Zoom - Louis-Henri de La Rochefoucauld : Dans les arrière-cuisines de la presse et de l’édition

  • l’année dernière
Encore auréolé du prestigieux Prix des Deux Magots pour son livre "Château de sable", Louis-Henri de La Rochefoucauld revient avec son dixième roman : "Les petits farceurs". Un roman salué par la presse qu’il ne manque pourtant pas d’étriller, grâce aux personnages du livre, dans un tableau très actuel des mœurs des médias et de l’édition : "Toute cette mascarade de sacripants et de sigisbées, de saligauds et de sagouins, mais c’était magnifique ! Toute cette bande de satrapes, de maquignons et de loubards m’incitaient à courir m’enfermer chez moi pour écrire ce que j’ai vu !". C’est ce que Louis-Henri de La Rochefoucauld fait avec talent en narrant l’histoire de Paul et Henri : lorsque Paul le provincial rencontre Henri Le Parisien, c’est l’amitié immédiate. Ils sont étudiants et s’imaginent des destins flamboyants. Devenu journaliste dilettante, Henri découvre les arrière-cuisines de la presse et de l’édition. Paul publie un roman ambitieux que personne ne lit. Malgré cet échec, un éditeur rompu à tous les coups lui propose d’écrire dans l’ombre les livre à succès des autres. Mais peut-on prêter sa plume sans vendre son âme ? Dans un Paris dont la cruauté pousse à la mélancolie et ou détachement, même l’amitié est mise à l’épreuve ; tout autant que l’amour, dernier carrefour des illusions. Paul et Henri s’étaient rêvés grands écrivains, ils ne seront jamais que des petits farceurs…

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Transcript
00:00 [Générique]
00:06 Il est critique littéraire et écrivain, encore auréolé du prestigieux prix des deux magots
00:10 pour son livre "Château de sable", il revient avec son dixième roman "Les petits farceurs".
00:15 Bonjour Louis-Henri de La Rochefoucauld.
00:18 Bonjour.
00:18 Merci d'être présent à nouveau sur TVL pour présenter cet ouvrage édité chez Robert Laffont
00:24 et que vous pouvez bien évidemment acheter dès maintenant sur le site tvl.fr
00:28 à la rubrique boutique-boutique-tvl.fr.
00:31 Dans l'ouvrage, je retiens cette première phrase,
00:34 "Les écrivains sont d'une confondante naïveté si ces dindons connaissaient l'envers du décor".
00:40 Et c'est pour ne pas être un dindon que vous nous offrez un tableau,
00:43 mais cruel et très actuel des mœurs du monde du livre, de l'édition et de la presse.
00:49 Oui, j'espère, j'ai sans doute une part de naïveté plus grande que je ne l'imagine,
00:55 mais j'espère être assez lucide sur un certain nombre de points.
00:59 Et c'est vrai que j'ai voulu dépeindre ce milieu qui est celui que je connais,
01:03 de la presse et de l'édition, qui est un monde assez drôle où il y a pas mal de faux-semblants,
01:09 où à la fois les éditeurs se moquent un peu des auteurs, les auteurs sont insupportables,
01:13 les deux ont leur travers et ça crée, je trouve, une comédie humaine assez amusante.
01:18 Et voilà, c'est en partie une comédie de mœurs sur ce milieu.
01:22 Un milieu qui connaît l'entre-soi, mais un entre-soi qui est pratique.
01:25 Vous êtes critique à L'Express et à Technicard,
01:27 vous avez eu des bonnes critiques dans L'Express et dans Technicard ?
01:30 Exactement, oui, oui. Je ne sais que répondre.
01:34 Oui, en même temps, c'est des endroits où c'est d'une certaine manière un peu peut-être ma famille aussi,
01:40 une famille que je me suis trouvée en publiant des livres pendant une dizaine d'années,
01:43 en bossant, etc. Parce que j'ai aussi des ennemis ou des adversaires qui ne… voilà.
01:49 Qui ne vous lâchent pas.
01:50 Qui restent muets.
01:51 Qui restent muets, ce qui est aussi très désagréable.
01:53 Dans l'ouvrage, vous connaissez aussi bien, donc je le disais,
01:57 ces jeux de cirque journalistique et d'édition.
01:59 C'est un univers que vous connaissez comme votre poche.
02:01 Est-ce qu'il est plus vicieux, finalement, plus vicié, plus roublard,
02:06 que le monde universitaire, le monde du showbiz, le monde médical ?
02:10 Parce que partout règnent les mots que vous dénoncez.
02:12 L'hypocrisie, l'absence de bienveillance, la méchanceté,
02:15 ce n'est pas réservé au monde de la presse et celui de l'édition.
02:18 Alors, je pense que le monde de la politique est beaucoup plus dur, par exemple.
02:23 Le monde des affaires doit être aussi plus dur.
02:27 Parce que là, par exemple, le monde d'édition,
02:29 ce n'est pas non plus des sommes d'argent non plus délirantes par rapport à d'autres milieux.
02:34 Non, la particularité du monde des lettres,
02:37 ce qui doit être pareil dans le monde de la musique,
02:39 c'est le mélange entre l'art, entre guillemets, ou la création, et l'industrie.
02:45 Et ça, je pense que c'est quelque chose qui crée pas mal de quiproquos, de malentendus,
02:53 entre des abrutis qui sont perçus d'être des grands artistes,
02:58 des éditeurs qui essayent de faire prendre des vessies pour des lanternes.
03:05 La particularité de ce monde, c'est peut-être ça,
03:07 c'est peut-être les malentendus qu'il y a entre industrie et art, avec création.
03:13 – C'est-à-dire que vous décrivez dans l'ouvrage, en fait,
03:16 qu'à côté d'écrivains sincères, écrivains authentiques,
03:19 il y a une fabrique d'écrivains, des gens que l'on fabrique
03:23 pour devenir grands écrivains ou devenir tout au moins écrivains
03:26 qui vendent grandement leurs livres.
03:28 – Exactement, en fait, ce que ce livre raconte,
03:30 c'est le parcours d'un homme qui s'appelle Paul Beauvon,
03:33 qui est un jeune de province, de Grenoble, très exactement, comme Stendhal avant lui.
03:38 Et il arrive à Paris, lui justement, un peu avec une idée de la littérature
03:42 qui est restée au 19ème siècle, un peu romantique comme ça.
03:45 Il écrit un livre très ambitieux qui s'appelle "Le roman national",
03:48 qui est une sorte de pastiche de l'histoire littéraire française
03:51 de Chrétien de Troyes à Houellebecq, on peut en dire pour résumer.
03:55 Et ce livre de plus de 1000 pages, évidemment,
03:57 on ne rencontre pas ses lecteurs, fait un bide,
04:00 mais un éditeur juste un peu fourbe se dit,
04:04 si ce type sait pasticher Châteaubriand et Victor Hugo,
04:07 il saura pasticher les best-sellers du jour.
04:10 Et à ce moment-là, en effet, ce personnage un peu romantique, idéaliste,
04:13 découvre que l'édition c'est aussi une fabrique industrielle.
04:18 Et donc ce pauvre garçon va se retrouver cheville ouvrière de cette industrie
04:22 en écrivant des livres pour les autres, de manière industrielle.
04:26 – Alors le narrateur, il s'appelle Henri,
04:28 vous vous cachez derrière ce narrateur pour raconter la vie de Paul.
04:34 Vous le dites, ce sont les meilleurs amis pendant plusieurs années, tout au moins.
04:39 Ce sont, dites-vous, des frères.
04:41 Paul est presque, pour Henri, un double, une sorte de projection idéale ?
04:47 – Oui, disons que les deux, ils sont différents,
04:50 parce qu'il y en a un qui est parisien et qui peut-être par sa naissance
04:53 ou par sa jeunesse maîtrise certains codes que Paul n'a pas.
04:57 En même temps, c'est Paul qui a le talent créatif qu'Henri n'a pas.
05:01 Henri, du coup, lui, devient journaliste.
05:03 Et donc ce que je voulais montrer par là, c'était d'un côté,
05:07 une sorte de spectateur, une sorte d'espion un peu,
05:11 et de l'autre, un acteur mais qui va se prendre les pieds
05:16 dans ce piège qu'a vu son ami journaliste mais que lui n'avait peut-être pas vu.
05:20 Et donc, oui, peut-être que ce personnage de Paul est plus pur,
05:26 et en ce sens, il est peut-être une version
05:30 de ce que le journaliste lui aurait bien aimé être.
05:32 Mais voilà, est-ce qu'il vaut mieux être pur ou être lucide ?
05:36 – Je retiens, quand on est écrivain raté, il faut être journaliste.
05:39 – Exactement.
05:41 – Surtout. La vraie différence entre nous, dites-vous,
05:43 la voici, en provincial motivé, Paul tenait à tout prix à réussir
05:47 alors qu'en parisien blasé, il ne déplaisait pas.
05:50 Henri, d'échouer pourvu qu'il y ait du bon temps.
05:54 L'auteur se cache derrière le narrateur.
05:56 – Alors, c'est vrai que je ne suis pas quelqu'un d'hyper ambitieux,
06:03 au sens de la réussite sociale et tout ça,
06:05 c'est pas vraiment ce qui me motive.
06:07 Jusqu'à présent, je conduis ma vie plutôt en essayant
06:12 de rencontrer des gens intéressants et amusants.
06:14 – En guidant ?
06:16 – Alors, en fait, mine de rien, je ne fais pas mal travailler.
06:20 – On recuse le terme.
06:23 – Peut-être que c'est une pause que je prends.
06:25 Mais c'est vrai que ma motivation, c'est plutôt toujours de trouver
06:30 de l'amusement et de la surprise, plus que de la carrière avec un grand C.
06:36 – Alors, dans un passage des "Illusions perdues" que vous citez,
06:40 un personnage dit à Lucien Druband-Pré,
06:42 "tu pourras être un grand écrivain, mais tu ne seras jamais qu'un petit farceur".
06:46 En quoi nos héros sont des petits farceurs ?
06:49 Le titre de l'ouvrage, en quoi sont-ils des petits farceurs ?
06:52 – Écoutez, ils sont des petits farceurs,
06:55 alors déjà, ce sorte de balancement de Balzac me plaît beaucoup,
06:59 quand on écrivait un petit farceur.
07:03 Ils sont des petits farceurs au sens où, oui,
07:06 on peut dire qu'ils resteront un peu des amateurs,
07:10 mais après, ce titre, un peu à double sens,
07:12 s'applique aussi aux personnages qu'ils rencontrent dans le livre,
07:14 parce qu'ils vont être amenés à rencontrer un grand éditeur,
07:18 puis un peu plus tard, un ministre de la justice important,
07:22 des gens qui ont censé avoir, comme aurait dit Blaise Pascal,
07:26 des grandeurs d'établissement, des gens qui se pensent très importants,
07:30 et qui au fond, sont eux aussi des petits farceurs.
07:33 – Alors dans tout le roman, il y a eu des questions d'amitié,
07:34 on vient d'en parler entre Paul et Henri,
07:38 notamment avec C.O. et C.Vap', il y a aussi l'amour.
07:42 – Oui, alors je suis ravi que vous en parliez,
07:44 parce que peu de critiques ont relevé ce point,
07:48 alors que c'est vrai que c'est, à pas mal de titres,
07:49 un roman d'initiation, ce livre,
07:51 et dans tout roman d'initiation, il y a des histoires d'amour,
07:53 et ici, il y a trois histoires d'amour,
07:56 notamment une au début et une à la fin, qui sont importantes pour le héros,
08:00 et où là aussi, je crois qu'il est assez romantique,
08:03 mais peut-être dans le mauvais sens du terme.
08:07 – C'est-à-dire ?
08:09 – Peut-être que… comment expliquer ça ?
08:15 Ben… peut-être qu'il a tendance à idéaliser,
08:20 et à finalement passer à côté de…
08:23 ben je ne sais pas, à malsy prendre dans sa manière antivis,
08:26 ces histoires d'amour…
08:30 je ne saurais pas vous dire précisément pourquoi.
08:33 Si, comment je pourrais vous dire ça ?
08:35 Par exemple, il y a un roman que j'adore,
08:36 qui est « Le jardin des Finzi-Contini » de Giorgio Bassani,
08:40 qui est un roman de 350 pages, où il ne se passe rien,
08:44 et à la fois, il se passe tout dans la tête du narrateur,
08:47 qui fantasme une espèce d'histoire d'amour avec une fille
08:50 qui en vérité n'aura jamais lieu,
08:52 et peut-être qu'il se serait conduit différemment,
08:54 cette histoire aurait existé, etc.
08:58 Et mon personnage, lui, a tendance peut-être à rêver l'amour,
09:02 plus qu'à le vivre.
09:05 – Allez, autre personnage à part entière, plus simple, Paris.
09:08 Un Paris qui va, cette fois-ci, de Saint-Germain-des-Prés
09:11 pour revenir tout de suite dans le 16e arrondissement de la capitale.
09:15 La comédie de moeurs se déroule à Auteuil et à Passy.
09:19 C'est un roman parisien, mais au sens topographique du terme.
09:23 – Oui, alors c'est vrai que c'est ce que je connais du monde,
09:27 c'est ce que je connais du vaste monde.
09:29 Je ne connais pas les steppes mongoles, je ne connais pas la Patagonie,
09:32 et finalement, c'est aussi un monde dans lequel je tourne un peu en rond,
09:38 comme un personnage de Modiano depuis ma naissance.
09:41 Mais les quartiers où j'ai la chance de vivre
09:45 me semblent avoir une certaine poésie,
09:47 et que j'essaie de rendre dans ces livres.
09:50 Après, il y a un peu aussi de l'humour, c'est un peu une "primary joke"
09:53 parce que, de faire comme si je passais ma vie là-dedans,
09:56 il m'arrive d'en sortir quand même.
09:58 Mais c'est vrai que j'aime bien mettre en scène ces quartiers-là, oui.
10:01 – Et il y a dans ce 16e arrondissement un lieu de pouvoir, finalement,
10:04 que vous allez désigner dans l'ouvrage, qui est la ville de la Momorancie.
10:07 Et c'est vrai que c'est un lieu de pouvoir avec des grands patrons qui y vivent,
10:10 des grands politiques et des politiques qui vivent juste à côté,
10:14 comme l'a lancé un président de la République.
10:15 Cette ville de la Momorancie, elle symbolise pour vous le lieu de pouvoir
10:20 et de tout ce qui tourne autour, des fois peu ragoutant.
10:24 – Oui, c'est intéressant parce que personne ne m'en a parlé,
10:26 alors qu'en effet il y a un chapitre qui s'appelle "Pandemonium" dans mon livre,
10:29 qui est une sorte de soirée qui a lieu à la ville de la Momorancie
10:32 chez le ministre de la Justice.
10:34 Et on croise des gens, à la fois des banquiers, des gens du showbiz, etc.
10:39 – Et c'est qui en réalité ?
10:41 – Alors ça, on ne peut pas citer de nom.
10:43 Mais il y a des gens réels très importants qui habitent la ville de la Momorancie.
10:47 Il y a aussi des footballeurs du Paris Saint-Germain,
10:50 je sais que Thiago Silva s'était fait cambrioler là-bas.
10:52 Et ce que je voulais montrer à travers ce chapitre,
10:54 c'est que c'est une découverte que fait le personnage de Paul,
10:56 qu'il y a une sorte de, à Paris aussi,
10:59 une sorte de concentration des élites parfois un peu bizarre.
11:04 – C'est un lieu fermé, la ville de la Momorancie,
11:06 un lieu dans lequel on ne peut pas rentrer,
11:07 avec des propriétés, une propriété privée très grande.
11:11 – Et donc c'est vrai que c'est là pour vous, la quintessence du lieu de pouvoir ?
11:14 – Oui, ça incarne vraiment pour moi le pouvoir,
11:16 dans ce qu'il peut y avoir, d'exclusif.
11:18 Et de concentration, à la fois d'argent, de pouvoir, de pouvoir divers.
11:27 Et c'est vrai que dans cette soirée,
11:29 je crois que ce personnage de Paul en sera assez déprimé de cette soirée,
11:33 parce qu'il comprend que finalement, il n'arrivera jamais à s'insérer vraiment
11:37 dans ce monde auquel il a accès un peu,
11:38 parce qu'en tant que prêt-de-plume, comme on dit maintenant,
11:41 dans le milieu éditorial,
11:43 il se retrouve à écrire des livres pour des gens importants.
11:47 Donc il a accès, d'une certaine manière,
11:49 c'est comme s'il était dans l'antichambre un peu du pouvoir,
11:52 ou du tout-pari, on peut appeler ça différemment,
11:54 de différentes manières, pardon.
11:56 Et il comprend quand même que oui,
11:58 c'est un monde qui lui restera quand même fermé.
12:00 Il a pu y mettre peut-être un pied, ou un doigt de pied, un orteil,
12:03 mais il n'arrivera pas à s'y insérer vraiment.
12:04 – C'est vrai que vous vous montrez intraitable
12:06 avec ce monde de la presse et de l'édition.
12:08 C'est le cas aussi des portraits qui traversent le roman,
12:10 celui de l'écrivain Rossi, de l'éditeur Octave Marciac,
12:13 et de beaucoup d'autres.
12:16 Je vous ai demandé des noms, vous ne me les donnez pas,
12:18 et je vous ai entendu dire par ailleurs
12:19 que vous aviez fabriqué des personnages composites,
12:21 c'est-à-dire le mélange de plusieurs personnages connus.
12:25 – Hum hum.
12:26 Alors honnêtement, pour l'éditeur Octave Marciac,
12:30 je peux vous donner deux noms, si vous y tenez.
12:32 – Je tiens.
12:33 – Je pense que le modèle principal était Jean-Claude Fasquel,
12:35 qui était anciennement le grand patron de l'édition Grassen,
12:39 dont il avait hérité, matinée d'un peu de Bernard de Falois.
12:43 Donc deux personnes qui sont mortes aujourd'hui,
12:46 et qui, je trouve, de deux manières différentes,
12:48 incarnaient un peu l'éditeur à l'ancienne.
12:52 C'est-à-dire un homme à la fois très installé, mais cultivé,
12:59 maîtrisant aussi les ficelles de manière assez roublarde de son milieu.
13:04 Après, j'en fais des portraits qui ne sont pas à charge non plus à 100%,
13:07 parce que je trouve qu'en même temps, ces personnages ont aussi du charme.
13:13 Et après, d'ailleurs, ce personnage d'Octave Marciac,
13:17 on peut le dire, meurt au milieu du livre.
13:20 Il est remplacé par quelqu'un qui est censé incarner un peu
13:23 la jeune génération d'éditeurs.
13:25 Et je ne suis pas sûr que la nouvelle génération
13:27 soit meilleure que la précédente.
13:29 Le vieux monde peut avoir du bon aussi, ouais.
13:32 Alors l'écrivain Rossi, je préférerais avoir le nom d'écrivain,
13:35 parce qu'en fait, dans votre ouvrage, Rossi,
13:37 il n'écrit pas de livres dans la réalité.
13:39 Alors ça, pour le coup, il a moins de modèles directs.
13:42 Mais en revanche, il se trouve que je collabore au magazine Lire,
13:45 et à ce titre, je vais souvent rencontrer des écrivains
13:47 pour faire leur portrait.
13:48 Et là, je me suis plus amusé à piquer un peu des marottes ou des...
13:54 Je n'en sais rien, un écrivain, par exemple,
13:57 qui avait des machines pour faire du sport chez lui
13:59 et qui semblait passer plus de temps à faire du vélo d'appartement
14:03 qu'à écrire ses livres.
14:04 Mais ça, je ne peux pas vous dire qui c'est,
14:06 d'autant qu'il est assez gros, bizarrement,
14:07 alors qu'il passe plus de temps sur son vélo d'appartement
14:09 que derrière son traitement de tête.
14:10 - Il peut mieux écrire, finalement.
14:12 - Ben oui, peut-être que ça lui ferait du bien.
14:14 Non, ça, c'est vraiment un mélange de...
14:16 - Alors je vais contourner la question,
14:17 parce qu'elle m'intéresse quand même, lui, en lieu de la Rochefoucauld.
14:19 Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui,
14:21 il y a des écrivains connus du grand public
14:23 et qui n'écrivent pas du tout leurs livres ?
14:26 - Ça peut exister, on a des noms.
14:28 Mais là, aujourd'hui, quelqu'un qui a un énorme succès,
14:31 on ne va pas donner les noms,
14:32 mais on voit bien qui a un énorme succès,
14:36 mérité ou pas, la question ne se pose pas,
14:38 qui soit susceptible de ne pas écrire ses livres
14:40 ou d'être très aidé à les écrire ?
14:43 - Alors, il y a des gens très connus qui n'écrivent pas leurs livres,
14:49 et qui publient des livres,
14:51 mais sans être considérablement comme des écrivains.
14:54 Enfin, vous voyez ce que je veux dire,
14:56 des hommes politiques, par exemple.
14:58 Mais alors, est-ce que ça, on considère que c'est des écrivains ou pas ?
15:01 Non, pas vraiment.
15:02 Après, des romanciers, oui, j'ai déjà entendu des noms d'auteurs
15:08 qui sont considérés comme des écrivains,
15:09 qui se prennent pour des écrivains,
15:10 et il fallait que les éditeurs, derrière,
15:13 fassent pas mal de nettoyage, oui.
15:15 - Alors, il y a un personnage, au moins,
15:16 qui n'est pas composite dans le livrage,
15:18 et pourtant, c'est le pire de tous,
15:19 c'est Hubert Pocovzat, qui était le patron d'Une pote de nuit.
15:23 - Des bains-douches, oui,
15:25 parce qu'il se trouve qu'en fait,
15:26 quand Paul se retrouve à la Villa Montmorency,
15:31 chez ce ministre de la Justice qui s'appelle Albert Bianchi,
15:34 dans mon souvenir, j'espère ne pas dire de bêtises,
15:36 Bianchi vit là parce qu'il a un copain qui s'appelle Richard Rascasse,
15:40 qui est un grand banquier d'affaires,
15:41 qui lui prête une maison à Villa Montmorency.
15:44 Et il y a un troisième camarade,
15:45 qui est un type, une espèce d'imprésario horrible
15:48 qui travaille dans le milieu de la musique.
15:49 Et j'explique que ces trois personnages, en fait,
15:51 sont devenus amis dans les années 80,
15:53 et se sont rencontrés au bain-douche,
15:55 qui incarnaient vraiment les années 80, cocaïnés.
15:58 - Ah ben je vous cite,
15:59 "Le pire de tous s'appelait Bukovza, patron des bains,
16:02 le club emblématique de cette décennie maudite.
16:04 Ses manières de manouche ne s'étaient pas arrangées avec la cocaïne,
16:07 s'en filait 4 grammes par jour, accentue l'éthique des mauvais garçons,
16:10 ayant débuté comme pizzaïolo,
16:11 Bukovza ne pensait qu'à gagner de l'argent facile,
16:14 à et arrosé de drogue,
16:15 une clientèle de mannequins à la mode et de dragueurs connectés,
16:17 de montants l'air et d'hommes d'affaires véreux,
16:19 de gommeux et de gourgandines,
16:20 de regatons du cota et de fils de bourges encanaillés,
16:23 de rutilants marlous et de noms ronflants,
16:25 issus du cinéma, de la chanson et de la télé."
16:28 Fin de citation, il est habillé pour l'hiver.
16:30 - Ah là là, je me suis fait plaisir.
16:31 Non mais alors, Bukovza est mort,
16:33 donc il ne me fera pas de procès en diffamation.
16:35 Et en plus, il a raconté tout ça dans ses propres mémoires,
16:38 où il parle de ses abus de cocaïne et tout ça.
16:41 Et non, je sais pas, je trouve ce nom assez marrant en fait, Bukovza.
16:45 Et lui est un personnage, ouais, en même temps flamboyant et incarnant,
16:49 et en même temps qui s'est auto-détruit dans tout ça.
16:52 Et voilà, comme les bains douches pour le coup, est un lieu réel,
16:58 je trouvais finalement pourquoi inventer un faux patron des bains douches,
17:01 quand le vrai patron est plus romanesque que ce que j'aurais pu inventer.
17:04 - Vous avez inventé un faux ministre de la Justice.
17:07 - Oui.
17:09 - Et c'était pour mieux étrier, ça je gardais ça pour à la fin,
17:12 et peut-être plus que de raison d'ailleurs le monde politique.
17:15 Alors là, toute cette mascarade, je cite encore,
17:17 de Sacrypan et de Sigisbé, de Saligo et de Sagouin,
17:20 mais c'était magnifique, mieux que le satiricon.
17:24 - Oui, un petit plaisir personnel que cette allitération.
17:31 Oui, en fait, il y a un côté dans le livre,
17:34 ça serait très exagéré de parler de Cercle de l'Enfer,
17:38 mais il y a un peu ce côté-là, ce narrateur encore une fois,
17:41 ce personnage un peu naïf de Paul.
17:43 Finalement, on va découvrir le monde des lettres,
17:47 qui ne lui paraît pas je dis, je lis,
17:50 et après c'est vrai qu'il va découvrir encore pire,
17:52 avec ce monde mêlant politique et affaires.
17:56 Et oui, en tout cas, moi, ce n'est pas du tout un endroit
17:58 où j'aimerais évoluer.
18:00 - De toute cette épopée de satrapes, de maquignons et de loupards
18:05 m'inciterait à courir, m'enfermer chez moi,
18:07 pour écrire ce que j'ai vu.
18:08 C'est un peu ce que vous faites.
18:10 - Exactement, oui.
18:11 En fait, j'ai une grande admiration et même vénération pour Saint-Simon.
18:15 Et je trouve que c'est, je ne sais pas,
18:19 je comprends très bien ce choix qu'il a fait
18:21 d'essayer d'observer la comédie du pouvoir et tout ça,
18:24 et ensuite de s'enfermer pendant je ne sais plus combien de temps
18:27 à Noircir, à Noircir des milliers de kilomètres.
18:30 - À la cour, et ça fait 20 volumes, les mémoires de Saint-Simon.
18:34 - Exactement, voilà.
18:36 - Et vous, vous seriez parti et enfui depuis longtemps.
18:38 - Voilà.
18:39 - Alors vous, vous êtes caché dans le personnage de narrateur,
18:42 je l'ai dit, Henri Destissac.
18:44 Un des personnages avec qui il travaille dans le magazine Avant-Garde
18:47 lui dit "c'est une toque trois pas, le droit de flinguer,
18:49 on ne te prendra pas au sérieux, on écrira un seul assortiment".
18:51 Pierre Tombal, Henri Destissac, profession Robinette d'Autillède.
18:55 Et votre roman, c'est pour dire que vous n'êtes pas vous,
18:57 un Robinette d'Autillède ?
18:59 - Non, j'ai la réputation d'être un critique méchant en musique,
19:03 parce que je fais de la critique musicale aussi.
19:04 En littérature, ça m'arrive aussi de…
19:07 C'est vrai que si vous voulez,
19:09 je pense qu'il faut distinguer la critique et le journalisme culturel.
19:13 Le journalisme culturel, ça consiste à dire
19:15 "voilà quelle est l'offre culturelle,
19:17 comme on dit maintenant, voilà ce qui sort, etc."
19:19 - Une exposition, un film.
19:21 - Et souvent finalement, après on ne dit pas grand-chose
19:23 et je trouve que trop souvent,
19:24 la presse fait du journalisme culturel maintenant
19:27 et pas de la vraie critique avec un point de vue fort,
19:30 quitte à ce qu'il soit de mauvaise foi,
19:32 moi ça ne me pose aucun problème.
19:33 D'ailleurs, ça ne me pose aucun problème de lire par exemple
19:35 un article assassin sur un artiste que j'adore.
19:38 Même souvent, je suis premier en rien.
19:41 Et aujourd'hui, c'est vrai qu'on est dans ce monde
19:43 où il faut faire attention à tout.
19:48 Et je pense en effet qu'un bon critique doit quand même,
19:52 de temps en temps, pour construire une éditoriale digne de ce nom,
19:56 dire ce qu'il aime, dire ce qui lui paraît intéressant et valable,
19:58 mais aussi dire ce qui lui semble être des repoussoirs.
20:02 - Est-ce que vous arrivez à vivre dans ce monde que vous nous décrivez,
20:06 le pire des mondes ?
20:07 - Alors écoutez, figurez-vous que j'ai signé une promesse d'embauche
20:10 pour la première fois de ma vie, à 38 ans,
20:13 donc c'est la preuve qu'il y a de l'espoir.
20:16 Non, je pense qu'il faut être patient,
20:19 il faut être prudent, pas au sens de peureux, etc.
20:25 Mais il faut réussir à comprendre quand même les règles du jeu, etc.
20:31 Et après, essayer quand même de fréquenter des gens qu'on...
20:35 Moi, il me semble que le seul calcul,
20:37 c'est d'essayer de fréquenter des gens qu'on estime et qu'on...
20:41 pour lesquels on a un peu d'admiration,
20:43 quitte à ce que ça prenne plus de temps de se faire une place dans ce milieu.
20:46 - Les petits farceurs, est-ce qu'il y a l'obligation d'un prix ?
20:48 Vous avez eu les deux magots pour le précédent,
20:51 est-ce que c'est obligatoire ?
20:53 Si vous ne l'avez pas, est-ce que vous vous en remettez ?
20:57 - Il faudra s'en remettre.
20:58 Non, non, écoutez, c'est...
21:00 C'est histoire de prix, c'est assez étrange,
21:01 parce que c'est vrai que ça vous met dans une situation un peu angoissante
21:05 où votre vie peut basculer d'un bon côté,
21:09 si vous avez un prix important et tout ça.
21:12 Mais il faut, je crois, essayer de vivre ça avec détachement et humour,
21:16 même si ce n'est pas toujours si facile que ça.
21:20 - Vivre ça avec détachement,
21:21 vous savez que si vous n'êtes pas un grand écrivain,
21:22 vous ne serez qu'un petit farceur.
21:24 - Exactement, mais je crois qu'il faut se dire ça, oui.
21:28 - Jean-Henri de Laroche-Foucault, les petits farceurs,
21:30 merci d'être venus évoquer cet ouvrage.
21:34 Je vous invite à le lire parce que c'est un très, très beau roman.
21:37 C'est "Dit l'Express" et je dois aller croire,
21:39 le roman de la rentrée.
21:40 Donc si l'Express le dit, c'est que ça doit pas être faux.
21:43 Merci à vous.
21:43 - Merci à vous.
21:45 Sous-titrage Société Radio-Canada
21:49 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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