L'autorité ne fait pas recette. De partout s'élèvent des voix pour prôner des sociétés de libertés, de tolérance, pluriculturelles, oeuvrant pour la diversité et le consensus, magnifiant le présent, voir l'idolâtrant et abrasant le passé. Bref, du rêve pour chacun, de la prospérité pour tous et la paix universelle. En somme, une modernité heureuse qui ne s'embarrasserait ni des contraintes intérieures (violences, dégradation des services publics, insécurité, précarités sociales et financières) et pas plus des aléas extérieurs avec un enchainement conflictuel : terrorisme, Covid, guerre en Ukraine. Et de nous interroger : que peut le politique, dans son essence comme dans sa pratique, face à ce qu'on pourrait qualifier de démocratie malheureuse et de République tumultueuse. Un politique dont les serviteurs n'ont plus nom : De Gaulle, Churchill, Clemenceau, Mandela, Margaret Thatcher, Indira Gandhi. Un politique qui cherche à plaire en faisant de la communication l'art de gouverner. Un politique s'exonérant de la responsabilité et du courage de ses actes pour éviter d'affronter une doxa bien-pensante et bien souvent éloignée des réalités. Ce sera d'abord et surtout l'examen de cette autorité politique défaillante en France, avec des incursions ailleurs parce que les idées et les valeurs sont partout en crise, notamment quand les opinions et les invectives font florès sur les réseaux sociaux.
Émile Malet reçoit :
Manuel Valls, ancien maire, député, ministre et Premier ministre
Anne Lauvergeon, cheffe d'entreprise, femme politique, présidente du fonds d'investissement ALP
Nicolas Baverez, avocat, économiste, politologue, chroniqueur au Figaro et Le Point
Julien Aubert, vice-président de Les Républicains, président de Oser la France
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.
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Julien Aubert, vice-président de Les Républicains, président de Oser la France
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🗞
NewsTranscription
00:00 Générique
00:01 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:26 L'autorité politique remise en question.
00:30 L'autorité politique ne fait pas recette.
00:33 De partout s'élèvent des voies
00:36 pour prôner des sociétés de liberté,
00:39 de tolérance pluriculturelle,
00:41 oeuvrant pour la diversité et le consensus,
00:45 magnifiant le présent,
00:47 voire l'idolâtrant et abrasant le passé.
00:50 Bref, du rêve pour chacun,
00:53 de la prospérité pour tous
00:55 et la paix universelle.
00:57 En somme, une modernité heureuse
01:00 qui ne s'embarrasserait ni des contraintes intérieures,
01:03 les violences, les dégradations de services publics,
01:06 l'insécurité, les précarités sociales et financières,
01:11 et pas plus des aléas extérieurs
01:14 avec un enchaînement conflictuel,
01:17 le terrorisme, le Covid, la guerre en Ukraine.
01:20 Aidez-nous à interroger.
01:23 Que peut le politique, dans son essence,
01:25 comme dans sa pratique, face à ce qu'on pourrait qualifier
01:29 de démocratie malheureuse
01:31 et de république tumultueuse ?
01:34 Un politique dont les serviteurs n'ont plus nom,
01:37 De Gaulle, Churchill,
01:39 Clemenceau, Mandela,
01:41 Mitterrand, Margaret Thatcher,
01:44 Indira Gandhi.
01:46 Un politique qui cherche à plaire
01:48 en faisant de la communication l'art de gouverner.
01:51 Un politique s'exonérant de la responsabilité
01:55 et du courage de ses actes
01:57 pour éviter d'affronter une doxa bien pensante
02:01 et bien souvent éloignée des réalités.
02:04 Nous examinerons d'abord et surtout
02:06 cette autorité politique défaillante en France
02:10 avec des incursions ailleurs,
02:12 parce que partout, il y a une crise des idées et des valeurs,
02:16 et partout, les opinions et les invectives
02:20 font floresse sur les réseaux sociaux.
02:22 Pour cette radiographie d'une chute de l'autorité politique,
02:26 je vous présente mes invités.
02:29 Manuel Valls, vous êtes ancien maire,
02:32 ancien député, ancien ministre,
02:34 ancien Premier ministre.
02:36 Vous nous direz ce que vous faites aujourd'hui dans le présent.
02:40 Anne Lauvergeon, vous êtes chef d'entreprise,
02:43 femme politique, puisque vous avez été secrétaire adjointe
02:46 à la présidence de la République
02:48 et présidente d'un fonds d'investissement, ALP.
02:52 Nicolas Baverez, vous êtes avocat,
02:54 économiste, politologue,
02:57 chroniqueur au Point et au Figaro.
02:59 Julien Aubert, ancien député,
03:02 vous êtes vice-président, vous voyez, je vous ai déjà promu,
03:05 vice-président de Les Républicains
03:08 et président de Oser la France,
03:10 un mouvement où se retrouvent tous les souverainistes.
03:14 ...
03:21 Après De Gaulle,
03:23 et le phénomène s'est accentué depuis,
03:26 on fait la distinction politique
03:29 entre servir et habiter le pouvoir.
03:33 Pour nous en tenir à la France contemporaine
03:36 et aux trois dernières secousses populaires et politiques,
03:40 les Gilets jaunes, la réforme
03:42 et les manifestations à propos des retraites,
03:45 les révoltes de jeunes
03:47 avec toutes les violences urbaines occasionnées,
03:51 quel regard et quel jugement
03:53 portez-vous sur l'exercice du pouvoir actuel
03:57 en termes d'autorité ? Manuel Valls.
04:00 -Vous commencez fort, chère Emile Mallet.
04:02 -On est dans l'actualité. -Surtout après le panorama
04:07 qui porte essentiellement sur la responsabilité politique
04:11 que vous avez présentée
04:12 pour cette émission.
04:15 Tout pouvoir, aujourd'hui, dans nos démocraties occidentales,
04:19 celui-ci n'échappe pas à la règle,
04:21 souffre d'une crise d'autorité.
04:24 Elle est sans doute plus aiguë dans notre pays,
04:27 pour des raisons sur lesquelles on reviendra peut-être.
04:30 Une nation construite par l'Etat, un Etat fort, centralisé,
04:34 une vision jacobine, je dirais, de la société,
04:37 qui se sont progressivement dégradées.
04:40 Je rajoute à cela ce qui...
04:42 En fait, aussi, un particularisme français,
04:45 pas seulement, mais avec un affaissement
04:49 d'un système politique,
04:50 en tout cas des partis qui avaient gouverné par alternance,
04:54 notamment sous la Ve République,
04:56 et donc une dégradation qui a laissé un espace ouvert
05:00 à de nouvelles formations politiques,
05:02 avec peu d'implantations locales,
05:04 pour les plus importantes,
05:06 à commencer par celle du président de la République.
05:09 Le président de la République,
05:10 qui s'appuie sur une force politique
05:13 qui n'a pas d'histoire, de mémoire, de racines,
05:16 qui a eu, les choses ont peut-être changé,
05:18 mais qui a eu une certaine conception
05:21 du rôle ou de l'absence de rôle des causes intermédiaires,
05:24 et, évidemment, confronté à une crise politique,
05:27 démocratique, publique, et aussi à une crise de l'autorité.
05:31 -M. Valls, permettez-moi quand même
05:33 de vous faire préciser quelque chose.
05:35 Vous avez été maire d'une ville de banlieue.
05:38 Les révoltes de ces derniers temps,
05:40 ce sont des révoltes populaires,
05:42 qui se sont déroulées, bien sûr, dans les grandes métropoles,
05:46 mais aussi dans les banlieues.
05:48 Vous avez été ministre de l'Intérieur
05:50 et vous avez eu à gérer la violence.
05:52 Donc, par rapport à ce qui s'est passé en France,
05:55 est-ce que vous considérez
05:58 que l'autorité politique s'est exprimée
06:01 à l'occasion de ces événements ?
06:04 -En général, elle s'est exprimée,
06:06 et vous évoquez sans doute les révoltes,
06:10 les émeutes, les dégradations,
06:13 les mises en cause de l'autorité publique, de l'Etat,
06:17 avec des dégradations de services publics,
06:19 d'écoles, de mairies, de centres sociaux,
06:22 mais aussi de commerce avec une très grande violence
06:25 à l'égard notamment des forces de l'ordre.
06:28 J'ai le sentiment,
06:29 après, évidemment, sans doute, un moment d'hésitation,
06:33 voire de stupeur, de surprise,
06:35 par rapport à ces violences,
06:37 l'autorité politique, côté police et côté justice,
06:41 elle s'est exprimée par la présence massive
06:44 des forces de police et de gendarmerie
06:47 et par les condamnations qui ont eu lieu après.
06:50 Mais sitôt passé cet épisode,
06:53 les problèmes demeurent,
06:55 et la contestation de cette autorité politique,
06:57 et je dirais même d'une certaine idée de la France,
07:00 puisque vous citez le général de Gaulle,
07:03 que c'est à la fois une manifestation
07:05 contre l'autorité de l'Etat,
07:07 mais aussi contre une forme de vivre ensemble,
07:09 contre notre pays,
07:11 contre ce qu'y fait France,
07:13 ce qu'y fait notre pays,
07:14 pour utiliser des mots déjà très utilisés,
07:18 donc un peu dépassés,
07:20 mais c'est une manifestation de haine,
07:23 très souvent, à l'égard de notre pays
07:25 à lequel nous avons assisé.
07:27 Les réponses, elles sont très difficiles à trouver,
07:31 mais elles passent par une restauration
07:34 et l'autorité politique, et aussi, au fond,
07:36 ce qui nous unit dans notre pays,
07:38 ce qui fait que nous sommes français.
07:40 -Julien Aubert, vous êtes d'accord ?
07:43 Ou vous pensez qu'il y a eu une défaillance
07:45 de l'autorité politique ?
07:47 -Sur la gestion de la révolte des...
07:50 Enfin, c'est pas une... Oui.
07:52 De l'insurrection des banlieues et des quartiers...
07:55 Pour moi, il y a eu...
07:56 Il y a quand même un aveu de faiblesse.
07:59 C'est-à-dire que...
08:00 On a laissé, en partie...
08:03 brûlé, par peur du dérapage
08:07 qui pourrait nous amener sur une pente plus délicate,
08:11 un peu comme pour les Gilets jaunes,
08:13 tant qu'il n'y a pas mort d'homme.
08:15 J'avais l'impression que la priorité,
08:17 c'était d'éviter qu'on bascule dans quelque chose de plus violent.
08:21 En même temps, j'ai eu le sentiment
08:23 que l'autorité politique avait perdu, à un moment,
08:26 le contrôle du territoire.
08:29 D'ailleurs, des unités de police
08:31 qui ont été réquisitionnées
08:33 l'ont été un peu à la va-vite,
08:35 avec des unités qui n'étaient pas forcément, d'ailleurs,
08:38 on va dire, formées pour cela, le RAID, notamment,
08:41 avec, évidemment, les conséquences que cela peut engendrer
08:44 lorsqu'ils se retrouvent à faire un métier qui n'est pas le leur.
08:48 Puis après, il y a, je dirais, deux sortes d'autorités.
08:51 Il y a, évidemment, la capacité répressive
08:54 et puis la capacité à faire peur,
08:56 parce que c'est ce qui coûte le moins cher.
08:58 En réalité, si on respecte le pouvoir,
09:00 si on respecte la police,
09:02 on n'a pas besoin d'exercer cette force.
09:04 Ce qui m'a inquiété, c'est qu'on en est arrivé au stade
09:07 où on est obligé de mettre en branle des forces armées,
09:11 la police, la gendarmerie,
09:12 avec le risque de s'apercevoir qu'on est incapable de tenir le terrain.
09:16 Pour répondre à votre question, que vous aviez posée,
09:19 sur la question de la crise de l'autorité,
09:22 je pense qu'il y a une triple crise,
09:24 une crise de l'esprit, de l'âme et une crise du physique.
09:27 Le physique, c'est l'efficacité,
09:29 c'est-à-dire que les gens constatent
09:31 qu'il y a des problèmes et disent que la démocratie ne résout pas,
09:35 l'autorité publique ne résout pas.
09:37 Une crise de l'esprit, dans le sens où les gens ne comprennent plus
09:41 ou pas toujours très bien la manière dont la démocratie fonctionne,
09:45 et on vient d'ailleurs à critiquer la manière dont elle fonctionne,
09:49 par exemple l'usage du 49-3, etc., et une crise de l'âme,
09:52 ce qui est la plus profonde, c'est que les gens ne croient plus
09:56 dans leurs problèmes ou ne croient plus que la promesse républicaine
09:59 de la liberté, de l'égalité et de la fraternité s'incarne.
10:03 Ces trois crises conjuguées font qu'il y a ce malaise
10:05 qui ne se limite pas aux révoltes des quartiers.
10:08 -Anne Lauvergeon voulait y intervenir.
10:10 -Je sais pas si je voulais y intervenir,
10:13 mais oui, j'ai le sentiment qu'effectivement,
10:15 on a une crise, je dirais, morale,
10:17 et puis après, il y a des problématiques
10:20 très matérielles et très pratiques,
10:22 pour savoir si les forces de l'ordre...
10:25 La crise morale, pour moi,
10:26 elle est assez française ou occidentale.
10:29 Vous parliez au début de tous les pays,
10:31 des tas de pays où l'autorité, elle est pas vraiment légère.
10:34 Donc, ça mouche pas, ça ne bouge pas.
10:38 Et justement, trouver le bon équilibre
10:41 est très complexe. Je crois que...
10:43 Je reviendrai sur un point.
10:45 Tout le 19e siècle et une grosse partie du 20e siècle,
10:49 jusqu'à les années 90, on a parlé du progrès.
10:53 Tous les politiques parlaient de progrès.
10:55 Il y avait dans l'idée de faire société ensemble
10:58 l'idée que demain serait effectivement,
11:00 globalement, on sait bien qu'individuellement,
11:03 c'était un peu plus complexe,
11:05 mais que globalement, on allait vers...
11:07 On a substitué au mot de progrès le mot "innovation",
11:10 un peu enfant de Bohème,
11:12 il y a ceux qui réussissent, puis les autres, voilà.
11:15 Et je pense qu'il faut qu'on essaye de refaire société ensemble.
11:18 Le progrès, parler de progrès,
11:20 c'est considérer que demain sera meilleur,
11:23 mais on envoie des messages sur demain
11:25 qui sont exactement inverses.
11:26 C'est les coups d'anxiété, le changement climatique, etc.
11:30 C'est une société qui est à la fois un peu désespérée,
11:33 où toutes les préventions ne sont pas forcément à l'oeuvre
11:36 et donc où les crises prennent des aspects extrêmement brutaux.
11:41 Alors, avec un État...
11:42 Alors, le politique est responsable, bien sûr,
11:45 mais je dirais que c'est beaucoup plus complexe que ça.
11:48 Avec un État qui, pour moi, est un peu en voie de...
11:52 Bah, dans le même malaise,
11:55 avec un effritement de l'État, je dirais.
11:58 C'est-à-dire, vous regardez d'abord,
12:00 l'État s'enlève des prérogatives très régulièrement.
12:05 Vous avez aujourd'hui une centaine d'autorités indépendantes
12:08 qui régulent des choses aussi importantes
12:11 que l'énergie, le droit,
12:14 les moyens de presse, la télévision, etc.
12:17 Donc, l'État a organisé une forme d'impuissance
12:21 en laissant...
12:22 Moi, je me souviens de Renaud Denoy de Saint-Marc,
12:25 secrétaire général du gouvernement
12:27 et qui a été ensuite vice-président du Conseil d'Etat.
12:30 À chaque fois qu'il voyait dans une annonce
12:33 d'un conseil des ministres une nouvelle autorité indépendante,
12:37 il disait "le démembrement de l'État, je ne veux pas assister à ça,
12:40 "je me fermerai les oreilles."
12:42 Et c'est vrai que c'était à la mode.
12:44 On l'a fait, on l'a beaucoup fait,
12:46 et on n'a pas réfléchi à ce que ça voulait dire.
12:49 -On a aussi un phénomène qui, je crois, est à l'oeuvre,
12:52 la commission de déontologie, pour le départ des fonctionnaires.
12:56 Ca veut dire que si vous voulez partir dans une entreprise,
12:59 et c'est le cas de plus en plus tôt,
13:01 vous avez intérêt à partir jeune,
13:03 et non pas à rester servir l'État.
13:05 Vous avez eu donc un appauvrissement de la substance.
13:08 Or, on a besoin de faire une énorme réforme de l'État,
13:11 une énorme réforme de l'État.
13:13 On a besoin de simplifier.
13:15 Il y a une aspiration très forte de tous les gens
13:18 à avoir un service meilleur pour les impôts qu'ils payent
13:21 ou qu'ils ne payent pas.
13:22 Et tout ça, on a l'impression que c'est en friche, en jachère,
13:26 alors même que la demande est extraordinairement forte.
13:29 On a bien vu que la réponse de court terme,
13:31 du politique, a été de dire qu'on va prendre
13:34 des cabinets, souvent anglo-saxons,
13:36 pour faire le travail.
13:38 C'est pas satisfaisant.
13:39 En plus, c'est pas des cabinets internationaux
13:42 qui vont savoir ce que l'État doit devenir.
13:44 Donc, il y a un énorme travail sur nous-mêmes.
13:47 Tout le monde le sait, tout le monde le sent.
13:49 Il va falloir le faire.
13:51 -Nicolas Baverez, vous nous direz ce que vous pensez
13:54 de cet enchaînement des conflits qu'il y a eu en France
13:58 et qu'on considère quasiment comme une normalité,
14:01 même si elle est pathologique,
14:04 mais je voudrais aller plus loin, en plus, avec vous,
14:08 en vous demandant d'où vient cet affaiblissement
14:13 de l'autorité chez nos gouvernants.
14:16 Est-ce qu'à votre avis,
14:17 c'est un mésujage constitutionnel ?
14:20 C'est des institutions socioculturelles
14:23 sous influence wokiste ?
14:25 C'est la communication qui est omniprésente partout ?
14:28 C'est la tyrannie des opinions ?
14:31 Face à cela, un pouvoir politique qui est gelé ?
14:34 -Je crois qu'il faut en revenir,
14:36 on l'a déjà mis en valeur,
14:39 à l'ambiguïté de cette notion d'autorité
14:42 qui avait été bien éclairée
14:44 par Anna Arendt.
14:46 Quand on parle de crise de l'autorité,
14:49 spontanément, on pense à l'insuffisance
14:52 de l'ordre public ou à l'insuffisance
14:55 de la contrainte ou du contrôle.
14:57 L'autorité, normalement, c'est une obéissance
15:00 qui est une obéissance consentie.
15:02 Comme on l'a dit, ça envoie des valeurs
15:04 chez nous aux valeurs de la République.
15:07 -Vous distinguez bien autorité et autoritarisme.
15:10 -En face, on a deux notions contraires à l'autorité.
15:13 Et puis, il y a l'autoritarisme,
15:15 qui peut, aujourd'hui, prendre la forme
15:18 soit d'extrémisme à l'intérieur des démocraties,
15:22 soit de régimes autoritaires, d'empires autoritaires,
15:26 dont on voit qu'aujourd'hui,
15:28 ils ont de nouveau une agressivité extrême
15:32 contre la démocratie.
15:33 Alors, qu'est-ce qui s'est passé ?
15:35 En fait, on a, dans l'ensemble du monde démocratique,
15:39 les démocraties ont fait une énorme erreur
15:42 à l'effondrement de l'Union soviétique,
15:44 où on a pensé que c'était la victoire pour l'éternité
15:47 de la démocratie, de l'économie de marché.
15:50 Les illusions de la fin de l'histoire.
15:52 Derrière, il y a toute une série de chocs
15:55 qui ont déstabilisé profondément les nations libres.
15:58 Donc, il y a eu 2001, les guerres enlisées, perdues,
16:01 de l'Afghanistan jusqu'au Sahel, le krach de 2008,
16:04 ensuite, la crise de l'euro, les pandémies.
16:07 Tout ça, partout, on voit que ça a créé...
16:10 Ca a déstabilisé la classe moyenne
16:12 et ça a créé un énorme désordre.
16:14 Je suis de voir aux Etats-Unis,
16:16 précisément, normalement, aux Etats-Unis,
16:19 le fondement de l'autorité, c'est qu'on croit à la Constitution
16:23 et on croit au vote. -Oui, mais en face,
16:25 vous trouvez que le pouvoir politique fait son boulot ?
16:28 -Aux Etats-Unis, non seulement le pouvoir politique
16:31 ne fait pas son travail, mais Donald Trump
16:34 est un agent de destruction massive
16:36 de ce qui a été l'ordre et l'autorité
16:39 politique aux Etats-Unis,
16:41 qui est aux Etats-Unis, l'autorité, c'est la Constitution.
16:44 A partir du moment où on a un président qui a été élu,
16:47 maintenant un candidat,
16:49 qui, de manière frontale, remet en cause
16:51 la Constitution et le vote,
16:53 là, en l'occurrence, c'est une force politique
16:57 qui participe de la déstabilisation.
16:59 En tout cas, on a ça partout.
17:01 En France, on a une situation,
17:03 et la France reste exceptionnelle
17:05 pour les raisons qui ont été décrites,
17:07 parce que la France est particulièrement vulnérable
17:10 quand on voit les hauts et les bas depuis 1789.
17:14 Comme la Révolution a mis en face l'Etat et le citoyen,
17:18 il n'y a pas de société civile entre les deux.
17:21 Quand l'Etat est bien géré et va bien,
17:23 que le citoyen est prospère, le système fonctionne bien.
17:26 Quand on commence à avoir des chocs
17:28 et que l'Etat devient obèse et impuissant,
17:31 d'un côté, que le citoyen est totalement désorienté,
17:34 là, ça dysfonctionne.
17:36 Donc, on a bien ce problème,
17:37 ce double problème de l'efficacité.
17:40 Donc, un Etat obèse et impuissant,
17:43 il récupère 58 % du PIB,
17:45 mais il n'est plus capable de produire
17:47 ni de la santé, ni de l'éducation,
17:50 ni de la police, ni de la justice,
17:52 ni des transports dans des conditions...
17:54 Enfin, des efficacités correctes pour la population.
17:58 Et il y a, derrière, le problème des valeurs.
18:02 Ce que vous avez rappelé, quand même,
18:04 parce qu'on peut rajouter un épisode que vous avez connu
18:08 et qui est, évidemment, gravissime,
18:12 les attentats de 2015,
18:13 le fait qu'on a une partie
18:15 de...
18:17 de la...
18:19 de la population qui vit sur le territoire
18:21 et une partie des Français qui ne se reconnaissent plus
18:25 dans les lois de la République.
18:28 Ensuite, on a eu les gilets jaunes,
18:30 les manifestations contre les retraites,
18:32 les émeutes urbaines.
18:33 On a vu, enfin, qu'aujourd'hui, j'allais dire,
18:36 chacun fait sa loi.
18:37 Alors, pour les uns, c'est la loi religieuse,
18:41 pour les autres, c'est la loi des gangs
18:44 et des bandes,
18:46 pour les troisièmes, c'est la loi des communautés.
18:50 Mais, de fait, et ça, c'est une crise qui est une crise,
18:53 vous voyez, c'est la vraie crise de l'autorité.
18:56 Ca veut pas dire qu'il n'y a pas d'autorité,
18:59 mais l'autorité, ça peut être l'imam,
19:01 l'autorité, ça peut être le chef de gang,
19:05 l'autorité, et ça n'est plus une autorité
19:08 qui est une autorité collective et reconnue.
19:10 -Sur cette autorité déconstruite,
19:13 avec une violence qui est là quasiment permanente,
19:18 Manuel Valls, qu'est-ce que vous pensez,
19:20 Jean-Pierre Le Goff, un sociologue,
19:23 dans un essai récent qui s'appelle "Les années folles",
19:26 à propos de mai 68,
19:28 met en cause le gauchisme culturel
19:31 en disant qu'il est essentiellement
19:33 violent et nihiliste.
19:35 Est-ce qu'on peut faire une comparaison
19:38 entre cette violence-là et la violence
19:40 qu'il y a eu en France ces derniers temps
19:43 dans les banlieues et dans les métropoles ?
19:45 Ca s'est exprimé avec de la violence.
19:48 -Oui, mais il y a des éléments
19:51 que nous partageons avec les grandes démocraties
19:54 occidentales, du monde libre,
19:56 qui nous partageons des valeurs communes.
19:59 Nous avons subi les uns et les autres
20:02 à peu près les mêmes chocs.
20:04 Les effets de la globalisation économique
20:07 pour aller vite, et qui s'accentue
20:09 avec le rôle et le pouvoir des gars-femmes,
20:12 le sentiment, au fond, pour les citoyens,
20:14 qu'on perd le pouvoir démocratique
20:18 qui s'exerce dans chaque nation.
20:20 Et puis, il y a des éléments de perte d'autorité
20:23 que là aussi, on retrouve un peu partout.
20:26 Je fais vite, mais l'autorité
20:29 du parent, des parents, l'autorité du professeur.
20:32 Peut-être que cela vient de mouvements
20:34 de fond de la société qu'on peut imputer,
20:37 même s'il y a eu aussi des effets positifs
20:39 de mai 68 pour eux.
20:42 Mais, chez nous,
20:44 cette crise de l'autorité
20:46 est profondément liée, pas seulement...
20:49 C'est une différence avec d'autres pays
20:51 où l'Etat est peu présent, avec une crise de l'Etat
20:54 et de son efficacité.
20:56 Je ne refais pas la liste, sinon je la refais,
20:58 mais je vais vous rappeler, il y a un instant,
21:01 santé, école, police, énergie, transport,
21:05 les Français ont le sentiment que, pour être trivial,
21:09 tout faut le camp. Le lien de l'autorité politique
21:12 est à faire avec la crise de l'autorité de l'Etat.
21:15 Si vous rajoutez à cela, d'ailleurs,
21:17 ce que vous m'interrogez, y compris sur le président actuel,
21:20 derrière, avec des contradictions, d'ailleurs,
21:23 mais on remet en cause l'ENA,
21:25 on remet en cause le rôle des préfets,
21:29 on remet en cause le corps... -L'ensemble des corps.
21:32 -Le corps diplomatique.
21:34 Donc, les corps constitués,
21:35 même si, à l'intérieur, ça ne change pas beaucoup,
21:38 le message qui passe, c'est qu'on continue à effriter
21:41 cette autorité de l'Etat.
21:43 Moi, je pense que le rôle du politique
21:46 est de ne pas se laisser entraîner, c'est facile à dire,
21:49 surtout quand on n'est plus dans l'exercice du pouvoir.
21:52 C'est justement, parfois, que le pouvoir m'échappait,
21:55 et dans d'autres occasions, que par le verbe, par l'action,
21:59 notamment face aux attentats terroristes,
22:01 on pouvait, évidemment, agir.
22:03 Souvent, le politique arrive à agir en temps de crise.
22:07 C'est là, d'une certaine manière, il a la réponse à court terme.
22:10 Mais sur le moyen, et surtout sur le long terme,
22:13 c'est là où il est en crise.
22:15 -Anneau-Vergent ?
22:16 -Je voudrais rebondir là-dessus,
22:18 parce que je crois qu'un gros défaut du politique,
22:21 c'est de ne pas savoir anticiper les crises.
22:24 Je prends un sujet que je connais un petit peu, l'énergie.
22:28 J'ai sonné le toxin un peu partout.
22:31 En septembre 2021, il était parfaitement clair
22:35 qu'on allait devant une crise énergétique grave pour l'hiver.
22:38 Que n'ai-je entendu ?
22:40 A tout niveau de l'Etat,
22:43 que ce soit dans les administrations
22:45 ou dans le monde politique.
22:47 C'était vraiment une vision catastrophiste.
22:49 -Il y avait une pression de l'opinion des Verts
22:52 contre le nucléaire.
22:53 -Je parlais pas de nucléaire.
22:55 Je disais qu'on allait vers une crise énergétique.
22:58 Il faut faire ce qu'ont fait les Espagnols et les Portulais,
23:01 dans un mécanisme très malin, qui leur a permis
23:04 de faire beaucoup d'économies et de protéger leurs citoyens.
23:07 D'abord, faire comme les Espagnols et les Portulais,
23:10 c'est pas digne des Français.
23:12 Non, c'était "je n'entends rien",
23:14 avant d'être devant le sujet.
23:16 Ce qui me frappe beaucoup dans cet effritement,
23:19 c'est la perte des sachants.
23:21 C'est-à-dire que, sur des sujets, je reprends l'énergie,
23:24 mais je pourrais en prendre plein d'autres,
23:27 il y avait, dans le système étatique, des sachants.
23:30 Il y a 30 ans, Jean Sirota,
23:31 directeur général de l'énergie des matières premières,
23:35 je peux vous assurer qu'il y avait une batterie de gens
23:38 qui avaient des opinions,
23:39 qui pouvaient être différentes de celles d'EDF ou d'autres,
23:43 mais il y avait des corpus et un suivi.
23:45 Là, aujourd'hui... -Vous diriez la même chose ?
23:48 -Vous diriez la même chose du fait que les derniers prix Nobel,
23:52 ces deux dernières années,
23:53 les Français travaillent à l'étranger.
23:56 -Ca, c'est aussi le ridicule d'indiquer
23:58 une date de retraite pour tout le monde,
24:01 quelles que soient les conditions, et en particulier à 60 ans.
24:04 C'est absurde. C'est l'idée qu'à partir d'un certain âge,
24:07 on est plus productif, donc on peut vous jeter.
24:10 Vous dire à quel point, sur des sujets essentiels,
24:13 qui sont vraiment des sujets de l'étanation...
24:17 -Mais vous diriez jusqu'à... -On a laissé abandonner...
24:20 Je vous donne un exemple.
24:21 -Vous diriez que les politiques
24:24 sont émasculés du savoir,
24:26 du haut savoir, des grands savoirs ?
24:29 -Dans un certain nombre de cas,
24:31 il y a une organisation qui s'est mise en place
24:34 qui leur enlève la possibilité de savoir
24:36 suffisamment tôt pour prévenir.
24:39 Je vous donne un exemple très concret,
24:41 là aussi lié à l'énergie.
24:42 Pendant des dizaines d'années,
24:44 on peut inciter le général de Gaulle,
24:46 mais ça existait bien avant lui,
24:48 il y avait des services du ministère de l'Industrie
24:51 qui prévoyaient les consommations énergétiques de la France
24:55 à long terme et qui essayaient de voir
24:57 si la demande et l'offre pourraient se rencontrer.
25:00 Aujourd'hui, ce n'est plus l'Etat qui le fait.
25:03 C'est une filiale d'EDF.
25:04 L'Etat n'a plus de position sur un sujet aussi majeur.
25:10 Vous prenez ces RTE qui font ça.
25:12 En 2021, ils sortent des prévisions
25:14 qui sont entièrement différentes de celles de 2023.
25:17 Dans un cas, il fallait réduire totalement
25:20 la production et la consommation.
25:22 -Julien Ampère veut dire un mot là-dessus ?
25:24 -Peut-être que le fait que RTE soit dirigé
25:26 par un ancien conseiller du président de la République
25:30 explique cela, mais je suis d'accord
25:32 avec le fait qu'il y a la perte des sachants,
25:34 la perte d'expertise.
25:36 Dans une crise d'autorité, c'est comme une paire de ciseaux.
25:39 Il y a une crise de l'Etat, de son mode d'organisation,
25:42 le fait d'assumer la responsabilité
25:44 et d'être capable d'avoir une vision prospective.
25:47 Et puis, il y a une crise de société en face.
25:50 Parce que, là, on a fait une expérience grande en nature
25:53 avec les réseaux sociaux.
25:55 Je crois que l'humain, qui est à la fois citoyen
25:58 avec un certain nombre de règles et qui, la moitié du temps,
26:01 est sur un espace numérique parfaitement horizontal
26:04 où il n'y a pas de règles, pas d'obligations,
26:07 pas de responsabilités, pas d'individualisation,
26:10 et où, finalement, c'est un peu une loi de la jungle,
26:13 ça finit par rétroagir sur la société réelle.
26:16 -Julien Aubert, je voudrais vous poser
26:18 une question très personnelle.
26:20 Si vous permettez, vous êtes un politique
26:23 qui vient du Sud, parce que vous êtes un élu du Vaucluse.
26:26 -Oui. -Comment vous expliquez
26:29 cette contradiction de l'électorat,
26:33 qui est plus tentée par voter pour des hommes farouchement
26:36 ou des femmes farouchement engagées,
26:39 comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon,
26:41 plutôt que pour des politiques qui sont modérées,
26:45 mais qui sont en même temps rigoureuses
26:49 dans leur gestion de la société ?
26:52 Vous, en tant qu'appartenant au mouvement Les Républicains
26:55 et même sur vos terres vauclusiennes,
26:57 vous aviez des positions qui étaient très affirmées.
27:00 Or, vous avez été battu par plus extrêmes que vous.
27:03 Comment vous expliquez cette contradiction ?
27:06 -J'ai été battu par quelqu'un de la majorité.
27:09 -Oui, mais parce qu'il y a eu à côté...
27:11 -Parce qu'il y a eu une vague.
27:13 D'abord, parce qu'il y a des phénomènes de vagues
27:16 et d'étiquettes, avec une colère, je pense, populaire,
27:19 et un divorce, étant donné qu'il y a eu
27:21 des crises démocratiques, des séismes démocratiques.
27:24 Ce qui s'est passé en 2005, avec un référendum européen,
27:28 où les Français ont voté à 55 % contre un traité,
27:31 et ensuite, les élus ont détricoté,
27:34 n'a pas, je dirais, enclenché un mécanisme de confiance
27:39 de la part des gens qui avaient voté non.
27:42 Ces gens qui avaient voté non,
27:44 quand vous prenez la sociologie, c'était des gens issus
27:47 des classes populaires, des classes les moins riches.
27:51 Vous retrouvez ensuite, par exemple,
27:53 dans ce qui s'est passé aux élections présidentielles
27:57 avec le Front républicain, les électeurs de Marine Le Pen
28:00 sont structurellement plutôt des électeurs,
28:02 effectivement, venant des classes populaires.
28:05 Il y a le sentiment d'une dépossession,
28:07 de dire que les élus ont fait cause commune
28:10 pour m'empêcher de gagner,
28:12 pour m'empêcher d'exprimer aussi la souffrance qui est la mienne.
28:16 Il y avait eu un sondage très intéressant
28:18 qui montrait que 80 % des électeurs de Marine Le Pen
28:21 considéraient qu'ils n'étaient pas heureux
28:24 dans la vie qu'ils menaient.
28:26 Je dirais qu'à mon avis, on a utilisé parfois
28:28 la démocratie contre la démocratie.
28:31 On n'arrive pas à comprendre la manière dont ça fonctionne.
28:34 Deuxièmement, le sentiment d'une partie du pays
28:37 que les décisions sont prises par d'autres
28:39 et qu'on a faussé le jeu démocratique
28:41 pour les empêcher de faire entendre leurs revendications.
28:45 Tout ça se focalise sur des partis protestataires
28:48 qui deviennent des partis d'identification,
28:50 de victimisation, en disant "je suis mal dans mon système
28:53 "et je vote pour..." -Plus mal encore.
28:56 -...qui est mis à l'écart.
28:57 Musique rythmée
28:59 ...
29:04 -Vous venez de voir la citation d'Henri Kissinger.
29:07 Nicolas Baverez, est-ce que nos hommes politiques
29:11 manquent-ils de caractère ?
29:12 Et est-ce que c'est lié, ce manque de caractère,
29:17 à une méconnaissance de l'histoire ?
29:19 Il me souvient qu'Henri Kissinger disait d'Obama
29:24 qu'il n'avait pas ce recul de l'histoire.
29:28 -Vous savez, c'est Raymond Aron qui avait critiqué
29:31 Valéry Giscard d'Estaing en lui disant...
29:33 -Il n'avait pas le sens du... -Du tragique de l'histoire
29:36 quand il était allé discuter avec Brejnev
29:41 exactement au lendemain de l'invasion de l'Afghanistan.
29:47 En fait, le tragique de l'histoire, si vous voulez,
29:50 d'une certaine manière, on n'est plus que servi.
29:53 Il faut quand même rappeler la difficulté
29:55 de ce qui est de gouverner aujourd'hui.
29:58 Quand on regarde le nombre de chocs,
30:00 on a une crise sanitaire qui se poursuit quand même,
30:03 on a une crise énergétique, une crise alimentaire,
30:06 on a l'inflation qui redémarre et une crise monétaire,
30:09 on a une crise stratégique et une crise climatique.
30:12 Donc, évidemment... -Ca se reflète.
30:15 Le caractère, c'est le contraire de la versatilité.
30:18 -Et là-dedans, il faut effectivement essayer
30:22 de tracer un chemin.
30:25 Et c'est vrai qu'aujourd'hui, ce qui frappe quand même,
30:29 c'est qu'il y en a qui y arrivent quand même
30:32 ou qui le dessinent.
30:34 Je prendrai l'exemple des Etats-Unis.
30:36 Aujourd'hui, la société est en état de quasi-guerre civile,
30:39 mais ils ont inventé l'IRA,
30:41 donc cette machine à subventionner,
30:44 qui est derrière, il y a une vraie ligne stratégique,
30:47 puisque c'est "je réindustrialise,
30:49 "je fais la transition climatique
30:52 "et je me sers de tout ça pour restabiliser la classe moyenne".
30:55 Ca va fonctionner ou pas ? On verra, mais il y a une idée.
30:58 Et puis, à l'extérieur, l'idée, c'est que maintenant,
31:01 la rivalité est avec la Chine et qu'on va utiliser la technologie
31:05 pour dissuader la Chine et garder l'avantage militaire.
31:08 Quand on prend l'Europe du Nord, on a aussi...
31:12 Il y a quand même des endroits en Europe
31:14 et des démocraties qui ne vont pas si mal.
31:16 Quand on regarde la Suède, la stratégie zéro fossile,
31:19 quand on regarde la Norvège,
31:21 c'est des pays qui ont réussi, avec des tensions fortes,
31:24 y compris sur le plan migratoire,
31:26 mais à commencer à trouver des formules
31:29 où le citoyen se sent toujours engagé
31:31 dans un projet national.
31:32 On a de la compétitivité, on a de la transition
31:35 et on a une certaine forme de stabilité politique
31:38 et une capacité à remettre en cause beaucoup de choses,
31:41 puisque la Suède intègre l'OTAN,
31:43 ce qui était, a priori, pour le coup,
31:45 des siècles de neutralité
31:47 qui sont remises en question.
31:52 Donc, ce qui manque aujourd'hui, en revanche,
31:55 effectivement, dans un pays comme la France,
31:58 c'est qu'on a... C'est la fameuse...
32:00 Je pense que c'est la meilleure formule
32:02 qui a été utilisée, celle de Fourquet,
32:05 sur l'archipel français.
32:06 En fait, cette archipélisation du pays,
32:09 elle vaut pour la société, pour l'économie...
32:11 -Elle vaut pour toutes les sociétés démocratiques.
32:14 -Oui, mais il y en a qui ont commencé
32:17 à essayer de reconstruire
32:19 ou d'essayer de retisser des fils.
32:23 Et c'est vrai que, comme il a été dit,
32:25 nous, on a, sur les deux bouts du système,
32:27 puisque chez nous, il y a peu de sociétés civiles,
32:30 l'Etat, aujourd'hui, il est surendetté,
32:33 et puis il y a une extrême confusion, quand même.
32:35 Regardez ce dont on a parlé.
32:37 Si on parle d'éducation,
32:39 ensuite, on peut trouver des mérites,
32:41 mais on peut pas... Le même président de la République
32:44 peut pas avoir comme même ministre M. Blanquer et M. Ndiaye.
32:48 Quand on prend le nucléaire,
32:50 on peut pas expliquer qu'on ferme Fessenheim
32:52 et puis ensuite redécouvrir que, finalement...
32:55 Non, on arrête de fermer,
32:56 parce qu'on va prolonger les scènes.
32:59 Vous voyez, quand on regarde l'essentiel,
33:01 on peut pas commencer à discuter pendant six mois avec Poutine
33:05 pour dire qu'ensuite, on est avec les Ukrainiens
33:07 et qu'on va accélérer leur entrée dans l'Union européenne.
33:11 Il y a pas un thème,
33:12 parce que, chez nous, l'impulsion du haut est quand même importante.
33:16 Il y a pas un thème sur lequel le président de la République
33:19 n'a pas dit tout et son contraire.
33:21 -Ce que dit Nicolas Baverez,
33:23 mais sans l'exprimer, ce que disent les Chinois,
33:26 le poisson pourrit par la tête.
33:28 -J'ai vu plutôt une critique du "en même temps".
33:30 -Non, mais exactement.
33:32 -En même temps, c'est un slogan électoral génial,
33:35 mais ça ne permet pas ni de présider ni de gouverner.
33:38 Et il y a l'autre dimension, j'ai été rappelé,
33:41 qui est l'anomie de pas entiers du territoire et de la population.
33:44 Et ça, c'est 40 ans de déclin économique et social,
33:47 donc évidemment, mais aujourd'hui,
33:49 ça prend une dimension pathologique.
33:51 -Vous vouliez dire un mot ? -Non, je pense que ce que...
33:55 Chacun dit, et en France, on le voit peut-être davantage,
34:00 mais c'est cette contradiction, ce choc entre la verticalité,
34:03 incarnée par nos institutions,
34:05 par l'attente du rôle de l'Etat,
34:07 et l'horizontalité de nos sociétés,
34:11 accélérée par les réseaux sociaux
34:14 et, que dire, de l'intelligence artificielle.
34:17 Avec un paradoxe, parce que ça frappe toutes les sociétés,
34:20 c'est que ça ne produit pas plus de démocratie,
34:23 mais plus de confusion et peut amener à l'autoritarisme.
34:26 Vous voyez partout, c'était le cas de Trump,
34:29 mais des phénomènes comme Millei en Argentine,
34:31 où, sur la base de la désinformation
34:33 véhiculée par ces réseaux sociaux,
34:36 on va vers des candidatures ou des élections
34:39 de personnages très antidémocratiques,
34:41 très illibéraux,
34:43 et en tout cas qui remettent en cause les systèmes.
34:46 Je veux quand même, parce qu'on peut décrire
34:48 à foison les sociétés dans lesquelles nous sommes,
34:51 et je partage les analyses qui ont été apportées jusqu'ici,
34:56 c'est quelles sont les solutions ?
34:58 Je crois beaucoup à la stratégie à long terme.
35:01 Je prendrais un autre exemple,
35:03 où le pouvoir politique acculé a été obligé
35:05 de faire un virage sur l'aile massif.
35:08 On verra les résultats.
35:09 C'est l'Allemagne, qui, en quelques mois,
35:12 est obligée de changer de stratégie énergétique,
35:15 la dépendance au gaz et au pétrole russe,
35:18 et d'avoir une autre vision stratégique
35:20 dans son rapport militaire, avec sa propre histoire.
35:24 C'est considérable.
35:25 Ils vont réussir, sans doute avec du temps,
35:28 avec beaucoup de difficultés.
35:30 Ils n'ont pas les mêmes problèmes budgétaires et financiers
35:33 que les nôtres, donc ils ont des marges de manœuvre,
35:37 et, si je veux rester optimiste,
35:38 ce changement stratégique nous a imposés à nous aussi,
35:42 et français et européens.
35:44 Au fond, la crise pandémique,
35:46 et la crise énergétique, et la crise stratégique,
35:49 c'est-à-dire la guerre en Ukraine,
35:52 nous oblige, nous, français et européens, à changer.
35:55 Et là, ça nous oblige à des choix
35:58 qui sont massifs en matière de dépenses militaires,
36:01 en matière d'autonomie ou d'indépendance énergétique,
36:06 mais aussi industrielle.
36:07 Donc, les investissements massifs qu'il faut faire
36:10 en termes de semi-conducteurs ou de batteries
36:12 nous obligent à des changements, mais il faut l'expliquer.
36:16 Je crois que c'est peut-être ça, la crise de l'âme.
36:19 Ce qu'on peut reprocher au pouvoir actuel,
36:21 mais peut-être aussi au pouvoir passé,
36:23 c'est de ne pas indiquer le cap stratégique,
36:27 c'est de ne pas dire où...
36:28 -Mais comment on peut ?
36:30 -Le poids, par exemple, de la guerre en Ukraine,
36:33 pour moi, c'est un sujet de réflexion et d'action.
36:36 Je ne comprends pas qu'on n'y revienne pas sans cesse,
36:39 parce que ça va nous...
36:40 Nous allons vivre avec des conséquences importantes.
36:43 Or, on est... Et la parole, de ce point de vue-là,
36:46 c'est un autre sujet, la parole du président de la République
36:49 devrait se concentrer sur l'essentiel
36:51 et ne pas être dispersée en permanence
36:54 entre des annonces sur le plan énergétique,
36:56 qui appartient plutôt à la Première ministre,
36:59 ou sur des brigades de gendarmerie.
37:01 Mais la parole présidentielle, et donc politique,
37:04 devrait se concentrer sur les trois cas de sujets essentiels
37:07 qui fondent notre avenir et notre destin.
37:09 -Moi, j'aimerais bien que vous nous disiez,
37:12 Anneau-Verjon, si cette contradiction
37:16 qui vient d'être évoquée, là,
37:18 entre... Sur les choix essentiels du pays,
37:21 ces, disons, ces 20 dernières années,
37:24 on a dit une chose et son contraire.
37:26 Comment voulez-vous que les gens adhèrent ?
37:29 -Moi, je dirais plusieurs choses.
37:31 En même temps, effectivement, c'est une idée assez séduisante,
37:34 parce qu'on est tous un peu ambivalents.
37:37 C'est-à-dire qu'on veut une chose et on en veut une autre.
37:40 -On peut être ambiguité et ambivalence.
37:43 -Voilà, ambiguité, ambivalence, ça fait partie aussi, ça flatte.
37:47 Le sujet, c'est qu'on est face à un certain nombre de problèmes
37:51 qui doivent être pris avec énormément de rationalité.
37:54 On a passé les 20 dernières années
37:57 à dire que l'industrie, finalement, c'était quelque chose de sale,
38:01 d'inintéressant, que finalement, il suffisait de concevoir,
38:04 on était tellement plus intelligents que les autres,
38:07 faire du marketing, on est tellement meilleurs,
38:10 et puis on irait en délocalisant très loin,
38:13 qu'importe les emplois, le reste.
38:15 On se réveille groggy et on dit,
38:17 "Ah bah tiens, il faudrait réindustrialiser."
38:20 Je pense qu'il y a une forme de consensus
38:22 sur la réindustrialisation, aujourd'hui.
38:25 -Après avoir eu un consensus...
38:27 -Averse. -Anti-industrie.
38:28 -Et après avoir suivi l'Allemagne sur tous ses errements énergétiques.
38:32 Il y a une culpabilité générale.
38:34 Mais sur la réindustrialisation,
38:38 elle suppose une chose très simple,
38:40 elle suppose deux choses très simples.
38:42 C'est d'avoir de l'énergie pas chère, compétitive.
38:45 Or, vous prenez la Suède, vous prenez la Finlande,
38:49 ils sont aujourd'hui à 15 euros le mégawatt-heure.
38:52 On est à combien, aujourd'hui, là, ici, en France ?
38:55 -90.
38:57 -Or, il fait beau,
39:00 il n'y a aucune raison qu'on soit à ce prix-là,
39:02 et les futures pour cet hiver sont monstrueuses.
39:05 Ca veut dire que la compétitivité de l'Etat français
39:08 pour une réindustrialisation n'est pas là.
39:10 Le premier sujet, c'est comment on va retrouver une énergie pas chère.
39:14 On ne s'y attaque pas.
39:16 Deuxième sujet, pour faire de l'industrie,
39:18 il faut des matières premières.
39:20 La palisse aurait pu le dire.
39:22 Où sont les matières premières ? Où sont nos groupes miniers ?
39:25 On a pas la capacité à sourcer ces matières premières.
39:29 On n'a jamais autant parlé de mégausines de batteries.
39:33 Ces mégausines de batteries, on va les remplir avec quoi ?
39:36 Les métaux rares, ils viennent d'où ?
39:38 Donc, on se nourrit de mots,
39:40 on se nourrit de mots, on est très heureux,
39:43 on est réindustrialisation, fantastique,
39:46 et il y a rien derrière.
39:48 C'est-à-dire que le travail en amont,
39:50 que font formidablement bien les pays nordiques,
39:53 et d'autres endroits dans le monde.
39:55 L'IRA, c'est ça, aussi, aux Etats-Unis.
39:57 C'est réfléchir à l'essentiel,
39:59 c'est-à-dire dire qu'on veut...
40:01 On veut pallier le changement climatique,
40:05 on veut la réindustrialisation, on veut des emplois en France.
40:08 Comment va-t-on y arriver dans un monde compétitif ?
40:11 Eh bien, ça, ça suppose un certain nombre de choses,
40:14 ça suppose des technologies, l'innovation,
40:17 tous ces éléments-là... -Et des ressources humaines.
40:20 -Tous ces éléments-là, il faut les mettre en route.
40:23 -Et bien, Aubert, par rapport à ce qui vient d'être dit,
40:26 à votre avis, d'où vient cette versatilité politique
40:30 qui empêche de faire des choix clairs,
40:32 de changer tous les 10 ans de politique, etc. ?
40:36 Est-ce que c'est un manque de caractère ?
40:38 Est-ce que c'est parce que les gens, ces politiques,
40:41 ne connaissent pas l'histoire ?
40:43 Est-ce qu'ils sont...
40:45 Ils déclassent les corps constitués, etc. ?
40:48 -Moi, je pense que... -A quoi vous attribuez, justement ?
40:51 -Je ne suis pas d'une part d'idéologie.
40:53 -Vous disiez qu'il y a une idéologie voiseuse
40:56 qui consiste à...
40:57 -Lorsqu'on décide de changer l'ENA,
40:59 lorsqu'on décide de décréter
41:01 que les diplomates ne doivent plus être un corps à part,
41:04 lorsqu'on décide d'ouvrir les postes de préfet
41:08 à, je dirais, pour en faire une espèce de marché libre
41:12 avec la possibilité d'aller et de venir,
41:14 tout ceci procède, pour moi, d'une idéologie.
41:17 Il se trouve que ce n'est pas la mienne,
41:19 c'est que l'Etat, ça se pense,
41:21 et ça se pense par des gens qui aiment l'Etat
41:23 et qui savent pourquoi l'Etat est là.
41:26 Et c'est pas...
41:27 Moi, je ne me pique pas, en tant que fonctionnaire,
41:30 de réfléchir à la manière dont une entreprise doit fonctionner.
41:33 Je ne suis pas légitime.
41:35 Ca ne veut pas dire que je n'ai pas mon point de vue,
41:38 je peux avoir un point de vue externe,
41:40 mais l'Etat, ça ne peut pas fonctionner comme une entreprise.
41:43 C'est trop important pour qu'on le pense.
41:46 Donc, premièrement, on ne pense pas à l'Etat,
41:48 on ne pense plus à l'Etat qu'à l'extérieur.
41:51 Il y a une part d'idéologie.
41:52 Deuxièmement, il y a un manque de conviction.
41:55 A un moment donné, effectivement,
41:57 ce n'est pas qu'une affaire d'intuition, la politique,
42:00 c'est aussi arbitrer à partir de...
42:02 On ne demande pas à un homme politique d'être omniscient,
42:06 mais on lui demande d'être suffisamment informé,
42:08 de peser le pour et le contre et de trancher des choix
42:11 en ayant une stratégie.
42:13 Ca supposerait aussi de rebâtir des outils
42:15 pour penser temporellement et géographiquement,
42:18 mais la 25 ans de mondialisation fait
42:20 qu'on ne voit pas la mondialisation de la même manière à Toulouse,
42:24 où l'agriculture a été laminée par l'ouverture
42:26 aux marchés espagnols et marocains.
42:28 Et puis, enfin, il y a effectivement la difficulté
42:32 qu'on a tous pointée,
42:34 qui est qu'on a une partie de la population
42:37 qui ne vote plus, donc qui ne consent plus,
42:39 une partie de la population qui est protestataire,
42:42 et d'où la tentation d'essayer de regrouper ce qui reste,
42:46 qui, en même temps, est aussi une tentative
42:48 de créer une espèce de tiers
42:50 qui pourrait permettre d'équilibrer le navire,
42:53 parce qu'on est peut-être d'accord sur un certain nombre de points.
42:56 Il n'en reste pas moins qu'à un moment donné,
42:59 on doit trancher, et ça a été la grande faiblesse
43:02 du président actuel.
43:03 On pourrait dire qu'on a tous un jour été d'accord
43:06 avec Emmanuel Macron.
43:07 -Mais très sincèrement, Julien Aubert,
43:10 est-ce que vous pensez que Jacques Chirac
43:13 tranchait plus qu'Emmanuel Macron ?
43:15 -Je pense qu'il...
43:17 Je l'ai un peu moins connu.
43:19 Je pense qu'il tranchait... -De ce que vous savez
43:22 de cette histoire. -Il a pris parfois
43:24 des positions très structurantes, en petit nombre.
43:27 Après, c'est pas le président, si vous voulez,
43:29 qui, pour moi, je dirais, a permis d'accélérer
43:32 l'entrée de la France dans l'histoire
43:34 ou sa réintroduction.
43:36 C'est pas mon modèle à moi de président.
43:38 -Et Sarkozy, c'est plus votre modèle ?
43:41 -Au moins, Nicolas Sarkozy a tenté de faire des choses.
43:45 Certes, il a déçu par certains moments,
43:47 mais notamment dans la crise, il a pris en main le pays
43:50 et je pense qu'il a évité, pendant la crise financière,
43:53 que ça s'aggrave. Il a fait des choses.
43:55 Il a tenté d'impulser une volonté politique.
43:58 Ce qui est grave, c'est quand vous avez une forme de tentative,
44:01 surtout on ne touche rien, on met des rustines,
44:04 pour que ça tienne encore un peu.
44:06 Sauf qu'au bout d'un moment, la machine perd des boulons,
44:09 des écrous, et le coup final de la réparation du véhicule...
44:12 -Vous voyez, sur le nucléaire,
44:14 Emmanuel Macron a pris la bonne décision.
44:16 -Il a fini par la prendre.
44:18 -Oui, mais les prédécesseurs n'avaient pas fait mieux.
44:21 -Non, non. Sur les prédécesseurs,
44:24 il y a eu la fermeture de Superphénix,
44:26 qui était une erreur.
44:27 Rien n'a incité M. Macron à fermer le programme Astrid
44:30 de quatrième génération,
44:32 rien ne l'obligeait à continuer la faute
44:34 qui avait été faite sur Fessenheim,
44:36 rien ne l'obligeait à annoncer la fermeture
44:39 d'un certain nombre de centrales
44:41 pour vérifier si on avait les moyens de compenser.
44:44 Tout ceci, on l'avait annoncé bien avant,
44:46 puisqu'on l'avait annoncé dès le quinquennat.
44:49 Il a fini in extremis par faire un tête-à-queue.
44:51 Reste que, si aujourd'hui, il a fini dans cet état,
44:54 il a une partie de responsabilité, pas la totalité.
44:57 -Nicolas Baverez voulait dire quelque chose là-dessus.
45:00 -Sur le diagnostic, on est à peu près tous d'accord.
45:03 C'est-à-dire que le pouvoir actuel, il est mu par trois choses.
45:07 La peur, depuis les Gilets jaunes,
45:10 et on le voit avec la poursuite,
45:12 ce que vous appelez les dépenses qui sont faites
45:15 pour essayer de colmater
45:17 dès qu'on a une protestation.
45:20 L'impuissance,
45:21 parce que les mots n'ont plus de prise sur les choses.
45:25 Et puis, le troisième point,
45:28 c'est effectivement, j'allais dire,
45:31 la rupture avec la connaissance.
45:33 Avec la science, ça s'est vu pendant la pandémie
45:36 de manière incroyable,
45:38 et on compense ça en faisant des conseils de défense sanitaire,
45:42 ce qui n'a aucun sens,
45:43 parce qu'on a abîmé le conseil de défense
45:46 et on applique le conseil de défense à l'écologie, au sanitaire.
45:51 Voilà le diagnostic, on est à peu près tous d'accord.
45:54 La vraie bonne question, c'est celle que posait Manuel Valls,
45:57 c'est qu'est-ce qu'on fait ? -Justement.
46:00 -Qu'est-ce qu'on fait ? Il me semble que d'abord...
46:02 -On va faire une deuxième émission.
46:04 -Non, mais pour aller vite.
46:06 -Il nous reste très peu de temps. -On va aller très vite.
46:09 On parle de réforme des institutions et de référendum.
46:13 La Ve République, elle a quand même été faite
46:16 pour gérer les crises, mais elle est faite
46:18 avec un système qui est un système militaire.
46:21 La stratégie est à l'Elysée, l'opératif est à Matignon,
46:24 le tactique est dans les ministères.
46:27 On a tout fait remonter à l'Elysée, ça ne peut pas marcher.
46:30 Donc, il faut, et si on veut pouvoir associer les citoyens,
46:33 il faut retrouver l'esprit de la Ve République
46:36 et remettre des contre-pouvoirs,
46:38 parce que si on ne discute pas des choses,
46:40 si ça vient toujours du haut, ça ne marche pas.
46:43 La deuxième chose...
46:44 -La Ve République, c'était aussi une monarchie républicaine.
46:48 Tout était en haut, quand même.
46:50 -Tout n'était pas en haut.
46:52 Non, quand on regarde les premiers ministres
46:54 du général de Gaulle,
46:56 ils ont eu des vraies marges de manoeuvre,
46:59 et je rappelle que le nucléaire,
47:02 c'est beaucoup Pierre Messmer,
47:04 qui n'était pas président de la République.
47:06 Les ministres du général de Gaulle
47:08 avaient une vraie marge de manoeuvre.
47:11 C'est pas le général de Gaulle qui nommait à tous les emplois.
47:14 -Soyez brefs, parce qu'on a très peu de temps.
47:17 -Il faut qu'on se concentre sur quelques priorités.
47:20 Ca a été dit. La production, donc la réindustrialisation,
47:23 l'énergie, l'éducation, la sécurité,
47:27 bref, avoir...
47:28 Et pour les citoyens, c'est cette dernière chose
47:31 qui me paraît très importante.
47:33 On l'a dit, l'autorité, c'est une obéissance qui est consentie.
47:36 Donc, si on veut que les gens croient à la liberté,
47:39 il faut qu'ils aient été éduqués à la liberté
47:42 et qu'ils comprennent les responsabilités.
47:44 Sinon, on a l'emballement des passions collectives.
47:47 -C'est faisable dans une société plus hériculturelle ?
47:50 -A ses chantiers. -C'est faisable.
47:52 Quand on prend l'Europe du Nord, ils y arrivent.
47:55 -A ses chantiers, parce que je suis d'accord
47:58 avec l'ensemble des priorités.
48:00 -Et l'autre, comme choc de rupture ? -L'immigration.
48:03 C'est peut-être un des derniers champs
48:06 sur lequel les Français espèrent...
48:09 -Oui, Manuel Valls, une précision.
48:11 Vous êtes pour, par exemple, la politique danoise
48:14 de suppression de l'attractivité à l'immigration ?
48:18 -Plutôt.
48:19 -Plutôt ? -Plutôt, même si c'est...
48:21 Je suis pour un message clair qui dit
48:25 "stop" à une forme d'immigration.
48:27 On remet tout le chantier sur la table
48:30 et on fait participer les Français à cette décision.
48:33 Ca met en conséquence les constitutionnels
48:36 et l'Europe politique, mais je pense que c'est un des champs
48:39 qui touche à peu près toutes les difficultés...
48:42 -Au Danemark, on a bien les deux.
48:44 On a le contrôle des flux et l'intégration.
48:46 -Evidemment, c'est à la fois dire non,
48:49 repenser notre politique d'immigration,
48:53 mais aussi repenser la question de l'âme et de l'esprit,
48:56 qu'est-ce que c'est être français ?
48:58 C'est la question de l'assimilation
49:00 et de répondre à l'une des crises qu'on a évoquées.
49:03 C'est un des derniers éléments sur lesquels les Français se disent
49:07 "là, il y a y compris des bases d'un consensus,
49:09 "d'un accord majoritaire dans notre pays,
49:12 "à condition qu'on le veuille bien."
49:14 C'est un des rendez-vous majeurs
49:16 qui démontrerait que l'action politique est encore possible.
49:20 Le deuxième élément, c'est le choix stratégique.
49:22 Un des éléments qui montre que la politique est utile.
49:26 -C'est quoi, le choix stratégique ?
49:28 -Quand vous avez Volodymyr Zelensky,
49:30 vous avez un homme qui, à un moment précis,
49:32 par le verbe et par la manière d'être,
49:35 remobilise son peuple.
49:36 Nous ne sommes pas en guerre, mais ce qui se passe en Ukraine
49:40 et avec la Russie est fondamental.
49:42 -Choc de rupture, Julien Aubert, sur l'immigration, sur l'Ukraine.
49:45 D'ailleurs, vous nous direz ce que vous pensez
49:48 de la position de M. Sarkozy sur l'Ukraine.
49:51 -Je trouve que Nicolas Sarkozy a eu raison de s'exprimer sur...
49:54 J'étais de son avis.
49:56 Ca faisait longtemps que je n'y étais pas,
49:58 mais je pense qu'il a une vision lucide et réaliste
50:01 de la manière dont on doit aborder le conflit ukrainien.
50:04 On n'est pas là pour, si vous voulez...
50:06 -On laisse une Russie impériale. -Non.
50:09 On comprend qu'il y a un rapport de force
50:11 et qu'à un moment donné, la priorité est de mettre un terme
50:14 à ce conflit et qu'on ne le fera pas...
50:17 -Tout le monde le souhaite. -En ne prenant qu'un des deux camps
50:20 et en considérant... On n'est pas dans le monde
50:23 où on voudrait être, mais dans le monde dans lequel on est.
50:26 Il faut mettre fin au fédéralisme européen
50:28 et au lubie du couple franco-allemand
50:30 et d'un Vanderleyen, revoir la décentralisation,
50:33 qui a complètement déresponsabilisé les élus locaux,
50:36 remettre de la responsabilité politique,
50:39 ça va du président de la République jusqu'au maire,
50:42 mais il faut, je dirais, restaurer le pouvoir des maires,
50:45 de telle manière, si vous voulez,
50:47 à ce que, à un moment donné, on remette la maison d'Apelon.
50:51 -Et puis après, effectivement... -Vous êtes d'accord
50:53 sur l'immigration avec Manuel Valls ?
50:55 -Et sur l'école. -Voilà.
50:57 Anne Lauvergeon, votre choc de rupture
50:59 pour avancer ?
51:01 -Expliciter un petit nombre de sujets,
51:04 parce qu'il faut hiérarchiser les problèmes,
51:07 on est dans la dispersion la plus totale,
51:09 un certain nombre de sujets, dont on a parlé ce soir,
51:13 les... Après cette hiérarchisation,
51:17 discuter de plans de long terme,
51:19 retrouver le temps long et faire que ceci soit adopté
51:22 de manière collective pour qu'on puisse...
51:25 -Un ministre du Plan, par exemple ?
51:27 -Un ministre du Plan n'a aucun pouvoir.
51:29 -D'accord. -Tout ça doit venir,
51:31 effectivement... Les ministres du Plan,
51:33 ils n'ont plus de pouvoir en France depuis beaucoup d'années.
51:37 Non, il faut retrouver le sens du temps long
51:40 et le sens de la stratégie. Il faut qu'on joue nos cartes,
51:43 et on les joue pas bien en ce moment,
51:45 parce qu'on est brouillon, parce qu'on change d'avis,
51:48 parce qu'on n'a pas le sens de la stratégie.
51:50 Retrouvons-la et regardons ce qui se passe ailleurs.
51:53 On a beaucoup à apprendre de ce que les autres font.
51:56 On est pas les seuls à inventer tout.
51:58 -Merci beaucoup. Le temps est coulé,
52:00 et là, il me reste à vous présenter
52:03 une brève bibliographie.
52:05 Manuel Valls, vous avez publié
52:08 "Le courage guidé, leur pas,
52:11 "douze destins face à l'histoire".
52:13 En deux mots, ces douze destins,
52:16 c'est quoi les deux mots qui les caractérisent ?
52:20 -La liberté, d'abord,
52:22 et le fait de ne jamais suivre la meute.
52:24 Au fond, chacun, un homme, une femme,
52:27 peuvent changer le destin d'une communauté,
52:30 d'un peuple et du monde.
52:31 -C'est effectivement ça, la liberté, comme vous le dites.
52:35 Alors, Bérenice Levé,
52:36 "Le courage de la dissidence",
52:39 aux éditions de l'Observatoire,
52:41 c'est un livre qui met l'accent, justement,
52:44 sur la dissidence, quand on n'est pas d'accord,
52:47 pour, j'allais dire, aboyer, avec la meute.
52:50 Nicolas Baverez,
52:52 "Démocratie contre empire totalitaire,
52:56 "autoritaire".
52:58 On y est, là.
53:00 Qui est gagnant, qui est perdant ?
53:02 -Ce qui est intéressant, c'est que,
53:05 cette année 2022, elle a été, effectivement,
53:07 tragique, sanglante, mais qu'on a vu
53:10 que, du côté de la Chine,
53:12 en fait, la Chine n'est pas infaillible.
53:14 On l'a vu avec la Covid et l'économie qui va mal.
53:17 On a vu que la Russie n'est pas invincible.
53:20 On a vu que les démocraties, ça nous rejoint notre thème,
53:24 que les démocraties pouvaient quand même bouger, réagir,
53:27 même si, aujourd'hui, l'issue de cette grande confrontation
53:31 est loin d'être jouée.
53:33 Le livre s'achève par une citation de Raymond Aron
53:36 qui peut peut-être résumer notre conversation.
53:39 Elle date de juin 39
53:41 et il disait "Je crois à la victoire finale des démocraties,
53:44 "mais à la condition qu'elles le veuillent."
53:47 -C'est dû en même temps, ça ? -Non.
53:49 Pour le coup, c'est, à mon avis, un choix assez tranché
53:52 dans une période tragique, justement,
53:55 le primat de la liberté et le primat de l'engagement
53:58 et du combat. Je crois qu'aujourd'hui,
54:00 on est de nouveau à l'intérieur de nos nations,
54:03 comme dans l'ordre international, dans un de ces moments
54:06 où le choix cardinal, c'est celui de la défense de la liberté.
54:10 -Vous n'avez pas publié de livre, là, pour cette émission,
54:13 mais vous en préparez un sur Mitterrand
54:16 et qui va sortir bientôt.
54:18 Est-ce qu'il avait du caractère ?
54:20 Est-ce que vous allez parler de ça ?
54:22 -Très peu de caractère, François Mitterrand.
54:25 Oui, je lui ai fait une promesse.
54:27 Un soir de juin 1994,
54:30 il m'a demandé d'écrire sur ce que j'avais vu
54:34 et je lui ai dit "Non, tout le monde va faire
54:38 Mitterrand et moi, ou d'ailleurs moi et Mitterrand,
54:41 dans l'ordre qui va bien, et je ne me livrerai pas à ça."
54:44 Il m'a dit "Si, mais non, vous le ferez pas tout de suite,
54:47 faites-le dans 20 ans, dans 25 ans."
54:50 Eh bien, voilà, je le fais. Ca s'appelle "La promesse",
54:53 puisque j'ai fait cette promesse, et je la remplis.
54:55 Je vais, non pas raconter moi et Mitterrand,
54:58 mais Mitterrand, ce que j'en ai vu,
55:00 et comme c'était quelqu'un d'assez complexe,
55:03 avec de l'autorité, ça...
55:05 Une fois qu'une décision était prise,
55:08 c'était pas une base de négociation
55:10 pour d'autres personnes.
55:11 Mais il écoutait beaucoup avant.
55:14 Sur...
55:16 Comme si quelqu'un d'assez complexe, en fait,
55:19 je raconte des facettes,
55:21 et puis chacun refera son Mitterrand
55:24 à partir de ses différents témoignages.
55:27 -Je rappelle que ce livre sera publié en janvier 2024.
55:31 -Chez Grasset. -Alors, Julien Aubert,
55:34 vous avez publié "Emmanuel, le faux prophète".
55:37 Évidemment, c'est un Emmanuel
55:39 qui n'a rien à voir avec le nôtre,
55:41 ou c'est celui-là ? -C'est le même.
55:43 C'est le même.
55:44 C'était l'idée que les gens, en 2017,
55:48 ont découvert ce personnage scintillant
55:51 et ont souvent vu la communication qu'il y avait,
55:53 et je dirais l'espoir de quelqu'un
55:56 qui venait rénover la vie politique
55:58 sans regarder son programme, ses idées.
56:01 Je lui avais écrit une lettre le jour de son élection
56:04 en disant que c'était une lettre ouverte,
56:07 que c'était fantastique pour lui,
56:09 mais que le jour où les gens réaliseraient
56:11 là où il veut amener le pays, je crains qu'il le déteste
56:14 et que la violence traverse son quinquennat.
56:17 Je l'avais mis en garde sur le fait
56:19 que les électeurs de Marine Le Pen reviendraient par la fenêtre
56:23 sous une autre manière.
56:24 C'est un livre d'analyse pour expliquer
56:27 pourquoi je ne suis pas macroniste
56:29 et pourquoi c'est l'inverse de ce qu'a été le gaullisme.
56:32 -Merci. Je voudrais rappeler
56:34 un ouvrage que je trouve important,
56:36 de Henri Kissinger, "L'ordre du monde",
56:39 chez Pluriel.
56:40 Evidemment, c'est du Kissinger, c'est-à-dire que c'est brillant.
56:44 Il parle de l'ordre du monde,
56:46 comme certains parlent de leur goût
56:48 pour la cuisine ou les voyages.
56:50 Il me reste à vous remercier,
56:54 madame, messieurs,
56:55 d'avoir animé, de mes côtés, cette émission.
57:00 Je voudrais remercier l'équipe de LCP,
57:02 qui, toujours là, est fidèle et compétente
57:05 pour faire de ces émissions des moments de débat.
57:10 Et avant de nous quitter,
57:12 je voudrais vous soumettre ce jugement
57:16 ou cette pensée d'Arnaud Tessier.
57:19 "Il y a un contraste saisissant
57:22 "entre une fonction présidentielle omniprésente
57:26 "et une forme d'impuissance et de résignation."
57:30 Sous-titrage ST' 501
57:32 ...