Débat critique : "La Danseuse" de Patrick Modiano, un roman "grâcieux, ironique et aérien"

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00:00 Je vous souhaite une bonne fin de journée et à la prochaine !
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03:46 Place à la critique !
03:51 Aujourd'hui, deux romans, l'un est court, l'autre long. L'un est français, l'autre américain.
03:56 Et leurs auteurs sont loin d'être des novices. J'ai nommé Patrick Modiano d'un côté et Joyce Maynard de l'autre.
04:01 Et pour en débattre, j'accueille ce midi dans les midis de culture, Virginie Bloch-Lenny. Bonjour !
04:06 Vous êtes critique littéraire à Libération et au magazine Elle. A côté de vous, Élise Lépine. Bonjour Élise !
04:11 Et je suis journaliste littéraire au point bienvenue à toutes les deux dans les midis de culture.
04:16 Et on commence avec le dernier roman de Patrick Modiano, La danseuse.
04:21 Et on commence avec le dernier roman de Patrick Modiano, La danseuse.
04:26 Brune ? Non, plutôt chatin foncé avec des yeux noirs.
04:31 Elle est la seule dont on pourrait retrouver des photos.
04:36 Comme les petits pierres, leurs visages se sont estompés avec le temps.
04:41 D'ailleurs, c'était un temps où l'on prenait beaucoup moins de photos qu'aujourd'hui.
04:46 Et pourtant, certains détails demeurent assez présents. Il faudrait en faire une liste.
04:51 Mais il serait très difficile de suivre l'ordre chronologique.
04:56 Le temps qui a brouillé les visages a gommé aussi les points de repère.
05:01 Un nouveau livre de Patrick Modiano, prix Nobel 2014, est toujours un événement.
05:06 On parle d'ailleurs du dernier Modiano. Cette fois-ci, ce dernier Modiano ressemble à un condensé
05:12 de ce qui fait justement un Modiano. Souvenirs flous, précisions des détails, atmosphère d'un Paris oublié,
05:18 inquiétante étrangeté qui surgit. A travers le portrait d'une danseuse qui donne son titre à ce roman,
05:24 le narrateur plonge dans ses débuts littéraires, sa discipline à lui, pour survivre.
05:28 On penserait presque qu'il s'agit d'autofiction, mais non, c'est bien un roman, court, d'une centaine de pages.
05:34 Alors, on en pense quoi du fameux dernier Modiano ? Virginie Bloch-Lénet.
05:38 Je le trouve merveilleux. Chaque roman de... On l'a entendu avec ce début.
05:44 C'est les premières lignes du roman.
05:45 C'est ces premières lignes qui sont épurées, fluides. Chaque roman de Modiano est un condensé de son univers.
05:51 Là, on a une quintessence épurée. En effet, il est bref. Il y a de l'ironie. C'est aérien. C'est gracieux.
06:02 Il n'y a pas vraiment d'histoire. S'il y a une histoire, c'est la rencontre, peut-être, entre...
06:09 Le rapprochement entre deux métiers et la formation d'un écrivain, le métier de danseuse et le métier d'écrivain.
06:18 Ce ne sont pas n'importe quelle danseuse et n'importe quel écrivain.
06:23 Ils pratiquent leur art à ne pas compter, écrit le narrateur.
06:28 Et c'est la façon dont écrit Modiano.
06:31 Le narrateur dit aussi... Il est jeune. Il rencontre cette danseuse. Il va rencontrer d'autres personnes avec elle.
06:37 Il dit qu'il ne peut pas insister. C'était sa façon d'être.
06:42 Tout le roman est comme ça. Il est léger. Je crois qu'on le rouvre après l'avoir lu à n'importe quelle page.
06:49 Et on retrouve des choses qui nous touchent, nous, et qui sont flottantes.
06:55 Et qui nous touchent dans la façon dont on vit, dont on se conduit avec les autres, dont on avance dans une ville.
07:02 - Élise Lépine, vous partagez, vous aussi, cette impression de légèreté, d'être aérien.
07:07 On a presque l'impression que vous en parlez comme d'un bijou.
07:10 - Oui, c'est un roman qui m'a aussi beaucoup touchée.
07:14 On retrouve à chaque fois avec grand plaisir la plume et l'univers et l'écriture de Patrick Modiano.
07:21 Mais moi, j'ai trouvé qu'il était particulièrement touchant dans les temps que nous vivons en ce moment.
07:25 Il écrit d'ailleurs, je cite, "Nous vivions des temps difficiles depuis trois ans, comme je n'en avais jamais connu de ma vie.
07:30 Et le monde avait changé si vite autour de moi, que je m'y sentais un étranger."
07:34 Et en fait, il ressent ça, ce narrateur, qui est à la fois entre deux époques, l'époque contemporaine et cette époque lointaine dans laquelle il remonte, quand il remonte le fil de ses souvenirs.
07:44 Et je trouve que Patrick Modiano a beaucoup écrit sur des périodes traumatiques.
07:49 Il a beaucoup écrit sur la Shoah, il a beaucoup écrit sur la guerre, des périodes post-traumatiques.
07:54 Et là, je trouve que c'est l'une des premières fois où on le retrouve, saisi un peu d'effroi face à la période qu'il vit en ce moment.
08:02 Et ça dit quelque chose, sur ce qu'on traverse tous en écoutant les titres, on se dit "mais quelle période est-on en train de traverser ?"
08:09 Et je trouve que Modiano, là, nous partage ce même sentiment d'effroi, d'être un peu perdu, d'être un peu traumatisé par l'époque contemporaine.
08:20 Et cette écriture intemporelle qui est la sienne, cet univers intemporel qui est le sien, et cette façon de replonger dans le passé, je trouve, nous rassure et nous apporte beaucoup de réconfort.
08:28 Virginie Bloch-Lennon, vous vouliez intervenir ?
08:30 Oui, ce que dit Élisée est vrai, je l'ai lu il y a 15 jours, et en le relisant très récemment, il y a plusieurs phrases qui prennent un autre sens,
08:44 et il écrit notamment, il lui arrive quelque chose, il rencontre quelqu'un, "mais cet épisode était de peu d'importance dans le monde si dur et si incompréhensible où nous vivions depuis quelque temps".
08:54 Au début, j'ai pensé que c'était le confinement, en l'ayant lu il y a 15 jours, et là, ça colle à l'époque.
09:01 Alors, les critiques ont tendance à faire ça ici, dans cette première partie, ils disent souvent "je suis content de retrouver tel auteur, tel cinéaste, tel peintre",
09:13 mais pour moi qui n'avais jamais lu de Patrick Modiano, j'ai été complètement saisie aussi par quelque chose, sans même me dire "je retrouve Patrick Modiano,
09:22 je retrouve là un condensé", j'ai été très frappée par cette sorte de familiarité et d'étrangeté, il y a quelque chose d'inquiétant qui monte au fur et à mesure des pages,
09:31 alors qu'en fait, il n'y a que 95 pages, c'est quand même rien, et on s'attend à un drame, et en fait, non, c'est très doux, c'est très délicat, exactement comme ça Élise Lépine.
09:41 Oui, mais je pense que cette inquiétude, c'est parce que c'est une écriture du fantôme qu'il pratique Patrick Modiano, il écrit vraiment sur le spectre,
09:50 alors il y a quelque chose de fondamentalement inquiétant dans le fait de convoquer les esprits ou le passé, ce qui s'est évanoui, ce qui revient,
09:59 cette danseuse, elle est un peu comme un spectre qui revient dans sa mémoire, il se demande quel visage elle a maintenant,
10:04 est-ce qu'on peut reconstituer quelque chose d'elle, et en même temps, elle est très présente, donc c'est vraiment une écriture un peu spirite,
10:10 donc forcément, il y a une inquiétante étrangeté dans cette écriture, mais aussi quelque chose de doux qui se déploie comme un fantôme qui nous caresse,
10:18 c'est pas un fantôme qui va se rejeter derrière nous et nous mordre au mollet, c'est un fantôme qui va venir nous caresser, nous embrasser,
10:25 c'est ça qui est beau aussi dans cette écriture.
10:27 Alors peut-être pour donner plus de billes aux auditeurs et aux auditrices, tout commence par la description, on l'a entendu de cette danseuse,
10:33 on entend bien le flou des souvenirs, et là le narrateur replonge en fait à la faveur d'une rencontre dans la rue avec quelqu'un,
10:41 un visage qui lui rappelle quelque chose et un nom qui revient, c'est Verzini, et là il replonge à la faveur de cette rencontre dans ces souvenirs-là,
10:48 et donc dans cette période où il a côtoyé une danseuse dont il a gardé l'enfant, et on a à ce moment-là l'impression effectivement de quelque chose
10:57 qui pourrait monter entre eux, une histoire d'amour ou alors une histoire inquiétante, et non, en fait, Modiano tient ce fil de cette rencontre
11:05 sans jamais rentrer dans les détails.
11:07 Oui, c'est un taiseux, et la danseuse aussi c'est une taiseuse, mais il se passe des choses qui sont un peu inquiétantes lorsqu'il est avec cette danseuse,
11:16 mais qui sont très formatrices. Il y a des scènes érotiques dans ce roman, il y en a trois, qu'on est tellement surpris de lire,
11:25 enfin moi la première je l'ai relue pour être sûre d'avoir bien compris, il ne se passe pas vraiment de choses inquiétantes,
11:32 mais il note quand même que l'enfant de cette danseuse qui ne voit jamais son père est très seul, et il s'en occupe en ayant,
11:41 enfin comme quelqu'un qui sait ce que c'est qu'être un enfant blessé, donc on comprend que le narrateur a eu aussi une enfance difficile,
11:48 elle manque d'argent, il y a le manque d'argent, c'est bizarre en fait, Modiano...
11:53 Et puis elle évolue dans des milieux troubles, c'est-à-dire c'est des boîtes de danse, celui qui s'occupe d'elle, la danseuse qui finance ses cours de danse,
12:01 son mécène, a connu son père, a connu le père de son fils...
12:06 On se demande s'il ne pourrait pas être proxénète à un moment donné, mais rien n'est dit non plus là-dedans,
12:10 mais c'est comme si Modiano ne voulait pas prendre de décision sur ses personnages, sur ce qu'il allait leur faire vivre finalement.
12:17 Il effleure, il vaporise, il effleure, il dit des choses inquiétantes quand même, puisqu'elle rencontre,
12:23 mais avec beaucoup de tact, il ne fait qu'effleurer ça. Il se souvient que cette danseuse a vu un revenant, ce qu'elle appelle un revenant,
12:34 c'est un homme avec lequel elle avait une maille à partir, qui l'approche, qui la suit, elle l'écarte d'un coup de coude,
12:41 elle en parle à Verzini, cette espèce de mécène, qui lui dit "on va définitivement se débarrasser de lui".
12:47 Donc la paigre n'est pas loin, mais elle est dans le brouillard, c'est Modiano.
12:51 - Et que dire, Elise Lépine, sur cette absence, qui n'est pas forcément une critique ou un défaut,
12:58 mais d'engagement, de dessiner une voix précise, les intentions des personnages, où ils vont, les décisions qu'ils ont prises ?
13:06 - Moi je trouve que ça laisse beaucoup de place à l'émotion. On parlait de ce petit garçon, Pierre,
13:10 qui est l'un des personnages principaux du texte, et le plus touchant.
13:14 Moi il m'a complètement bouleversée, et on voit comme vous l'avez en effet, justement, on ne l'entend jamais parler,
13:19 on le voit jouer, il fait des puzzles, le narrateur vient l'aider à mettre une pièce dans le puzzle,
13:24 ça dit quelque chose de très fort aussi sur la façon dont Modiano considère la vie,
13:28 et donc qu'il considère l'enfance lui-même. Il l'a raconté dans "Un Pédigré", c'est un enfant blessé,
13:33 c'est un enfant qui a été beaucoup seul, qui a été beaucoup en pensionnat,
13:36 et il raconte l'histoire de ce petit Pierre, dont on sent qu'il est délaissé par cette mère un peu évanescente,
13:41 fantomatique, dont on sent qu'il n'a finalement pas grand monde à qui se raccrocher,
13:44 et puis ce narrateur-là lui prend la main, l'accompagne sur un bout de chemin, l'accompagne finalement toute sa vie,
13:50 puisque toute sa vie va se demander ce qu'est devenu Pierre, et puis on pense que Pierre doit aussi se demander ce qu'est devenu cet homme.
13:55 Et ce petit garçon-là, moi, m'a énormément touchée. C'est difficile de parler de Modiano,
13:59 mais là c'est pas très radiophonique, mais en disant ça j'ai des petits frissons sur les avant-bras.
14:03 Cette puissance du sentiment, cette puissance de l'attachement, et cette puissance de la solitude,
14:08 et de l'enfance blessée, est quelque chose qui, je trouve, nous transperce quand on lit l'œuvre de Modiano, par petites touches.
14:16 - Virginie Bloch-Lenay ? - Oui, c'est émouvant, il y a du chagrin,
14:22 et il y a aussi de l'ironie, et peut-être plus, il y en a toujours chez Modiano, mais il y a des passages drôles.
14:30 - Alors, drôles, écoutez-nous ! - Alors, il y a un moment où le narrateur dit
14:37 que la danseuse le présente comme quelqu'un qui écrit des chansons.
14:41 - Mais c'est comme ça qu'il se présente aussi, au tout début.
14:44 - Ou alors le professeur de danse dit "vous voulez la faire chanter", et là c'est vraiment l'univers de Modiano,
14:50 de la pègre, des clandestins, des gens qui ont changé d'identité.
14:54 Et il y a à la toute fin, une scène qui répond à la scène d'ouverture,
14:59 quelqu'un dans la rue voit le narrateur qui a vieilli, ce pourrait être Modiano maintenant,
15:05 et est persuadé de le reconnaître.
15:08 Et il l'appelle "l'élégant", le narrateur est furieux, et il dit "mais là, en ce moment,
15:14 c'est vraiment pas le moment de faire l'élégant, parce que rien ne va".
15:17 - Mais surtout, il se décrit, et en fait il a un vieux pantalon, des vieilles chaussures,
15:22 et il dit "je traînais dans la rue".
15:24 - Oui, et quand on le raconte, c'est toujours difficile, ça tombe à plat quand on raconte quelque chose d'amusant,
15:29 mais en le lisant, c'est drôle, parce que ça tient en une ligne,
15:36 et on rit un peu jaune, la catastrophe n'est pas loin.
15:42 - Et puis alors je voulais vous poser une question à toutes les deux qui connaissaient bien Modiano,
15:48 est-ce qu'on retrouve aussi, ce livre s'inscrit dans son oeuvre,
15:52 on retrouve ce parallèle entre une géographie intérieure, floue, perdue,
15:58 entre noms, réels, détails, et en même temps, ville qui s'efface,
16:04 il parle de ville étrangère, il ne se reconnaît plus dans Paris, dans ce monde incompréhensible et dur,
16:08 est-ce que c'est la même chose ici, de ce point de vue du condensé de Modiano ?
16:12 - Moi j'ai trouvé, j'ai relevé une autre phrase, les mêmes situations, les mêmes pas, les mêmes gestes,
16:16 se répètent à travers le temps, et ils ne sont pas perdus, mais inscrits pour l'éternité sur les trottoirs,
16:20 les murs et les halls de gare de cette ville, l'éternel retour du même.
16:24 Et l'éternel retour du même, ça c'est l'écriture de Modiano,
16:26 c'est un peu ce que parfois certains peuvent lui reprocher, qui est un peu d'ironie,
16:30 en disant "c'est toujours le même livre", mais oui, mais en fait c'est comme quand on traverse le pont des Arts,
16:33 c'est toujours le même pont, c'est toujours les mêmes bâtiments, c'est toujours la même scène,
16:36 enfin la même rivière, mais c'est pas les mêmes émotions, c'est pas la même lumière,
16:41 c'est pas le même état psychologique, c'est pas les mêmes personnes autour de nous,
16:44 et donc c'est toujours renouvelé. Et effectivement, il y a ce côté de ville qui est à la fois toujours un peu la même,
16:52 et jamais tout à fait la même non plus, et ces personnages qui ont toujours un petit peu le même pédigré,
16:58 pour reprendre un mot, de Modiano, et en même temps jamais vraiment le même,
17:02 et c'est quelque chose qui, moi j'en reviens à ce que je disais au début, qui me rassure,
17:05 qui me réconforte, et qui m'apporte du baume au cœur.
17:09 Donc, qu'on ait jamais lu Modiano, ou qu'on l'ait lu, c'est un très bon Modiano.
17:14 C'est un très bon Modiano, et pour ajouter quelque chose sur la ville, c'est peut-être, là, je trouve, dans ce roman,
17:20 oui c'est un très bon Modiano, dans ce roman, la ville, enfin Paris, l'insupporte.
17:27 Ah bah ça c'est…
17:28 Ils ne supportent… oui.
17:29 Les touristes avec leurs sacs à dos…
17:31 Les valises à roulettes…
17:33 Oui, jamais…
17:35 C'est un des moments, moi, qui m'a fait rire. Parce qu'en quelques phrases, il dit, mais c'est…
17:40 Où vont ces touristes ? Est-ce qu'il y a une espèce de rassemblement de touristes quelque part ?
17:44 Et c'est très drôle. C'est très drôle.
17:46 Comme s'il ne les met plus parmi…
17:47 Et c'est une façon de dire « c'était mieux avant », qui n'est pas quelque chose non plus très valorisant, de dire « c'était mieux avant »,
17:52 mais en même temps il le fait avec tellement d'humour, de délicatesse, et de d'espièglerie,
17:58 qu'en fait, on est d'accord avec lui, et on rit. Voilà. Moi j'ai ri.
18:04 Certains préfèrent les blises,
18:08 d'autres aiment mieux les blanchisses,
18:12 à les bros de spouses odisses,
18:14 moi mon tata c'est la danse.
18:17 L'édition de Marseille, la danseuse.
18:27 La danseuse de Patrick Moediano est disponible aux éditions Gallimard.
18:32 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
18:36 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
18:40 Et nous parlons à présent de l'Hôtel des oiseaux de Joyce Maynard.
18:46 J'avais 27 ans quand j'ai décidé de sauter du Golden Gate Bridge.
18:50 L'après-midi j'avais une vie merveilleuse, et une demi-heure plus tard je ne voulais plus que mourir.
18:56 J'ai pris un taxi, je suis arrivée près du pont juste après le coucher du soleil.
19:01 Il se dressait dans le brouillard, avec cette magnifique teinte rouge que j'adorais,
19:06 quand je m'intéressais encore à la couleur des choses et des ponts, lorsque je les traversais.
19:10 La vie de Joanne est marquée par deux drames.
19:13 Le premier enfant, quand sa mère meurt dans une explosion de bombes et qu'elle doit changer de vie et de nom.
19:19 Le second, quand adulte, mère et artiste reconnue, elle perd son mari et son enfant dans un accident.
19:25 Joanne, rebaptisée Amélia, décide, envisage peut-être de se suicider, on l'a entendu, mais ne le fait pas.
19:31 Elle prend un bus sur un coup de tête, direction l'Amérique centrale, l'Hôtel des oiseaux.
19:35 Parviendra-t-elle à se reconstruire ? C'est toute la question de ce 11ème roman de Joyce Maynard.
19:41 Roman en forme de conte sur la résilience.
19:44 Roman qui pourtant a suscité la polémique aux Etats-Unis.
19:48 Peut-être qu'on peut quand même commencer par là, Élise Lépine ?
19:51 Oui, c'est assez incroyable. Elle le raconte à la toute fin du livre, dans une postface.
19:56 Elle explique que quand elle a apporté ce roman à son éditeur, Joyce Maynard,
20:00 c'est une autrice qui est très appréciée aux Etats-Unis, très lue.
20:04 Elle a été adaptée, elle a fait des best-sellers.
20:06 Elle a écrit ce livre sur sa relation avec Salinger, sa relation d'emprise,
20:10 qui a à la fois suscité la polémique mais qui en même temps l'a mise en lumière.
20:14 C'est une grande plume américaine.
20:16 Elle est arrivée auprès de son éditeur avec un livre qui raconte l'histoire d'une femme américaine
20:21 qui part s'installer en Amérique centrale.
20:23 Nous, on sait que c'est le Guatemala, parce qu'on sait que Joyce Maynard a un hôtel,
20:27 ou du moins un endroit, à elle, près d'un lac, près d'un volcan,
20:31 exactement comme dans ce roman, où elle se réfugie depuis 20 ans,
20:34 et où elle a des ateliers d'écriture, où elle est proche de la population, etc.
20:38 Et quand elle a apporté ce manuscrit à son éditeur américain,
20:40 il lui a dit "je ne publierai pas ça parce que j'ai peur que ce soit de l'appropriation culturelle".
20:45 Et c'est assez sidérant.
20:47 Parce que oui, il peut y avoir des problèmes, et c'est sain aujourd'hui de considérer
20:50 comment on parle de certaines minorités, qui en parle, qui le fait,
20:55 et qu'écrivent les auteurs et les autrices.
20:57 Mais là, c'est quand même une américaine qui écrit l'histoire d'une américaine,
21:01 qui part dans un pays qu'elle connaît et qui ne va pas improviser des choses.
21:05 Le fait qu'elle n'ait été publiée que par un très petit éditeur aux Etats-Unis,
21:08 qu'elle ait été complètement ghostée, si je peux dire, par la critique,
21:11 qu'il n'y a pas eu de promo, pas d'interview, pas de critique dans les journaux,
21:16 c'est assez incroyable. Je trouve ça assez inquiétant, moi.
21:19 - Virginie Bloch-Lenay aussi sur cette polémique ?
21:21 - Oui, c'est inquiétant en effet. En le sachant avant d'avoir lu la toute fin,
21:28 j'ai essayé de repérer ce qui avait pu poser problème.
21:32 - Vous avez trouvé ?
21:34 - Alors, moi ça ne me pose pas de problème, mais sans révéler ce qui se passe dans le roman,
21:40 il y a un personnage qui est un natif d'Amérique centrale,
21:44 qui se présente comme un voyant dans le village où vient s'installer l'héroïne,
21:50 et qui est surtout consulté par des femmes, et lorsqu'elles viennent,
21:54 il leur fait des massages particuliers.
21:57 - Il abuse d'elles ?
21:59 - Il abuse, voilà. Lorsqu'elles sortent, les femmes ne parlent pas.
22:03 Elles ne parlent jamais. Sauf une va finir par parler.
22:08 Est-ce que c'est ça qui a posé problème ?
22:11 - Oui, on a du mal à savoir sur quoi dans le roman se figent, se fondent ces critiques d'appropriation culturelle,
22:19 hormis le fait que ça se passe dans les trois quarts du roman, au Guatemala.
22:23 Et effectivement, il y a des reproches peut-être à faire à ce roman, autre que celui-ci.
22:29 Peut-être aussi, est-ce que ce roman n'a pas été appréhendé avec l'idée d'une romancière
22:33 qui vit la moitié du temps au Guatemala, et qui s'envalorise, s'en glorifie ?
22:39 Je ne connais pas assez Joyce Maynard pour ça. Est-ce que c'est ça qui est rentré en compte ?
22:44 - Je ne pense pas. Je n'ai pas l'impression qu'elle se glorifie de ça.
22:47 C'est vrai qu'elle est très présente sur les réseaux sociaux.
22:49 Moi, je la suis sur Facebook, je crois.
22:52 Elle raconte beaucoup, mais elle le fait avec beaucoup de tendresse.
22:55 Il n'y a pas du tout ce côté colonialiste.
22:57 J'arrive et je leur tend la main, à ces pauvres gens.
23:00 Ce n'est pas du tout quelque chose qu'elle cultive ou qu'elle dégage.
23:03 Moi, je pense que c'est plutôt une question de peur des éditeurs,
23:06 qui, suite à l'affaire Jeannine Cummings, notamment, qui a été aussi publiée chez Philippe Ray
23:10 pour American Dirt, et qui a eu beaucoup de problèmes aux Etats-Unis
23:14 parce qu'elle avait écrit sur une migrante mexicaine sans être elle-même mexicaine.
23:18 Je pense qu'après, les choses se sont un peu sclérosées,
23:20 et que les éditeurs se disent "restons dans une zone de confort".
23:23 - Virginie Bloch-Lenay, après on va parler de...
23:26 - Les Américains, elle les appelle les "gringos",
23:30 et elle montre des Américains qui viennent faire des stages d'éveil spirituel en Amérique centrale.
23:35 - C'est plus une critique de l'Amérique, finalement,
23:37 et des Américains qui vont là-bas, qu'une appropriation du lieu.
23:41 - Absolument, une critique qui n'est pas appuyée, qui n'est pas caricaturale,
23:44 mais enfin, le mot "gringos" revient à part.
23:46 - Est-ce que ce roman est bon ? Qui veut commencer ? Elisabeth Lepin.
23:49 - Mais oui, moi je suis...
23:51 Alors, j'aime beaucoup Joyce Maynard, j'aime beaucoup ce qu'elle fait,
23:54 elle a aussi, comme Modiano, des thèmes qui lui tiennent très à cœur,
23:59 et sa grande obsession, ce sont les femmes qui, perdant tout, se reconstruisent.
24:05 Et la grande obsession de Joyce Maynard, c'est aussi le foyer.
24:08 C'est comment refaire foyer, quand on a créé quelque chose,
24:11 qu'on a réussi en "self-made woman" à se faire une maison, une famille, un métier, une carrière,
24:17 et puis que tout ça disparaît, et là elle le fait de la manière la plus violente possible,
24:20 puisque c'est la première fois dans son oeuvre qu'un enfant meurt.
24:23 En général, les enfants lui tournent le dos... - Et à 3 ans !
24:26 - Voilà, et à 3 ans.
24:27 Donc en général, c'est plutôt des enfants ados, etc., qui sont récupérés par le père ou par d'autres.
24:31 Et là, l'enfant meurt.
24:33 Et tout l'enjeu du livre, c'est cette femme qui saute dans le premier avion,
24:37 puis dans un bus, puis dans un train, etc., puis qui se retrouve un peu par hasard en Amérique centrale,
24:41 et qui va se recréer un foyer dans cet hôtel.
24:44 Et je trouve que ce qui est très touchant dans ce livre, c'est que le foyer que trouve le personnage
24:49 n'est finalement pas l'hôtel en soi, je ne vais pas spoiler, mais c'est à l'intérieur d'elle-même.
24:54 Et j'ai trouvé ça... Moi j'aime beaucoup ce qu'écrit Joyce Meadows,
24:56 parce que c'est qu'être une femme, et de traverser la vie.
24:59 C'est une vie entière, c'est 40 ans d'une vie dans ce livre.
25:01 Et en fait, c'est comment cette femme va échapper à ce sort qui vraiment la désuit, la détruit,
25:08 pour retrouver en elle-même, et non pas dans un lieu matériel,
25:12 la force de se reconstruire et d'avoir de nouveau un foyer et un avenir.
25:16 - Virginie Bloch-Lénet, est-ce que vous avez été autant emportée qu'Élise Lépine ?
25:19 - Alors, oui et non, je l'ai trouvé très long, ce roman.
25:23 - C'est vrai qu'il fait 520 pages, alors après le mot "diano", c'est une autre grande âme.
25:29 - Mais plus j'avançais, bizarrement, plus c'était long, et plus ça me plaisait,
25:35 parce que l'héroïne est très attachante.
25:38 Élise l'a très bien dit, c'est un portrait de femme, et ça c'est propre à Joyce Meadows.
25:43 Joyce Maynard, c'est une femme vaillante, c'est une femme à laquelle il arrive beaucoup de mésaventures,
25:51 et elle s'obstine, elle se défend mal, elle arrive à se reconstruire.
25:59 Et je trouve qu'il y a de très beaux passages avec les hommes, les relations.
26:03 Elle va rencontrer plusieurs hommes dans cet hôtel, et c'est très joli.
26:08 - Est-ce que vous aviez plus de réserves que la longueur, ou pas, Virginie Bloch l'aînée ?
26:15 - Non, c'est vraiment la longueur, mais parfois on n'en voit pas la fin.
26:18 Ah si, j'ai une autre réserve ! Il y a beaucoup de musique,
26:21 il y a beaucoup, les disques, les chansons, les titres des chansons,
26:25 qu'écoute cette héroïne, et qu'aime cette héroïne, c'est important, parce que ça lui vient de sa mère,
26:29 sont très présents au début.
26:31 Je trouve qu'il y a une pluie de noms de chansons qui est lourde au début.
26:37 Ça s'estompe et ça revient un peu à la fin.
26:40 Ça n'apporte pas grand-chose, mais ce n'est pas grave.
26:45 - Pour ma part, j'ai été un petit peu refroidie, non pas par la longueur,
26:49 mais par le côté collection de personnages qu'elle rencontre au fur et à mesure de sa résidence dans cet hôtel,
26:57 et l'idée un petit peu clichée de la reconstruction et de la résilience.
27:02 J'avais vraiment l'impression qu'il faut mettre un personnage dans une situation où ça va mieux,
27:07 et puis elle repère tout, double drame, et là il faut à tout prix qu'elle se reconstruise.
27:13 Il y a un côté très américain dans ce suivi d'un personnage,
27:16 qui m'a un petit peu refroidie, et je passais les pages en me disant à quel moment elle se reconstruit.
27:22 Ça, ça m'a un petit peu... Virginie, vous voulez ? Ou Elise ?
27:27 - Moi j'aime ça en fait, ce côté collection de petites histoires.
27:32 Il y a ce personnage de femme vaillante très intéressant,
27:35 mais il y a aussi plein d'autres petits personnages qui arrivent et qui occupent des chapitres.
27:39 Les chapitres sont courts, donc ça dilue quand même la lourdeur ou la longueur du texte.
27:43 - C'est vrai, mais du coup ça s'accumule.
27:45 - Mais c'est comme des contes au coin du feu.
27:49 Je crois que Joyce Maynard a écrit ce livre en le lisant à d'autres personnes au fur et à mesure de l'écriture.
27:55 Et elle racontait chaque soir les histoires qu'elle écrivait avec ces nouveaux personnages qu'elle introduit.
28:02 Cette femme chinoise qui vient chercher un remède à l'infertilité,
28:05 cette femme qui a vécu en France, qui a appris à faire des macarons, qui fait des macarons maintenant en Amérique.
28:10 Toutes ces histoires sont... Effectivement c'est très américain, parce qu'à chaque fois il y a une morale.
28:14 Et oui, ça nous donne des espèces de leçons de vie.
28:18 - Il faut faire face aux défis. - Il faut faire face.
28:20 - Il faut se prouver. - Si personne ne se laisse vraiment...
28:22 - On touche le fond puis on remonte. Ça c'est vrai.
28:24 Et puis c'est quand la nuit est la plus noire qu'ensuite l'aube se lève.
28:27 Ça c'est un petit peu cliché.
28:29 Mais moi j'aime bien et je trouve qu'on est pris, on est touché,
28:33 et on est emballé quand même par le dynamisme de ces histoires qui s'entremêlent.
28:39 - Virginie Bloch-Lenay pour défendre Joyce Maynard.
28:41 - Oui, comme elle le dit aussi, je trouve que ce pragmatisme américain,
28:46 il me plaît, il est charmant et il est assez exotique pour une lectrice française.
28:50 - Justement, vous dites exotique, est-ce que ce n'est pas là l'appropriation culturelle ?
28:53 Quand elle arrive au Guatemala, il y a quand même des descriptions sur les couleurs,
28:58 on a l'impression que c'est une sorte de refuge presque idéalisé.
29:01 Non seulement on a la résilience, qui est quand même un thème qui peut être banal et fatigant,
29:06 mais en plus on a la résilience grâce à l'exotisme.
29:09 - L'exotisme pour moi c'est plus dans le comportement des hommes qu'elle rencontre,
29:13 notamment d'un qui lui dit, c'est ça que j'ai trouvé très américain,
29:16 c'est pas grave si on ne s'aime pas, l'essentiel c'est d'être à deux, on va y arriver.
29:20 Je trouve qu'elle n'insiste pas trop sur l'exotisme des corps
29:24 et sur le bonheur que peut apporter ce paysage, parce qu'elle en montre aussi l'hostilité.
29:30 - Oui, l'hostilité, les dangers, et je ne pense pas que ce soit non une appropriation.
29:35 Il y a ces beaux oiseaux, mais ça reste là, c'est quand même en lisière,
29:39 ce n'est pas au cœur du livre.
29:41 - Merci beaucoup à toutes les deux, Elise Lépine et Virginie Bloch-Lenay.
29:45 L'Hôtel des oiseaux de Joyce Menard, c'est aux éditions Philippe Ré,
29:48 c'est traduit par Florence Lévy-Paoloni.
29:50 Vous retrouverez toutes les références, chers auditeurs et éditrices,
29:53 sur le site de France Culture, à la page de l'émission,
29:55 l'émilie de culture et sur l'application Radio France.

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