• la semaine dernière
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 10 février 2025 : le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi. Il publie "Femme, vie, liberté : un reporter infiltré au cœur de la révolte iranienne", aux éditions du Rocher.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Marta Tzav et Boudi.
00:01Bonjour Elodie.
00:02Vous êtes réalisateur et grand reporter franco-afghan,
00:05réfugiée en France depuis 2015, après avoir vécu aussi dans la rue.
00:08Vous avez été fait prisonnier par les talibans le 17 janvier 2023,
00:12libéré le 18 octobre après 284 jours de détention.
00:16Vous avez obtenu le prix Bayeux des correspondants de guerre en 2022
00:19pour votre reportage Les petites filles afghanes pour survivre,
00:21diffusé sur France 2.
00:23Vous avez également reçu le prix de la Fondation Alexandre Varenne
00:26pour votre série À travers l'Afghanistan,
00:28six mois après le retour des talibans.
00:30Le prix de la liberté d'expression de l'Association internationale
00:33des presse-clubs.
00:34Le prix spécial du prix Anna Politovskaya Arman Soldin,
00:39décerné par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères en 2024.
00:42Aujourd'hui, vous publiez Femmes,
00:44Vies, Libertés aux éditions du Rocher avec Marine Courtade.
00:47Je le précise parce que c'est très important pour vous de travailler avec elle.
00:50C'est une ode à la liberté,
00:52un hommage à toutes ces femmes qui luttent pour vivre,
00:55pour survivre, pour avoir le droit d'exister,
00:57donc de rester en vie.
00:58Parce qu'il s'agit de ça.
00:59Ce livre est né au lendemain de la mort de Massa Amini,
01:03survenu le 16 septembre 2022,
01:05trois jours après avoir été arrêté pour non-respect du port du voile.
01:10Massa, pour vous, qui avez grandi dans la société iranienne
01:13jusqu'à vos 16 ans, est devenu un énorme symbole.
01:16Elle est devenue, malgré sa disparition,
01:18le cri de toute une jeunesse qui résonne dans le monde entier.
01:22Ce livre est donc un cri d'espoir ?
01:25Oui, donc en fait, en tant que journaliste ici en France,
01:28on a vu ces images publiées sur les réseaux sociaux.
01:31Donc, on a partagé, on les a likées.
01:34Mais en fait, pour moi, c'était frustrant.
01:35En tant que journaliste, pourquoi on ne peut pas y aller sur place ?
01:38Donc, moi, je pouvais aller avec un visa touriste,
01:40m'infiltrer dans ce mouvement Femme, Vie, Liberté.
01:44Enfin, j'étais le seul journaliste européen sur place.
01:46Donc, en fait, je me suis dit, c'est pas possible.
01:48C'est mon devoir d'y aller, creuser, enquêter et le raconter.
01:52Parce qu'en fait, ce mouvement, c'est vrai qu'il est né
01:54après la mort de Massa Amini, par ces femmes incroyablement courageuses.
01:58Mais il y avait des hommes aussi aux côtés de ces femmes.
02:01Et c'est pourquoi, en fait, le mouvement est devenu un mouvement historique.
02:04Et donc, en fait, on a voulu, avec Marine Courtaud,
02:06donner la parole à ces activistes de l'ombre, en fait, à ces activistes
02:10de l'ombre, comme cette graphiste, en fait, qui travaille depuis chez elle.
02:13Elle était introvertie, timide, donc même en parlant à moi.
02:18Mais en fait, elle m'a dit, on se bat depuis notre chambre,
02:24ici, dans notre appartement, en fait, on n'a pas besoin d'armes, en fait.
02:28Voilà. Et notre arme, c'est notre encre, c'est notre outil de travail,
02:31notre ordinateur, notre portable, donc sur les réseaux sociaux.
02:35Donc, en fait, on a voulu donner la parole à ces femmes
02:37incroyablement courageuses qui se battent, qui inventent,
02:41qui forment d'autres résistances.
02:44Aujourd'hui, en fait, des gens avec des obéissances civiles
02:50et de plus en plus des femmes sortent dans les rues sans le foulard.
02:53Elles organisent des soirées clandestines, des théâtres clandestins.
02:57Et donc, on voit bien qu'en fait, le mouvement Famille Liberté n'est pas éteint.
03:00D'ailleurs, vous avez été arrêté vous-même le 7 janvier 2023
03:04par les talibans en Afghanistan lors d'un reportage accusé,
03:08justement, d'espionnage pour les services français.
03:11Vous avez été libéré 284 jours plus tard, le 18 octobre 2023.
03:18Vous avez encore du mal à dormir aujourd'hui, Mortadza.
03:20Ce qu'il y a dans ce livre, justement, c'est du vécu.
03:23Est-ce qu'on peut sortir de ces souvenirs de torture,
03:27de conditions de détention inhumaines ?
03:32En fait, c'est très difficile, c'est douloureux pour moi,
03:37parce que je suis né en Afghanistan, j'ai grandi en Iran.
03:40Vous parlez en fumée, en fait, on est obligé de fumer.
03:42Donc, en fait, ils ont fouillé l'Afghanistan à l'arrivée des talibans en 1996,
03:47le premier régime des talibans.
03:49Et donc, en fait, je suis retourné en Afghanistan en 2012
03:52pour étudier, pour travailler en tant que journaliste à Kaboul.
03:55Et donc, en fait, moi, je reçois beaucoup de messages des femmes
03:59et des jeunes filles iraniennes et afghanes.
04:02On me dit, en fait, il ne faut pas nous oublier.
04:05Il faut en parler quand ils voient un tweet,
04:08quand ils voient, en fait, une publication sur les réseaux.
04:11Ça leur donne un espoir pour dire qu'en fait, on n'est pas oublié par l'Occident.
04:15On n'est pas oublié, en fait, par la communauté internationale.
04:18Et donc, en fait, moi, je continue à me battre
04:22pour que leur voix soit entendue et qu'en fait,
04:26ça me donne aussi de l'énergie de ne pas penser à mes cauchemars
04:30toute la nuit, ne pas penser au quai d'hommage où je dois aller voir
04:34mon psychologue, mon psychiatre.
04:35Enfin, je vois deux psychologues et une psychiatre par semaine.
04:39Et donc, c'est difficile, oui, mais moi, je préfère continuer, en fait,
04:44à en parler, à faire de reportages.
04:46De faire taire les femmes, ça représente quoi, selon vous ?
04:49Le fait de vouloir
04:52les plonger dans du mutisme,
04:55Murtadza, c'est quoi la symbolique de tout ça ?
04:58Au-delà de la symbolique religieuse qui, finalement, n'existe pas réellement
05:01dans les textes et quand on lit les sourates, clairement,
05:04parce que la femme, c'est l'avenir de l'homme ou pas ?
05:09Selon vous ?
05:10Tout à fait, mes amies, elles me disent que Murtadza,
05:14c'est le seul homme afghan féministe.
05:17Ça n'existe pas, c'est parmi les hommes afghans, enfin, on m'a dit.
05:20Et donc, en fait, ils ont peur, le régime,
05:24c'est le régime taliban ou le régime iranien, ont peur des femmes
05:28parce qu'en fait,
05:30loin de tous les discours politiques,
05:36cette fille m'a dit, en fait, le fait de ne pas porter le foulard
05:40fait mal à personne, c'est vrai.
05:43Pourquoi, en fait, ils sont obligés de porter le foulard ?
05:45Pourquoi ils sont obligés de rester chez elles ?
05:48Aujourd'hui, avec la charia qui représente, en fait, entre guillemets,
05:51la charia des talibans, la charia du régime iranien,
05:55il fait même, en fait, les talibans en train de créer une radio
05:58qui s'appelle la voix de la charia pour inviter les parents
06:01à envoyer leurs enfants dans les écoles coraniques.
06:03Donc, ça veut dire, en fait, l'avenir, c'est qu'en fait,
06:06on est en train de priver, enfin, le régime taliban
06:09est en train de priver, en fait, les filles d'aller à l'école.
06:14Et donc, en fait, voilà, les enfermer.
06:16Les enfermer, c'est comme le fait, en fait, le régime iranien.
06:19Aujourd'hui, cette jeunesse a beaucoup d'espoir
06:23de voir, en fait, leur pays libre.
06:26Ils ne veulent pas, en fait, quitter l'Iran.
06:27Ils ne veulent pas, en fait, aller s'immigrer en Europe,
06:30aller venir en Occident, mais ils veulent rester, en fait,
06:34en Iran pour voir leur pays libre.
06:37Et en fait, c'est incomparable, la situation en Iran et en Afghanistan,
06:41parce qu'en fait, en Afghanistan, elles sont enfermées chez elles,
06:44les femmes, les filles ne peuvent plus aller à l'école ni à l'université.
06:48Alors qu'en Iran, on voit quand même, en fait,
06:52des obéissances civiles qui, de plus en plus,
06:55répand, en fait, partout dans le pays,
06:59à Ispahan, à Téhéran, à Shiraz, dans les grandes villes, en tout cas.
07:03Mais ce n'est pas le cas, en fait, en Afghanistan, où elles sont arrêtées,
07:06torturées, voire violées, en fait, dans les prisons talibans.
07:08Vous êtes un nom très important dans le métier
07:12pour, justement, relayer, raconter ce qui se passe sur le terrain.
07:16Ce métier, il apporte quoi ? Il vous apporte quoi, finalement ?
07:19Déjà, en fait, il faut changer pour changer.
07:22Moi, quand je suis arrivé en France, en fait, à l'époque,
07:25en 2015, il y avait certains journaux en France,
07:28en 2015, ils parlaient, en fait, de la crise syrienne.
07:31Ils parlaient, en fait, de les bateaux arrivent, ils arrivent.
07:34Enfin, ces titres me choquaient moi-même, alors que j'étais un demandeur d'asile.
07:37Enfin, ils faisaient peur à moi, alors que j'étais un demandeur d'asile,
07:40ces titres des journaux, enfin, quelques journaux que j'ai lisés.
07:45Et donc, en fait, pour moi, c'était, en fait,
07:49il faut absolument changer, en fait, le regard sur ces pays de guerre,
07:53sur ce sujet de l'immigration.
07:55Aujourd'hui, c'est crucial d'humaniser le trajectoire de ces personnes-là,
07:59en fait, qui quittent leur pays à cause de la guerre,
08:01de l'opinion politique, d'opinion religieuse, d'autres.
08:04Donc, en fait, pour moi, c'est de témoigner, en fait, l'invisible.
08:10C'est d'eux, en fait, de donner la parole à ces personnes qui,
08:13à ces gens qui n'ont pas, en fait, ces personnes réfugiées,
08:17cette jeunesse en Iran ou en Afghanistan,
08:20aller, en fait, voir, parce qu'on ne peut pas comprendre la réalité
08:25sans les voix locales et les reporters locaux.
08:28Et c'est pourquoi, en fait, je continue encore d'aller, en fait,
08:33d'aller témoigner, en fait, et donner la parole à ces personnes-là,
08:37parce que c'est à la fois, en fait, être entendu.
08:41Moi, j'étais à la rue.
08:42Vous dites qu'en fait, j'étais, j'ai passé deux mois et demi, en fait, à la rue,
08:46à Paris, en fait, où la ville, je croyais que, voilà, c'est la ville,
08:50la plus belle du monde.
08:52Et je n'imaginais jamais, en fait, rester à la rue, SDF,
08:57sans douche. Et donc, en fait, personne ne voulait m'entendre.
09:02Parce que les gens, ils pensaient qu'en fait, je demande de l'argent.
09:05Mais pas du tout, en fait, je voulais être entendu.
09:06Et un soir, un bénévole est venu vers moi, du reste du cœur,
09:10où je mangeais, en fait, tous les soirs.
09:11Il est venu vers moi en me demandant, monsieur, pourquoi vous êtes là?
09:15Pourquoi vous ne nous parlez pas?
09:16Vous prenez votre sub, vous êtes assis, en fait, à côté.
09:20Je dis, enfin, parce que je ne parle pas la langue.
09:22Enfin, j'ai répondu en anglais et tout de suite, elle m'a compris.
09:24Elle m'a, enfin, elle m'a écouté.
09:26J'ai raconté en une demi-heure toute mon histoire.
09:29J'avais besoin de ça, en fait, d'être entendu, en fait.
09:33Ça va changer?
09:35Ah ben, ça va changer, oui.
09:37J'ai vu ça, en fait.
09:38J'ai vu ça.
09:39Parce que c'est ce qu'on lit dans le regard et dans les trajectoires que vous nous racontez.
09:42C'est le changement, l'envie de s'élever contre ça.
09:45C'est ça, en fait. Aujourd'hui, moi, j'ai vu avec, je vous donne un exemple.
09:49Concret, c'est pas la première fois que je me suis infiltré, en fait, dans un mouvement ou ailleurs.
09:55Je me suis infiltré aussi au camp de réfugiés de Lesbos, qu'on en a parlé.
09:58Pendant très longtemps, on parlait justement des conditions d'immigrés.
10:01Voilà, d'immigrés.
10:03Pendant le Covid, en 2020, le camp construit en 2015 pour 2500 personnes
10:07hébergeait plus de 20 000 personnes, réfugiées, dans un seul camp.
10:10Où, en fait, elles étaient enfermées de force à cause du Covid.
10:13Je suis allé là-bas, le 16...
10:15Vous avez dormi dans une tente?
10:16Dans une tente, pendant plusieurs mois, où je racontais les conditions de vie
10:23devenue un bidonville, en fait, ce camp, depuis l'intérieur du camp.
10:26Alors qu'en fait, la police grecque m'a accusé de représailles et allait m'arrêter.
10:34Moi, je me suis caché dans les tentes sur place.
10:37Donc, en fait, l'envie, c'est de raconter, en fait, de voir ce qui se passe aujourd'hui.
10:43Parce que la liberté de la presse est de plus en plus menacée.
10:46Même en Europe, on le voit.
10:48Moi, j'ai vu, en fait, en Grèce, quand on parle sur les refoulements illégaux en
10:53mérégé, les conditions de réfugiés.
10:55On voit ça en France, par exemple.
10:57On a vu avec les élections présidentielles en 2017, de plus en plus aujourd'hui,
11:01quand on fait une enquête, on est arrêté, on est demandé, je ne sais pas, au tribunal.
11:09Et donc, en fait, c'est bien sûr, en fait, dans ces pays, en Iran, en Afghanistan,
11:15où tout est censuré aujourd'hui, le fait de diffuser l'image d'êtres vivants est un crime.
11:21En Afghanistan, le fait de photographier et filmer est interdit dans certaines provinces
11:29aujourd'hui, en Afghanistan.
11:30Aujourd'hui, les caméras surveillance sont de plus en plus utilisées pour repérer les dissidents.
11:38Aujourd'hui, les talibans sont connectés, sont partout sur les réseaux sociaux.
11:42Le régime iranien a créé aussi un cyberarme, une armée numérique pour attaquer les voix dissidentes,
11:51pour les discréditer.
11:53Aujourd'hui, ils sont en train de faire avec les enfants, la famille de Narges Mahmadi,
12:00la Prix Nobel de la paix et d'autres dissidents qu'aujourd'hui sont en train de chanter,
12:04en fait, s'afficher sur les réseaux sociaux, sur le foulard, qui chantent sur les réseaux sociaux.
12:08Donc, ces régimes-là sont en train de créer une armée numérique pour discréditer les voix dissidentes,
12:14pour dire qu'en fait, regardez, ce n'est pas vrai.
12:19Donc, on a besoin de journalistes locaux, on a besoin de travailler avec ces journalistes locaux.
12:24On a besoin aussi d'aller vers ces voix locales, aller les entendre et leur donner la parole, bien sûr.

Recommandations