12:08 vous l'entendez de plus en plus ?
12:10 - Oui, oui, oui.
12:11 La musique est de plus en plus en moi.
12:12 C'est quelque chose qui a beaucoup évolué.
12:17 Je pense que ça a été...
12:19 Il y a eu un petit effet Vernon Subutex,
12:21 c'est-à-dire à travailler sur le roman de Virginie Despentes.
12:24 J'ai plus écouté de musique en dessinant,
12:31 parce que c'est là où j'en écoute le plus.
12:34 - Il y a une vraie musicalité, d'ailleurs, dans cet ouvrage.
12:36 - Mais ça, c'est important.
12:38 - C'est là où on se rend compte que ça redevient une partition de musique.
12:41 - Un bouquin, ça doit être une partition de musique.
12:44 Moi, je trouve les bons livres,
12:46 enfin, je ne sais pas si c'est un bon livre,
12:47 mais en tout cas, je le travaille comme ça, avec du rythme,
12:50 avec tout d'un coup des moments qui se figent,
12:52 avec des breaks, comme on dirait en musique.
12:54 - C'est très rock, quand même.
12:56 Votre écriture est très rock.
12:57 - Oui, je pense qu'on ne peut pas trop se changer.
13:01 Peut-être des fois, elle est...
13:03 Je ne sais pas si elle est plus...
13:04 Peut-être elle peut être un peu électro, ma manière de dessiner,
13:08 mais elle n'est pas très folk.
13:10 - Là, vous racontez une pandémie avec un virus.
13:13 Et finalement, vous n'êtes quasiment pas tout le temps confiné,
13:17 mais vous êtes dans une situation humaine particulière
13:19 avec une protection policière.
13:21 Quel effet ça vous a fait de voir les autres confinés à leur tour ?
13:26 De vous dire que eux non plus ne pouvaient pas forcément sortir de chez eux ?
13:30 - Je pense qu'en fait, la pandémie, je l'ai prise comme tout le monde.
13:35 Je ne l'ai pas prise, comment dire, avec...
13:38 Avec un grand bonheur ou avec une...
13:46 Je l'ai prise avec des arroirs, comme tout un chacun.
13:50 Mais la seule chose que je me suis dite,
13:53 c'est que j'avais déjà commencé à travailler sur "Testosterore" avant.
13:57 Et quand elle est arrivée, je me suis dit "mais quelle matière scénaristique incroyable".
14:02 Et je travaillais sur "Verdun", donc je n'ai pas forcément pris des notes.
14:06 Et puis d'ailleurs, je n'ai pas écrit ou dessiné sur la pandémie.
14:11 Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à en tirer.
14:14 De tout drame, il y a quelque chose à en tirer.
14:17 Moi, j'ai de la chance d'être quelqu'un qui fait de l'art,
14:21 qui est un artiste.
14:25 C'est toujours un petit peu prétentieux de dire ça,
14:26 mais même de temps en temps, il faut dire qu'on est un artiste, même si c'est vrai en fait.
14:30 Qu'il y a peu importe.
14:31 Mais grâce à ce petit truc que j'ai dans les mains,
14:37 j'arrive à modeler ce qui est difficile,
14:42 à utiliser parfois cette terre un peu grasse,
14:49 un peu sombre pour en faire quelque chose d'un peu solaire.
14:51 Et c'est pas mal.
14:53 J'ai de la chance.
14:54 Moi, je considère que j'ai beaucoup de chance à avoir ce truc là.
14:57 Donc, si pour ça, n'empêchez jamais vos dessins, vos enfants,
15:02 de dessiner à l'école ou ailleurs,
15:04 qu'ils aient toujours une activité culturelle parce que ça vous sauve tout le temps.
15:08 - Vous avez eu peur, d'ailleurs, à la sortie de ces attentats
15:13 qui ont été perpétrés, que le caricaturisme s'arrête ?
15:18 - Ah, que la caricature s'arrête ?
15:22 - Oui. - Pour les autres ?
15:24 - Oui.
15:25 - Vous savez, quand on est dans cette situation-là,
15:27 déjà, on pense à essayer de se sortir soi-même de la situation.
15:31 Enfin, c'est pas forcément soi-même,
15:33 mais moi, la première question, c'était de savoir si j'allais continuer à dessiner.
15:37 Et j'ai pensé que j'allais...
15:41 J'ai dit que j'allais pas...
15:43 J'avais pas...
15:44 Au tout début, on s'était réunis,
15:47 et puis j'avais dit que je pourrais pas dessiner dans le journal d'après.
15:54 Et en fait, j'ai été le premier à le faire.
15:57 Donc...
15:58 On ne sait pas ce que ça...
16:04 On se débrouille avec ce qu'on a comme outil.
16:09 Et...
16:11 Moi, je...
16:13 J'ai pas su tout de suite que j'allais arrêter le dessin de presse.
16:18 Je sais maintenant que j'y reviendrai un peu.
16:20 Mais que ma curiosité que j'avais comme dessinateur de presse...
16:26 Et je précise dessinateur de presse, parce que dessinateur de presse, c'est vaste.
16:29 C'est pas forcément caricaturisme.
16:31 Caricaturisme, c'est un centième de mon travail.
16:34 C'était un centième de mon travail.
16:35 C'est-à-dire reporter, illustrateur, dessinateur de bande dessinée, de strip...
16:42 Tout ce qu'on veut, ça.
16:43 Dessinateur, c'est un...
16:46 C'était...
16:47 C'est quelque chose qui restait malgré tout en moi,
16:51 que j'allais continuer à porter.
16:54 Et finalement, plutôt que de faire...
16:57 Plutôt que de faire plusieurs dessins sur plein de sujets différents,
17:03 finalement, on embrasse un sujet et on parle de la société en tant que tel.
17:07 Et puis, on fait des bouquins de 300 pages.
17:09 - Ça représente quoi le dessin pour vous, alors, aujourd'hui, Yves ?
17:12 - Ça représente une respiration.
17:14 Comme la musique.
17:15 Avec la musique, j'expire.
17:16 Avec le dessin, j'inspire.
17:19 - C'est bien dit.
17:20 Je croyais que vous êtes coach de vie un peu.
17:22 - Ah oui, oui, c'est ça.
17:23 C'est peut-être mon nouveau métier, si je peux...
17:26 En tout cas, peut-être que ça gagne plus que les vendants, j'ai l'impression.
17:30 - Dans cet ouvrage, vous déconstruisez l'homme d'hier pour inventer l'homme de demain.
17:34 Quelle dose de machisme et de...
17:37 Et de testostérone, alors, constitue l'homme que vous êtes ?
17:41 - Alors, il y a un truc, c'est quand on parle de...
17:45 Alors, quand on parle de testostérone...
17:47 En fait, qu'est-ce que c'est que la testostérone ?
17:49 C'est un truc qui vous fait pousser les poils.
17:50 Alors ça, moi, j'ai des poils qui poussent, là.
17:54 J'ai décidé de les garder.
17:55 Je trouve ça assez bien.
17:57 Mais c'est aussi...
18:00 Je crois que mon problème, c'est pas la testostérone, c'est la virilité.
18:03 C'est ce qui m'intrigue et qui m'inquiète le plus.
18:06 C'est-à-dire, qu'est-ce qu'il y a de viril en moi ?
18:10 Ou qu'est-ce qu'il y a de viril qui me déplait en moi ?
18:14 Par exemple, ça m'arrive de faire du mansplaining,
18:16 c'est d'interrompre une discussion.
18:22 J'essaye de faire attention à ça.
18:24 Il y a un truc aussi, c'est que quand j'étais...
18:28 Je me suis rendu compte que je pissais la porte ouverte des toilettes,
18:32 exactement comme le faisait mon grand-père.
18:34 Et là, je me suis dit que là, il y avait un problème.
18:38 Est-ce que c'est une question génétique ?
18:40 Est-ce que c'est une question hormonale ?
18:41 Ou est-ce que c'est juste parce que je reproduis le patriarcat
18:45 que j'avais en face de moi quand j'étais gamin ?
18:49 Et c'est peut-être un des points de départ du bouquin.
18:52 La réponse, c'est quoi, alors ?
18:54 La réponse, c'est que j'ai encore du boulot.
18:56 La réponse, en tout cas, c'est que je ferme la porte.
18:58 Ça, c'est sûr.
18:59 Maintenant, je ferme la porte.
19:00 Et que votre grand-père est quand même un petit peu en vous, quoi ?
19:04 J'espère pas trop, quand même.
19:06 Plus trop.
19:07 Bon, il y a des sous-entendus, évidemment, très drôles dans cet ouvrage.
19:10 Et on se rend compte que c'est pas simple d'être un homme.
19:13 C'est vrai, non, mais on découvre des choses.
19:15 On découvre que vous devez vous raser tous les jours,
19:17 qu'il faut avoir la plus grosse bagnole,
19:19 qu'il faut être puissant avec ses collègues,
19:20 endurant avec sa femme,
19:22 que vous affrontez le féminisme, l'égalité des sexes,
19:24 les jeans slim.
19:26 Oui, alors pour certains hommes, c'est ça.
19:28 Pour certains hommes, c'est ça.
19:30 C'est clair.
19:31 Alors après, c'est...
19:34 J'utilise ce côté "male tears",
19:36 c'est-à-dire les hommes qui pleurnichent sur leur sort.
19:39 Je le tire jusqu'à la caricature.
19:44 Aussi, parce que dans mon histoire,
19:47 j'avais envie que cette pandémie
19:52 fasse exploser un des tabous de la virilité,
19:55 qui est le fait de pleurer en public.
19:58 Et c'est vrai que les hommes, ça pleure.
20:00 Enfin, je veux dire, ça fait partie en tout cas
20:02 des trucs très compliqués pour pas mal de mecs.
20:05 Moi, je suis un mec qui pleure.
20:06 Mais je pleure, mais...
20:07 Enfin, c'est pas que j'adore pleurer,
20:09 mais c'est que la musique m'aide beaucoup, par exemple.
20:12 Ça permet de faire sortir énormément de choses.
20:16 Et je conseille...
20:18 Alors, merde, je suis en train de me transformer en coach de vie.
20:21 Mais je conseille vraiment à tous les mecs
20:23 de non seulement pleurer,
20:26 mais de pleurer devant les gens qu'ils aiment.
20:28 Ça, il y aurait toujours quelqu'un pour vous dire
20:30 "C'est pas grave", etc.,
20:31 qui vont vous prendre dans les bras.
20:34 Et...
20:37 C'est...
20:39 Pour les hommes, ça va, en fait.
20:42 Ça va. Faut pas déconner.
20:44 Ça va.
20:45 C'est justement, il faut pouvoir pleurer
20:47 pour être un peu moins...
20:49 Pour faire un peu moins le dur.
20:50 Faut être un peu moins...
20:51 Faut moins ressembler à une publicité pour ménènes,
20:54 pour les déodorants à la télé.
20:56 Faut être assez simple
20:59 et bedonnant dans la tête.
21:01 - Faut assumer, quoi, tout simplement.
21:02 - Et assumer !
21:03 Et assumer !
21:04 Faut plus s'assumer d'être un être humain
21:05 plutôt que d'être un homme.
21:07 Ça, c'est la base.
21:08 Et qu'en face, vous discutez avec...
21:12 En tout cas, je parle pour les masculins
21:17 qu'on connaît.
21:17 Je parle à Finkielkraut.
21:19 Je lui tends la main à Finkielkraut.
21:21 Je tends la main à BecBD.
21:23 Je vous dis "Bon, les gars,
21:24 ça va, arrêtez de pleurnicher.
21:26 Tout va bien pour vous.
21:28 Tout va bien dans votre domination."
21:30 Par contre,
21:31 peut-être que vous pouvez voir
21:34 qu'en face de vous,
21:36 les femmes vont pas vous piquer votre boulot.
21:38 Parce que votre boulot, on s'en fout.
21:40 Parce que d'être finalement des mecs
21:43 qui pleurnichent sur leur fantasme masculin,
21:45 on s'en fout.
21:46 Donc, on ne piquera pas votre boulot.
21:47 Et c'est pas une femme qui va vous piquer.
21:49 Certainement pas.
21:49 - Il y a un mot qui apparaît
21:52 que...
21:53 Non, mais que vous n'avez pas assumé auparavant.
21:56 Non, c'est le mot "colère".
21:58 - Il apparaît ?
21:59 - Oui.
21:59 - Ah ouais ?
22:00 - Il apparaît à la fin.
22:02 On le voit sur la derde de couverture.
22:04 - Oui, oui, oui.
22:05 - Et c'est marrant parce que c'est un mot
22:09 qu'on a du mal à vous associer, Luz.
22:11 - Tant mieux.
22:12 - Est-ce que ça continue, ça ?
22:13 - Oui, ça continue, oui.
22:14 - Oui ?
22:15 - Oui, oui.
22:16 Je...
22:20 Parfois, ça me...
22:22 Parfois, ça me rend...
22:26 très songeur de ne pas réussir à trouver beaucoup de colère.
22:30 J'y arrive pas.
22:31 C'est pas mon truc.
22:34 Ça a été mon truc.
22:36 J'ai pu être un homme colérique.
22:39 Mais un homme colérique au sens masculin aussi du terme.
22:44 Et ça, je m'en suis soigné.
22:47 Par contre, être un être humain colérique,
22:49 je suis pas sûr que ça soit utile.
22:51 En tout cas, moi, ça m'aide pas, en fait.
22:53 Le problème de la colère, c'est qu'après,
22:57 une fois que vous avez passé votre colère sur quoi,
23:00 ou qui que ce soit,
23:02 on se sent pas très bien.
23:04 C'est comme une branlette à vide, en fait.
23:06 Ça sert à rien.
23:08 Ça sert à rien.
23:09 Voilà.
23:10 - Je vous crois sur parole.
23:11 - Je sais pas pourquoi j'ai dit ce mot.
23:12 - Non, je sais pas.
23:13 Mais en tout cas, je vous crois sur parole.
23:16 En même temps, vous pointez du doigt le fait qu'il faut quand même garder un équilibre,
23:19 que ça peut pas non plus basculer vers un déséquilibre de l'autre côté.
23:23 C'est important, ça, de le préserver.
23:26 Du fait que les femmes non plus ne peuvent pas prendre, occuper toute la place.
23:30 Il faut savoir chacun avoir une part et partager le gâteau, entre guillemets.
23:34 - Ouais, non, non, non, non, non.
23:36 Je pense que les femmes peuvent prendre plus de place.
23:39 Enfin, je veux dire, il y a encore de la marge.
23:42 Il y a encore largement de la marge.
23:44 Non, non.
23:44 - Il y a beaucoup à faire.
23:45 - Ah non, il y a beaucoup à faire.
23:46 Non, non, non, c'est pas faux.
23:47 C'est pas forcément de rester chacun de son côté.
23:49 Puis, je dirais que d'une certaine manière,
23:54 je suis pas contre un déséquilibre femmes-hommes, en fait.
23:58 Je pense, pendant un certain temps, juste un certain temps,
24:01 juste pour voir que ça change.
24:02 En fait, c'est aussi dans la BD, il y a aussi ce truc là.
24:04 C'est-à-dire que tout d'un coup, on découvre que moins de testostérone
24:09 et tout d'un coup, il y a peut-être un peu moins de violence,
24:11 un petit peu moins de pression,
24:13 un petit peu moins de pression sociale sur la société elle-même.
24:16 - Moins d'accès de vitesse aussi, vous dites.
24:17 - Moins d'accès de vitesse, peut-être.
24:19 Et moins de gens qui vous traitent d'enculés.
24:24 C'est les hommes qui traitent les gens d'enculés, d'ailleurs.
24:27 - Que signifient pour vous aujourd'hui les mots "liberté" et "insouciance" ?
24:31 - Est-ce que vous avez déjà regardé un peu de près ou de loin ?
24:34 Enfin, longtemps, un gamin qui dessine.
24:37 - Oui.
24:38 - Très longtemps. C'est très fascinant.
24:41 Pourquoi ? Parce qu'on a l'impression que justement,
24:43 il y a de la liberté et de l'insouciance.
24:46 Mais moi, je me rappelle un petit peu quand j'étais gamin
24:48 et que je dessinais très longtemps.
24:49 Vous savez pourquoi on dessine ?
24:51 C'est pour pas qu'on vous fasse chier.
24:53 Je pense que la liberté est dans le dessin,
24:55 mais pas toujours pour les mêmes raisons.
24:58 - Et donc, on y trouve aussi l'insouciance.
24:59 Pour terminer, que représente "testostérore luce" pour vous ?
25:03 - Qu'est-ce que ça représente ?
25:06 J'aimerais bien que ce bouquin,
25:07 qui est quand même un bouquin, qui est quand même une comédie graphique.
25:12 Donc, c'est quand même un truc très marrant.
25:13 C'est quand même un truc assez rigolo, tout ça.
25:15 Mais que soit pris un tout petit peu de biais par quelques personnes
25:22 pour se dire "tiens, finalement, Jean-Pat, je le connais, il est là.
25:26 Ah, peut-être finalement, Jean-Pat, c'est mon nom.
25:28 Peut-être finalement, Jean-Pat, c'est moi-même.
25:30 Peut-être finalement, il y a des Jean-Pat un petit peu tout autour de nous.
25:34 Et Jean-Pat, mon personnage, là, lui, finalement, c'est pas un méchant.
25:39 Finalement, ils se déconstruisent.
25:40 Finalement, ils construisent un autre homme.
25:43 Un autre homme est possible.
25:45 - Merci beaucoup, Luiz, d'être passé dans le monde des Lodi sur France Info.
25:49 "Testostérore" vient donc de sortir chez Albain Michel.
25:52 C'est passionnant, ça fait du bien.
25:54 - Et c'est très, très long.
25:55 C'est une bande dessinée très drôle sur 300 pages.
25:57 Donc, il faut prendre...
26:00 Il y a quelqu'un qui m'a dit que ça dure une heure et demie.
26:01 Donc, c'est comme un film comique.
26:03 - Un peu plus long, quand même. Merci.
26:04 - Un peu plus long ? - Oui.
26:05 - OK. Bon, c'est comme un Godard comique, alors.
26:07 - C'est ça. Merci beaucoup.

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