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Mazarine Pingeot reçoit Marie-Christine Maurel, biologiste et professeure à l'Université Pierre-et-Marie-Curie et au Muséum national d'histoire naturelle.

D'où vient la vie ? Comment la définir ? Où se situe la vie dans l'univers ? Que nous apporte la science-fiction ? Spécialiste des origines de la vie et de l'archéologie moléculaire, Marie-Christine Maurel nous aide dans cet entretien à cartographier la vie sur terre et nous initie à la xénobiologie.

Face à une crise d'ordre politique et climatique, il est urgent d'interroger notre vision du monde.
Le vivant étant devenu une notion politique, cette nouvelle saison inédite des Grands Entretiens insuffle enfin l'esprit revigorant de la philosophie universitaire dans l'espace publique.
Mazarine Mitterrand Pingeot reçoit les grands penseurs des enjeux liés à la démocratie, à la préservation de la vie ou du réchauffement climatique.

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Transcription
00:00 *Musique*
00:21 Marie-Christine Morel, vous êtes biologiste, professeure à Sorbonne Université et au Muséum National d'Histoire Naturelle.
00:28 Et votre grande spécialité, ce sont les origines de la vie et de l'archéobiologie moléculaire.
00:35 Attention, j'ai réussi à le dire.
00:37 Alors, nous allons essayer de comprendre ce dont il est question, déjà,
00:41 et commencer peut-être par une petite explication du titre de votre dernier ouvrage,
00:46 "Xénobiologie, vers d'autres vies". Qu'est-ce que ça veut dire ?
00:51 Alors, "xéno", ça veut dire "l'autre", "l'étranger".
00:54 Et la question qui se pose à partir de toute identité humaine,
01:06 c'est évidemment le rapport à l'autre, qui sommes nous.
01:09 Et à partir du moment où on dit "nous", on dit "l'autre", on désigne qu'il y a l'existence de "notre".
01:15 Et l'autre, ce sont absolument tous les organismes qui nous entourent, qui vivent avec nous sur Terre.
01:23 Et donc, ce sont tous des étrangers, que ce soit des bactéries, que ce soit d'autres types de cellules, des virus.
01:31 Mais également, ce terme de "xénobiologie", donc, ça renvoie à une vie qui existe en nous et hors de nous,
01:37 et avec qui nous communiquons, les liens que nous avons avec tous ces autres qui sont différents de nous.
01:44 Mais le terme "xéno", qui veut dire "aussi étranger", renvoie à une autre forme de vie ailleurs dans l'univers.
01:53 C'est-à-dire, existe-t-il d'autres formes de vie ?
01:56 Alors, cela renvoie évidemment à la définition de la vie, quand on entend, qu'est-ce qu'on définit comme étant vivant,
02:02 puisque sur Terre, on peut définir quelques caractéristiques à partir de ce que nous observons aujourd'hui.
02:08 Mais ailleurs, on a du mal à observer quand même, d'une part des molécules, et puis des êtres, on ne connaît pas,
02:17 on ne peut même pas conceptualiser ce qui existe à la fois sur d'autres planètes, et ailleurs dans notre galaxie, et ailleurs dans d'autres galaxies.
02:25 Mais on ne peut pas conceptualiser ce qui existe ailleurs, mais en revanche, la vie, elle, reste toujours la même,
02:30 ou est-ce qu'il peut y avoir différentes formes de vie ?
02:32 Il peut y avoir, probablement, alors ça dépend de ce que l'on met derrière le mot "vie".
02:36 Mais il y a certainement, peut-être, d'autres sujets, plutôt que des objets, on va dire, d'autres sujets qui s'expriment ailleurs,
02:48 et que les astrophysiciens nomment "vie", que les biologistes en ont du mal à nommer "vie",
02:56 parce que pour nous, la vie, c'est réellement ce que nous observons sur la planète Terre.
03:01 Elle est caractérisée, la vie, par toute une série de propriétés que l'on peut rappeler.
03:08 Ce sont essentiellement des compartiments au sein desquels se réalisent des fonctions,
03:16 par exemple la reproduction, le métabolisme, les échanges avec l'extérieur.
03:22 Donc la vie, on la caractérise de cette manière-là sur Terre.
03:26 Ça ne veut pas dire que, par exemple, les virus, qui ne sont pas des compartiments comme des bactéries ou comme nos propres cellules, ne sont pas vivants.
03:35 Mais disons qu'ils ont quand même, au niveau des molécules, des fonctions qui ressemblent à ce que nous sommes capables de caractériser.
03:43 Ceci dit, nous ne connaissons que 20% du vivant sur Terre.
03:47 Comment peut-on savoir qu'on ne connaît que 20% du vivant sur Terre ?
03:50 C'est-à-dire qu'on sait quand même qu'il y a 80% qu'on ne connaît pas.
03:53 Comment peut-on savoir ce qu'on ignore ?
03:54 Ce n'est pas qu'on ignore. C'est-à-dire que, vous savez, depuis quelques années, il y a énormément d'expéditions,
04:00 Tara, Océan, pour ceux qui sont partis de France, et puis d'autres expéditions qui vont ramasser des quantités extraordinaires d'eau ou de sédiments partout sur la planète
04:12 et qui ramènent des choses en laboratoire que nous ne pouvons pas identifier.
04:16 Au niveau du vivant connu, il y a des grandes bases de données mondiales.
04:20 Dès qu'on trouve une fourmi ou une fleur différente, on séquence l'ADN de cet organisme-là et on envoie cet ADN dans la base de données mondiale.
04:33 Et donc, tout ce que l'on trouve qui matche, comme on dit, avec cette séquence de données, on l'attribue à cette espèce.
04:42 Donc là, les grands explorateurs ramènent dans des laboratoires quantité de choses qu'on ne peut pas assimiler à ce que l'on a dans les bases de données.
04:51 Et d'autre part, ceux que l'on connaît répondent à des modèles qui sont très éprouvés, qui sont applicables à différentes espèces.
05:00 Et ces modèles nous montrent que tout ce que l'on trouve ne rentre pas dans ces modèles-là.
05:10 Donc on peut dire aujourd'hui qu'effectivement, on ne connaît que 20%, et c'est la grande majorité, que 20% du vivant et qu'il reste 80% de choses à découvrir, c'est-à-dire à caractériser.
05:22 Oui, qu'on a déjà découvertes mais qu'on ne sait pas encore identifier.
05:25 Alors commençons par cartographier peut-être un peu la vie sur Terre d'abord, et ailleurs, dites-vous, peut-être.
05:32 Où sommes-nous ? D'où venons-nous ? Ou plutôt, car il ne s'agit pas de s'interroger sur l'origine des espèces, mais bien sur l'origine de la vie, d'où vient la vie ?
05:41 D'où vient la vie ? Bonne question ! Question que je me pose depuis des dizaines d'années.
05:47 Alors c'est une question qui est très très difficile parce que, comme je viens de le dire, les choses ne se sont pas passées il y a 4 milliards d'années ou 3,8 ou 85 milliards d'années comme elles se passent aujourd'hui.
06:01 Donc d'où vient la vie ? La vie vient de cette époque-là, c'est-à-dire de milliards d'années, de 3,85 milliards d'années, sur une planète qui était totalement différente de celle que nous pratiquons, si je peux dire, aujourd'hui.
06:18 C'est-à-dire une planète très agitée, en formation, avec des volcans, des éclairs, de la tectonique, des plaques, des tremblements de terre, de l'électricité en provenance des orages.
06:30 Enfin donc, toute une série de tourments qui agitaient la Terre primitive. Et là, sur cette Terre primitive, dans la roche profonde peut-être, ou bien en surface, ou bien dans l'eau, 90% de l'histoire de la vie s'est passée dans l'eau quand même.
06:46 Donc c'est énorme, 90%, donc en un évrument sorti il n'y a pas très longtemps. Et bien, là, dans cet environnement, des choses, entre guillemets, se sont produites, des atomes, et puis des molécules se sont formées,
07:01 qui étaient en rapport avec l'environnement de l'époque, qui ont échangé avec cet environnement, et qui se sont adaptées à l'environnement pour acquérir des propriétés pérennes,
07:11 c'est-à-dire de ne pas être balayés par le premier tremblement de terre, par le premier météorite qui est tombé sur cette planète. Et donc, cette pérennité et ces échanges avec l'environnement ont probablement,
07:24 mais là c'est vraiment, c'est complètement hypothétique, c'est à la lumière de ce que nous connaissons aujourd'hui, et bien dans ce premier environnement, les choses se sont peu à peu installées,
07:33 et puis se sont éteintes très très rapidement, et d'autres choses sont apparues dans un autre environnement. 98% des espèces qui sont apparues depuis les origines n'existent plus aujourd'hui.
07:45 Donc, on est vraiment tout nouveau sur cette terre, et c'est donc extrêmement difficile de répondre à la question d'où venons-nous.
07:52 Mais vous vous posez quand même la question.
07:54 Ah mais je me pose quand même la question, et je ne cesserai jamais de me la poser, et tout le monde se la pose, je crois, d'où je viens, même les enfants se posent, c'est la première question que se pose.
08:02 On a quand même des éléments de réponse malgré tout.
08:04 On a des éléments.
08:06 Dans ce que vous avez dit, même s'il y a des grandes zones d'incertitude.
08:10 On a des éléments de recherche.
08:12 C'est-à-dire qu'il y a déjà une interaction entre l'environnement, aviez-vous dit, et...
08:16 Et puis ces réactions qui se passent. Vous savez, nous cherchons comme si nous allions trouver, et nous ne trouverons jamais qu'en ayant toujours à chercher.
08:25 C'est-à-dire, c'est vraiment cette maxime-là, je crois que c'est Saint-Augustin qui disait ça, et bien je trouve que c'est tout à fait la définition de notre métier, de notre activité.
08:38 Nous cherchons comme si nous allions trouver, parce que nous avons une idée, nous avons des hypothèses, mais c'est une quête inachevée, et qu'il sera probablement pour toujours.
08:49 C'est-à-dire que nous ne pourrons jamais reconstituer toute l'histoire du vivant, parce que justement la biologie et notre discipline est une science historique.
08:58 Vous le savez certainement beaucoup mieux que moi, on ne peut pas refaire les événements historiques tels qu'ils se sont déroulés.
09:03 La biologie est une science, mais elle a cette particularité d'être historique, par rapport à d'autres sciences, comme la physique, ou la chimie, ou les mathématiques.
09:13 Donc la biologie est vraiment à l'interface entre... c'est une science humaine, au fond, même quand on s'intéresse à des plantes, ou quand on s'intéresse à des vers de terre, ou à des bactéries, la science biologique est une science humaine.
09:29 C'est-à-dire que nous la regardons, et nous l'observons, et nous la caractérisons avec nos yeux d'humains chercheurs.
09:34 Il y a la vie sur Terre, la naissance de la vie sur Terre, et puis il y a la vie de l'homme. Est-ce qu'elle a une spécificité, cette vie, comment on peut la décrire ? Est-ce que c'est différent ?
09:45 L'être humain.
09:46 Oui, l'être humain.
09:47 Nous sommes très très jeunes, donc la vie est apparue, enfin, on pense que la vie est apparue aux alentours de 3,8 milliards d'années.
09:55 On n'a pas de traces réelles, on a des hypothèses aux alentours de 2,7 milliards d'années.
10:02 On sait qu'il y a des très très grands événements.
10:04 Les premiers organismes étaient sans oxygène jusqu'à 2 milliards d'années, 2,4 milliards d'années.
10:10 Puis tout d'un coup, il y a eu ce qu'on appelle la catastrophe de l'oxygène, c'est-à-dire que tout l'oxygène qui était produit allait oxyder le fer pour former de la rouille, enfin, de l'hématite et tout ça.
10:23 Et puis à un moment donné, tout était oxydé, donc de l'oxygène a commencé à remplir l'atmosphère.
10:29 Et à ce moment-là, les organismes qui vivaient privés d'oxygène se sont éteints peu à peu, mais il y avait, comme toujours dans l'évolution de la vie, des petits organismes qui vivotaient,
10:42 qui n'arrivaient pas à s'exprimer vraiment, à profiter des échanges avec l'environnement, et qui, grâce à la présence d'oxygène, sont devenus ce que l'on appelle aérobies,
10:51 c'est-à-dire capables de vivre avec l'oxygène. L'oxygène qui était un déchet, quelque temps auparavant, est devenu indispensable à la vie.
11:01 Donc, à partir de ces deux milliards d'années, tout a commencé à changer. Il y a eu des organismes qui étaient unicellulaires, qui se sont assemblés,
11:15 qui ont formé des organismes pluricellulaires, comme nous. Nous sommes constitués de 30 000 milliards de cellules. Nous sommes nombreux, nos cellules sont nombreuses.
11:29 Et en plus, nous abritons des bactéries, et en plus, nous abritons des virus. Enfin, on pourrait parler de ça aussi.
11:36 Aux alentours de 500 millions d'années, c'est-à-dire 3 milliards d'années après la formation de la vie, il y a des choses que l'on peut caractériser,
11:49 des espèces de vers, des anélides, et puis des petits insectes, des arthropodes, qui ont commencé à se former.
11:57 Et puis, aux alentours de 300 millions d'années, tout le monde est sorti de l'eau, enfin, plusieurs organismes sont sortis de l'eau.
12:07 Et puis, aux alentours de 240 millions d'années, par exemple, il y a eu les dinosaures, ces organismes absolument extraordinaires, qui ont peuplé la Terre jusqu'à 65 millions d'années.
12:20 Autrement dit, ils sont bien plus évolués que nous. Vous vous rendez compte ? Ils ont vécu 180 millions d'années.
12:25 Alors que nous, nous n'avons que 200 000 ans d'existence. On est minuscules au regard de l'évolution vis-à-vis de ces organismes-là.
12:33 Bon, voilà. Et puis, sous les grosses pattes des dinosaures, il y avait des petits mammifères qui essayaient de vivre, d'échanger avec l'environnement,
12:42 mais c'était impossible avec ces grosses pattes qui les écrasaient et tout ça.
12:47 Et puis, lorsqu'il y a eu l'extinction des dinosaures à 65 millions d'années, dû à probablement un choc météoritique sur la Terre
12:56 qui a empêché toute lumière de venir alimenter, en quelque sorte, la végétation, et bien, à l'occasion de l'extinction des dinosaures,
13:07 les petits mammifères qui végétaient ont commencé à se développer, puis à croître et en bélir.
13:13 C'était des mammifères qui, après, sont devenus placentaires, c'est-à-dire qu'il y a eu un placenta qui s'est formé dans ses premiers organismes,
13:22 et puis la gestation est devenue interne, intra-utérine, et puis voilà.
13:28 Et donc, tous ces mammifères se sont développés jusqu'à l'apparition des primates.
13:33 Alors, je déroule cette histoire...
13:36 Allez-y, allez-y, moi j'adore !
13:38 Je déroule cette histoire parce que vous m'avez demandé l'espèce humaine, mais l'espèce humaine, elle est tellement tardive qu'on est obligé de connaître...
13:44 Ça vous intéresse même plus, là !
13:45 Non, non, c'est pas ça, c'est qu'on est obligé de suivre un petit peu le chemin, même si c'est à grands traits.
13:52 Et donc, ces mammifères, à un moment donné, sont apparus les primates.
13:58 Alors, un des premiers primates était un tout petit lémurien, vraiment tout petit, un micro-sèbe, par exemple.
14:06 C'est tout petit, c'est minuscule, ça mesure quelques centimètres, mais c'était quand même un primate.
14:11 Après ce premier primate, après ce premier lémurien, il en existe quelques-uns encore à Madagascar,
14:17 il y a des gens qui essaient désespérément de sauver cette espèce qui est en voie de disparition,
14:23 et bien, après ces lémuriens sont apparus les premiers singes, les premiers singes à queue.
14:28 Par exemple, le loistiti, qui a une longue queue, est apparu.
14:32 Ensuite, la queue a disparu, et ce furent d'autres types de singes.
14:36 Après, il y a eu les orangoutans, et puis il y a eu les gorilles, et puis il y a eu les chimpanzés,
14:42 et puis il y a eu les bonobos, etc.
14:44 Et puis, tout d'un coup, est apparue une espèce d'hominidée avec des australopithèques,
14:52 par exemple, la petite Lucie était une australopithèque, et puis ensuite, des paranthropes.
14:58 Et donc, après les australopithèques, il y a eu toute la série des homos, abilis, sergastères, etc., les néandertales.
15:06 Là, on est dans une continuité, mais pour autant, les autres espèces n'ont pas disparu.
15:10 Elles ne se sont pas effacées au profit des nôtres.
15:13 Non, non.
15:14 Ça, ils concomitent.
15:15 Oui, sauf que les australopithèques ont disparu, les paranthropes ont disparu,
15:19 et puis les néandertales ont disparu, bien qu'ils aient cohabité avec l'espèce humaine,
15:24 parce que nous avons, nous, des gènes de néandertales, nous avons à peu près 2 à 3 % de gènes de néandertales,
15:30 donc il y a eu des croisements, ils se sont rencontrés, croisés,
15:35 et puis l'homo sapiens, c'est une espèce invasive, sauvagement même invasive,
15:42 et donc l'espèce humaine a exterminé les néandertaliens, les dénisoviens,
15:48 enfin tous ces gens-là qui vivaient sur la même planète que nous,
15:51 pour aboutir donc à, il y a à peu près 200 000 ans,
15:56 mais toutes ces dates-là sont extrêmement mouvantes,
15:59 parce que les paléontologues et les anthropologues font des découvertes sans cesse, c'est génial.
16:05 Et donc voilà, nous avons 200 000 ans, et...
16:08 Et justement le biologiste, il fait quoi là-dedans ? Il travaille avec le paléontologue ?
16:12 Oui, on essaie de travailler avec le paléontologue, on essaie de voir,
16:16 eh bien par exemple, nous sommes des animaux, exactement comme les singes,
16:23 comme d'autres types d'animaux, mais qu'est-ce qui nous différencie des singes ?
16:28 Parce que nous sommes, vous voyez, donc moi j'aime bien dire que nous sommes des singes comme les autres,
16:33 parce que souvent on a la question, quand on fait des conférences ou des rencontres,
16:39 qu'est-ce qui nous différencie des animaux ?
16:42 Ma première réponse, c'est que nous n'avons aucune différence avec les animaux, parce que nous sommes des animaux.
16:47 Mais pour autant, nous ne sommes pas des singes.
16:49 Nous ne sommes pas des singes parce que nous marchons sur nos deux jambes, nous sommes des bipèdes.
16:56 Et c'est la bipédie obligatoire qui caractérise vraiment l'homo sapiens,
17:03 et le fait que notre locomotion se passe sur Terre sur nos deux pattes
17:08 a permis à notre corps de libérer les membres antérieurs,
17:12 et donc à notre cerveau de prendre la main, si je peux dire justement,
17:17 de prendre les commandes de nos membres antérieurs.
17:22 Nos membres antérieurs qui sont devenus capables de fabriquer des outils,
17:25 des outils de plus en plus perfectionnés,
17:27 donc d'acquérir la technique qui est une des caractéristiques de l'individuation humaine.
17:34 Même si les chimpanzés font des outils, ont des outils.
17:38 En tout cas, tout le développement technique et sociétal est propre à Homo sapiens.
17:44 Et puis cela a permis, évidemment, la libération des membres supérieurs,
17:50 cela a permis de montrer et donc de commencer à élaborer une communication,
17:57 et puis donc à développer peu à peu le langage avec notre cerveau,
18:02 qui est devenu, comme on dit, monstrueux,
18:04 parce que par rapport au cerveau des singes et à certaines autres primates
18:10 qui font entre 500 cm3 à 800 cm3, le nôtre fait 1400 cm3.
18:17 Donc certains disent nous avons 900 cm3 de trop
18:21 par rapport à la taille d'un cerveau dans un organisme animal
18:27 et toujours en rapport avec la taille de l'espèce.
18:30 Et nous, évidemment, nous avons un cerveau qui n'est pas en rapport avec notre taille,
18:36 puisque nous avons la taille d'un singe, d'un gorille,
18:41 et cependant notre cerveau est bien plus important.
18:44 Ce volume cérébral est en rapport avec nos compétences d'Homo sapiens,
18:48 la communication, le langage avant tout,
18:51 et tout ce qui fait que Homo sapiens est un animal,
18:57 mais ce n'est pas un animal comme les autres.
19:00 Ce qui ne veut pas dire que c'est un animal supérieur
19:06 et qu'il est au sommet de l'évolution.
19:08 Il est différent.
19:09 Voilà, il est différent.
19:10 Il n'est pas au sommet de l'évolution, parce que l'évolution continue.
19:14 D'ailleurs, on le voit bien, on l'observe aujourd'hui.
19:16 Avec l'intelligence artificielle, par exemple,
19:18 on observe bien que des capacités techniques nouvelles apparaissent
19:23 qui vont donner accès à autre chose que toute la technologie que l'on connaît aujourd'hui.
19:30 Et puis on fabrique aujourd'hui des hybrides robots humains.
19:35 On fabrique ce qu'on appelle aujourd'hui des hommes augmentés,
19:42 avec des prothèses, on connaît des cyborgs.
19:45 Sur lequel le biologiste aura son mot à dire ?
19:49 Est-ce que ça ouvre de nouveaux champs à la recherche sur la question de la vie ?
19:55 Est-ce que l'hybridation neurobiologique nanotechnologie
20:01 constitue un enjeu pour la biologie aujourd'hui ?
20:05 C'est-à-dire que ça constitue une ouverture extraordinaire.
20:09 Si tant est que nous renonçons,
20:13 enfin nous ou il, j'en sais rien,
20:15 parce que moi j'ai renoncé depuis longtemps,
20:17 à être maître et possesseur de la nature,
20:20 c'est-à-dire à vouloir diriger l'évolution.
20:23 Est-ce que l'espèce humaine peut faire ce qu'a fait la nature depuis 3,8 milliards d'années ?
20:31 C'est très compliqué d'après tout le cheminement que vous nous avez retracé.
20:35 C'est absolument impossible.
20:37 On ne peut pas.
20:39 Nous avons commencé notre entretien avec la xénobiologie.
20:43 Cette discipline, la xénobiologie avec la biologie de synthèse,
20:47 est une discipline relativement récente,
20:49 qui a 5 à 10 ans d'existence,
20:51 qui est vraiment extraordinaire,
20:54 parce qu'à la fois elle est porteuse de découvertes majeures,
21:02 et puis d'une ambition,
21:05 ce terme est positif dans ma bouche,
21:09 de découvrir et de fabriquer tout un jeu des possibles
21:15 que nous ne connaissons pas aujourd'hui.
21:18 Alors ça nous renvoie à ces 80% de vie que nous ne connaissons pas,
21:22 parce qu'après tout, dans ces 80% que nous ne sommes pas capables de caractériser,
21:26 il y a peut-être des organismes qui ne vivent pas comme nous,
21:30 avec notre compartimentation, notre métabolisme, notre type de reproduction,
21:36 on n'en sait rien.
21:38 Donc la xénobiologie, la biologie de synthèse,
21:40 permet de mettre, si vous voulez, des portes d'ouverture dans ce monde inconnu,
21:46 et de découvrir en fabriquant en laboratoire d'autres types d'organismes,
21:55 augmentés, entre guillemets,
21:58 de fabriquer d'autres mondes possibles.
22:02 Et puis il y a une autre ambition, celle la plus compliquée à réaliser,
22:10 puis même à envisager, c'est "peut-on modifier l'homme ?"
22:14 Vous savez, Jérôme Rostand a écrit un livre qui s'appelle "Peut-on modifier l'homme ?"
22:18 C'est-à-dire "l'espèce humaine est-elle perfectible ?"
22:21 Aujourd'hui, certains essaient de modifier le génome,
22:25 notre propre génome, c'est-à-dire notre ADN,
22:28 on essaie d'augmenter l'ADN.
22:31 L'ADN est basé sur quatre briques,
22:34 A, T, G, C, pour les gens qui connaissent un petit peu,
22:39 et bien des chercheurs essaient de fabriquer de l'ADN à huit lettres.
22:45 Non plus ces quatre bases-là initiales qui nous constituent,
22:49 mais on appelle ça des "Ashi-Moji".
22:52 "Ashi", ce sont des Japonais qui ont fait cette recherche,
22:55 "Ashi", ça veut dire "huit", et "Moji", "mo".
22:58 Et ces chercheurs-là se sont aperçus que ces ADN à huit lettres,
23:04 on pouvait les faire s'incorporer dans des cellules,
23:08 des Chirichiacolies, vous savez, cette bactérie qui peuple notre tube digestif,
23:15 et que cette bactérie était capable d'adopter ces ADN à huit lettres.
23:20 Alors évidemment, tout ça ne sort pas des laboratoires,
23:23 puis même si ça sortait des laboratoires, ça ne peut pas vivre à l'extérieur,
23:26 puisqu'il n'y a pas de nutriments dans la nature qui pourraient alimenter ces travaux.
23:32 Mais voilà ce que fait la xénobiologie et la biologie de synthèse.
23:37 Et bien d'autres choses dont je ne parle pas là,
23:39 c'est pour avoir une idée vraiment de cette force d'imagination extraordinaire
23:45 qui se déploie en biologie, et toujours en rapport avec l'environnement.
23:50 Je parle beaucoup, mais depuis tout à l'heure je pense aux arbres,
23:55 parce qu'on parle beaucoup de l'humain, des animaux, et on ne parle pas de la végétation.
24:01 Mais vous savez que les arbres, comme nous, nous devons respecter la nature
24:07 et nous devons respecter les autres, ceux qui sont en nous et ceux qui sont hors de nous,
24:11 pour pouvoir échanger, parce que c'est ça la définition de la vie,
24:14 ce sont les liens que nous entretenons entre nous et avec l'environnement.
24:18 Et bien les arbres même, aller dans une forêt, et vraiment au cœur de la forêt,
24:23 et puis vous levez les yeux et vous verrez que vous voyez la lumière.
24:27 Autrement dit, des arbres dans une forêt ne se touchent pas,
24:30 ils respectent ce que l'on appelle une fente de timidité, c'est très joli,
24:35 pour laisser passer... - Poétique ?
24:37 - Oui. - Pour les forêts là ?
24:39 - Voilà, vous regardez, allez-y, vous verrez, c'est génial.
24:44 Et donc pour laisser passer la lumière, de manière à ce que les autres arbres
24:47 bénéficient aussi de la lumière pour faire la photosynthèse.
24:50 Donc il y a dans la nature, c'est dans la nature non pas humaine,
24:54 mais dans la nature même, d'avoir un rapport à l'autre.
24:59 Et sans ce rapport à l'autre, ce lien que nous entretenons avec les autres,
25:02 il n'y aurait pas de vie possible sur Terre.
25:05 C'est pour ça que chercher de la vie ailleurs, c'est d'abord chercher l'environnement,
25:10 c'est caractériser l'environnement, et puis voir ensuite ce qui peut se passer
25:15 dans cet environnement. Mais c'est illusoire et complètement inutile
25:20 de rechercher la même chose que ce que nous connaissons.
25:23 - Oui, ça paraîtrait miraculeux. Il faudrait que toutes les conditions...
25:28 - Oui, c'est pas miraculeux. - Enfin, improbable.
25:32 - Voilà, complètement improbable et même impensable.
25:35 Je crois qu'il faut penser les choses autrement.
25:37 Il faut que notre esprit arrive à accepter cette notion de l'autre
25:43 et de l'environnement. C'est comme ça qu'on arrivera à trouver autre chose.
25:48 - Merci beaucoup, Marie-Christine Morel. - Ça y est, c'est fini ?
25:53 - Je crois qu'elle avait encore plein de choses à dire.
25:56 - Ça passe hyper vite. - Merci beaucoup, Marie-Christine Morel.
25:59 - Merci à vous. Merci à vous de votre attention.
26:04 - Attention.
26:06 ...

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