• l’année dernière
Transcription
00:00 *Ti ti ti ti ti ti*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous, un club de lecture aujourd'hui avec Sophie Marceau, révélée par la boum à 13 ans,
00:22 fille de D'Artagnan pour Tavernier, héroïne de l'amour braque et de la fidélité
00:27 de Zoulovski, Anne puis Elsa puis Lisa dans LOL, une rencontre, I Love America,
00:33 trois films de Lisa Asuelos, à Cannes il y a deux ans avec Tous ces biens passés de François Ozon,
00:38 sans oublier Braveheart et James Bond, la comédienne Sophie Marceau joue, réalise, peint et écrit aussi.
00:45 Aujourd'hui elle publie La Souterraine aux éditions Segerst qui nous parle d'elle ou de femmes un peu comme elle,
00:51 un recueil de 13 histoires courtes et de 7 poèmes, d'un lieu à un autre, d'une héroïne à l'autre,
00:56 une aventure sincère, dit son éditeur, entre les lignes, un jeu de rôle, le plaisir toujours.
01:02 *Tic-tic-tic-tic-tic*
01:05 Une émission programmée par Anouk Delphineau avec Laura Dutèche-Pérez, réalisation Félicie Fauger avec Olivier Arnet,
01:11 un mot juste de l'actualité littéraire. Les British Book Awards viennent d'honorer Salman Rushdie d'un prix spécial de la liberté de publier.
01:19 Le romancier et prix Nobel de littérature turc de son côté, Orhan Pamuk, donnera un cycle de conférences,
01:27 le Paradoxe du romancier au Collège de France. Il est arrivé cette semaine en France et sera mardi prochain l'invité de Bienvenue au Club.
01:35 Enfin, on attend aujourd'hui le nom de celui ou de celle qui succédera à Marie Vintrass qui, de Marie Charelle,
01:41 Sandrine Collette, Gaël Joss, Gilles Marchand ou Anthony Passeron sera le lauréat du Prix des Libraires 2023.
01:48 Réponse dans la journée. Et bonjour Sophie Marceau.
01:51 Bonjour Olivia.
01:52 Bonjour. Est-ce que vous demandez vous conseil aux libraires ? Il est important dans la vie des lecteurs ce prix des libraires.
01:58 Est-ce que vous lui demandez conseil ou est-ce que vous préférez ou vous pensez que se choisir un livre,
02:04 c'est peut-être une rencontre, une décision entre le livre et vous quand vous entrez dans une librairie ?
02:09 Comment dire ? Il y a plusieurs façons de rentrer dans une librairie. Souvent moi j'y vais en sachant ce que je veux.
02:20 Je ne passe pas beaucoup de temps, j'ai beaucoup de livres à lire en fait. J'ai beaucoup d'amis qui me proposent leur lecture
02:30 et c'est souvent ce qui se passe en fait. J'aime bien aussi l'échange entre les gens. Enfin, les librairies c'est super important et j'y vais
02:37 parce qu'on s'y sent bien. Il y a plein de livres. Mais souvent moi le nombre et le surnombre me fait un peu peur pour vous dire.
02:45 Donc je préfère suivre mes réseaux à moi. Amico, le bouche à oreille bien sûr. Et puis aussi, c'est ce que je faisais aussi avec les disques
02:58 quand les disques existaient encore. Un peu au hasard, chercher un truc. Vous savez on pouvait les écouter un petit peu 10 minutes, 5 minutes
03:06 comme ça et ouvrir un livre, chercher le truc qu'on ne connaît pas. J'en ai découvert comme ça, ça m'a fait assez plaisir d'ailleurs.
03:15 - C'est vrai qu'il y a une sorte de fatigue informationnelle, on en parle trop d'infos, mais il y a peut-être aussi la même chose pour les livres,
03:20 une forme de surproduction. - Marguerite Duras disait "les hommes vont se faire noyer dans l'information" et dans autre chose aussi d'ailleurs
03:29 mais dans l'information. Et vous vous rendez compte à quel point on est informé tout le temps, tout le temps appelé à l'écoute.
03:37 C'est bien de s'écouter aussi soin un peu. - Oui, dans cette forêt de livres c'est peut-être pas mal parfois d'en revenir à certains classiques.
03:44 Il y a la voix des morts qui ont parfois plus à dire que les vivants, nous disait une fois Philippe Solers. Et c'est pas faux, on va revenir peut-être sur ces livres
03:53 qui ont aussi compté pour vous dans votre parcours de femme, de lectrice. Une dizaine d'histoires, de fragments de vie dans la souterraine, Sophie Marceau,
04:02 votre recueil à vous, vous semblez aimer interroger le destin. - Ah oui, le destin. C'est parti un peu d'une phrase, on ne sait pas si c'est Freud qui l'a dit ou pas,
04:13 mais l'anatomie c'est le destin. C'est drôle que vous dites ça parce que je pense vraiment que s'inscrit dans le corps notre histoire. L'histoire d'où l'on vient
04:27 et celle qu'on crée soi et qu'on vit. Et que le corps est un peu le stigmate, la caisse de résonance de beaucoup de choses et qu'on l'oublie souvent.
04:37 Alors moi j'ai eu un métier qui m'a permis d'utiliser mon corps comme langage en tant qu'actrice. Et je pense que l'écriture est aussi un langage,
04:48 alors lui qui pour le coup il est tout quoi, parce qu'on peut tout faire en écrivant, vous voyez c'est vertigineux. Et le corps peut prendre autant de formes que l'esprit.
05:00 Et pour raconter des histoires, pour raconter des gens, pour revenir dans mon histoire aussi, j'interpelle mon corps, je lui demande, je l'observe,
05:09 où il en est aujourd'hui, vous voyez, et où il en était à l'époque. Et j'adore observer les gens, observer leur corps, la façon dont ils s'en servent,
05:18 ce que ça déclenche chez eux d'idiomatique et de mécanique ou de défense, d'attaque ou whatever. Voilà, c'est un peu l'idée de départ de ce livre en tout cas.
05:34 Et il y a d'ailleurs un chapitre, une nouvelle consacrée à l'anatomie. C'est la troisième nouvelle de ce recueil. Et cette anatomie c'est effectivement ce corps,
05:44 qu'on apprend aussi petit à petit à aimer, que parfois on désaime et qu'on se réapproprie pour votre narratrice aussi. En fait c'est intéressant parce que dans une autre nouvelle,
05:55 vous bouclez un peu la boucle, celle qui s'intitule "Marché", où vous racontez cette femme qui longtemps a pris ou a chaussé des chaussures trop petites pour son pied,
06:04 au point d'enseigner. Et il y a une belle idée de l'accomplissement dans la conclusion de cette nouvelle, qui est que peut-être on se trouve, après cette longtemps cherchée,
06:16 on sait qu'on s'est trouvé quand on commence à avoir trouvé chaussures à son pied.
06:21 C'est l'ancrage, c'est votre premier contact avec la terre, c'est comment vous vous situez, comment vous vous apesantissez, si je dois dire, dans la terre et donc dans la vie, dans le social, avec les autres.
06:38 Moi j'ai souvent pris exemple des autres femmes pour être femme moi-même. Forcément on copie sa maman et puis après vous n'êtes pas encore complètement terminée,
06:49 vous observez d'autres femmes aussi. Les femmes m'apprennent beaucoup de choses parce qu'elles par contre, elles parlent avec leur corps, leur corps parle beaucoup.
06:58 Et ces femmes que j'ai croisées, que ce soit la Némone, que ce soit Louise ou la chanteuse merveilleuse, elles m'ont appris à être femme, elles m'ont appris à être d'autres femmes.
07:13 Les femmes sont multiples, elles peuvent se multiplier à l'infini d'ailleurs, enfin presque. Et je les trouve fascinantes, je les trouve belles, elles me parlent, voyez, elles parlent, leur corps parle.
07:27 - Elle savait être femme et moi pas, dit l'une de vos narratrices. Cette idée que ça s'apprend probablement d'ailleurs aussi en regardant les autres, c'est-à-dire les mères, les femmes de notre lignée, ce que vos personnages font indirectement.
07:43 Mais aussi peut-être les grandes héroïnes comme Anna Karenin que vous avez interprétées, celle des livres, celle des films. On parlait de destin tout à l'heure.
07:52 Est-ce que vous pensez que son destin, son destin tragique était écrit ? Autrement dit, est-ce que vous pensez que nos destins sont écrits ou qu'on peut les modifier ?
08:02 - Non, à l'époque, les femmes n'avaient pas trop de possibilités de modifier leur destin. C'est très récent tout ça quand même. Il y a des films qui sortent, Jeanne Dubary, voyez, il y avait des personnages forts comme ça qui arrivaient à utiliser le code masculin pour se faire un chemin dans la vie.
08:19 Mais nombre de femmes n'avaient pas la possibilité de sortir de leur créneau et de leur destin de femme. Elles étaient trop empêchées, trop contraintes, trop interdites.
08:34 Elles n'avaient pas les mêmes outils, les mêmes droits tout simplement que les hommes, que ce soit le divorce, que ce soit tout le reste, tout ce qu'on connaît.
08:44 Parce qu'on parlait d'Anna Karenin aujourd'hui, comme aussi la princesse de Clèves qui est encore autre chose. Mais ce sont des femmes corsetées dans leurs obligations qu'on leur a assujetties un peu.
08:58 Et donc voilà, elles n'avaient pas trop cette expression. Vous voyez, j'ai l'impression que c'est arrivé jusqu'à la culture de ma mère, jusqu'à l'histoire de ma mère, tout ça.
09:08 On est encore... Il y a toujours des corsets, il y a toujours... Avant que ça pénètre les couches, jusqu'à vraiment s'en sentir totalement légitime d'être femme en fait.
09:22 Vous vous rendez compte comme on fait des marches arrière un peu partout dans le monde encore aujourd'hui. C'est-à-dire que c'est un sujet très frileux et toujours très contemporain malheureusement.
09:33 Puisqu'on parle de livres, je vais citer Simone de Beauvoir qui disait que les femmes n'existent pas en soi. Elles existent toujours par rapport à l'homme.
09:42 Et que dès que les cultures vont rétrograder, les premiers qui vont prendre ce sont forcément les femmes. Et c'est ce qu'on observe un peu partout.
09:51 Donc ça me fait de la peine de voir ça. Et je ne peux pas m'empêcher d'être femme moi-même et d'aborder ces sujets mais de façon presque inconsciente j'ai envie de vous dire.
10:01 C'est mon histoire. C'est l'histoire des femmes, de ma mère, de ma grand-mère, de toutes les femmes.
10:06 Et justement, c'est quoi cette histoire ? Puisqu'à travers la fiction, vous remontez aussi le fil de votre propre histoire et de votre héritage.
10:12 Quelle place avaient les femmes dans votre famille ? Est-ce que vous êtes une lignée de femmes fortes ?
10:18 Oui, clairement. On devient fort. C'était des femmes mais fortes. Elles étaient incroyables.
10:25 Ma grand-mère maternelle, ça me fait rire parce qu'elle était dure. C'était une femme dure.
10:35 Et à tel point qu'elle a quand même pris sa vie en main. Elle a subi sa vie jusqu'à ce qu'à un moment donné ce soit trop insupportable.
10:45 Elle a fichu un coup de poing dans la tête de son mec. Elle a pris son dernier gamin et elle est partie à Paris.
10:52 Et elle a recommencé sa vie femme de ménage, concierge à 50 et quelques années.
10:59 Donc ça dénote quand même d'un caractère assez fort. Et qui a aidé ma grand-mère ?
11:05 C'est ma mère qui est venue à son secours et qui toutes les deux se sont aidées pour survivre.
11:10 Et j'adore la solidarité féminine. J'adore ça. J'adore quand les femmes se mettent ensemble.
11:17 Elles sont fortes. Les femmes sont fortes. Elles sont contraintes. Mais elles sont fortes.
11:23 Ça a fabriqué beaucoup de résistance et beaucoup d'abnégation aussi.
11:29 Vous avez parlé de contraintes. Vous avez parlé de ces femmes qui ont été parfois empêchées.
11:33 Est-ce que ça c'est quelque chose que vous avez connu et qui invite peut-être aussi à se dépasser, à dépasser cette condition ?
11:42 Oui, on a envie. Mais bon, on est quand même... Oui, moi j'ai été bien sûr.
11:47 Mon avenir n'importait pas plus que ça. Alors que celui de mon frère, oui bien sûr.
11:52 Il faut qu'il ait un métier. C'était des codes. C'était pas malveillant du tout.
11:57 C'est ce que je raconte aussi un peu. D'être trop jolie, bon, faut pas déconner non plus.
12:03 Faut pas compter là-dessus forcément. Il faut travailler. Il faut savoir tenir sa maison.
12:09 On m'a appris ce que c'était d'être femme, mais à l'intérieur, si vous voulez, dans une maison.
12:16 Maman aussi, elle m'a quand même un peu, enfin même beaucoup, autonomisée.
12:23 Elle m'a dit "il faut que tu comptes sur personne". Tu comptes sur personne, tu peux te faire toute seule.
12:32 Ça c'était le mot d'ordre, c'était la voie de sortie. Si t'arrives à ça, t'as tout gagné.
12:39 Est-ce que vous pouvez nous lire un extrait de cette souterraine que vous signez aujourd'hui aux éditions Seger ?
12:45 C'est peut-être un extrait d'un des poèmes que vous avez écrits.
12:49 On le disait, il y a de la prose, il y a de la poésie aussi.
12:53 Et il y en a un qui évoque la condition de la femme. Attendez, respiration.
13:00 * Extrait de « La femme » de M. Seger *
13:19 Une femme pourtant qu'est-ce ? Un élan ? Une promesse ?
13:23 De quels fruits, s'il vous plaît, suis-je donc faite ?
13:26 La joue frémissante, le ventre à le temps, je tremble tout entière, du dedans, je tremble entièrement.
13:33 Mon idole, mon enfant, qu'as-tu donc fait de si méchant, si ce n'est le sacrifice de mes vingt ans ?
13:40 Je suis mère, et ne te blâme, ce droit de vie je te le donne,
13:45 mais d'être femme, qu'ai-je, et qui me pardonne ?
13:49 La disgrâce de naître un homme.
13:53 L'on me vénère et manipule, mais l'on me crève les yeux et l'on me brûle, si de mon corps je ne fais l'aveu.
14:03 Est-ce chose particulière d'être un homme ou une femme ?
14:07 Qui choisit son arme véritable ?
14:10 Entre l'eau et le feu, je choisis le sabre.
14:14 *Musique*
14:32 Entre l'eau et le feu, je choisis le sabre.
14:36 Est-ce que j'ai le droit à une deuxième prise ?
14:38 Non.
14:39 Avec mes lunettes.
14:41 Oui, entre l'eau et le feu, j'ai choisi le sabre.
14:44 Vous avez tous les droits, mais ce sera quand même toujours du direct.
14:47 Sophie Marceau, aujourd'hui invitée de Bienvenue au Club sur France Culture.
14:50 Il est midi et quart, et on continue cette discussion à livre ouvert,
14:54 puisque c'est ainsi que commence un autre de vos textes.
14:57 Je garde toujours un livre ouvert à côté de mes rêves.
15:01 Ce qui rappelle la part et l'importance de la littérature et de la fiction aussi dans votre vie.
15:07 Au cinéma, Sophie Marceau, on a généralement le temps d'installer un personnage une heure et demie,
15:11 voire deux aujourd'hui, si on pense à la longueur des films.
15:14 Comment le faire exister en quelques pages seulement ?
15:18 C'est tout l'art de l'écriture, c'est-à-dire, j'ai envie de dire, d'arriver à l'essentiel.
15:26 Et même les films demandent beaucoup plus de travail qu'on imagine.
15:30 Quand il s'agit d'écrire un scénario, c'est beaucoup de travail aussi.
15:36 L'écriture, c'est d'être au plus proche, proche, proche au nanomillimètre de ce qu'on voudrait dire.
15:51 Les mots, les phrases ont des secrets.
15:56 C'est-à-dire que plus on apprend, plus on se rend compte de la richesse et des possibilités.
16:05 Et que finalement, parfois, il s'agit de s'écouter, d'écouter la phrase, d'écouter le texte, de s'oublier soi-même.
16:15 Parce qu'on peut, en une petite phrase, dire ce que trois pages auraient dit.
16:21 Vous dites la littérature, la fiction, c'est important.
16:30 J'ai aussi envie de dire l'ennui, l'imaginaire, le vide.
16:35 Ça aussi, c'est plein de ressources.
16:38 Et c'est surtout une écoute intérieure, en fait.
16:42 Et c'est une musique intérieure.
16:44 Et quand on arrive à trouver cette petite musique, quand on est connecté avec ce petit ventre qui respire,
16:53 on est en fluidité avec.
17:00 Il n'y a pas de manière, chacun à sa manière.
17:04 Mais c'est de se reconnecter avec quelque chose de souterrain, de fluide et de mobile.
17:12 Quelque chose qui bouge tout le temps.
17:14 Ce même livre, je ne l'écrirais pas de la même façon si je devais continuer à l'écrire.
17:19 Et en même temps, on a envie d'arrêter ces moments-là, de les rendre...
17:25 Je peux le prendre dans ma main.
17:27 C'est des moments qu'on a envie d'inscrire.
17:31 Si j'étais sculpteur, je le graverais.
17:34 En attendant, vous êtes peintre, réalisatrice, comédienne et aussi écrivaine,
17:40 ce qui fait déjà pas mal, mais la sculpture, il y en aura peut-être pour après.
17:43 Vous classez, vous comme lectrice, et citez souvent Thomas Bernard dans votre bibliothèque idéale,
17:48 l'écrivain autrichien, l'auteur des Maîtres Anciens et des Arbres à Abattre.
17:51 On va l'écouter sur l'écriture et surtout sur la structure des livres.
17:55 L'unique plaisir, la joie croissante, c'est les phrases, les mots que j'allie.
18:04 Au fond, c'est comme un jeu de construction, un déroulement musical.
18:13 Mais à peine atteinte à une certaine hauteur, quatre ou cinq étages, on voit l'ensemble.
18:19 Et comme un enfant, on démolit tout.
18:21 Thomas Bernard compare l'écriture à un jeu de construction,
18:29 genre de Lego, mécano, Kapla.
18:32 Plus que comme un jeu de rôle.
18:34 Vous aussi ?
18:36 C'est ça qui est frappant chez Thomas Bernard, c'est son style absolument...
18:41 Voilà, c'est ça. Il construit, il casse tout.
18:45 C'est un enfant un peu en colère, qui assume sa colère,
18:52 et qui est tout le temps dans cette énergie, ce tempo.
18:57 Lui, il est vraiment dans le tempo.
18:59 Et quand on est jeune lecteur comme moi, parce que j'ai appris et découvert la littérature assez tard,
19:07 c'est des gens qui vous marquent, pas forcément par la pensée.
19:10 En fait, ils vous inculquent leur pensée par ce tempo.
19:16 Je dirais que Faulkner, c'est par la pensée aussi, par sa folie aussi, lui.
19:21 Ses histoires, ses implications d'histoire, on est dans un fourmillement d'histoire.
19:27 Chez Thomas Bernard, c'est que des petites pierres jetées comme ça.
19:33 Oui, mais chez vous, dans ce livre,
19:36 c'est de la manière dont vous l'avez imaginé, jeu de construction, jeu de rôle,
19:40 voire peut-être aussi un peu jeu de piste entre vous, la femme, l'actrice et le lecteur.
19:46 Oui, c'est un peu tout ça.
19:48 Je m'amuse avec les mots.
19:50 Je vous jure, il y a des moments épouvantables quand on écrit.
19:54 Il y a des moments absolument merveilleux.
19:58 C'est comme quand on est sur scène, tout est une question de souffle.
20:02 Sur scène, je n'ai joué pas beaucoup, mais la dernière fois, j'étais seule en scène.
20:08 C'était un texte de Bergman.
20:11 Au bout d'une heure et quart, il y avait à la fin de la pièce,
20:15 à un moment donné, un peu à la Thomas Bernard, un peu fou,
20:19 qui partait dans une espèce de frénésie de mots, de folie, de trucs.
20:25 J'avais l'impression de courir le 100 mètres parce que j'avais trouvé le souffle.
20:31 Et quand vous trouvez le souffle, vous pouvez voler.
20:35 Vous arrivez dans un deuxième état.
20:37 Et on peut atteindre ça avec la littérature, avec écrire.
20:42 C'est ce que la poésie aussi peut vous amener.
20:45 C'est comme danser, c'est pareil.
20:49 Ce sont des moments qui vous échappent de la vie, de la lourdeur de la vie,
20:55 de la pesanteur de la vie.
20:58 - Mais j'en reviens à cette part peut-être aussi de dévoilement à travers l'écriture,
21:02 où ce que l'écriture permet, une égratignure, saigne à blanc le ciel,
21:06 légère et vaporeuse, s'efface avec son air de rien, disparue, lamenteuse.
21:11 Disparue vraiment, lamenteuse ?
21:13 Il y a quelques années, vous signez un premier livre, "Lamenteuse",
21:16 et là, on évoque sa disparition.
21:18 - Je n'y avais pas pensé.
21:20 - Est-ce que la souterraine, c'était aussi peut-être la permission,
21:25 l'autorisation que vous vous êtes accordée de vous dévoiler un peu plus ?
21:29 - Écoutez, moi me dévoiler, c'est une horreur pour moi,
21:32 parce que j'ai plutôt du mal à...
21:35 - On vous dévoile en général.
21:37 - Oui, c'est ça, on m'a tellement dévoilée, je me suis tellement dévoilée
21:40 depuis tellement longtemps que j'essaye de me préserver,
21:44 j'essaye de ne pas me perdre là-dedans,
21:46 j'essaye de garder un petit bout à moi quand même.
21:49 Voilà, et c'est très agaçant quand les gens justement
21:52 prennent votre vie et la mâchent dans tous les sens,
21:55 et la tordent comme ça les arrange eux.
21:58 Franchement, j'en souffre même, ça peut même venir de là,
22:01 certainement, de dire "attendez, moi je vais refaire une mise à jour là,
22:04 tout ce qu'on raconte, tout ce qu'on me...
22:07 Oui, évidemment qu'il y a des trucs vrais,
22:09 mais ça n'a même plus lieu d'être,
22:12 ça n'a pas de sens et ça n'a aucun intérêt".
22:15 J'avais envie, moi, certainement, par rapport à ça,
22:18 mais bon, j'ai toujours écrit, j'ai toujours eu envie d'avoir
22:21 une petite voix comme ça qui s'exprime,
22:24 avant même de faire du cinéma, mais c'est vrai que,
22:27 là, cette fois, d'écrire un livre qui n'est pas d'intermédiaire
22:30 entre ce que j'écris et ce que je suis,
22:33 c'est une forme de soulagement et de libération.
22:36 C'est de remettre, voilà, de dire "écoutez, là,
22:39 ça vous intéressera ou pas, mais en tout cas, là, il n'y a pas de...
22:42 c'est moi qui parle, quoi". - Dans "Le Siège" d'Agnès Hernault,
22:45 il y a toute une littérature qui révèle les parcours d'ascension sociale,
22:48 cette question des origines, vous l'abordez aussi
22:51 à travers un certain nombre de chapitres.
22:54 D'où on vient ? Qu'est-ce que le milieu
22:57 porte en nous ? En quoi il nous pèse, parfois ?
23:00 Mais vous n'en faites pas une marque de fabrique, vous ne l'avez jamais fait, d'ailleurs,
23:03 ni dans ce livre, ni dans vos propos,
23:06 dans vos interviews. Pourquoi ? - Pourquoi ?
23:09 Parce que je ne suis pas...
23:12 Je ne sais pas, je n'ai pas trouvé que c'était utile,
23:15 j'ai attendu un peu de savoir qui j'étais moi avant de dire
23:18 de quel milieu je viens, parce que tout de suite,
23:21 ça vous connote ou ça vous met dans une case.
23:24 Moi, je n'aime pas les cases.
23:27 J'étais très bien dans mon milieu, mais j'en ai découvert un autre
23:30 que j'ai trouvé aussi intéressant, et puis encore d'autres,
23:33 et puis encore d'autres, puis je me suis mariée avec un Polonais, puis après un Américain,
23:36 puis j'ai vécu un peu partout, et puis voilà,
23:39 ma vie est faite de culture, là, je peux le dire, pour le coup.
23:42 Je suis très française, c'est mes origines,
23:45 c'est mon terreau. - Et vous le défendez, d'ailleurs.
23:48 - Je défends...
23:51 Je défends l'individu,
23:54 celui qui essaye
23:57 de faire quelque chose avec ce qu'il est,
24:00 sans se mentir, sans...
24:03 On a tous des...
24:06 Ouais, voilà.
24:09 - Après, il faut avoir la voix au chapitre, ça c'est encore autre chose.
24:12 - Mais il faut savoir l'apprendre aussi. Cette histoire de case,
24:15 c'est intéressant, parce que vous ne faites pas
24:18 non plus, vous ne revendiquez pas votre féminisme.
24:21 Pourtant, ce livre, il revient aussi amplement sur
24:24 la condition des femmes, et vous dites vous-même qu'elle vous travaille, Sophie Marceau.
24:27 En tout cas, vous n'arborez pas ce féminisme
24:30 comme un étendard ou comme une question politique.
24:33 Évidemment, je pense aussi à Adèle Haenel, en ce moment, dont on parle beaucoup ces derniers jours,
24:36 depuis sa décision de quitter le monde du cinéma.
24:39 Ce geste radical, est-ce que vous, il vous questionne
24:42 sur vos propres engagements ? Est-ce que c'est celui d'une autre génération, peut-être ?
24:46 - Oui, bien sûr, il y a beaucoup de choses. Je la trouve très courageuse
24:49 et je la trouve très sincère, forcément.
24:52 Et je ne peux que
24:55 la soutenir. Je sais qu'elle a aussi
24:58 20 ans de moins que moi,
25:01 qu'elle vit dans ce monde-là aujourd'hui.
25:04 Et elle m'a fait réfléchir, en tout cas, sur
25:07 qu'est-ce que je faisais, moi, quand j'avais son âge,
25:10 à ce moment-là. Et je me rends compte que je ne l'ai pas fait
25:13 de façon, on va dire,
25:16 "out loud", comme on dit,
25:19 publiquement, parce qu'on n'en était pas là, à l'époque.
25:22 Mais j'y refusais tellement de choses
25:25 et c'était lié à ça. J'y refusais beaucoup
25:28 de projets de films, beaucoup de rôles, et tout ça était lié
25:31 parce que je ne comprenais pas ces rôles de femmes.
25:34 Je ne les aimais pas, je les trouvais mal écrits, je les trouvais
25:37 limite dégueux à chaque fois. Je me disais, "mais pourquoi ? Elle est où,
25:40 la scène de cul ?" J'ouvrais les premières pages et j'attendais
25:43 parce que je savais que c'est ça qu'on me demandait. Et ça m'orripilait.
25:46 Et ma façon, à moi, de dire
25:49 non à ce système, c'était un peu de me mettre à dos
25:52 tout ce cinéma, en fait, qu'on m'a reproché ensuite, souvent.
25:55 "Mais pourquoi vous avez dit non à beaucoup de films ?" Et tout.
25:58 Je n'avais pas conscience de mon féminisme de l'époque
26:01 qui était déjà quelque part assez
26:04 impliqué, mais toute seule, voyez ce que je veux dire.
26:07 Il n'y avait pas la place encore
26:10 de dire, de faire. Il y a toujours, on peut toujours être
26:13 des têtes
26:16 qui prennent le sujet
26:19 et qui l'emportent. Moi, je ne me sentais pas cette force
26:22 mais je le faisais quoi qu'il arrive pour
26:25 ma propre gouverne et puis surtout
26:28 parce que je n'avais pas envie de montrer une image
26:31 de la femme comme ça, qui était outranciée
26:34 ou bafouée ou humiliée.
26:37 - Et c'est des discussions que vous avez, on imagine, avec votre fille ?
26:40 - Oui, oui. - C'est ça, hein ? - Bien sûr.
26:43 - Ça révèle aussi cette fracture, comme dans le livre, comme on le retrouve.
26:46 Dans un journal, vous m'avez beaucoup fait rire, vous vous qualifiez de
26:49 sapiosexuelle. Ça fait longtemps que je n'avais pas entendu ce mot.
26:52 - Je ne l'ai pas vérifié. - Mais nous, on a vérifié.
26:55 - Je me suis dit "Ah, c'est pas mal". - Je vais dire déjà.
26:58 Attirée, séduite par l'intelligence, comprendre plus que par l'apparence.
27:01 Je renvoie les auditeurs vers le journal Le 1, Hebdo, qui fait justement
27:04 sa une sur la tyrannie de la beauté. On l'a évoqué ensemble
27:07 rapidement, Sophie Marceau. Dans ses pages, une anthropologue explique que cette
27:10 quête de beauté n'est pas nouvelle, ce rêve de pierre, selon Baudelaire. Un sociologue
27:13 se demande si la beauté est vraiment un privilège et Confucius
27:16 qui vécu avant Jésus-Christ, nous dit
27:19 "Je n'ai pas encore vu un homme qui aimât
27:22 la vertu autant qu'on aime une belle apparence".
27:25 Je me souviens d'un entretien de vous où vous parliez de cette espèce de mystification,
27:28 mythification de soi-même que les réseaux sociaux entraînaient.
27:31 On est en plein dedans. Merci mille fois à vous Sophie Marceau.
27:34 - Merci beaucoup. - D'avoir été avec nous. La Souterraine.
27:37 - Merci beaucoup. - Pareil chez Segers. Quelle belle idée de votre éditeur
27:40 de vous avoir écouté, lu et publié.
27:43 Merci.

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