L'éditrice et autrice Vanessa Springora est ce lundi l'invitée de Sonia Devillers. Son deuxième livre évènement, "Patronyme", vient de paraître aux éditions Grasset. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-06-janvier-2025-7761605
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00:00Il est 7h49, Sonia Devillers, votre invitée, et l'autrice de Patronyme qui paraît aux
00:09éditions grassées.
00:10Bonjour Vanessa Springora, le consentement, le court récit dans lequel vous racontez
00:16comment vous êtes devenue la proie de l'écrivain Gabriel Madzneff, à l'âge de 14 ans, s'est
00:20vendu à 300 000 exemplaires.
00:22Le film qui en a été tiré a connu un succès fulgurant auprès notamment des jeunes filles
00:27de cet âge-là.
00:28La France entière connaît votre nom, Springora, et pas vous ?
00:32C'est vraiment une magnifique entrée en matière, vous avez raison, c'est le point
00:39de départ de ce livre, l'enquête sur l'origine de ce nom que je porte, et qui est le nom
00:46de mon père, mais aussi le nom de mon grand-père, et quand le consentement est sorti, effectivement
00:50il m'est arrivé d'avoir un petit décalage, une sorte de sentiment pas d'imposture, d'illégitimité
00:57quand je voyais mon nom écrit sur la couverture de mon livre, j'avais un sentiment d'inquiétante
01:01étrangeté, quelque chose qui ne m'appartenait pas complètement, et j'ai senti qu'il était
01:08temps de faire une enquête pour comprendre pourquoi j'avais ce sentiment.
01:11Alors vous n'avez pas senti ça toute seule, c'est-à-dire qu'un événement aussi foudroyant
01:16est arrivé à ce moment-là, le consentement paraît, vous êtes en route pour la grande
01:19librairie, François Bunel vous attend en plateau, le commissariat appelle dans le taxi
01:24pour annoncer qu'on a retrouvé votre père mort, votre père que vous n'aviez pas vu
01:29depuis des années, et vous pensez, à ce moment-là, dans le taxi Vanessa Springora, que vous l'avez
01:35tué, que votre livre l'a tué, pourquoi vous pensez ça ?
01:38À plusieurs titres j'ai eu ce sentiment, d'abord parce qu'il était un personnage
01:43secondaire du livre, et j'en faisais un portrait qui n'était pas très aimable on va dire,
01:48qui correspondait à l'image que j'avais de lui tout simplement, un père qui m'avait
01:52toujours abandonné, négligé, qui avait été assez, même parfois sadique, d'un point
01:58de vue psychologique, et donc c'est quelqu'un qui avait été extrêmement toxique, mais
02:02aussi parce que je pense que la littérature a un pouvoir, qu'on peut tuer aussi avec
02:10des mots, en tout cas lui je pense qu'il est mort plutôt sous le poids du silence,
02:15et c'est ce silence-là qui était le non-dit de son propre père que j'ai voulu...
02:21Voilà, parce que vous vous retrouvez à vider l'appartement de votre père, qui est un petit
02:27bordel d'une crasse et d'une puanteur innommable, cet homme se clochardisait depuis des années,
02:35et puis vous retrouvez deux photos, deux photos de votre grand-père que vous avez très bien
02:40connu, que vous adoriez quand vous étiez petite, qui était peut-être ce papa de substitution
02:43puisque votre père ne s'occupait pas de vous, et sur ces deux photos, Joseph, votre grand-père,
02:50il porte des insignes, l'aigle impérial et la croix gammée. Donc c'est le début de cette enquête
02:55qui va vous emmener un peu partout dans l'Europe de l'Est et au tréfonds des archives. Qu'est-ce
03:01que vous saviez de ce grand-père ? Ce que je savais de lui, c'était effectivement d'abord
03:06le souvenir que j'avais de cet homme qui s'est, comme vous l'avez dit très bien, beaucoup occupé
03:10de moi quand j'étais petite, qui était extrêmement présent, extrêmement doux et tendre, qui avait un
03:15accent très marqué, qu'on m'avait toujours présenté comme un accent tchèque, puisque la
03:21version officielle de la famille était qu'il était un émigré tchèque. Et je savais qu'il avait
03:27eu une vie avant, mais je n'ai pas eu le temps de lui poser ces questions-là, parce qu'il est mort
03:31quand j'avais 11 ans, un âge où on ne pose pas de questions à ses grands-parents sur leur passé. Et
03:36je savais ensuite qu'il était un simple citoyen tchécoslovaque qui avait été simplement enrôlé
03:44de force dans l'armée allemande, comme c'était le cas de beaucoup de citoyens de ce pays au moment
03:49de l'annexion de l'Allemagne. Ce qui n'est pas en réalité, parce que oui, c'est la Tchécoslovaquie,
03:54mais ce sont les Sudètes. Les Sudètes, c'est la partie germanophone de la Tchécoslovaquie,
03:59donc il est de culture allemande, il parle parfaitement en allemand, il est même plus
04:03de culture allemande que de culture tchèque. Et en réalité, vous remontez l'histoire d'un
04:07policier pendant la guerre, d'un policier des Sudètes. Oui, alors ça finalement, ce sont des
04:12choses que j'ai découvertes au fil de mon enquête. C'est-à-dire que je croyais que la langue
04:17maternelle de mon grand-père était le tchèque, en réalité c'était l'allemand. Ça, c'était une des
04:22premières découvertes, puisque les courriers que j'ai trouvés chez lui, qui étaient ceux que son
04:25frère lui envoyait de l'autre côté du rideau de fer pendant des décennies, étaient effectivement
04:29écrits en allemand. Ça, ça a été évidemment une première découverte, un premier séisme. Et je
04:36pense que c'est l'origine de tout. C'est-à-dire que quand on est dans une culture donnée,
04:41qui est une culture en l'occurrence germanophone, en l'occurrence même en étant un citoyen
04:47tchécoslovaque, le sentiment d'appartenance va à la communauté linguistique. Et c'est ce qui l'a
04:53précipité dans les bras effectivement des nazis, qui a fait qu'il a été embrigadé très jeune,
04:58notamment par le sport, qu'il s'est retrouvé ensuite à s'enrôler dans la police, avant même
05:04l'annexion de son pays par les Allemands. Donc il y a eu une vraie adhésion. Et quel est le rôle d'un
05:07policier du Troisième Reich ? Quel est le rôle d'un policier du Troisième Reich pendant la Seconde
05:12Guerre mondiale ? Est-ce qu'un policier du Troisième Reich, un simple policier, participe de
05:16près ou de loin à l'extermination des Juifs ? Alors ça a été le constat de la majorité des
05:21historiens aujourd'hui, notamment de Christopher Browning, que je cite dans mon livre, c'est que la
05:25police de l'ordre a activement collaboré à la déportation et à l'extermination des Juifs
05:31d'Europe. Elle a prêté main-forte notamment au Einsatzgruppen, c'est-à-dire qu'elle a participé
05:36à la Shoah Parmal. Et ça a été absolument terrible pour moi de découvrir que mon grand-père avait
05:42été formé au métier de policier dans un des instituts de formation qui a envoyé un certain
05:48nombre de commandos, notamment en Ukraine et en Tchécoslovaquie. Voilà, donc je ne pourrais
05:54jamais savoir, parce qu'énormément d'archives ont été détruites, je ne pourrais jamais savoir si
05:59mon grand-père a participé, a fait partie de certains de ces bataillons. Mais je sais qu'il
06:03en a été très près. Qu'est-ce qui fait le plus de ravages Vanessa Springera ? Le nom dit ou le passé
06:09nazi dans une famille ? Je pense que le nom dit, c'est aussi une des dimensions de ce texte,
06:17évidemment raconter cette histoire dont nous venons de parler, mais aussi les répercussions sur mon
06:21père qui a grandi avec ce père qui portait un nom d'emprunt, puisque mon grand-père a changé
06:28son identité. Son véritable nom était donc Springer, qui était un nom allemand. Il a changé son nom à
06:32la Libération, de manière à reconstruire sa vie ici, mais aussi à probablement se blanchir d'un
06:39passé qui était embarrassant. Et il n'en a jamais parlé avec ses deux fils. Mon père, qui était le
06:45premier enfant, l'aîné, le premier donc à porter ce nom inventé. Votre père lui-même attiré par
06:51l'extrême droite dans sa jeunesse ? Oui, mais ça je pense que ça a été une façon de tendre un
06:55miroir à son propre père pour essayer d'obtenir de lui un récit de vérité qui lui raconte enfin
07:01d'où il venait et pourquoi, la raison du changement de son nom. Et la généalogie du mensonge dans cette
07:07famille, parce que votre père est un menteur patenté, parce que votre père est un mythomane
07:12pathologique. Il ment sur ses origines, il ment sur ses jobs imaginaires, sur ses relations, sur
07:18ses fonctions sociales. Il ment surtout, il ment sur sa sexualité. Il planque son
07:23homosexualité depuis toujours. Vous héritez de ce mensonge en cascade ? Oui, c'est d'ailleurs
07:31un des objectifs évidemment de ce livre, c'est de rompre avec cette longue chaîne de silence et de
07:37mensonges et de récits fictifs. Je préfère d'ailleurs la notion de fiction que celle de
07:42mensonge, parce que je pense qu'il y a aussi quelque chose... Parce que vous êtes écrivaine ? Oui, sans
07:47doute, mais parce que je crois que ces fictions-là, elles ont permis à certaines personnes de vivre. En
07:52tout cas, elles ont permis à mon grand-père de refonder une famille et de donner naissance à
07:57ses deux fils. Et finalement, à moi, je ne serais pas là s'il n'y avait pas eu aussi ces fictions-là.
08:03Donc c'est compliqué de porter un jugement de valeur aussi manichéen sur cette histoire.
08:08Dans le consentement, vous dites, Vanessa Aspringora, que vous avez enfermé Gabriel Madseneff dans votre petit
08:14livre. Est-ce que vous pensez aujourd'hui que Gabriel Madseneff vit en cage, enfermé dans
08:20vos pages ? Je l'espère. Dans la postérité, oui. Et avec ce nouveau livre, Le Patronyme, vous libérez
08:30votre père du poids du silence ? Je l'espère aussi, mais en l'occurrence, il s'agit plus d'un livre de
08:38pardon pour ce qui concerne mon père. Le Patronyme est paru chez Grasset. Merci Vanessa Aspringora.
08:45Merci à vous.