Sonia Devillers reçoit Camelia Jordana, actrice dans le film "Avant que les flammes ne s'éteignent" de Mehdi Fikri (en salles le 15 novembre). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-15-novembre-2023-4101562
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00:00 7h49, Sonia De Villere, votre invitée ce matin est actrice et chanteuse, principale
00:05 interprète du film de Mehdi Fikri, « Avant que les flammes ne s'éteignent ».
00:10 En salle aujourd'hui, où l'histoire d'une jeune femme qui devient, malgré elle, un
00:14 visage médiatique de la lutte contre les violences policières, et ce, après le décès
00:19 de son frère, qui un procureur s'obstine à qualifier de « mort naturelle ». Bonjour
00:25 Camélia Jordana.
00:26 Bonjour.
00:27 La ressemblance avec Assa Traoré paraît évidente, mais pas que ?
00:30 Oui, pas que.
00:32 Évidemment, pour Malika, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à des figures telles
00:39 qu'Amel Ben-Tounsi, Ramata Diang.
00:41 Amel Ben-Tounsi, il faut rappeler qui c'est.
00:43 Amel Ben-Tounsi, c'est une femme absolument extraordinaire, devenue avocate suite à la
00:49 mort de son frère, justement suite à une violence policière.
00:52 Celle-ci, comme Malika, comme on peut le voir dans le film, a choisi de se former petit
00:58 à petit, de comprendre le jargon judicier et la structure judiciaire de notre pays,
01:05 pour pouvoir elle-même ensuite être diplômée, être avocate et défendre elle-même son
01:10 frère face à la justice.
01:11 C'est ça.
01:12 Et dans le film, au moment où la famille décide de prendre la parole, c'est votre
01:15 personnage qui est poussé en avant, c'est Malika, pas le frère, qui était prêt à
01:19 le faire.
01:20 Les journalistes préféreront une jeune femme.
01:21 Est-ce que ça raconte une nouvelle génération de femmes, des filles ou des petites filles
01:26 d'immigrés qui disent maintenant "c'est nous qui parlons, nous les filles" ?
01:29 Vous voulez dire les filles dans la vraie vie ?
01:31 Pas dans la vraie vie.
01:33 Non, non.
01:34 De quelles filles vous parlez ?
01:36 C'est-à-dire que et Assa Traoré et Amel Ben-Tounsi et ce personnage de fiction qui
01:41 est inspiré de toutes les autres.
01:43 Est-ce que ça raconte une nouvelle génération de femmes, plus jeunes, qui ne sont pas leur
01:48 mère, qui ne sont pas leur grand-mère, qui sont peut-être moins accablées, moins assignées
01:55 au silence et à la discrétion et qui osent prendre le micro ?
01:58 Je ne sais pas si c'est nouveau le fait que des femmes prennent le micro et choisissent
02:07 de mener des combats pour la justice et pour la vérité.
02:09 En revanche, ce qui est nouveau, c'est que c'est la première fois qu'on le voit au
02:12 cinéma.
02:13 Jusqu'à maintenant, il y avait des films très importants, notamment La Haine qui
02:16 est l'un de mes films préférés au monde depuis gamine.
02:19 On a vu aussi Les Misérables.
02:21 Il y a des films rares mais importants qui ont ce sujet pour thème central, les violences
02:28 policières.
02:29 En revanche, c'est la première fois qu'on voit un film comme celui-là et qu'il y
02:32 a pour personnage principal une femme héroïne.
02:35 Les autres sont des points de vue masculins ?
02:36 Oui, c'est ça.
02:38 La mère de Naël qui a été tuée par un tir policier au mois de juin et on le voit
02:46 à la fin du film.
02:47 On voit une séquence qui a énormément marqué les esprits et fait réagir sur les réseaux
02:52 sociaux.
02:53 Cette séquence où la mère de Naël est debout, le poing levé avec une torche au
02:58 bout du poing.
02:59 Ça a aussi beaucoup choqué.
03:02 Est-ce qu'on attend d'une femme qu'elle pleure plutôt qu'elle ne combatte ?
03:05 D'une femme en deuil ?
03:06 Je ne sais pas ce qu'on attend d'une femme.
03:09 En tout cas, moi, en tant que citoyenne, j'ai été bouleversée par cette image.
03:14 Ça m'a vachement étonnée à la lecture du scénario aussi.
03:21 J'étais étonnée de voir que Médificri, le scénariste et réalisateur du film, choisissait
03:27 de ne pas tomber, de s'étendre comme ça, de s'éplonger comme ça dans l'émotion,
03:34 vers les cordes, le tir à l'arme et tout ça.
03:36 Il me disait "Regarde les familles de victimes, il y a cette dignité qu'on reconnaît
03:42 chez chacune des familles des victimes, qu'on retrouve chez chaque intervenant et intervenante
03:48 des comités des familles de victimes".
03:50 Finalement, c'était un regard très juste de Médicine une nouvelle fois.
03:54 Ce film a été écrit avant l'affaire Naël, bien avant l'affaire Naël.
03:59 Il a même été tourné avant.
04:01 Au fond, à ce moment-là, vous vous êtes dit "Le film est quasi terminé, la fiction
04:07 dépasse la réalité".
04:08 Malheureusement, comme vous le dites, ce film a été tourné peut-être près de huit
04:14 mois avant la mort de Naël.
04:17 Mais il a été tourné quelques mois et quelques années après, des dizaines et des dizaines
04:24 et des dizaines et des dizaines d'autres.
04:26 Ce film existe justement parce que Média a voulu offrir un point de vue.
04:31 Le luxe du cinéma, c'est de pouvoir proposer un point de vue.
04:37 L'idée n'est pas de le substituer à celui de l'autre, simplement d'en proposer
04:42 un nouveau pour pouvoir nourrir l'espèce de kaléidoscope du point de vue de l'autre.
04:48 On a la chance en France de pouvoir être dans un pays de débat.
04:52 Moi, le débat, c'est une chose que j'adore.
04:54 Je pense que c'est extrêmement précieux.
04:56 J'adore ne pas être d'accord avec des gens, j'adore que des gens ne soient pas
05:00 d'accord avec moi.
05:01 Je pense que le cinéma peut permettre ça, peut permettre de nourrir le regard et de
05:07 nourrir le débat et l'échange.
05:08 Est-ce qu'après les débats qui ont eu lieu après la mort de Naël, est-ce qu'après
05:12 ces débats-là, fallait-il tirer ou non sur Naël ? Fallait-il criminaliser ou non
05:17 cette victime ? Ce sont des questions qu'on retrouve dans le film de Médie, Ficry.
05:22 Est-ce qu'on peut être en paix après ces débats-là ?
05:24 Vous savez, je pense que c'est vraiment mon point de vue propre et très personnel.
05:31 Mais je crois que ce genre de débat ne mène qu'à une seule chose, c'est la division.
05:36 Je pense que c'est un débat stérile.
05:39 Est-ce qu'il faut tirer ou non ? Est-ce qu'il faut donner la mort ou non ? Moi,
05:43 je suis du côté de la vie, en fait.
05:45 Donc cette question-là ne me concerne pas.
05:48 Je pars du principe que malheureusement, j'ai l'impression qu'il y a un débat,
05:54 le débat qui gagne presque, la question qui gagnerait presque serait dans les médias,
05:59 bon, alors est-ce qu'on est contre les violences policières, pour les violences
06:05 policières ou contre la police ? Mais ce n'est absolument pas ça la question.
06:08 La question c'est que fait-on de ce mal-être, de ce mal dans notre société aujourd'hui
06:15 et pas qu'en France d'ailleurs.
06:16 Mais en tout cas, aujourd'hui, on parle de notre pays.
06:18 La question c'est, bon, on voit une liste de victimes qui s'allongent, de victimes
06:23 de violences policières, mais les morts, les civils ne sont pas les seules victimes.
06:28 Les policiers et les policières sont aussi victimes de ce système.
06:32 A la fois les personnes de l'autre côté de la gâchette, mais à la fois les personnes
06:37 qui portent cet uniforme.
06:38 C'est-à-dire que quand je parle de division, je fais référence au fait que je ne crois
06:43 pas en une société qui serait structurée de telle sorte à ce qu'on se dise "alors
06:47 c'est la police contre le peuple, le peuple contre la police".
06:50 La police fait partie de la société.
06:52 Le problème étant qu'aujourd'hui, la police elle-même nous parle du dysfonctionnement
06:57 au sein même de sa structure.
07:00 Les policiers, les policières, les syndicats nous parlent de leur insatisfaction.
07:04 Et je pense que quand on voit en effet cette liste de victimes de violences policières,
07:09 cette liste de morts, cette liste d'agressions, cette liste même de mutilés, parce qu'attention
07:14 je ne veux pas qu'on pense que mon discours ne concerne uniquement que les personnes issues
07:18 de l'immigration, issues des quartiers populaires.
07:20 Il suffit de regarder toutes les victimes de manifestations.
07:25 Il n'est pas que question de couleur de peau.
07:27 Et quand on voit...
07:28 - Ce qui s'est passé pendant les gilets jaunes.
07:30 - Exactement.
07:31 Entre autres.
07:32 Et quand on voit cette liste s'allonger encore et encore, moi ça m'attriste, ça me bouleverse.
07:36 Encore une fois en République française, je ne pense pas que dans notre démocratie
07:40 on puisse faire face à une chose aussi grave et ne pas choisir de regarder le problème
07:46 et de le prendre à la racine.
07:47 - Alors qu'est-ce que ça signifie "prendre le problème à la racine" ? Parce que dans
07:51 le film, il y a ce personnage qui est interprété par le génial Samir Ghesri, mais il y a un
07:55 militant politique des quartiers qui vient voir la famille justement de la victime et
08:01 qui lance un appel à la politique pour transformer la colère.
08:05 Et vous Camélia Jordana, est-ce que vous avez confiance dans la politique pour transformer
08:09 la colère ou est-ce que vous avez confiance dans les actes citoyens, dans les initiatives
08:13 citoyennes et plus dans la politique ?
08:15 - Plutôt des deux en fait, je vous avoue.
08:17 Parce que déjà, moi je ne suis pas une élue de la République, je ne suis pas députée,
08:23 je ne suis pas un personnage politique, je suis publique depuis mes 16 ans maintenant,
08:27 donc ça fait quelques années, et je suis artiste.
08:31 Et justement, moi je suis convaincue qu'avec l'art, et je l'ai dit régulièrement et je
08:37 le répète ici, je suis convaincue que l'art permet de faire de la politique avec de l'intime.
08:42 Et même indépendamment de l'art, je pars du principe qu'on fait de la politique au
08:45 quotidien, avec chaque personne qu'on rencontre tous les jours.
08:48 - Ça se paye aussi de la part d'une artiste d'être engagée.
08:51 Vos sorties sur "il y a des milliers de gens en banlieue le matin qui sortent de chez eux
08:55 qui vont travailler et qui vont se faire massacrer", vous l'avez payé très cher, ça a déclenché
08:58 des tempêtes de polémiques.
09:00 - C'est extrêmement violent en effet.
09:03 Comme je disais, j'ai grandi devant des caméras avec des micros tendus, j'ai eu ce privilège.
09:07 Et j'ai toujours parlé de manière très libre dans les médias.
09:11 Je pense que ce qui s'est passé, c'est aussi que je me suis sentie très tranquille, très
09:16 en confiance pour aborder ce sujet-là.
09:18 Or je n'avais absolument pas mesuré à quel point ce sujet en était un brûlant et central
09:24 dans notre société.
09:25 Spontanément, j'ai parlé d'un simple sentiment, la peur, la crainte, qui n'est malheureusement
09:31 pas que la mienne.
09:33 Et je pense que ça a mené à une maladresse dans mon propos.
09:37 Ce qui a permis malheureusement à des personnes qui n'avaient pas envie d'entendre ce que
09:41 je disais à l'époque, de vider mon propos et mon discours de son sens, de le déformer,
09:46 de le transformer.
09:47 Et en effet c'était très violent parce que ça a permis à des personnes de ne pas entendre
09:53 ce que j'affirmais, ce que j'avançais, ce qui je pense mérite que chaque Français
09:58 et Française s'emparent de ce sujet-là.
10:01 Et vous savez c'est extrêmement violent quand du jour au lendemain vous êtes perçu,
10:08 reçu comme une parfaite image de l'intégration, un symbole.
10:14 Vous savez quand on vous met en couverture de l'Obs en Marianne aux seins nus, que vous
10:20 incarnez la figure emblématique française, quand vous chantez en hommage pour les victimes
10:24 au Bataclan, que du coup vous incarnez quelque chose et que c'est bouleversant pour soi d'être
10:29 à cet endroit-là dans son pays.
10:30 Et que du jour au lendemain, mais vraiment du jour au lendemain, vous êtes blacklisté,
10:35 pointé du doigt et qu'il y a un backlash et un tel déferlement de haine que moi je
10:41 ne connaissais pas depuis 15 ans que je parlais dans les médias.
10:44 Oui c'était extrêmement violent.
10:46 Mais malheureusement en plus, je vais vous dire, pas que pour moi, aussi pour toutes
10:49 mes équipes, parce que quand on parle d'un ou d'une artiste qu'on l'admire ou qu'on
10:53 le déteste, il y a des dizaines et des dizaines de personnes qui travaillent avec cette personne
10:56 et qui sont toutes autant touchées qu'elle.
10:58 - Saskia de Ville : Merci Camélia Jordana.
11:00 Le film de Médifique Rie sort en salle aujourd'hui, avant que les flammes ne s'éteignent.