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Art et designTranscription
00:00 Je suis ravie de vous retrouver
00:01 pour cette 11e édition de "Télérama Dialogue".
00:03 Je suis assunie aussi la rédactrice en chef culture
00:05 de "Télérama".
00:06 Je vous rassure, Thomas Joly est là, il vient d'arriver,
00:10 et il arrive tout de suite avec...
00:12 Il sera interrogé cette fois-ci par Fabienne Pascoe.
00:16 Donc là, vous avez vraiment un casting royal.
00:21 Le voilà.
00:23 Thomas Joly, mais je vous en prie, installez-vous.
00:28 (Applaudissements)
00:30 (...)
00:33 Je suis tout à fait ravie que Thomas Joly soit des nôtres.
00:38 Ce soir, Thomas Joly et ses allures de Peter Pan,
00:41 mais un, comme dirait ses producteurs actuels,
00:44 mais un Peter Pan à qui tout réussit,
00:47 puisque l'enfant terrible du théâtre public,
00:52 le petit prince du théâtre public, comme on peut dire aussi,
00:56 a fait actuellement un sans-faute absolument extraordinaire.
01:01 Thomas Joly, qui a été surtout connu, célèbre pour nous,
01:06 gens de théâtre depuis son horicice,
01:09 qu'il avait monté au Festival d'Avignon en 2014,
01:13 qui était une sorte de marathon théâtral
01:15 échevelé entre le théâtre de foire,
01:18 la culture pop, la démesure, le dépouillement,
01:23 le fait d'aller très tôt, le tout, enfin tout,
01:25 un plaisir absolu qui commençait à 10 h le matin
01:28 et qui finissait à 6 h.
01:30 Thomas Joly, eh bien, cette année...
01:32 -Vous avez parlé bien dans le micro.
01:34 -Oui, je l'ai tellement attendu, Thomas,
01:36 que je ne sais plus parler.
01:39 Thomas a cumulé, cette année, la recréation
01:43 et la tournée triomphale de "Starmania"
01:47 à l'automne 2022.
01:50 Il a fait une éblouissante mise en scène
01:53 du "Roméo et Juliette" de Gounod
01:56 pour ceux qui ont pu la voir,
01:58 une chose comme on n'en avait pas vue depuis longtemps à l'Opéra,
02:02 qui usait de tous les artifices de l'Opéra,
02:04 mais avec énormément d'émotion, comme il sait le faire.
02:07 Et c'est lui, vous le savez,
02:10 alors il nous en parlera comme il peut,
02:12 parce que c'est secret défense des Jeux olympiques,
02:15 mais c'est lui qui va faire les cérémonies d'ouverture
02:18 et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques,
02:22 cette année, en 2024.
02:24 Alors, Thomas Joly,
02:27 on peut dire que vous avez toujours baigné dans le théâtre,
02:30 depuis que vous êtes tout petit.
02:33 Même si vous avez voulu, à un moment,
02:35 être danseur et musicien,
02:37 vous avez très vite eu la vocation,
02:39 vous apparteniez à une compagnie de théâtre pour enfants,
02:42 vous avez pris l'option théâtre au lycée,
02:44 un bac théâtre, une licence de théâtre,
02:47 vous avez été reçu les doigts dans le nez
02:49 à l'école du Théâtre national de Bretagne,
02:52 puisque vous êtes normand,
02:53 qui était dirigé alors par Stanislas Nordet.
02:57 Patatrac, bizarrement, vous n'avez pas trop d'engagement
03:00 après la sortie de cette brillante école,
03:02 vous fondez votre compagnie avec un courage exceptionnel,
03:06 une endurance, une volonté de travailler formidable,
03:10 et puis vous avez le prix impatience, donc,
03:13 et vous accumulez jusqu'à 2016 les succès,
03:18 mais en y allant avec acharnement, toujours,
03:22 et ce sens, comme je le disais,
03:24 de la démesure et du dépouillement de la culture pop,
03:27 enfin, un théâtre populaire, vraiment populaire,
03:30 mais terriblement exigeant,
03:31 parce qu'il ne veut jamais laisser aucun spectateur de côté.
03:35 C'est un théâtre...
03:37 Quand Thomas Joly monte "Le dragon" d'Evgeny Schwartz,
03:40 qui est une pièce totalement oubliée,
03:42 eh bien, il fait en sorte que tout le monde l'apprécie,
03:45 et quand il monte une tragédie de Sénèque,
03:48 Thièstes, que très peu de gens avaient monté avant lui,
03:51 eh bien, il nous en fait un film d'action formidable.
03:56 Donc, Thomas Joly, après cette longue introduction,
03:58 est-ce que tout a été aussi facile que je l'ai dit pour vous ?
04:02 Est-ce que ça a été une ligne droite, votre vie de théâtre ?
04:06 -Merci, Fabine, pour cette introduction.
04:08 Et bonsoir à tous et toutes. Pardon du retard.
04:11 Ca a été épique pour arriver jusque-là,
04:14 mais je suis là et je suis très heureux d'être là.
04:15 Est-ce que ça a toujours été une ligne droite ? Pas du tout.
04:18 Et vous avez parlé déjà de quelques accros.
04:22 D'abord, effectivement, j'ai fait que du théâtre,
04:24 et donc, heureusement que je vis de ce métier,
04:26 parce que vraiment, je ne sais rien faire d'autre,
04:27 je n'ai rien appris d'autre,
04:28 et j'ai eu la chance aussi que mes parents acceptent
04:32 que je me lance dans ce parcours
04:34 qui est, somme toute, assez flou, quand on le démarre,
04:40 qui ne repose sur pas grand-chose,
04:42 si ce n'est du travail et puis des rencontres, etc.
04:45 J'ai commencé par un échec, moi.
04:47 C'est ne pas avoir été pris à l'option théâtre en seconde.
04:53 -Oui, mais vous vous êtes débrouillé, quand même.
04:54 -Alors, en première, ils m'ont accepté,
04:56 j'ai repassé l'audition,
04:57 mais non, j'ai raté l'audition de la seconde théâtre,
04:59 ce qui a été un drame au-delà de ne pas rentrer en seconde théâtre,
05:02 c'est surtout qu'à l'époque,
05:04 j'habitais un tout petit village de Normandie,
05:05 et que si je n'avais pas cette option,
05:07 j'étais obligé d'aller dans le lycée
05:09 qui était relié à mon village,
05:11 dans lequel je retrouverais tous les gens du collège
05:14 reliés à mon village, que je n'avais pas du tout envie de revoir,
05:17 pour des raisons de scolarité un peu compliquées,
05:20 avec harcèlement, etc.
05:21 Donc, au-delà du théâtre, c'était vraiment l'idée de me sauver,
05:25 d'avoir accès à un théâtre en ville,
05:28 parce que c'était à Rouen, cette option.
05:30 Donc, je ne l'ai pas eu, mais je l'ai eu en première.
05:32 Ensuite, comme vous l'avez rappelé,
05:34 et je crois que ça, ça a été fondateur,
05:36 c'est quand je sors de l'école du TNB en 2006,
05:39 c'est que je n'ai pas de travail,
05:41 parce que les deux compagnons qu'on retrouve
05:44 après avoir passé, vous l'avez rappelé,
05:46 une dizaine d'années de théâtre quotidiennement,
05:50 eh bien, ces deux nouveaux compagnons,
05:53 dès la sortie de l'école, dès le lendemain,
05:55 étaient la solitude et l'inactivité.
05:57 Ce qui, pour un acteur, est quand même compliqué,
05:59 parce qu'un acteur inactif, vous l'entendez, ça ne marche pas.
06:02 Et puis, un acteur tout seul, un acteur n'est jamais tout seul,
06:05 même s'il est seul sur un plateau, il n'est jamais seul.
06:07 Donc ces deux nouveaux compagnons, je les rencontre
06:10 et je ne m'y attendais pas.
06:11 Enfin, c'est pas que j'étais certain d'avoir du travail après,
06:13 c'est surtout qu'avec ce parcours de formation,
06:15 j'avais mangé du théâtre depuis toutes ces années,
06:18 dans toutes ces diverses formations,
06:20 et d'un coup, paf, chez moi.
06:22 Et donc, là, j'ai une colère qui naît.
06:25 J'ai une colère parce que je me dis,
06:26 attendez, le musicien, il peut travailler chez lui,
06:29 l'écrivain, il peut écrire, le peintre, il peut peindre,
06:32 le chanteur, il peut chanter, le danseur est obligé
06:34 d'avoir une pratique, etc.,
06:35 et moi, l'acteur, je dois attendre
06:38 qu'un metteur en scène accepte de travailler avec moi,
06:40 ait le désir de travailler avec moi,
06:42 que le rôle, ça fonctionne,
06:44 que les plannings, ça fonctionne,
06:46 et que les plannings, ça va, parce que j'avais rien d'autre à faire.
06:48 Mais en tout cas, tout un tas de choses
06:50 qui font que d'un coup, l'accès à mon métier d'acteur,
06:53 je ne pouvais pas y avoir accès.
06:54 Et j'étais très en colère contre ça,
06:56 donc, partageant cette idée avec plusieurs compagnons
06:58 et compagnonnes de mes diverses formations,
07:00 on a fondé cette compagnie.
07:02 Donc ça, ça a été un échec,
07:04 c'était difficile à vivre de sortir d'une école nationale
07:06 et de ne pas avoir de travail, et donc on s'est dit,
07:07 on va se créer notre propre travail,
07:09 non pas tellement pour avoir...
07:10 On pensait pas avoir le parcours que la compagnie a eu après,
07:13 mais au moins pour rester chaud,
07:14 pour rester actif, justement, et pas seul.
07:16 -Et en plus, Stanislas Nordet, vous avez dit, je crois,
07:19 à la fin de l'enseignement,
07:21 "Je t'ai regardé travailler, Thomas,
07:24 "et je ne sais toujours pas qui tu es."
07:26 -Et ça, je lui en ai terriblement voulu.
07:29 Je lui ai posé la question plus tard,
07:30 est-ce que c'était un coup de génie pédagogique
07:32 de me mettre très en colère
07:34 pour que je reparte bien énervé
07:36 et que, du coup, je trouve la force de faire mon propre chemin,
07:39 ou est-ce que c'était vraiment une maladresse ?
07:41 Il me dit, "Non, je pense vraiment, c'est moi,
07:42 "je voulais te motiver, tout ça."
07:44 Bon, on n'en saura jamais rien.
07:46 -Et j'en profite, Thomas,
07:47 puisque vous l'avez évoqué, pour faire une parenthèse,
07:49 parce que quand on vous voit,
07:51 vous semblez si joyeux, si dynamique, si énergique,
07:54 si plein de vie,
07:55 vous avez évoqué l'enfance harcelée.
07:58 Alors, donc il y a une résilience possible,
08:01 c'était quoi, ce harcèlement ?
08:02 -Ah ben, c'était un harcèlement au collège dû au fait...
08:06 Alors, je pouvais pas dire par rapport à ma sexualité,
08:08 parce que je ne savais rien à l'époque,
08:09 mais au fait que je sois efféminé,
08:11 au fait que j'ai ce corps, cette voix,
08:14 que je sois singulier, je crois, tout simplement.
08:17 Mais ce qui était très étonnant, au moment du collège,
08:20 qui a été donc compliqué, harcèlement,
08:22 c'est-à-dire, évidemment, moquerie,
08:23 mais aussi violence, enfermer dans les toilettes
08:26 pour vérifier si j'étais un garçon ou une fille,
08:28 enfin bon, des choses qui sont quand même très douloureuses
08:30 pour un ado, voilà.
08:33 Mais j'en suis ému, mais justement,
08:36 en fait, je me suis jamais dit,
08:38 "Bon, ben, je dois changer." Jamais.
08:40 Je me suis dit, "OK,
08:42 "ce que je suis ne correspond pas,
08:46 "ben, alors, je vais pas bouger."
08:49 Et je vais faire en sorte que ce soit autour que ça bouge.
08:51 Certainement parce que je sentais déjà,
08:53 dans mon collège de milieu rural,
08:56 moi-même venant d'un milieu rural,
08:57 avec des parents dans un petit village, etc.,
08:59 je me disais... -Vous étiez quoi, vos parents ?
09:01 -Mon papa était imprimeur à l'université de Rouen
09:03 et ma mère était infirmière.
09:05 Et je me disais, en fait, c'est étonnant que mon entourage,
09:09 enfin, l'entourage, le contexte dans lequel j'étais au collège,
09:12 n'arrive pas à intégrer que, ben oui, je m'habille comme ça,
09:15 je bouge comme ça, puis j'ai pas choisi de bouger comme ça,
09:18 je veux dire, j'ai pas pris modèle sur qui que ce soit,
09:20 ma voix, elle est comme ça, elle est comme ça, enfin, voilà.
09:22 Et je me suis dit, OK, ça va...
09:24 C'est à moi, du coup, de trouver quelque chose
09:25 qui puisse faire comprendre
09:27 qu'il faut être dans l'acceptation de chacun, de chacune,
09:29 dans sa singularité, dans ce qui le constitue,
09:32 sans être dans une forme de jugement,
09:34 redonner des outils pour que la pensée circule.
09:37 Et j'ai trouvé dans le théâtre,
09:39 non seulement un exutoire et une forme de résilience,
09:41 vous avez raison, pour moi-même, pour être singulier,
09:44 parce que je crois que le théâtre, le plateau de théâtre,
09:46 adore les singularités, n'aime que ça.
09:49 D'ailleurs, on aime les acteurs, les actrices qui sont singuliers,
09:51 qui sont singulières, les monstres qui en deviennent...
09:55 Et puis, le théâtre était un outil, je trouvais,
09:57 qui permettait ça, qui permettait de remettre...
10:00 À quoi ça sert, le théâtre ?
10:02 OK, au divertissement, OK, à l'émotion,
10:04 mais surtout à ce que la pensée circule,
10:06 qu'ainsi un spectateur, une spectatrice,
10:09 rentre chez lui après une pièce en se posant une question.
10:11 Pas forcément que le plateau donne des réponses, d'ailleurs,
10:13 parce que je pense que c'est pas son intérêt premier,
10:16 mais au moins se poser une question sur...
10:17 Ah, tiens, dans le monde, il y a ce type de personnes
10:20 ou il y a ce type de situation,
10:21 et comment moi, j'aurais fait, etc.
10:23 Pour moi, ça, c'est gagné.
10:24 Donc je pense que finalement, c'est arrivé à ce moment-là.
10:27 -Et puis, beaucoup d'amour sur manche de vos parents,
10:29 qui vous ont donné une confiance en vous énorme.
10:31 -Mes parents m'ont toujours suivi dans...
10:34 C'est folie que je leur proposais pour moi,
10:37 c'est-à-dire faire du théâtre, etc., ou la danse avant, etc.
10:41 Donc là-dessus, j'ai eu un entourage très aimant
10:44 et j'ai eu une enfance très heureuse.
10:45 Mais vraiment, encore une fois, je trouve ça émouvant,
10:47 ce qui m'a pu m'arriver au collège, etc.,
10:50 mais ça a été moteur. Voilà.
10:53 -Il y a quand même eu un déclic pour vous faire aimer le théâtre
10:55 dans votre campagne normande.
10:59 Il y a eu quelque chose, quand même.
11:00 -Alors, je me souviens de quelques spectacles.
11:03 Ma mère m'avait emmené voir un petit spectacle d'ombre chinoise
11:07 qui s'appelait "Le petit poisson noir",
11:08 où j'ai été fasciné par ce spectacle depuis 4, 5 ans.
11:11 Le cinéma, je me souviens de "Fantasia".
11:13 -D'où le théâtre d'ombre que vous utilisez parfois.
11:15 -Je crois. Je crois.
11:16 De toute façon, si on connaît bien ma vie
11:19 et qu'on regarde mes spectacles,
11:20 on retrouve des petits éléments autobiographiques
11:25 dont je ne fais pas pub ni communication,
11:28 mais qui sont quand même à l'intérieur.
11:29 D'où le théâtre d'ombre, les rubans de GRS aussi.
11:31 Je ne sais pas si on a le temps de parler de la GRS ce soir,
11:35 mais c'est une carrière qui aurait pu s'offrir à moi
11:37 si seulement, et ce n'est toujours pas le cas en 2023,
11:40 ce sport était ouvert aux garçons en compétition,
11:43 mais il ne l'était pas, j'ai donc arrêté,
11:44 mais vous verrez dans mes spectacles,
11:46 vous avez peut-être déjà vu dans certains spectacles
11:48 des rubans qui font des trucs.
11:50 Bref, voilà.
11:51 Et qu'est-ce que je voulais dire ?
11:55 Donc le théâtre, ça vient...
11:56 Le déclic, ça vient certainement,
11:59 et c'est pour ça que j'ai voulu rendre ce à quoi moi,
12:01 j'avais eu droit, ça vient certainement d'acteurs, d'actrices
12:04 qui sont venus dans le collège,
12:06 qui nous ont fait des ateliers, des rencontres,
12:09 et c'est venu vraiment par ce qu'on appelle l'action culturelle,
12:13 le service public, quoi,
12:14 et le vrai déclic, au-delà...
12:17 Donc pour être acteur,
12:19 parce que je crois que j'aimais la question de la singularité,
12:21 me transformer, jouer des rôles, etc.,
12:22 dans ma chambre, etc., depuis petit et tout ça,
12:24 mais le vrai déclic pour devenir acteur pro
12:26 et me lancer dans une démarche,
12:28 c'était Stanislas Nordet, justement,
12:30 que je découvre en seconde
12:32 dans un spectacle qu'il avait mis en scène,
12:34 donc "La dispute de Marivaux",
12:35 suivie de "Contention" de Didier-Georges Gabilly,
12:38 et pour la première fois,
12:40 alors que j'avais déjà vu plusieurs spectacles
12:42 dans l'option, etc.,
12:44 je suis éveillé à ma propre intelligence.
12:47 Alors avant, c'est pas que j'étais idiot,
12:49 quoique peut-être, je sais plus,
12:51 mais en tout cas, d'un coup, je me dis,
12:53 cet endroit qui est en face de moi,
12:55 ces acteurs, ces actrices, ce texte me fait réfléchir
12:59 en même temps que je regarde le spectacle,
13:02 et ça, c'était nouveau, et c'est Stanislas Nordet qui m'a...
13:04 Et du coup, à partir de là, j'ai voulu absolument le rencontrer,
13:06 et du coup, je suis allé au TNB, etc.
13:09 -Vous vouliez d'abord être acteur avant d'être metteur en scène.
13:12 -Mais en fait, encore aujourd'hui,
13:16 je dis que mon premier métier, c'est de jouer, d'être acteur.
13:18 -Vous jouez souvent dans vos spectacles.
13:20 -Alors voilà, bah oui, n'ayant pas de...
13:23 Non, mais voyez ce que c'est.
13:24 N'ayant pas de proposition d'acteur,
13:26 pauvre garçon, écoutez, je vais le faire moi-même.
13:29 Mais après, on en pense ce qu'on pense de...
13:32 -Vous êtes un très bon acteur. -Merci, Fabienne.
13:35 Mais j'adore ça. C'est vraiment une puissance.
13:38 -C'est quoi, le plaisir d'être acteur ?
13:45 -C'est que c'est vraiment...
13:46 Moi, je me sens vraiment comme un corps vibrant
13:50 entre la scène et la salle, comme une porte d'entrée
13:52 de la pensée d'un auteur ou d'une autrice.
13:54 Je sens vraiment que je suis un instrument,
13:56 et c'est ça qui me plaît.
13:57 Pas un instrument au service de la mise en scène,
13:59 parce que j'ai un avis assez tranché sur la mise en scène,
14:02 les metteurs en scène, en l'occurrence,
14:04 mais sur l'interprétation, le fait d'être un interprète,
14:07 et d'ailleurs, c'est là où c'est magnifique,
14:09 c'est vraiment au moment du spectacle,
14:10 les interprètes qui détiennent toute la puissance du théâtre.
14:14 Et cette puissance-là, quand on est sur une scène
14:16 devant apporter un texte,
14:19 des enjeux, une histoire, un récit,
14:20 devant une salle, c'est d'une puissance folle, quoi.
14:25 Et c'est un endroit d'existence où je me sens pleinement vivant
14:28 et pleinement libre, ce qui est d'ailleurs assez contradictoire,
14:32 parce qu'on peut se dire "C'est pas mon costume,
14:33 "c'est pas mes fringues, c'est pas mes mots,
14:35 "je me déplacerais peut-être pas comme ça", etc.
14:38 Et pourtant, je me sens pleinement moi,
14:42 alors que je joue des choses qui ne sont pas de moi.
14:43 C'est une contradiction, mais c'est réel.
14:46 -Alors c'est quoi, votre idée de la mise en scène ?
14:48 Je crois que vous êtes contre les relectures,
14:50 ce qu'on appelle les relectures du metteur en scène.
14:53 Vous êtes pour l'ADN du texte.
14:55 -Moi, je suis surtout pour l'ADN des poètes, des poétesses
14:57 et des acteurs et des actrices.
14:58 C'est-à-dire que n'oublions pas que ce théâtre, cet art,
15:03 il a plus de 2 500 ans,
15:05 et qu'il y a quelqu'un qui s'appelle le, la metteur en scène,
15:07 metteuse en scène, qui est là depuis un peu plus de 100 ans.
15:11 Hello, bienvenue dans le métier,
15:13 mais en fait, nous, les acteurs, les actrices, les poètes,
15:16 les poétesses, on est là depuis longtemps
15:17 et on s'est très bien débrouillés pendant 2 400 ans sans toi.
15:20 Donc a priori, bienvenue, vraiment, on accueille les gens,
15:23 il n'y a pas de souci, mais laisse-nous,
15:27 laisse-nous, on s'entend bien.
15:28 Normalement, un acteur a une capacité créatrice.
15:31 Les chanteurs d'opéra, vous parlez de "Roméo et Juliette",
15:34 mais j'ai fait quelques autres opéras où je suis fasciné.
15:36 Vous savez, les chanteurs d'opéra...
15:38 -Yougabal, Fantasio. -Exactement.
15:40 "Macbeth Underworld".
15:42 -Est-ce qu'on va revoir bientôt à l'opéra comique dans un mois ?
15:44 -Les répètes ont commencé hier, exactement.
15:47 Les chanteurs d'opéra, les chanteuses,
15:50 ils ont le rôle.
15:51 Vous savez que le mot "rôle" vient du mot "rouleau".
15:53 Ils ont le rôle. -Ah non, je savais pas.
15:55 Rôle et rouleau. -Exactement.
15:57 -Mais quel rapport ?
15:58 -Ils avaient le rôle.
15:59 Voilà, je vous donne votre rôle.
16:01 -Le papier. -Voilà.
16:02 Le... tac, tac.
16:04 Et donc, par exemple, Benjamin Bernheim,
16:06 qui jouait notre "Roméo",
16:07 qui était notre "Roméo" dans la production à Bastille.
16:10 En même temps qu'on commençait les répétitions de notre "Roméo",
16:12 il finissait, lui, un autre "Roméo et Juliette"
16:15 dans une autre production à Salzbourg.
16:18 Le même rôle, la même partition, le même personnage,
16:21 mais dans une autre mise en scène, dans une autre production.
16:24 Donc moi, je vais le voir, au début des répétitions,
16:25 je dis "Ça va aller, le fait que tu joues la même chose,
16:29 mais avec d'autres déplacements, d'autres directions, etc.
16:34 T'inquiète, tout va bien."
16:35 Et j'ai fait... Enfin, je le savais,
16:37 mais là, vraiment, c'était la confirmation
16:39 que l'interprète est en pleine possession
16:42 de son travail d'interprétation.
16:45 Benjamin Bernheim a le rôle.
16:48 Il est "Roméo", c'est lui qui le maîtrise.
16:51 C'est lui qui... Alors, il y a une partition,
16:53 donc il suit la partition, mais il a le rôle.
16:55 Il n'a pas besoin de moi pour avoir le rôle.
16:57 Par contre, il a besoin de moi pour qu'on se mette juste d'accord
16:59 sur des règles du jeu qui sont...
17:03 reliées à une dramaturgie, à des déplacements,
17:05 à une cohérence générale.
17:07 Et là, il a besoin de moi, on se met d'accord,
17:09 mais après, c'est lui qui a le rôle.
17:10 Moi, mon rêve, c'est de faire une distribution
17:13 d'acteurs, d'actrices, de leur dire "Voilà, toi, tu joues ça,
17:14 toi, tu joues ça, voici vos rôles,
17:16 comme dans "Le Strange d'une nuit d'été",
17:17 voici vos rôles, ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta."
17:19 Et le lendemain, d'ailleurs, c'est ce qui se passe
17:20 dans "Le Strange d'une nuit d'été",
17:21 bon, le spectacle n'est pas ouf, je crois,
17:23 dans "Le Strange d'une nuit d'été",
17:24 mais le lendemain, paf, ça joue et c'est bon.
17:26 C'est bon, parce que dans le texte,
17:28 si les auteurs et les autrices sont pertinents, pertinentes,
17:39 il y a tout qui est écrit.
17:40 Les entrées, les sorties, les enjeux, les états,
17:41 il y a tout qui est inscrit dans le texte.
17:42 Donc le metteur en scène, pour moi,
17:43 est une sorte de vérificateur.
17:45 -Donc vous servez pas à grand-chose, alors.
17:46 -Et je crois que les metteurs en scène...
17:47 -Pourtant, dans "Starmania", vous avez eu un rôle important.
17:48 -Alors...
17:49 J'ai ce mauvais jeu de mots,
17:51 mais je trouve qu'il est assez parlant.
17:52 Moi, je dis que je suis un entremetteur en scène.
17:54 C'est-à-dire que je fais l'entremise
17:56 entre un acteur qui doit être en pleine possession de ses moyens.
17:59 Par exemple, souvent, je donne comme exemple,
18:00 si c'est écrit "des larmes coulent sur mes joues",
18:02 c'est pas mon problème, moi, le metteur en scène.
18:06 Mais par contre, sorry, tu as accepté le rôle,
18:08 c'est écrit "des larmes coulent sur mes joues",
18:10 débrouille-toi.
18:11 -Pleure, mon gars !
18:13 -Pleure, mais tant que je vois pas de larmes qui coulent sur mes joues,
18:14 tu ne peux pas le dire,
18:16 puisque sinon, elle ne le dirait pas.
18:18 Le personnage ne dirait pas "des larmes coulent sur mes joues"
18:20 s'il y a rien qui coule sur tes joues.
18:22 Voilà. Après, on me prend souvent pour un...
18:24 Moi, je prends le texte premier degré tout le temps.
18:26 Et c'est assez cool, parce qu'il y a des choses, des fois,
18:28 qui sont... Genre ça, "des larmes coulent sur mes joues",
18:30 c'est une indication de l'auteur.
18:32 "Bon, là, il faut que des larmes coulent sur tes joues,
18:34 débrouille-toi, en fait."
18:36 Moi, je vérifie que ça marche. Donc l'entremise, ça, ça fonctionne.
18:38 Après, concernant "Starmania",
18:39 et évidemment qu'il y a une sorte de dramaturgie
18:43 que je prends en charge,
18:44 et évidemment que comme ça passe par moi,
18:46 la vérification ou l'entremise,
18:48 ça passe par mon prisme, qui est ce qu'il est.
18:50 Et sur "Starmania", mon travail de mise en scène,
18:53 il est réel, bien sûr.
18:54 Il y a tout un dessin scénique, une écriture,
18:57 mais il est surtout sur le livret,
18:59 sur la recomposition de ce livret,
19:02 même si on a finalement changé que 2 verbes,
19:04 "remis au présent",
19:06 qui étaient... Non, "remis au passé",
19:07 puisque c'était... Allez, pour les fans, c'était...
19:10 "C'est bientôt l'an 2000", non.
19:12 "Il est loin l'an 2000", non.
19:13 Ça, c'est notre version.
19:15 Enfin, quand on arrive en ville...
19:18 "Quand viendra", ben voilà. Merci.
19:20 "Quand viendra l'an 2000, on aura 40 ans."
19:22 Bon, l'an 2000 étant advenu,
19:24 on a juste changé à "Il est loin l'an 2000",
19:26 et on n'a plus le temps.
19:27 C'est avec Luc Plamondon qu'on a fait ça.
19:28 C'est pas moi qui décide tout seul.
19:30 Mais encore une fois, mon travail,
19:32 c'est de traduire scéniquement ce que l'auteur,
19:34 l'autrice, le compositeur, en l'occurrence,
19:36 pour un opéra, souhaite.
19:38 Donc, par exemple, Sadia,
19:40 "Regardez-moi cette chevelure, cette chevelure d'un bleu azur."
19:42 Je tortille pas 10 ans, je cheveux des cheveux bleus.
19:47 Voilà. Mais par exemple, en 89,
19:48 elle a plus du tout les cheveux bleus,
19:50 et ça pose un problème. Moi, ça me pose un problème.
19:52 C'est-à-dire que...
19:53 -Sur les mots réalistes.
19:55 -Non, mais en fait, à un moment donné, par exemple,
19:57 je vous donne un autre exemple.
19:58 J'ai joué dans "Mitrida" d'Éric Vignier qui m'a engagé.
20:00 J'étais hyper content d'être engagé.
20:01 -Pour jouer de la tragédie, Racine.
20:03 -Pour jouer Racine, exactement.
20:04 -Vous jouez très bien. -Merci.
20:07 J'étais dans le rôle de Xifares, qui était un rôle superbe.
20:10 Et à un moment donné, Xifares dit,
20:13 "Seigneur, je sais plus quoi, vous m'envoyez rougir à vos genoux."
20:17 Donc moi, qu'est-ce que je fais ? Je me mets à genoux
20:19 devant mon père, Mitridate,
20:21 joué par un certain Stanislas Nordey.
20:23 Voyez comme la vie s'amuse avec moi.
20:26 Et là, Éric Vignier arrête la répétition,
20:29 il me dit, "Mais qu'est-ce que tu fais ?"
20:31 Je dis, "Je me mets à genoux,
20:33 "puisque vous m'envoyez pleurer à vos genoux,
20:35 "peut-être que tu préfères que je me penche sur ces genoux."
20:37 "Non, mais ça, on s'en fiche."
20:39 Et j'ai trouvé ça intéressant, parce que...
20:41 Je me dis, "Donc je me mets pas à genoux."
20:42 Finalement, je me suis mis à genoux.
20:44 J'ai bien argumenté et tout ça.
20:45 Je lui ai dit, "Sinon, coupons la phrase."
20:48 Pour moi, ça n'a pas de sens de dire,
20:52 "Vous m'envoyez rougir à vos genoux
20:54 "si je me mets pas à genoux."
20:55 Et là, c'est un exemple tout bête de positionnement sur la scène.
20:57 Mais il y a des choses qui sont plus larges que ça.
20:59 Par exemple, je sais pas, "Je suis au désespoir."
21:03 C'est vachement intéressant à jouer.
21:05 Mais c'est pas mon problème. Moi, si je n'ai pas à jouer ça,
21:07 je dis à l'actrice, "Qu'est-ce que c'est, être au désespoir ?
21:10 "Qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce que tu as connu ça ?
21:12 "Est-ce que tu n'as pas connu ça ? Comment travailles-tu avec ça ?"
21:14 Mais propose, développe, crée.
21:17 Crée l'état d'être au désespoir.
21:19 C'est vachement beau de se servir
21:22 de ce que l'auteur nous a donné comme outil.
21:24 -Mais vous l'aidez pas. Vous lui dites pas.
21:26 -Bah si, je l'aide quand même. Je sais pas.
21:28 Bon, écoute, à demain. Travaille sur le désespoir.
21:31 Et j'espère que c'est convaincant,
21:32 parce que bon, je sais pas ce que ça va faire.
21:33 Non, pas du tout. Je suis très gentil.
21:35 J'accompagne, bien sûr.
21:36 Mais voilà.
21:38 Par exemple, je sais pas...
21:41 Camille, exemple.
21:42 Des fois, quand on prend un bout de réplique
21:45 et qu'on le joue au premier degré, vraiment,
21:48 c'est une puissance d'interprétation qui naît
21:52 plutôt qu'une...
21:54 En fait, voilà.
21:55 La puissance de l'interprétation
21:56 plutôt qu'une interprétation du texte.
21:59 Voilà. En fait,
22:01 lisons ce qui est écrit, jouons ce qui est écrit,
22:03 et c'est dur.
22:04 C'est dur de monter Shakespeare dans le texte.
22:06 C'est hyper difficile.
22:07 -Alors, justement, vous y avez passé 4 ans et demi,
22:10 4-5 ans.
22:11 En plus, après, vous avez joué Richard III.
22:13 -Plus que ça. Shakespeare, c'est ma plus longue relation.
22:15 -Henri VI.
22:16 Combien de temps ?
22:17 -Henri VI, on a démarré en 2009
22:20 et on l'a achevé, la création, en 2014,
22:23 le 21 juillet 2014.
22:25 Et après, on l'a joué jusqu'en 2016.
22:30 On l'a repris là, en 2022, pour 4 dates.
22:33 Donc on a passé...
22:34 -Qu'est-ce que ça a changé en vous ?
22:36 -Tout.
22:37 Tout ce que je suis en train de vous raconter, par exemple.
22:40 Vous savez, Henri VI, c'est un...
22:43 C'est immontable.
22:44 C'est-à-dire que, évidemment, c'est absurde de vouloir faire Henri VI
22:47 quand, à l'époque, j'avais soit déjà fait quelques spectacles,
22:50 trois, qui étaient...
22:52 -Il fallait que vous fassiez tourner votre compagnie
22:53 pour vivre longtemps.
22:54 -Exactement. La bonne idée,
22:56 c'est de faire l'énorme pièce immontable
22:58 qui va coûter trop cher, qui est trop longue,
23:00 dont on me disait "personne jamais viendra s'asseoir
23:02 "18 heures devant le bazar", enfin, tout ça.
23:06 Et en fait, c'est pour ça que ça a pris 5 ans et demi.
23:08 C'est que, en fait, petit à petit, avec beaucoup de malice,
23:10 on a... Enfin, malice, c'est surtout d'aide publique
23:13 et de commandes, etc.
23:14 On a réussi, par exemple, à Rouen,
23:16 il y avait les journées du patrimoine.
23:18 J'habitais Rouen, la compagnie était à Rouen,
23:20 et la ville de Rouen me dit "Vous voudriez pas faire quelque chose
23:22 "pour les journées du patrimoine ?"
23:24 Il se trouve que dans Henri VI, il y a Jeanne d'Arc,
23:26 dans la première partie.
23:28 Et donc, "Vla t'y pas", comme dirait un normand,
23:30 "Vla t'y pas, que je profite de cette commande
23:34 "pour monter toutes les scènes avec Jeanne d'Arc."
23:36 Et paf, ça, c'était fait.
23:38 Etc.
23:39 Donc voilà, on a monté le truc comme ça,
23:41 et aussi aidé par des théâtres publics, bien sûr.
23:44 Mais ça a été quand même bout de ficelle.
23:45 -Le Théâtre national de Bretagne. -Exactement.
23:47 Festival d'Avignon, la scène nationale de Cherbourg,
23:49 qui a été l'une des premières à nous soutenir, et plein d'autres.
23:52 Et quand je dis que ça m'a tout appris,
23:55 c'est que le sujet est tellement compliqué.
23:57 C'est la guerre de Cent Ans.
23:59 Tout de suite, il y a un nuage.
24:01 -C'est même plus les dates.
24:02 -Non, c'est plus. On est perdus.
24:05 En tout cas, ça démarre en 1422.
24:06 Ici, je m'en souviens, mais la guerre de Cent Ans
24:08 fait rage depuis bien longtemps.
24:10 C'est la guerre de Cent Ans, mais c'est la guerre des Deux Roses.
24:12 Pareil, gros bordel, gros bazar.
24:14 Bref, franchement, ça fait mal à la tête à tout le monde,
24:16 sauf aux historiens, qui adorent et tout ça,
24:19 mais qui sont pas très contents, parce que dans Shakespeare,
24:21 l'histoire, elle est un tout petit peu remaniée.
24:22 Bon, bref. Bon.
24:24 Et donc, le sujet est vachement complexe.
24:25 La durée, elle sera, on le savait à l'époque,
24:28 en gros, de 17, 18 heures.
24:31 C'est Shakespeare. On a beau dire ce qu'on veut,
24:33 Shakespeare, c'est une langue quand même pas...
24:35 Qui est quand même une langue très poétique, qu'on adore,
24:38 qui n'est pas une langue simple. -Vous retraduisez un peu ?
24:40 -Non. Enfin, j'ai pris la traduction de Lynn Cottony
24:42 et dans le texte, avec Lynn Cottony,
24:44 qui nous a accompagnés en répétition, bien sûr, mais...
24:46 Et Shakespeare ne présuppose aucune connaissance
24:50 dans son public.
24:52 Je rappelle qu'à l'époque, il n'y a pas la télévision,
24:55 ni la radio, ni Internet, ni télérama, d'ailleurs.
24:58 Il n'y a pas de télérama, à l'époque.
24:59 -Les pauvres. -Mais non. Ben non.
25:03 Et cette histoire, qui est une histoire nationale,
25:05 est une histoire qui, d'un coup, la scène devient
25:06 une espèce de reconstitution d'une période historique
25:09 qui se passe un peu plus de 100 ans avant les faits.
25:12 C'est comme si aujourd'hui, on faisait des spectacles
25:14 sur la Première Guerre mondiale ou... Voilà.
25:17 Et donc, il ne présuppose aucune connaissance
25:20 chez son spectateur. Et c'est très intéressant, ça,
25:22 parce que du coup, ça dit que dans le texte,
25:24 il a tout écrit.
25:25 Toutes les informations nécessaires à la compréhension
25:27 dans les six sont écrites.
25:29 Par contre, il ne faut pas les louper,
25:30 parce qu'elles sont écrites qu'une fois.
25:31 Et donc, ça demande une clarté absolue
25:35 du geste de mise en scène.
25:36 Et c'est là que ça démarre pour moi,
25:37 la question de l'évidence et de l'accès au plus grand nombre.
25:40 Ca a démarré avant, parce que je viens de là,
25:42 comme je vous l'ai dit.
25:43 C'est de me dire, OK, non, non, je suis désolé,
25:45 je ne cèderai pas.
25:46 Ce projet n'est pas immontrable,
25:50 est complètement digeste à partir du moment
25:53 où on accompagne.
25:54 Comme le fait Shakespeare, on accompagne le spectateur.
25:56 Ca ne veut pas dire qu'on lui donne la béquille
25:58 parce que les spectateurs seraient idiots.
26:00 Pas du tout. C'est juste qu'on est clair.
26:01 Dans son geste de mise en scène,
26:02 on essaie d'être le plus clair possible.
26:05 Et que, quand vous parlez de relecture,
26:07 moi, je crois que ça peut être intéressant, une relecture,
26:09 mais c'est toujours, pour moi, moins riche
26:12 que de faire lecture de ce qui est écrit.
26:15 C'est dur de jouer en Récis.
26:17 C'est riche, déjà, en Récis.
26:19 Et si on a envie, en tant que metteur en scène,
26:20 de travailler sur une histoire de famille
26:22 qui se vole la couronne et patati...
26:23 Écris là !
26:25 -Vous, qui aimez tant le théâtre public,
26:27 le théâtre populaire, qu'il défendait si bien,
26:30 vous avez été déçus de devoir démissionner
26:33 du Centre dramatique d'Angers
26:36 après l'annonce de tous les projets somptueux
26:40 qui vous attendaient,
26:42 les JO, Roméo et Juliette,
26:45 alors que ça aurait dû valoriser vos équipes, normalement.
26:49 Pourquoi avoir démissionné ? Vous y avez été contraint ?
26:52 -Il y a eu comme une friction, un hiatus,
26:57 entre l'institution,
26:59 qui est donc, comme son nom l'indique, instituée,
27:02 et l'exceptionnel, l'exception qu'était cette mission.
27:06 Je rappelle que les JO, la dernière fois à Paris,
27:08 c'était en 1924,
27:09 donc c'est pas non plus quelque chose qui arrive tout le temps,
27:12 et que d'un coup, il y avait une mission exceptionnelle
27:15 qui m'était confiée, que je n'ai pas refusée.
27:18 J'aurais très bien pu la refuser aussi,
27:19 mais je ne souhaitais pas la refuser,
27:20 je souhaitais vraiment...
27:22 -Pourquoi ?
27:23 -Parce que c'est l'occasion unique et séculaire.
27:27 Donc une fois par siècle,
27:28 de s'adresser au plus large public,
27:31 puisque, après tout, c'est ma mission depuis le début.
27:34 Là, quand on parle large public,
27:35 on est entre 1,5 milliard et 2 milliards de personnes,
27:39 et c'est donc le plus grand spectacle du monde
27:42 en termes d'audience,
27:43 de gens qui sont synchronisés au même moment,
27:45 parce qu'il y a des gens qui font 1 milliard sur YouTube,
27:48 mais pas au même moment.
27:49 Là, il y a un quart de l'humanité, quasiment,
27:52 qui regarde la même chose au même moment.
27:54 C'est absolument merveilleux, je trouve,
27:57 comme concept même de partage, de fédération,
28:00 de se retrouver tous et toutes autour du même objet.
28:03 Ca, c'était pour moi une expérience incroyable.
28:06 Et puis après, il y a ces dispositifs
28:08 qui ont été mis en place par Paris 2024,
28:09 des cérémonies à l'extérieur, des stades.
28:12 Sur la scène, ce décor incroyable,
28:14 ce terrain de jeu formidable,
28:17 cette aventure à la fois humaine, artistique, intellectuelle
28:20 dans laquelle je suis aujourd'hui,
28:22 que je voulais absolument vivre,
28:24 je voulais absolument m'en saisir.
28:26 -On doit se sentir... On doit se prendre pour un dieu
28:28 quand on sait qu'il y a 2 milliards de gens
28:30 qui vous regardent, là.
28:32 Franchement. -Si seulement.
28:34 (Rires)
28:36 Non, on se sent une énorme responsabilité.
28:38 C'est énorme.
28:40 En fait, je me suis même dit,
28:42 tiens, il n'y avait pas autant de télévision à l'époque,
28:44 mais les premiers pas de l'homme sur la Lune,
28:45 il y avait moins de gens qui les regardaient
28:46 que ce que je vais faire dans un an.
28:48 Et c'est fou de se dire ça.
28:50 Et donc, qu'est-ce qu'on dit ?
28:51 Qu'est-ce qu'on raconte à ce quart d'humanité
28:54 qui est synchronisé ?
28:55 Surtout qui, moi, me touche le plus.
28:57 Qu'est-ce qu'on dit ?
28:58 Qu'est-ce qu'on se dit, en fait ?
29:01 Qu'est-ce qu'on se raconte à nous sur le monde,
29:03 sur nous-mêmes, sur où on va, d'où on vient, peut-être,
29:06 mais surtout où on va ?
29:07 Moi, je pense que ce sont des questions
29:08 que les Jeux olympiques
29:10 et cette incroyable fédération des publics
29:12 permettent de se poser comme question.
29:15 Et donc, on travaille...
29:16 Je vais peut-être revenir sur tout ça dans un...
29:18 Parce que là, on saute.
29:19 Je voudrais revenir quand même sur la question de l'institution.
29:22 Donc voilà. Le hiatus, d'un coup, l'institution,
29:25 c'est un bug. C'est-à-dire qu'il y a vraiment eu un truc...
29:27 Ca ne rentre pas dans les cases.
29:30 N'est-ce pas l'histoire un peu de ma vie ?
29:32 Fabienne, j'en sais rien.
29:34 En tout cas, re-belote.
29:36 Il y a eu...
29:38 -Une vie qui réussit très bien, quand même.
29:40 -Je suis heureux de ma vie.
29:41 Pour rien au monde, moi, je recommence.
29:43 Il n'y a pas de souci.
29:44 Mais par contre, c'est encore une fois une situation
29:47 qui, là, pour le coup, est exceptionnelle.
29:51 -Mais est-ce que ce n'est pas le vice de l'institution, justement,
29:54 de ne pas tolérer des expériences exceptionnelles ?
29:58 -Moi, je crois que l'institution a peur...
30:00 -Je parle du théâtre public, en France.
30:02 -Oui, moi aussi, je parle évidemment de théâtre public.
30:04 -Subventionné par l'Etat.
30:06 -J'ai l'impression qu'il y a un pli,
30:08 que l'institution publique, qui est extrêmement bien organisée,
30:12 n'arrive pas à prendre avec une nouvelle génération d'artistes,
30:17 dont je crois faire partie,
30:19 mais il y en a encore d'autres qui arrivent,
30:20 qui sont bien plus jeunes que moi,
30:21 parce qu'en fait, moi, j'ai quand même 41 ans,
30:23 et en fait, il y en a qui ont 21 ans, 22 ans,
30:25 et qui font des spectacles formidables, d'ailleurs,
30:27 et qui sont encore nés avec d'autres outils,
30:30 d'autres...
30:33 Pas fonctionnement, mais d'autres...
30:37 Habitudes, quoi, avec les téléphones, Internet, etc.,
30:40 qui font qu'il y a d'autres façons de penser,
30:42 et je pense que l'institution du théâtre public
30:44 n'a pas pris le pli. Vraiment, elle ne l'a pas pris
30:46 en termes de communication, en termes de rapports à son public,
30:49 en termes de propositions, en termes de lieux.
30:52 Il y a eu une grande... Un grand souffle.
30:54 Il y a eu plusieurs grands souffles
30:56 depuis l'invention des centres dramatiques,
30:57 mais il n'y a pas eu de nouveau grand souffle
30:58 depuis les années 80, et aujourd'hui,
31:01 nos institutions, elles sont encore un peu coincées
31:03 dans des vieux modèles.
31:04 J'en parle par expérience,
31:06 que des toutes petites choses très simples
31:08 comme un compte Instagram de metteurs en scène
31:11 de théâtre public peut en ont.
31:13 Est-ce qu'il faut en avoir un ? Pas forcément.
31:15 Mais moi, par exemple, ça a pu m'être reproché.
31:21 Pardon, en fait, c'est super,
31:22 parce que moi, je parle avec des gens
31:23 avant et après les spectacles.
31:24 Ca permet aussi des fois de donner des infos.
31:26 Je ne sais pas, ce n'est pas juste pour montrer ma pomme.
31:28 C'est un lien, un lien possible avec des gens
31:32 via cet outil, par exemple.
31:34 Mais plein d'autres choses sur la question aussi
31:37 de la déprogrammation, de toutes ces créations
31:39 qui naissent et qui, paf, terminent leur vie
31:42 beaucoup trop vite sur l'incapacité du théâtre public
31:46 à savoir faire quelque chose de ses succès.
31:49 Un succès dans le théâtre public, ça arrive.
31:52 Il y a des très beaux succès.
31:54 Saigon de Caroline Guélen-Guyen, par exemple,
31:56 merveilleux spectacle.
31:58 -C'est la patronne du Théâtre national de Strasbourg.
32:00 -Et c'est très heureux comme nouvelle.
32:02 Il devrait jouer 3 ans d'affilée dans un théâtre.
32:08 Bien sûr, il faut partager l'outil, mais qu'est-ce qu'on fait ?
32:10 Du coup, ça joue 2 semaines.
32:12 Bien souvent, elle a tout le rapport aussi
32:13 avec la question des abonnements
32:15 que moi, évidemment, j'avais fait sauter.
32:16 Mais la façon qu'on croit qu'aller au théâtre,
32:19 c'est simple. Peut-être qu'ici, on est habitués à aller au théâtre,
32:21 mais je vous assure que c'est pas simple d'aller au théâtre.
32:24 Les gens ne savent pas qu'il faut réserver
32:27 ou comment réserver. C'est pas évident, en fait.
32:29 Nous, ça nous semble évident, mais ça n'est pas si évident que ça.
32:31 Donc ceux pour qui c'est évident remplissent les salles,
32:35 et les salles sont pleines, et tout le monde s'en enorgueille.
32:37 Mais moi, je trouve qu'elles sont un peu toujours pleines des mêmes.
32:40 Et elles sont pleines 3 jours.
32:42 Est-ce qu'on peut s'en féliciter dans une ville de 70 000 habitants
32:45 d'avoir fait 3 000 personnes ?
32:47 Est-ce que c'est ça, le plus grand nombre ?
32:49 Je ne crois pas. En tout cas, non, ce n'est pas le plus grand nombre.
32:51 Le plus grand nombre, c'est 70 000, en fait.
32:53 Pas compliqué.
32:54 Donc si on fait 70 dates, 2 000, on aura 70 000.
32:58 -Révons, Gilles. C'est après un interview
33:02 particulièrement brillant que vous aviez donné à l'équipe,
33:05 sans vous rendre compte vraiment de ce que ça allait donner,
33:10 qu'on pense à vous. Racontez-nous.
33:11 Et il va falloir répondre aux questions
33:13 que vous avez intelligemment posées.
33:15 Qu'est-ce qu'on fait ?
33:17 -Pour finir, je vais répondre à votre question.
33:19 Oui, j'ai été triste de démissionner du CDN d'Angers
33:22 parce que ce n'était pas mon choix.
33:25 Mais j'ai compris que ça allait beaucoup trop poser de questions,
33:29 beaucoup trop poser de problématiques
33:31 avec tout à coup un climat qui commençait à naître
33:34 d'électricité qui devenait presque pénible à vivre
33:41 où je me suis dit "Écoutez, c'est pas grave,
33:43 je vais vous laisser tranquille,
33:44 je vais vous laisser tranquille,
33:46 moi, je vais aller faire mon truc qui s'appelle les Jeux olympiques
33:49 et je vais vous laisser tranquille dans l'institution.
33:51 Si ça vous dérange trop, si ça vous perturbe trop,
33:54 eh bien, je m'en vais et je n'ai pas de haine,
33:58 je n'ai pas d'aigreur, mais par contre,
34:00 je crois qu'il y a une opportunité
34:04 qui n'est pas saisie par l'institution.
34:06 Les Jeux olympiques de Paris 2024
34:08 n'ont pas choisi un énorme réalisateur,
34:11 je ne sais rien, ils auraient pu prendre Mathieu Kassovitz,
34:13 ils auraient pu prendre Luc Besson, je n'en sais rien,
34:15 quelqu'un qui a une grande carrière à l'international,
34:19 ils auraient pu prendre un grand chorégraphe,
34:21 ils ont pris un metteur en scène de théâtre public d'Angers,
34:25 et d'un CDN.
34:26 Et les centres dramatiques nationaux
34:28 sont les plus beaux outils qu'il soit,
34:29 il faut absolument les défendre,
34:31 et il n'y a pas eu ce sursaut de dire "Yes, dans nos maisons,
34:35 il y a des artistes", il y en a moins, mais il y en a d'autres,
34:37 il y a des artistes qui sont appelés à faire
34:40 de ce type de grands événements, et c'est chouette,
34:42 et on pourrait s'en enorgueillir, et on pourrait...
34:45 Dès que j'ai été nommé, vous n'imaginez même pas
34:47 comment, à Angers, les publics ont accouru
34:51 voir mon spectacle, qui était...
34:54 C'était chouette, on était bien remplis,
34:55 mais là, les dernières représentations du dragon,
34:57 qui en avaient déjà joué en plus à Angers,
34:59 qu'on avait repris, parce que je crois que j'aime beaucoup
35:00 la reprise et tout ça, voilà, ça a fonctionné.
35:03 Ça a fonctionné sur les publics, et bon, voilà, c'est comme ça,
35:06 donc c'est une autre histoire qui va s'écrire aujourd'hui,
35:08 je ne sais pas laquelle, en tout cas pour l'instant,
35:09 ce sont les Jeux olympiques, et ça démarre effectivement,
35:11 Fabienne, regardez, passe, passe, passe.
35:13 Ça démarre en novembre 21. -Vous êtes formidable.
35:16 -Je suis directeur d'Angers, on est encore dans les problématiques
35:18 Covid, machin, nanana, bon,
35:20 et mon attachette presse préférée m'appelle et me dit
35:25 "Le journal L'Equipe veut t'interviewer."
35:30 -Alors que vous n'êtes pas sportif.
35:32 -Nope.
35:36 Donc je pense à une blague, je dis "Bah oui,
35:38 mais t'en fais pas autre chose pour un lundi matin et tout ça ?"
35:40 "Non, non, non, c'est très sérieux,
35:42 le comité d'organisation de Paris 2024
35:44 a sorti l'idée de cette cérémonie sur la Seine..."
35:47 -Très bonne idée de Thierry Reboul.
35:49 -Une idée de Thierry Reboul, exactement,
35:51 qui est directeur des cérémonies à Paris 2024.
35:53 -Et c'est lui qui a eu l'idée de la Seine.
35:54 -C'est lui qui a eu l'idée de la Seine, exactement.
35:56 Et vraiment, c'est brillant.
35:58 Moi, je trouve ça brillant.
36:00 C'est pas simple, je sais pas...
36:01 -Non, mais c'est une belle idée.
36:03 -Mais c'est une magnifique entreprise, en tout cas.
36:05 Et donc elle sort en novembre 21, cette idée,
36:08 et le journal d'équipe interroge plusieurs artistes.
36:10 Et me propose, moi, aussi...
36:12 Je vais au rendez-vous avec la journaliste un peu...
36:16 J'ai rien préparé, hein.
36:18 Voilà, j'arrive, je dis...
36:19 "Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
36:20 Vous me donnez un budget, vous me donnez des contraintes,
36:22 qu'est-ce qui se passe ?"
36:23 "Non, non, qu'est-ce que ça vous évoque ?"
36:25 Je lui dis, Fabienne, je lui dis n'importe quoi.
36:28 Je lui dis "Oui..."
36:30 (Rires)
36:32 "Il faudrait pas faire le Puy du Fou,
36:35 ça commence à bien faire,
36:37 oui, il faudrait pas non plus faire la Disney parade,
36:39 les Jeux olympiques, il faut qu'on prenne ça comme un vrai moment,
36:42 ce que j'ai raconté, d'être ensemble, etc.
36:44 Peut-être on peut faire rouler la tête des rois et des reines
36:46 décapitées sur la scène..."
36:48 Je sors, vraiment, je dis n'importe quoi.
36:52 Je disais même que toutes les délégations
36:54 devaient arriver de tout le pourtour parisien,
36:56 par toutes les banlieues,
36:57 comme des réseaux de vaisseaux sanguins, comme ça.
37:00 Toutes les délégations arrivaient au coeur
37:01 avec des voitures amphibies, enfin, des bus amphibies,
37:03 paf, sur la scène, et après, arrive votre cadéro,
37:06 chaque délégation vient planter son drapeau sur la scène,
37:08 sur la tour Eiffel, et bon, n'importe quoi.
37:11 Mais voilà, je dis ça.
37:14 Et puis voilà, le temps passe, et l'article sort,
37:16 et moi qui pensais avoir un petit carré comme ça
37:17 avec d'autres artistes, tac, tac, tac, tac, tac, dans le journal,
37:21 j'ouvre le journal, double page,
37:23 Thomas Joly, 2 points,
37:24 il faut embraser la scène...
37:26 (Rires)
37:28 Et là, je rigole, je rigole, parce que...
37:31 Et il y avait d'autres artistes, mais en plus petit.
37:34 Et voilà, fin de l'histoire, et je continue,
37:38 je suis à Angers, je rigole CDN,
37:40 je veux reprendre Henri VI Richard III, machin,
37:42 donc je suis en pleine répétition d'Henri VI Richard III,
37:45 je crée le dragon, machin,
37:46 je suis en pleine répétition d'Henri VI Richard III,
37:47 et là, mon téléphone sonne, donc on est 6 mois après,
37:50 et c'est Thierry Reboul qui me dit
37:52 "J'ai lu votre interview dans l'équipe,
37:56 vous semblez avoir quelques idées,
37:59 est-ce qu'on peut se rencontrer ?"
38:00 Et on s'est rencontrés autour d'un verre, dans un bar,
38:03 c'était très informel.
38:04 Ça, c'est fin mai 2022.
38:09 Et là démarre quelque chose que je n'ai pas vu...
38:11 -Un peu de temps, en fait.
38:13 Mai 2022 ? Oui, on est en 2023.
38:15 -Oui, on est en 2023, c'était mai 2022, exact.
38:18 Voilà, et après, l'histoire, elle se déroule de manière très simple
38:21 sur une question de rencontre et d'affinité, en fait,
38:24 parce qu'on parle ensemble, et à l'époque,
38:26 il s'interrogeait, à Paris 2024 encore,
38:28 sur est-ce qu'on fait un collectif d'artistes,
38:31 est-ce qu'il y a une seule direction artistique, etc.
38:34 Et moi, vous savez, des fois, j'ai été appelé...
38:37 Les artistes, souvent, sont appelés par les services culturels
38:41 à la région, à la ville ou au ministère
38:43 pour avoir des avis, d'être consultés
38:45 sur le pass culture, ce genre de choses.
38:47 Et moi, j'ai été consulté de temps en temps,
38:50 et là, je me dis que c'est ça, en fait, ils veulent me consulter.
38:52 Donc du coup, ils me disent...
38:54 Je leur donne mes idées, tout ça, et ils me disent,
38:56 "Toi, un collectif." Je dis, "Mais pourquoi pas ?
38:58 "Je ne suis pas sûr que... Comment le théâtre
38:59 "pourrait avoir lieu dans cette cérémonie.
39:01 "Moi, je suis pour, et ça, je peux être votre référence,
39:03 "je me ferais plaisir de réfléchir avec vous, pas de souci."
39:06 Puis, je rencontre Tony et Stanguay,
39:08 qui, pareil, à qui je redis un peu ce que j'avais raconté
39:12 à Thierry Reboul, et puis là, ensuite, ils me disent tous deux,
39:16 "Est-ce que tu accepterais de rencontrer Anne Hidalgo ?"
39:19 Alors là, je commence à me dire, mais...
39:24 Tout seul, parce qu'on devait être un collectif, tout ça.
39:27 Enfin, je n'avais pas très bien compris encore.
39:29 Ils étaient en recherche, quoi.
39:31 "Non, mais toi, rencontre-la."
39:32 Et puis, voilà. Je rencontre Anne Hidalgo,
39:34 je lui redis la même chose.
39:37 -Les bus amphibies, tout ça ?
39:38 -Les bus amphibies.
39:40 (Rires)
39:41 Et à la suite de cet entretien,
39:46 on me dit, "On aimerait soumettre ton nom au CIO."
39:50 Je dis, "Mais attendez, pour être directeur artistique,
39:54 "oui, oui."
39:55 Et c'est le 29 août.
39:58 Je dis, "Mais attendez, moi, j'ai une vie, en fait."
40:00 Je dirais, "J'ai un centre dramatique,
40:02 "j'ai des tournées, j'ai des opéras, tout ça."
40:04 Euh...
40:06 Mais OK.
40:07 (Rires)
40:09 On n'avait plus qu'une étape, c'était quand même marrant.
40:11 Et donc, j'arrive à une réunion au CIO,
40:13 et là, je comprends.
40:15 Là, je comprends, en fait. Je comprends.
40:17 Je rentre dans une salle où il y a environ 100 personnes,
40:20 avec des micros, vous savez, pour parler comme ça,
40:22 comme à l'ONU, là.
40:24 Et dans la salle, j'entre, et je vois...
40:27 Il y a plein d'écrans dans la salle, et je vois ma tête, mon nom.
40:30 Ma tête, mon nom, ma tête, mon nom.
40:32 Il y a des cabines de traducteurs partout.
40:34 Je dis, "Mais qu'est-ce que... ?" OK.
40:36 Je m'assois entre Tony Estanguet et Anne Hidalgo,
40:40 devant le directeur du CIO et le président.
40:44 Et... Non, le président n'était pas là,
40:46 c'était le directeur du CIO.
40:48 Et... "Bonjour, monsieur Joly,
40:50 "en 20 minutes, donnez-nous votre vision des cérémonies."
40:53 (Rires)
40:54 (Rires)
40:57 "Eh bien, bonjour, c'était très tôt et tout ça,
41:00 "donc je parle 20 minutes.
41:01 "Merci beaucoup, vous pouvez disposer."
41:03 OK ?
41:04 Et une demi-heure après,
41:08 "Ca va, m'aimons voir."
41:10 Tony Estanguet m'écrit un texto.
41:12 On me dit, "Voilà, ton nom a été choisi à l'unanimité,
41:14 "bienvenue dans l'équipe."
41:16 (Rires)
41:17 (Applaudissements)
41:24 Et voilà.
41:26 Et je suis dans un taxi et j'appelle ma mère.
41:29 (Rires)
41:32 Ouais, j'appelle ma mère.
41:33 (Rires)
41:35 -Mais alors, bon, là, c'est la 1re partie.
41:38 Comment vous travaillez après ?
41:39 On est en août ?
41:42 -Alors après, ben...
41:43 Après...
41:45 (Rires)
41:46 Avant ça, il y a un dernier step à passer
41:49 avant l'officialisation,
41:50 c'est de rencontrer le président de la République.
41:53 -Parce que quand même, là, vous nous faites croire
41:55 que vous n'avez rien préparé,
41:56 mais les 20 minutes, il fallait les tenir, Thomas.
41:59 Vous aviez dû bosser comme un dingue.
42:01 -Regardez, hein, je peux dérouler, hein.
42:03 (Rires)
42:05 Pas de problème.
42:06 -Non, mais il avait fallu avoir un projet.
42:09 -Non, mais à force, en fait, à force de discuter.
42:11 Et puis, évidemment, à un moment donné, on se dit,
42:12 "Non, mais en fait, mon idée, là, ça marche pas,
42:15 "les têtes qui roulent."
42:16 Ca ne marche pas, je vous le dis,
42:17 parce qu'il y a des ponts, les ponts ont des hauteurs, en fait.
42:20 Et les têtes sont du coup un peu petites,
42:22 c'est pas assez spectaculaire.
42:24 Donc, bref.
42:25 Bien sûr que je me dis, je n'ai pas l'idée,
42:27 je n'ai pas le projet.
42:28 Par contre, je sais ce que, conceptuellement,
42:31 je veux défendre.
42:32 Et c'est ça dont je parle.
42:34 J'ai fait même ce mauvais jeu de mots,
42:36 mais des fois, les mauvais jeux de mots,
42:37 comme un peu entre metteurs en scène,
42:38 ça donne une idée claire.
42:39 Je dis... Je sais pas si ça va être clair, d'ailleurs.
42:41 Les Jeux olympiques, virgule, un "nous".
42:43 C'est-à-dire tous ces petits jeux qu'on est, là, les gens,
42:46 les Jeux, ça fait un grand "nous", voilà.
42:49 Et je dis, en fait, c'est ça qu'il faut réussir à...
42:52 -C'est pas mal, ça.
42:53 -Merci, Fabienne.
42:54 Parce que personne ne le comprend jamais, ce jeu de mots.
42:56 Je le trouvais assez clair, pourtant, mais bref.
42:57 Dire cette cérémonie ne peut pas être
43:00 juste un divertissement avec des acrobaties
43:05 et de la musique et de la lumière, n'importe comment.
43:07 Il faut que ce soit un temps fort pour nous tous et nous toutes.
43:11 Je parlais de la synchronisation de ces 2 milliards.
43:13 Il faut, à un moment donné, faire humanité.
43:16 Voilà. Tout simplement,
43:17 on doit envoyer ce type de force de récit.
43:23 Et surtout, je dis, la 1re chose que je ferai
43:25 quand j'arriverai ici, je suis pris,
43:28 c'est super, votre idée de la scène, mais pour dire quoi ?
43:32 C'est joli, les monuments.
43:33 C'est super que les athlètes arrivent en bateau,
43:34 c'est une brillante idée, mais pour dire quoi au monde entier,
43:37 au moment où le monde entier est à Paris et qu'on le reçoit.
43:40 Donc, après avoir vu le président de la République...
43:43 -Qui vous a sûrement donné des idées.
43:45 -Alors, Fabienne,
43:48 je suis nommé directeur artistique
43:50 des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
43:53 Je dois faire un spectacle où, à chaque fois,
43:55 dans les cérémonies, le pays dit un peu ce qu'il est.
43:58 Quand même.
43:59 Donc, moi, je suis en face du président de la République.
44:01 Je dis, alors, je suis très content.
44:03 "Monsieur le président, c'est quoi, la France ?"
44:06 (Rires)
44:08 C'était génial. Ca a été génial.
44:10 La discussion a été... -Il répond quoi ?
44:12 -Il a dit que c'était un récit, ça tombe bien,
44:14 parce que j'étais pas loin de penser pareil,
44:16 un récit qui ne cesse de se faire et de se défaire,
44:20 de se construire, de se déconstruire,
44:21 de se reconstruire avec les influences permanentes
44:24 du monde, du reste du monde.
44:26 Moi, c'est comme ça que je vois ce pays,
44:28 un pays qui est comme confluence, influence permanente
44:32 depuis des siècles et qui fait, je crois, la richesse
44:36 de ce pays, de cette ville, notamment.
44:38 Et donc, je lui dis, il faudrait qu'on raconte ça,
44:41 qu'en fait, c'est une ville-monde, que c'est un pays-monde,
44:44 que c'est pas juste Cocorico,
44:47 Cocorico, la baguette, Cocorico, l'accordez-vous, quoi.
44:51 Autre chose.
44:53 Même si ça existe, c'est pas un grand pays
44:56 en termes de superficie,
44:58 c'est pas une grande puissance mondiale,
44:59 même si on est une puissance mondiale,
45:00 mais pas une grande par rapport aux grandes puissances
45:02 autour de nous, mais par contre, c'est un pays
45:04 qui a eu des grandes idées.
45:05 Ca, on peut pas le nier, un pays d'idées,
45:07 un pays avec de grandes idées, parfois mauvaises,
45:09 parfois, on a plus du mal à se dire qu'il faut changer d'idée,
45:12 on reste un peu coincé dans certaines idées,
45:14 mais il y a eu des grandes idées, on doit encore en avoir.
45:16 Et c'était de ça qu'on a discuté,
45:19 et c'est absolument raccord avec ce que j'ai dit au CIO.
45:22 Et donc après, j'ai été nommé, et c'est sorti dans la presse.
45:26 Et là, c'est une période qui est quand même compliquée,
45:30 parce que... -On est quand, là ?
45:32 -Là, on est fin septembre 2022,
45:34 et Starmania sort en même temps que je suis nommé
45:37 pour les Jeux olympiques,
45:38 en même temps que le ministre, M. Darmanin,
45:41 dit qu'il va annuler le Festival d'Avignon
45:44 pour les Jeux olympiques,
45:45 et tous les festivals,
45:47 et que la suite de mon mandat au quai à Angers se pose.
45:53 Donc en fait, je me retrouve dans une espèce d'imbroglie
45:55 où tout est mélangé,
45:58 où vous partez du quai pour faire Starmania...
46:01 Non, rien à voir, c'est pas ça.
46:04 Oui, vous qui venez du service public,
46:06 que pensez-vous maintenant que vous faites les Jeux olympiques,
46:08 de M. Darmanin qui a dit qu'il annulerait tous les festivals ?
46:11 Oui, effectivement. Bon, bref.
46:13 C'est un raz-de-marée, avec beaucoup de joie aussi,
46:17 parce que c'était heureux de t'être nommé,
46:19 parce que Starmania est sorti,
46:20 et ça faisait quand même 3 ans que je portais le projet,
46:22 et c'était très heureux, etc.
46:23 Donc je m'y suis mis, pour répondre à votre question, Fabienne,
46:25 au mois de décembre,
46:26 où j'ai pu, après avoir terminé Starmania,
46:29 démissionné, déménagé, rompu aussi,
46:34 et fait un peu "reset" dans ma vie,
46:37 et réorganiser tous mes projets,
46:39 à savoir en gros tous les annuler,
46:41 sauf un, Roméo et Juliette,
46:43 parce qu'il était déjà signé, et que j'avais trop envie de le faire.
46:44 -Vous aviez plein d'autres projets ?
46:46 -Comment ? -Quels autres projets ?
46:48 -Alors je devais normalement monter un spectacle
46:51 pour le jeune public,
46:52 qui est encore une chose que j'ai très envie d'essayer,
46:55 début 2024, donc là, janvier,
46:58 que je ne ferai pas, du coup, je ferai plus tard.
47:00 -C'était quoi ?
47:01 -Je ne dis pas, parce que c'est une pièce que peu de gens connaissent,
47:03 et vraiment, quand je l'ai trouvé, je me suis dit que c'était une pépite,
47:06 je la garde pour moi, c'est un grand secret.
47:09 Je ne dirais pas, mais elle est trop bien, évidemment.
47:13 Et puis, il y avait l'envie de travailler sur Musset.
47:15 Alors j'hésitais sur...
47:17 -Lorenzatio. -Lorenzatio, par exemple.
47:20 Mais il y avait d'autres pièces, Fantasio,
47:22 que j'avais travaillé à l'opéra, au théâtre.
47:25 J'adore Musset, je trouve que Musset est un auteur pour notre temps,
47:28 un jeune esprit qui est perdu,
47:33 entre plusieurs, politiquement un peu déçu,
47:36 avec un pays qui se cherche, qui se recherche.
47:40 -C'est encore une pièce de 6 heures pour vous.
47:42 -À peu près, ce serait bien.
47:43 Elle n'a jamais été montée en intégralité.
47:45 Mais vous savez, Fabienne, parce qu'en fait, Fabienne,
47:47 je me souviens que la dernière fois qu'on s'est retrouvés
47:48 dans cette position, c'était à la Villette,
47:51 en mars 2022,
47:54 juste avant le Dragon.
47:56 Et à la Villette, vous m'avez dit "C'est quoi votre prochain projet ?"
48:00 Et j'ai dit "Pour rigoler, j'ai dit les Jeux olympiques."
48:04 Et ça s'est passé, Fabienne.
48:06 -Oui.
48:07 Eh oui, on le dit.
48:10 -Vous en êtes pour quelque chose.
48:13 Elle est magique, Fabienne.
48:14 -En décembre, vous faites quoi ?
48:15 -En décembre, revenons à nos histoires.
48:18 En décembre, je convis autour de moi
48:21 des auteurs et des autrices
48:23 dont je ne pourrais pas vous donner les noms aujourd'hui.
48:26 -4, on sait seulement.
48:27 -Voilà, 4 auteurs-autrices
48:29 qui viennent d'univers différents, du roman...
48:31 -Vous pouvez dire les univers.
48:33 -Voilà, le roman, la télévision, le scénario,
48:35 le cinéma, télé et...
48:38 Enfin, scénario, télé, cinéma,
48:40 le théâtre et l'histoire, l'université, davantage.
48:44 Ces 4 auteurs-autrices
48:45 avec qui on s'enferme dans une sorte de script room,
48:48 exactement comme on ferait pour une série.
48:51 On s'est enfermés...
48:53 Enfin, on ne s'est pas que enfermés, d'ailleurs, on a beaucoup fait aussi.
48:55 Et en plein hiver, je vous le conseille,
48:57 prendre le bateau sur la scène
48:58 et comme ça arpenter tout le fleuve
49:02 et puis écrire, chercher, puiser, en fait,
49:04 dans ce petit segment du fleuve,
49:08 les histoires et avec un grand H,
49:12 pas une grande H, un grand H,
49:14 un petit H,
49:17 les histoires qu'on pouvait puiser.
49:18 On a fait un grand tout, c'était tellement passionnant
49:21 et j'ai découvert tellement de choses,
49:22 c'était intellectuellement fou.
49:25 Et après, de se saisir comme ça de plusieurs...
49:29 -De plusieurs moments qui feront plusieurs tableaux.
49:31 -Ce qui est génial, c'est que l'histoire de France,
49:33 elle est présente sur le parcours
49:36 avec tous ces monuments venus de toutes les époques.
49:39 Je ne sais pas, on a Notre-Dame
49:42 à côté de la Conciergerie,
49:44 ex-palais de la cité,
49:46 ex-palais des rois avant le Louvre.
49:48 À côté, on a le Louvre, à côté, on a le Grand Palais,
49:50 la gare d'Orsay, enfin, le musée d'Orsay.
49:53 On a toutes ces époques,
49:54 ces grandes époques qui se font face,
49:55 qui se sont jointes, enfin, juxtaposées
49:58 comme ça tout le long du fleuve.
49:59 C'est les grandes histoires, mais je ne sais pas,
50:00 le marché aux fleurs,
50:03 le squartino Rossi,
50:06 tout un tas de choses comme ça,
50:07 plein d'emblèmes. -6 km.
50:08 -6 km.
50:10 Et de toutes ces emblèmes, de toutes ces histoires,
50:13 on a puisé, finalement, des grands thèmes
50:17 qui font une dizaine de tableaux comme ça
50:19 le long des 6 km.
50:21 Ca, c'est le récit. Donc chaque étape
50:24 de cette cérémonie...
50:25 -Toute liberté artistique, aucune censure du CIO
50:29 pour le récit. -Aucune.
50:30 Aucune censure ni du CIO, ni même...
50:33 Et c'est heureux des politiques,
50:35 parce que donc, à chaque step,
50:37 le récit entend le premier,
50:39 chaque step passe devant, on va dire,
50:42 l'écosystème, finalement, des Jeux.
50:44 Donc le CIO...
50:45 D'abord, Tony Estanguet, bien sûr,
50:47 Anne Hidalgo, le CIO, le président de la République.
50:49 Chaque fois, tout est validé.
50:54 Et donc ensuite, on a eu une 2e phase au printemps,
50:57 où j'ai réuni une 2e équipe autour de moi,
51:00 qui est une équipe artistique, cette fois,
51:02 avec des artistes de toutes les disciplines,
51:05 qui ont traduit, pour l'instant,
51:08 de manière théorique ou sur plan,
51:10 avec des dessins, etc.,
51:12 des moodboards de toutes sortes, ces tableaux.
51:16 On les a nourris. Donc ça, c'est ce qu'on appelle
51:17 le concept initial, qu'on a, rebelote,
51:20 passé en validation auprès de tous les partenaires des Jeux.
51:26 Et puis, on est depuis l'été,
51:29 et c'est une période compliquée,
51:32 de juxtaposition entre notre rêve et la réalité.
51:35 -Les contraintes, et puis ça sera ma dernière question.
51:38 C'est quoi, les contraintes ?
51:40 -Alors oui, il y a des contraintes.
51:41 -Quel budget, déjà ?
51:42 -Alors, je vais vous dire un chiffre,
51:45 mais après, j'en parle, d'accord ?
51:46 Parce qu'il ne faut pas croire que...
51:48 Il y a 137 millions d'euros qui sont consacrés aux cérémonies,
51:52 aux 4 cérémonies.
51:53 Dans ce budget, il y a aussi toute l'infrastructure,
51:56 c'est-à-dire la création d'un stade sur la scène.
52:00 Les tribunes pour asseoir les gens,
52:02 toutes les toilettes,
52:05 enfin, tout ce qu'il faut comme un stade, quoi.
52:07 Les portails de sécurité, etc.
52:08 Tout ça, c'est inclus dans ce budget,
52:10 et il me reste, pour l'instant,
52:14 entre un peu plus de la moitié, finalement, de ce budget-là
52:16 pour le dévouer à l'artistique pour les 4 cérémonies.
52:20 Je précise aussi que ces cérémonies,
52:22 j'en suis le directeur artistique, mais il n'est pas certain,
52:27 que je signe la mise en scène.
52:28 On n'est pas du tout dans un modèle type "Découfflé" en 92,
52:32 ou Jean-Paul Goude, par exemple, en 89.
52:34 On est davantage dans une direction artistique.
52:36 Et d'ailleurs, je serais bien incapable
52:38 de faire 6 km de spectacle.
52:42 -Il y aura plusieurs metteurs en scène ?
52:43 -Voilà. Je pense même que c'est plus heureux
52:46 et plus collectif, plus collaboratif aussi,
52:48 mais même plus joyeux
52:51 de partager ce grand segment de Fleuve
52:54 et de donner aux artistes
52:56 dont on pense qu'ils sont les plus pertinents ou pertinentes
52:59 ce segment ou cette partie de segment
53:01 ou la chorégraphie dans tel tableau, etc.
53:05 Parce que je crois que ça peut être aussi
53:06 une grande mosaïque de la diversité.
53:08 On a de la chance d'avoir dans ce pays
53:09 tellement d'artistes fabuleux.
53:11 -L'ensemble, on ferait combien ?
53:13 -Ah...
53:15 Avec les performeurs compris et les performeuses,
53:18 on doit être autour quand même de 2 000, 2 500 artistes.
53:20 -Non, mais de metteurs en scène.
53:21 -Ah !
53:24 2 500.
53:25 Non, on va être, je pense,
53:28 une quinzaine de metteurs en scène,
53:32 circassiens, chorégraphes, circassiennes,
53:35 chorégraphes, musiciens, musiciennes.
53:37 -Et vous, c'est le chef ?
53:39 -Je suis directeur artistique.
53:41 -Voilà. Bon. Et les contraintes principales ?
53:43 -Alors, les contraintes, bien sûr, il y a le budget, bien sûr,
53:46 qui est conséquent.
53:49 C'est beaucoup d'argent privé, je tiens à préciser.
53:53 Mais la scène est une immense scène
53:57 où, évidemment, tout coûte beaucoup d'argent,
53:59 parce que chaque décor paraît ridicule.
54:01 Un décor sur un plateau de théâtre est sublime sur un plateau de théâtre.
54:04 À côté du Louvre, tout à coup, bon, c'est le Louvre, quand même.
54:07 Donc bon, voilà.
54:09 Donc tout ça est une équation
54:11 qu'on doit aussi finement scénographier.
54:14 Donc le budget, c'en est une, la sécurité, c'en est évidemment une,
54:17 mais c'est pas que ça.
54:18 Reste la nature, la scène.
54:20 C'est un peu comme la Cour d'honneur à Avignon, d'ailleurs.
54:22 Vous savez, dans la Cour d'honneur à Avignon,
54:23 il y a le vent qui arrive d'un certain angle dans la cour,
54:26 c'est en haut à droite, là.
54:28 Il arrive comme ça, il prend de la vitesse sur le mur du palais
54:31 et il repart comme ça beaucoup plus rapidement.
54:33 Donc tous les décors qui sont, je l'y penserai la prochaine fois,
54:35 jardin à cour...
54:37 Ceux qui sont à cour se prennent plein de vent, là.
54:39 Donc il faut les construire en fonction de ça.
54:42 Par exemple, la scène, c'est la même chose.
54:44 Il n'y a pas la même profondeur au kilomètre 1, au kilomètre 4.
54:48 Le vent ne s'engouffre pas de la même manière
54:51 sous chacun des ponts, ne créant pas la même dynamique d'air.
54:54 La solidité de tel pont n'est pas la même que celui-ci.
54:57 Les endroits où les poissons frayent,
54:59 car on ne dérangera pas les habitats,
55:02 eh bien, là, on ne mettra pas de décors, etc., etc.
55:06 La façade, la solidité d'un quai...
55:08 Une ville, quoi.
55:12 -Comment vous faites, Thomas Joly ? Vous travaillez tout le temps.
55:14 Vous êtes un hyperactif ?
55:16 Comment vous faites ?
55:19 -Eh bien, d'abord, j'aime ce que je fais, passionnément.
55:24 Ensuite... Et ça, ça donne de l'énergie,
55:26 quand on aime ce qu'on fait. J'ai de la chance.
55:29 La 2e chose, c'est que j'ai des équipes avec moi
55:32 qui, je crois, sont mûs de la même énergie,
55:35 du même plaisir, du même désir,
55:38 la même nécessité que moi.
55:40 Parce que là, je dis ça, mais c'est pas moi qui suis allé
55:42 vérifier la solidité du pont. Vous pensez bien.
55:44 C'est des équipes de Paris 2024 qui sont déjà, je pense,
55:48 je les connais pas encore tous et toutes,
55:49 mais il y a déjà plus d'une centaine...
55:51 -Paris 2024 qui nous filme, là, en ce moment, je crois.
55:54 -Exact.
55:56 Oui, ça, ils me suivent partout.
55:59 C'est pas vrai.
56:02 -Ils vous espionnent, vous voulez dire.
56:04 -Même chez moi, Fabienne.
56:06 Et bref, il y a des équipes incroyables
56:09 qui travaillent dans tous les domaines.
56:11 Après, vous savez ce qui est vraiment fou et ce qui nous réunit ?
56:14 C'est qu'on va créer un spectacle, une cérémonie,
56:18 et il faut aussi créer les conditions de création.
56:22 Je sais pas si je suis clair. -Non.
56:23 -Alors, personne, en fait, n'a jamais fait
56:26 6 km de spectacle dans une ville, sur un fleuve.
56:30 Ca n'est jamais arrivé, donc il n'y a pas de référent,
56:33 il n'y a pas de modèle, il n'y a pas d'exemple à suivre,
56:36 de quelqu'un qui aurait déjà fait ça.
56:38 J'ai voulu appeler Philippe Découfflet,
56:41 et je vais certainement l'appeler,
56:42 mais c'est un partage d'expérience
56:43 qui ne pourra pas me donner des solutions
56:46 vis-à-vis de la solidité d'un pont, la hauteur,
56:49 parce que c'était une autre histoire avec Philippe Découfflet,
56:51 c'était génial, d'ailleurs.
56:52 "Good", aussi, c'était génial, mais c'est encore une autre chose.
56:54 Là, tout le monde apprend,
56:56 et on crée les conditions pour créer.
56:59 On crée, on crée... Comment dire ? On surcrée, en fait.
57:02 On fait une création et on crée les conditions de la création.
57:05 C'est plus clair, non, comme ça ? -Oui.
57:07 -Mais c'était un peu comme faire un opéra contemporain
57:09 qu'on peut pas écouter.
57:10 Tout ça m'excite beaucoup
57:12 parce que là, l'ouvrage est remis sur le métier absolument.
57:16 Alors on va être très injustes.
57:18 Je vais être très injuste.
57:20 C'est-à-dire que vous pourrez pas poser de questions
57:22 parce qu'il y a des jeunes du Passe Culture
57:26 qui sont venus spécialement pour interroger Thomas Joly, là,
57:31 et donc on va vous abandonner.
57:33 On va applaudir Thomas Joly
57:36 pour cette merveilleuse description des Jeux olympiques.
57:40 Et je vous dis à très bientôt.
57:42 Hop ! Vous pourrez suivre,
57:44 sur Télérama, sur notre site,
57:47 les aventures de Thomas Joly aux Jeux olympiques.
57:50 On commence à la fin du mois
57:52 et ça sera chaque mois une parution sur son travail pour les JO.
57:56 Merci, Thomas.
57:57 (Applaudissements)
58:00 (...)