L'écrivain Laurent Binet, dont le dernier roman, « Perspective(s) » (Grasset) est un thriller épistolaire mené de main de maître, où l’on croise aussi bien Michel-Ange que Catherine de Médicis et où « les hommes sont comme des loups entre eux », a donné une master class aux lecteurs de "l'Obs". Voici son replay.
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00:00:00 Je suis très content de vous accueillir pour poursuivre cette
00:00:03 série de masterclass.
00:00:04 On a déjà reçu la qu'est ce qu'on a reçu cette année ?
00:00:07 Yvan Jablonka qui est venu nous parler de Jean-Jacques Goldman.
00:00:10 On a reçu Cynthia Fleury.
00:00:15 Merci beaucoup.
00:00:16 Qui est venu nous parler de dignité et d'indignité.
00:00:19 Il y avait Douglas Kennedy qui était venu effectivement au printemps
00:00:23 dernier.
00:00:24 Là, je crois que bientôt, il y a Maria Pourchet qui va venir
00:00:26 parler d'amour.
00:00:28 Et là, je suis très heureux de retrouver Laurent Binet qui est
00:00:33 suivi d'assez près par nos services depuis un petit bout de temps
00:00:36 maintenant.
00:00:36 Et Laurent, il va nous parler d'histoire, d'art, de Florence et
00:00:44 puis d'écriture.
00:00:45 Moi, je suis content de retrouver Laurent parce qu'on s'est connu
00:00:49 à l'époque où il a fait ses débuts officiels avec un livre absolument
00:00:55 formidable qui s'appelle "Hah, hah, hah".
00:00:58 J'imagine que vous avez lu et que sinon, il faut absolument lire.
00:01:00 C'était en 2010, je crois.
00:01:03 C'était l'histoire d'un porc maléfique et sans pitié qui s'appelle
00:01:08 M.
00:01:09 Heidrich, qui était chef de la Gestapo et qui était tué par des
00:01:12 résistants en 42, résistants tchécoslovaques.
00:01:14 Et je pense qu'il y a des moments où on va en reparler dans notre
00:01:17 conversation, qui avait eu un énorme succès puisqu'il avait été d'abord
00:01:23 me beaucoup impressionné.
00:01:25 Il avait réussi à faire adopter une position commune à Claude Lanzmann
00:01:29 et Georges Semprain, qui n'étaient pas toujours d'accord quand il
00:01:31 s'agissait d'aborder la Deuxième Guerre mondiale.
00:01:33 Puis après, il avait été applaudi par Brett Estonellis et puis,
00:01:36 il avait eu le concours du premier roman.
00:01:39 Alors que ce n'était pas tout à fait un roman et que par ailleurs,
00:01:43 ce n'était en réalité pas le...
00:01:45 Il y a toujours des effets de trompe l'œil avec Laurent Binet.
00:01:47 Ce n'était pas le premier roman de Laurent Binet puisqu'il en avait
00:01:51 publié un autre qui est très, très bien, qui était
00:01:55 totalement inaperçu chez un petit éditeur où il racontait sa vie
00:01:57 professionnelle.
00:01:58 - Mais qui n'était pas un roman.
00:01:59 - Qui n'était...
00:02:00 Oui, ça se discute.
00:02:04 Mais qui racontait sa vie de prof parce qu'avant d'être écrivain,
00:02:07 il a été prof pendant 10 ans de Facebook au métier.
00:02:10 On le félicite.
00:02:12 Parce qu'à lire "La vie professionnelle de Laurent Binet",
00:02:15 il a souffert.
00:02:16 Et voilà, donc on s'est connu à cette époque-là.
00:02:21 J'étais très honoré parce que je lui ai proposé à l'époque d'écrire
00:02:24 un livre, de tenir un blog sur le site de Bibliops, le site intérieur
00:02:27 de l'Ops, qui s'appelait "L'Empire des signes", si je me souviens bien,
00:02:30 et qui signalait déjà une attention pour la sémiologie,
00:02:36 le structuralisme, tout ça.
00:02:37 Toutes choses qu'on a retrouvées dans "La septième fonction du
00:02:39 langage" en 2015, qui a eu un très beau succès, qui était le contraire
00:02:46 de "Hahaha", puisque c'était beaucoup plus drôle qu'"Hahaha"
00:02:51 et que ça prenait beaucoup plus de liberté avec la réalité
00:02:56 historique et les faits.
00:02:57 Il s'agissait d'une enquête assez déjantée sur les conditions
00:03:01 dans lesquelles est mort Roland Barthes.
00:03:03 Voilà tout ça pour vous dire que Laurent, il aime bien jouer
00:03:08 avec l'histoire.
00:03:09 On l'a retrouvé également dans un autre livre qui s'appelle
00:03:13 "Civilisation", qui a eu le grand prix du roman de l'Académie,
00:03:15 qui était ton dernier roman.
00:03:17 Je me permets de vous souvenir, parce qu'on nous arrive de nous
00:03:20 accueillir quand vous n'êtes pas là.
00:03:21 Et "Civilisation", alors là, pour le coup, c'était ce qu'on appelle
00:03:27 de l'histoire contrefactuelle.
00:03:28 C'est à dire qu'il imaginait non pas que les Européens avaient
00:03:31 conquis l'Amérique, mais que les Incas du 16ème siècle avaient
00:03:35 conquis l'Europe, avaient envahi l'Europe.
00:03:39 En tout cas, et notamment, il y avait des scènes qui se passaient
00:03:43 à Florence, je crois.
00:03:44 Il était question de Florence, il était question des races,
00:03:46 mais il était question de Michel-Ange.
00:03:48 Et Florence, le 16ème siècle, Michel-Ange, ce sont des choses
00:03:52 qu'on retrouve dans son roman qui vient de sortir, que moi,
00:03:58 j'ai trouvé extrêmement brillant, drôle, absolument virtuose dans
00:04:03 sa composition, qui s'appelle "Perspective" et dont nous allons
00:04:08 principalement parler ce soir.
00:04:10 Ça va, je n'ai pas dit trop de bêtises dans la petite opo
00:04:14 de présentation ?
00:04:15 - Non, non, très bien.
00:04:16 - Bon, parfait.
00:04:17 Sinon, il faut m'arrêter.
00:04:18 Et Perspective, c'est un roman qui est plusieurs choses à la fois,
00:04:25 du point de vue du genre littéraire.
00:04:27 Ça se passe à Florence au 16ème siècle.
00:04:30 Il y a un peintre dont on va parler qui manifestement a été
00:04:34 assassiné et il s'agit de trouver le coupable.
00:04:36 C'est un parti de Cluedo, un peu comme la septième fonction du
00:04:39 langage, d'une certaine manière.
00:04:40 Et ce roman est donc un roman historique, un roman policier,
00:04:48 et puis c'est aussi un roman épistolaire dans sa forme.
00:04:51 Et une des questions que je me suis posée, je me suis demandé
00:04:53 d'abord, qu'est ce qui t'a pris de t'intéresser à ce sujet ?
00:04:58 Comment c'est venu et qu'est ce qui était premier ?
00:05:01 Est ce que c'était l'envie d'écrire un roman historique,
00:05:03 l'envie d'écrire un roman policier ou l'envie d'écrire un roman
00:05:06 épistolaire ?
00:05:07 Et comment, enfin, si tu pouvais nous raconter un peu les différentes
00:05:11 étapes qui t'ont conduit, qui ont conduit à l'écriture de ce livre.
00:05:14 - Oui, alors bonsoir.
00:05:18 D'abord, je voudrais dire que je suis content d'être là et de
00:05:21 revoir Grégoire, puisque en effet, on se connaît depuis assez longtemps
00:05:25 maintenant et qu'à l'époque d'HHHH, les deux premiers magazines
00:05:29 qui avaient parlé de mon livre étaient L'Express et le Nouvelle
00:05:36 Obs, je crois que ça s'appelait encore à l'époque.
00:05:37 - Le Nouvelle Observateur.
00:05:38 - C'est dire.
00:05:39 Et donc, voilà.
00:05:42 Et depuis, ça a toujours été très bienveillant avec moi.
00:05:47 Donc, je suis reconnaissant à Grégoire et au journal et donc,
00:05:53 j'ai accepté cette invitation avec plaisir.
00:05:55 Et donc, pour répondre à la question, j'ai d'abord eu envie de faire
00:06:04 un roman policier, genre que j'avais un petit peu abordé,
00:06:08 en effet, avec la septième fonction du langage.
00:06:10 Mais comme tu dis, la septième fonction du langage était une
00:06:16 sorte de polar déjanté, pour reprendre tes mots.
00:06:19 Et puis, c'était aussi beaucoup d'autres choses.
00:06:23 C'était aussi un roman d'espionnage.
00:06:25 C'était une espèce de campus novel.
00:06:27 Enfin, donc, il y avait une partie policière, mais qui n'était pas
00:06:30 centrale.
00:06:31 Et là, j'avais envie de faire quelque chose de beaucoup plus pur,
00:06:36 d'une certaine manière.
00:06:37 Un roman policier classique avec un meurtre, une victime,
00:06:42 un enquêteur, des suspects, des indices, des mobiles et à la fin,
00:06:48 un ou une ou des coupables.
00:06:51 Donc, j'avais cette envie là qui était première.
00:06:55 Et puis, dans un deuxième temps, j'avais envie de, pour la première
00:07:01 fois, de ne pas changer d'époque par rapport à mon livre précédent,
00:07:03 qui se passait donc, qui commençait en gros, enfin,
00:07:06 qui commençait en fait aux Vikings.
00:07:08 Mais disons que la partie centrale était quand même la Renaissance,
00:07:11 qui commençait en 1531, en gros, et se terminait aux alentours
00:07:15 de la bataille de l'Epente en 1571.
00:07:18 Et je m'étais immergé, comme d'habitude, pendant des années,
00:07:22 dans la période qui concernait mon livre.
00:07:26 Et là, cette fois-ci, j'avais, je ne sais pas, j'ai eu l'impression
00:07:28 de ne pas en avoir fait le tour et j'avais envie de rester.
00:07:31 Et donc, mais j'avais envie de rester.
00:07:34 Mais donc, j'avais la première combinaison, c'était un roman
00:07:41 policier à l'époque de la Renaissance.
00:07:45 Et le roman policier, à mon avis, implique, pas forcément,
00:07:50 mais dans la grande majorité des cas et souvent, les, enfin,
00:07:54 quelque chose de...
00:07:57 La civilisation, c'était complètement mondialisé.
00:07:59 Ça commençait en Amérique, au Pérou, et ça se répandait dans
00:08:04 toute l'Europe, y compris en Afrique du Nord.
00:08:06 Donc, c'était vraiment une épopée mondiale.
00:08:09 Et le roman policier, il me semble, est plus, appelle plus la
00:08:14 forme du huis clos.
00:08:15 Donc là, j'avais envie de focaliser, de focaliser mon intrigue
00:08:20 à un endroit plus précis.
00:08:22 Et donc, cet endroit, quitte à rester à la Renaissance,
00:08:24 j'ai choisi Florence comme emblème, symbole, l'endroit où est né,
00:08:30 à la Renaissance et qui la représente le mieux.
00:08:37 Et puis, alors en fait, cette volonté de rester, de situer mon
00:08:43 intrigue à Florence venait aussi du fait que pour "Civilisation",
00:08:47 il y avait un chapitre très important qui se déroulait à
00:08:49 Florence.
00:08:50 Et donc, j'étais déjà allé sur les lieux à l'époque et bon,
00:08:53 pour les besoins de l'intrigue de "Civilisation", enfin, une fois
00:08:57 que j'étais là-bas, j'avais fait les musées, j'avais fait les
00:08:59 églises et j'avais repéré, j'avais repéré que quasiment à
00:09:05 propos de tous les tableaux, tous les peintres, il y avait toujours
00:09:07 un commentaire de Vasari à propos de n'importe quel tableau,
00:09:12 n'importe quel peintre.
00:09:13 Et donc, je me suis intéressé à ce personnage, Vasari, qui était
00:09:16 lui-même peintre, mais qui est resté, qui est passé à la
00:09:19 postérité pour avoir écrit une somme, une histoire des plus
00:09:27 excellents peintres, sculpteurs et architectes et donc qui passe
00:09:29 pour quasiment l'inventeur de l'histoire de l'art et dont la vie
00:09:33 et la carrière a été grandement occupée par cette activité qui
00:09:38 consistait à visiter toute l'Italie pour aller observer les différents
00:09:44 tableaux disséminés dans toute la péninsule italienne.
00:09:47 Et donc, je me suis dit tiens, ce monsieur Vasari, il a visiblement
00:09:54 un sens de l'observation assez développé, il a une bonne tête
00:09:57 d'enquêteur.
00:09:58 Donc, voilà comment s'est mis en place le premier croisement du
00:10:02 genre historique à la Renaissance à Florence et le genre du policier.
00:10:08 Le dernier aspect du livre et à mon avis le plus important,
00:10:17 finalement, c'est le choix du registre épistolaire.
00:10:19 Au début, j'avais pensé à écrire, à faire un pastiche, à écrire
00:10:26 tout à la manière de Stendhal, parce que c'est lié avec l'Italie.
00:10:29 Stendhal qui a parlé de la peinture italienne, qui a parlé des
00:10:32 chroniques italiennes, qui a écrit des chroniques italiennes,
00:10:34 tout raconté comme si c'était les chroniques italiennes qui prennent
00:10:38 la forme de petites nouvelles, en fait, comme si c'était une grosse
00:10:41 nouvelle.
00:10:42 Et puis, je me suis dit bon, 300 pages de pastiche de Stendhal,
00:10:46 ça risque peut être d'être un peu long et un peu dur aussi à tenir.
00:10:50 Et donc, j'ai eu l'idée du registre épistolaire parce que je me suis
00:10:55 dit que d'abord, c'est vrai qu'il y a quand même...
00:10:59 Bon, alors, je me suis dit que ça, à ma connaissance, ça n'avait pas
00:11:02 été fait.
00:11:03 Alors, j'avais tort en cherchant.
00:11:04 J'ai trouvé quelques exemples de romans policiers épistolaires.
00:11:07 Mais enfin, en tout cas, il n'y en a pas beaucoup quand même.
00:11:09 Et puis aussi, je me suis dit que ça pouvait être intéressant de
00:11:12 croiser le policier et l'épistolaire parce que, d'une certaine manière,
00:11:17 qu'est-ce qui est le plus excitant?
00:11:22 Quels sont les romans policiers les plus célèbres?
00:11:26 Les romans policiers les plus célèbres sont ceux qui emploient ce qu'on
00:11:31 appelle un narrateur non fiable, c'est-à-dire quelqu'un qui parle à
00:11:34 la première personne et à qui on ne peut pas faire confiance.
00:11:36 Et à la fin, on découvre que c'est lui le coupable.
00:11:39 En tout cas, il y en a un, alors je ne veux pas divulgacher pour ceux qui...
00:11:42 Il y en a un célèbre d'Agatha Christie qui en fait en a fait deux,
00:11:46 d'ailleurs, parce qu'elle a refait le même coup à la fin de sa carrière.
00:11:48 Et ça, évidemment, c'est très spectaculaire comme effet.
00:11:55 Alors, le problème, c'est que, bon, une fois que ça a été fait,
00:12:00 c'est dur.
00:12:01 Alors, Agatha Christie a pu se permettre de le refaire parce que,
00:12:03 bon, c'était Agatha Christie et qu'on ne s'attendait pas.
00:12:05 Enfin bon, voilà, elle l'a fait deux fois.
00:12:07 On ne peut pas refaire le coup à chaque fois.
00:12:09 Mais alors, l'intérêt des lettres, du système par lettre,
00:12:13 c'est que ça démultiplie les narrateurs à la première personne.
00:12:17 En fait, on n'a pas un narrateur à la première personne,
00:12:19 mais une multitude de trois, quatre, autant qu'on veut.
00:12:22 Et donc, moi, je sais d'ailleurs, on m'en a fait le reproche.
00:12:26 Certains ont trouvé qu'il y avait trop de personnages.
00:12:27 Mais donc, dans "Civilization", il y a un peu moins, en fait,
00:12:33 d'une vingtaine de correspondants, donc d'une vingtaine de personnes
00:12:37 qui parlent à la première personne et auxquelles le lecteur ne peut
00:12:42 pas faire confiance.
00:12:43 Ce sont des jeux.
00:12:46 Il y a cette vingtaine de locuteurs qui affirment des choses,
00:12:54 qui prétendent des choses et qui, évidemment, peuvent mentir.
00:12:58 Et donc, je trouvais ça intéressant de placer le lecteur un peu,
00:13:02 finalement, dans la même situation que l'enquêteur, c'est-à-dire
00:13:05 dans une situation de défiance face aux témoins, aux suspects,
00:13:14 et de la situation par excellence du lecteur de roman policier,
00:13:19 c'est l'état d'esprit par excellence, c'est l'état d'esprit paranoïaque.
00:13:23 Et donc, ça, ça m'intéressait.
00:13:26 Ça, ça m'intéressait.
00:13:27 Et donc, voilà comment j'ai opté pour le choix du registre épistolaire.
00:13:34 - Parce que c'est vrai que c'est très efficace.
00:13:36 Ça place le lecteur dans la position de celui qui enregistre
00:13:40 les dépositions au fur et à mesure, un peu comme un enquêteur,
00:13:43 effectivement, et qui est forcément tenté de voir si les versions
00:13:48 se recouvrent ou pas et sur quel point.
00:13:50 - Exactement.
00:13:51 Et avec cette position omnisciente du lecteur qui a accès à toute
00:13:58 la correspondance, toutes les correspondances, et qui lui permet
00:14:01 de constater que deux épistoliers ne disent pas la même chose à propos
00:14:06 du même événement ou qu'un épistolier, en fonction de son interlocuteur,
00:14:11 ne raconte pas la même version à l'un ou à l'autre.
00:14:14 Et donc, on arrive à ce qui m'a toujours le plus excité en tant
00:14:20 que lecteur et en tant qu'écrivain, c'est ce qu'on appelle le récit piégé,
00:14:24 en fait.
00:14:25 Le récit piégé où on peut pas se fier à ce qui est écrit.
00:14:28 - Et alors, pour bâtir ce piège avec une vingtaine de correspondances,
00:14:33 qui est vraiment beaucoup, c'était quand même beaucoup,
00:14:35 beaucoup de combinaisons possibles.
00:14:36 Il y a un effet d'une sorte de partie d'échec, il y a quelque chose
00:14:40 d'un certain ordre là.
00:14:41 Techniquement, comment tu as travaillé ?
00:14:44 Est-ce qu'à un moment, tu fais un plan ?
00:14:46 Tu fais...
00:14:47 Pour te représenter spatialement, la manière dont les uns interagissent
00:14:53 avec les autres, parce qu'il y en a qui interagissent avec les autres,
00:14:55 mais pas avec tous, etc.
00:14:56 - Concrètement, j'aurais bien aimé avoir le panneau de liège des
00:15:00 enquêteurs avec mes petits fils de laine qui relient les photos.
00:15:04 Bon, mais je n'avais pas ça à ma disposition, mais j'ai procédé à peu
00:15:07 près de cette façon.
00:15:08 J'ai fait des fiches Bristol.
00:15:09 J'avais des fiches Bristol en grand format pour les personnages les
00:15:12 plus importants, petit format pour les personnages secondaires,
00:15:15 sachant que ça a pu évoluer au fur et à mesure de l'élaboration
00:15:20 du projet.
00:15:21 Et sur chaque fiche, je mettais leur identité, leurs fiches
00:15:27 historiques, parce que tous les personnages ont réellement existé.
00:15:30 Donc, leurs fiches historiques, leur statut social, leur fonction,
00:15:34 leur relation, les uns avec les autres, amis d'eux, ennemis d'eux.
00:15:39 Page de page du duc, fille de la duchesse, etc.
00:15:44 Et donc, j'avais régulièrement, j'étalais par terre, tel l'enquêteur
00:15:49 de séries américaines, toutes mes petites fiches et je les ai déplacées.
00:15:53 Je les bougeais, je rajoutais, je barrais.
00:15:55 J'éliminais aussi parce qu'au début, il y a certaines fiches de
00:15:58 personnages qui ont disparu pour une raison ou pour une autre.
00:16:01 Et globalement, assez vite, je me suis rendu compte que j'allais
00:16:08 fonctionner par groupe, par groupe sociaux.
00:16:12 - Vous les présentez ?
00:16:15 - Oui, donc le point de départ est l'assassinat d'un peintre qui
00:16:22 s'appelle Pontormo, qui a été retrouvé assassiné au pied des fresques
00:16:25 sur lesquels il travaillait depuis 11 ans dans la grande chapelle
00:16:29 de l'église des Médicis à Florence.
00:16:32 Et donc, d'une certaine manière, j'ai fonctionné comme un enquêteur,
00:16:37 c'est-à-dire que où est-ce qu'on va chercher le coupable ?
00:16:39 Où est-ce qu'on va chercher les suspects ?
00:16:41 Dans l'entourage de la victime, en faisant des cercles de plus en plus
00:16:45 larges.
00:16:46 Donc l'entourage, ce sont les autres peintres, ses amis, ses ennemis,
00:16:49 ses rivaux, ses disciples.
00:16:50 Donc, il y avait un premier groupe qui était le groupe des peintres.
00:16:53 Et puis, c'est ça qui était intéressant, dont je n'avais pas la
00:16:56 moindre idée au début, quand j'ai commencé le projet, mais dont je
00:16:59 me suis rendu compte assez vite, c'est que les peintres, à cette époque-là,
00:17:03 étaient à la charnière de tous les groupes sociaux, en fait, puisque
00:17:06 leurs commanditaires étaient les ducs, les rois, etc.
00:17:10 Et puis, ils travaillaient avec des ouvriers qui leur préparaient
00:17:13 leur matériel, leurs couleurs.
00:17:17 Et donc, je me suis retrouvé avec ces groupes sociaux qui étaient
00:17:25 le groupe des peintres, le groupe de ce que Machiavel appelait les grands,
00:17:29 c'est-à-dire le groupe, le duc, la duchesse, sa fille, leur
00:17:36 fille, Marianne Médicis.
00:17:38 Et puis, le groupe de plus des prolétaires, si vous voulez,
00:17:44 enfin, le broyeur de couleurs, l'assistant du peintre Naldini,
00:17:47 qui, alors certains, évidemment, étaient à la frontière.
00:17:50 L'assistant de Pontormeau est devenu peintre lui-même, mais à cette
00:17:56 époque-là, il a un statut assez proche de l'ouvrier, qui est un peu
00:17:59 son factotum.
00:18:00 Et puis, comme j'aime bien, oui, j'aime l'histoire, visiblement,
00:18:06 puisque je me suis intéressé à une fois que j'avais décidé que ça
00:18:10 allait être Vasari l'enquêteur et que j'avais décidé que la victime
00:18:13 serait ce Pontormeau qui est mort le 1er janvier 1557.
00:18:18 Dans la réalité, il ne s'est pas fait assassiner, mais...
00:18:21 - Oui, ça, c'est la chose inventée, quand même, c'est le départ du livre.
00:18:25 - À partir de là, j'ai regardé tous les personnages qui vivaient
00:18:31 à cette époque et que je pouvais intégrer à mon histoire.
00:18:35 Par exemple, j'ai dû écarter Léonard de Vinci, qui était mort.
00:18:40 Il y a des gens que j'aurais bien aimé intégrer, mais ce n'était
00:18:44 pas possible.
00:18:45 Mais il y avait des gens qui étaient encore vivants, bien vivants,
00:18:49 et qui avaient une aura à laquelle je pouvais difficilement résister,
00:18:51 comme Michel-Ange, qui était...
00:18:54 Lui, il a vécu 89 ans.
00:18:56 De toute façon, Michel-Ange, il a fait n'importe quelle époque
00:18:59 de la Renaissance, on aurait pu le retrouver.
00:19:01 Enfin, donc, voilà, Michel-Ange avait cet avantage d'être un personnage
00:19:05 très, extrêmement célèbre et prestigieux.
00:19:09 Il avait un autre avantage qui était très intéressant, c'est qu'à cette
00:19:11 époque, depuis 27 ans, je crois, il habitait Rome.
00:19:14 Et donc, en fait, à partir du moment où j'avais choisi le registre
00:19:19 épistolaire, c'était très intéressant pour moi d'avoir des personnages
00:19:23 qui n'étaient pas à Florence, parce que ça donnait une très bonne
00:19:26 raison à mes personnages à Florence de leur écrire.
00:19:30 Et il y avait un autre personnage qui était dans ce cas-là aussi,
00:19:32 c'est Catherine de Médicis.
00:19:33 Catherine de Médicis, qui, elle, était donc en France,
00:19:37 à Paris ou à Blois ou à Chenonceau, épouse de Henri II,
00:19:44 belle-fille de François Ier, et qui avait aussi un autre avantage,
00:19:49 c'est qu'elle avait un intérêt dans cette histoire, un intérêt politique,
00:19:55 puisque Catherine de Médicis était considérée comme l'héritière
00:19:59 légitime du trône du duché de Florence, sachant qu'à l'époque,
00:20:04 le duc de Florence, c'est Cosimo de Médicis, qui, lui,
00:20:06 est issu d'une famille plus lointaine, qui n'est pas un héritier direct
00:20:10 de Laurent le Magnifique, Lorenzo, à la grande époque de la Renaissance,
00:20:15 et que, donc, elle a des prétentions sur le trône de Florence.
00:20:20 Donc, il y avait un conflit potentiel, et donc, qui dit conflit,
00:20:24 dit ressources romanesques éventuelles.
00:20:27 Et donc, voilà, il y avait un deuxième groupe de grands,
00:20:30 le deuxième groupe, c'était le groupe Catherine de Médicis.
00:20:32 Donc, j'avais le groupe Catherine de Médicis,
00:20:34 le groupe duc de Florence, le groupe peintre,
00:20:37 et puis le groupe ouvrier.
00:20:40 En gros, à ces groupes s'est adjoint un autre...
00:20:45 Donc, ça aussi, quelque chose que je n'avais pas anticipé.
00:20:47 J'ai découvert, à cette époque-là, une femme qui était bonne soeur
00:20:51 et qui était peintre, qui s'appelle Plotianelli,
00:20:53 dont Vasari lui-même parle dans sa recension de tous les peintres,
00:20:59 et qui m'a tout de suite attiré,
00:21:02 parce que c'était un personnage extrêmement clivé.
00:21:07 C'était non seulement une bonne soeur,
00:21:08 mais une bonne soeur savonaroliste,
00:21:10 c'est-à-dire héritière des idées de Savonarole.
00:21:14 Savonarole, ce moine extrêmement rigoriste
00:21:16 qui, pendant quatre ans, à la fin du 15e siècle,
00:21:19 a fait... a gouverné Florence,
00:21:25 a gouverné de fait Florence,
00:21:27 a transformé Florence en une sorte de théocratie de type talibane,
00:21:32 pour aller vite, et vous pardonnerez l'anachronisme.
00:21:36 Et Savonarole, qui avait fait ce qu'on appelait les bûchers des vanités,
00:21:42 qui demandaient aux Florentins d'apporter leurs richesses et d'ébruler.
00:21:46 Et parmi ces richesses, il pouvait y avoir des tableaux.
00:21:48 On dit que Botticelli lui-même a apporté
00:21:50 certaines de ses oeuvres, certains de ses tableaux
00:21:54 qu'il a lui-même jetés au bûcher.
00:21:58 Et donc, oui, c'était un personnage extrêmement...
00:22:01 Enfin, une contradiction ambulante.
00:22:04 Et ça me semblait intéressant de l'intégrer aussi à mon histoire,
00:22:10 sachant que chacun de ces groupes représentés, en gros,
00:22:15 me permettait d'offrir au lecteur une photographie
00:22:18 de la Florence du milieu du XVIe siècle et de fait,
00:22:22 de l'Italie, voire de l'Europe.
00:22:26 C'est-à-dire que l'ensemble de ces groupes
00:22:30 proposait au lecteur une vision à la fois politique, religieuse,
00:22:36 économique et sociale de l'Europe du XVIe siècle.
00:22:43 - Oui, c'est ça qui est intéressant aussi avec les personnages qui sont à distance,
00:22:46 c'est-à-dire que, sans mauvais jeu de mots sur le titre du livre,
00:22:49 ça apporte une mise en perspective de ce qui se passe,
00:22:52 et une échappée, un prolongement.
00:22:54 Et ça fait que les questions qui sont posées dans le livre,
00:22:58 qui sont brassées par le livre, excèdent le cadre du huis clos.
00:23:02 Et par ailleurs, évidemment, toutes ces lettres
00:23:07 servent à nourrir l'enquête policière,
00:23:09 mais au passage, elles évoquent beaucoup de sujets.
00:23:14 C'est-à-dire que la forme du roman épistolaire
00:23:17 est à l'image de Florence,
00:23:18 comme une ruche dans laquelle s'agitent des abeilles.
00:23:21 Mais dans les alvéoles,
00:23:24 les personnages posent des questions religieuses, politiques.
00:23:28 Ça, c'était un des enjeux aussi.
00:23:32 - Oui, mais j'ai découvert ça au fur et à mesure, simplement.
00:23:36 C'est-à-dire...
00:23:41 Au début, avant d'avoir choisi Vasari,
00:23:44 j'avais pensé à un autre personnage
00:23:46 qui aurait fait un beau personnage principal,
00:23:47 c'était Brunelleschi.
00:23:48 Brunelleschi, c'est l'inventeur de la perspective.
00:23:51 Donc il y a la trace de cette...
00:23:53 Le fantôme de Brunelleschi a perduré dans mon livre,
00:23:57 dans le titre, au moins.
00:23:59 Et c'était avant, l'époque du père ou du grand-père
00:24:05 de Laurent le Magnifique.
00:24:07 C'était vraiment le début de la Renaissance.
00:24:09 Et là, c'est la fin.
00:24:10 Et donc, évidemment, si c'est la fin,
00:24:12 il y a une ambiance un petit peu crépusculaire
00:24:15 qui est souvent plus intéressante.
00:24:17 Et puis aussi, c'est-à-dire, c'est vrai que là,
00:24:21 le milieu du XVIe siècle, en Europe,
00:24:23 c'est une période de crise totale, en fait.
00:24:25 Totale, politique, religieuse et esthétique.
00:24:29 Politique parce que...
00:24:30 Enfin, religieuse et politique, c'est d'ailleurs
00:24:33 souvent difficile à démêler.
00:24:35 Mais enfin, religieuse parce que
00:24:37 l'émergence du protestantisme va déboucher
00:24:40 sur les guerres de religion
00:24:42 et va nous amener tranquillement à la Saint-Barthélemy.
00:24:45 Et c'est l'époque du Concile de Trente,
00:24:48 de la contre-réforme,
00:24:50 où il y a cette crispation de l'Église catholique
00:24:53 qui contre-attaque, en quelque sorte.
00:24:56 Politique, alors ça, ça n'a pas tellement changé
00:25:01 depuis 150 ans.
00:25:02 C'est-à-dire, on en est à la 11e et dernière guerre d'Italie.
00:25:06 L'Italie est le champ de bataille
00:25:08 des deux superpuissances de l'époque,
00:25:10 que sont la France et l'Espagne.
00:25:13 Et au-delà de l'Espagne, le Saint-Empire romain germanique,
00:25:16 bon, ça, c'est Charles V, c'est la même chose.
00:25:19 Même si, au moment du livre,
00:25:20 c'est Charles V qui est en train de transmettre le pouvoir
00:25:22 à Philippe II.
00:25:23 Mais enfin, voilà.
00:25:24 À ce moment-là, la 11e guerre d'Italie,
00:25:26 la France envoie son armée, l'armée du duc de Guise,
00:25:29 pour essayer de, j'allais dire, reconquérir,
00:25:32 enfin, disons, conquérir Naples.
00:25:35 Et donc, au milieu de ce...
00:25:39 Au milieu de cet affrontement entre l'Espagne et la France,
00:25:45 les principautés, les républiques italiennes,
00:25:47 se débattent, essaient de survivre en s'alliant
00:25:51 tantôt avec les unes, tantôt avec les autres.
00:25:52 Donc, c'est une situation extrêmement inconfortable
00:25:55 et politiquement très explosive.
00:25:57 Là, à l'époque, le duché de Florence, Cosimo,
00:26:00 est allié avec les Espagnols.
00:26:04 Et le pape est allié avec la France.
00:26:06 Et alors, le dernier point,
00:26:08 et peut-être le plus intéressant, finalement...
00:26:10 Enfin, non, d'ailleurs, les trois sont intéressants.
00:26:11 Mais enfin, le dernier point, c'est le point esthétique.
00:26:13 Et là aussi, c'est la crise.
00:26:17 C'est la crise parce que...
00:26:20 À deux niveaux.
00:26:21 Au niveau purement esthétique, en fait,
00:26:23 on est justement au moment de la génération des peintres
00:26:27 qui arrive après la Sainte Trinité,
00:26:29 qui a été, en gros, Raphaël, Michel-Ange,
00:26:33 et Léonard de Vinci.
00:26:36 Et alors, pourquoi c'est la crise ?
00:26:38 Parce que grâce à l'invention de la perspective
00:26:40 et grâce à leur génie propre,
00:26:43 ces trois-là ont porté la peinture
00:26:47 à un degré de perfection qu'on pense insurpassable.
00:26:52 Et donc, il y a cette espèce de...
00:26:53 Derrière arrive la nouvelle génération des peintres,
00:26:56 les Pontormo, les Bronzino, les Alori, les Salviati,
00:27:00 les... Bon, j'en oublie, là, je ne parle que des Florentins,
00:27:03 mais qui se retrouvent un peu, à mon avis,
00:27:05 dans la situation des peintres
00:27:07 au moment de l'invention de la photographie.
00:27:08 Bon, très bien, mais qu'est-ce qu'on peut faire après ?
00:27:11 Et donc, ils inventent,
00:27:14 même s'ils n'inventent pas consciemment,
00:27:15 mais enfin, disons, leur choix esthétique
00:27:19 a pris le nom, à postériori,
00:27:21 d'un courant qui s'appelle le maniérisme.
00:27:22 Et le maniérisme, contrairement à ce que pourrait indiquer le nom,
00:27:26 c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de faire à la manière de Michel-Ange,
00:27:29 même si ce sont tous des disciples de Michel-Ange,
00:27:33 auxquels il voue une adoration absolue,
00:27:36 mais il s'agit, tout en maîtrisant les lois de la perspective,
00:27:41 il s'agit de, finalement, s'en affranchir et de la tordre.
00:27:45 Et ça donne des choses, donc une évolution.
00:27:48 L'évolution picturale de l'époque,
00:27:49 c'est des corps qui sont légèrement déformés.
00:27:53 Il y a... Parmi Giano, je crois,
00:27:55 qui allonge le cou sur l'un de ses tableaux,
00:28:00 d'une jeune femme,
00:28:01 ou alors on rajoute une vertèbre à un dos de nu,
00:28:06 ou alors, pour ce qui concerne Pontormeau et ses amis,
00:28:10 Pontormeau, l'un de ses tableaux les plus célèbres,
00:28:12 c'est une sorte de déposition où il n'y a pas de croix.
00:28:17 C'est un tableau un peu bizarre,
00:28:18 mais où il y a une douzaine de personnages
00:28:21 qui ont l'air de flotter dans l'air,
00:28:23 donc ils recueillent,
00:28:24 ils sont tous afférés devant le Christ mort.
00:28:27 Il n'y a plus de décor.
00:28:29 On a l'impression qu'ils flottent dans l'air,
00:28:31 que derrière, c'est totalement brumeux.
00:28:33 Et on ne sait pas trop à qui...
00:28:36 Il y a une main qui dépasse, on ne sait pas trop à qui elle est.
00:28:38 Et donc, ça donne une espèce de dimension un peu onirique
00:28:42 à leurs oeuvres,
00:28:45 qui est en fait la réponse
00:28:47 aux problèmes esthétiques qui étaient posés.
00:28:50 Mais alors, les problèmes des peintres
00:28:52 ne se limitent pas à ces questions
00:28:54 qui sont là purement esthétiques.
00:28:57 Ils sont aussi confrontés
00:28:59 au fait que la politique rattrape
00:29:02 ces questions esthétiques,
00:29:06 parce que la contre-réforme, le Concile de Trente,
00:29:11 le pape de cette époque-là...
00:29:12 Alors là, je suis bien tombé, c'est un hasard,
00:29:14 parce que si j'avais choisi...
00:29:16 Le pape, Paul IV, 1555-1559, je crois.
00:29:21 Donc là, mon histoire, c'est 1557, c'est parfait.
00:29:24 Le pape est un pape horrible, c'est un inquisiteur.
00:29:28 L'Inquisition est revenue de l'Espagne
00:29:32 et est revenue en Italie.
00:29:35 Ce pape est un inquisiteur qui déteste,
00:29:39 en gros, qui déteste l'art,
00:29:41 qui déteste les livres et qui déteste les homosexuels.
00:29:44 Alors, c'est une complication supplémentaire
00:29:46 pour tous ces peintres-là, dont la majorité était homosexuelle.
00:29:49 Michel-Ange, Pontormo, Bronzino,
00:29:52 Czerninick, on en parlera peut-être plus tout à l'heure.
00:29:58 Et donc, là, pour le coup, c'est une époque de crise absolue,
00:30:02 puisque ce pape-là a décidé que les gens tout nus,
00:30:08 les peintures de gens tout nus dans les églises,
00:30:11 ce n'est vraiment plus possible,
00:30:12 et il veut détruire la chapelle Sixtine.
00:30:15 Et donc, Michel-Ange, à cette époque-là,
00:30:20 lui est en charge de la construction du dôme de la Basilique Saint-Pierre.
00:30:24 Il est toujours au fait de sa gloire,
00:30:27 mais quand même menacé.
00:30:31 Et surtout, son œuvre est menacée.
00:30:34 - Il n'est pas sûr qu'elle lui surviendra.
00:30:36 - Non, pas du tout.
00:30:39 Et c'est ahurissant, en fait.
00:30:41 Le compromis qui a été trouvé,
00:30:42 c'est que finalement, on a barbouillé sur la chapelle Sixtine.
00:30:45 On a demandé à un ami de Michel-Ange,
00:30:47 Daniele Davolterra, de voiler les sexes,
00:30:51 des hommes principalement, mais je crois aussi de quelques femmes.
00:30:54 On a demandé à Davolterra de peindre des espèces de serviettes,
00:30:58 de voiles pour cacher les sexes.
00:31:02 Et ce qui a valu à ce pauvre peintre de passer à la postérité
00:31:06 sous le surnom d'"il braguettone",
00:31:09 qu'on traduit en général par "le calçonneur".
00:31:13 Donc, la situation est vraiment très anxiogène
00:31:18 pour tous ces peintres, Michel-Ange compris.
00:31:21 Michel-Ange qui sent bien aussi qu'il y a quelque chose quand même
00:31:24 et qu'il est au crépuscule de sa vie.
00:31:26 Et que même s'il est en charge,
00:31:31 il a cette commande architecturale très importante,
00:31:34 mais son grande œuvre quand même est menacée.
00:31:37 Et donc voilà, les peintres dépriment pour des raisons esthétiques,
00:31:43 pour des raisons politiques.
00:31:45 Oui, et enfin, à Florence même,
00:31:48 c'est très intéressant que les ducs de Florence,
00:31:51 les médicistes ont toujours été des amis des arts.
00:31:53 C'est comme ça qu'ils sont passés eux-mêmes à la postérité.
00:31:55 Laurent le Magnifique étant le plus connu,
00:31:57 mais Cosimo s'inscrit vraiment dans les pas de Laurent le Magnifique.
00:32:00 C'est un mécène.
00:32:02 Il a compris l'importance d'une politique culturelle de mécénat
00:32:08 pour régner sur Florence.
00:32:11 Et il a toujours été, comme Laurent le Magnifique,
00:32:15 d'une très grande tolérance.
00:32:16 Ça l'indifférait complètement, les mœurs des peintres.
00:32:20 Mais en même temps, lui, son but, il est duc.
00:32:23 Il veut être roi.
00:32:24 Il veut devenir roi de la Toscane.
00:32:27 Et finalement, il n'aura pas le titre de roi,
00:32:29 il aura le titre de grand-duc.
00:32:30 Mais enfin, en tout cas, pour changer d'échelon,
00:32:33 si je puis dire, il a besoin de l'accord.
00:32:36 Il y a 2 personnes qui décident.
00:32:38 C'est l'empereur du Saint-Empire romain germanique.
00:32:41 Donc ça, c'est la partie espagnole, ça va,
00:32:43 parce que Florence est alliée avec les Espagnols.
00:32:45 Et le pape.
00:32:47 Mais là, le pape, à l'époque, est allié avec la France.
00:32:49 Donc il se retrouve dans une situation diplomatique
00:32:53 très compliquée.
00:32:54 Et pour ne pas insulter l'avenir,
00:32:58 il promulgue des lois qui sont plus dures
00:33:01 pour réprimer l'homosexualité,
00:33:03 qui n'auront pas vraiment d'application concrète,
00:33:05 mais officiellement, quand même,
00:33:08 on traque ce qu'on appelle les sodomites.
00:33:11 Donc, bon, ben voilà.
00:33:12 Donc la situation était quand même...
00:33:14 C'était un sac de nœuds...
00:33:15 Enfin, la situation était explosive
00:33:19 pour toute l'Europe,
00:33:20 mais particulièrement pour ces pauvres peintres
00:33:23 du milieu du 16e siècle.
00:33:25 -Oui, la question du puritanisme,
00:33:27 elle court quand même dans tout le livre,
00:33:29 avec cette censure de la beauté.
00:33:32 Et ça fait partie des questions
00:33:35 qui sont un peu dans l'air du temps aujourd'hui aussi,
00:33:37 cette question de la censure.
00:33:40 Enfin, aux Etats-Unis,
00:33:42 il y a de la censure dans un peu tous les sens.
00:33:45 Tu avais ça en tête
00:33:47 et tu en penses quelque chose ?
00:33:49 -Oui, j'en pense quelque chose,
00:33:51 mais je n'avais pas ça en tête pour la bonne raison que...
00:33:53 Comme d'habitude, j'ai mis des années pour écrire mon livre
00:33:57 et que quand j'ai...
00:33:58 Enfin, les 2, 3 premières années où j'ai travaillé dessus
00:34:03 n'avaient pas encore émergé les questions d'Agatha Christie,
00:34:06 de Roald Dahl, de réécriture, de James Bond, etc.
00:34:12 Et donc, oui, le lien, je l'ai fait avant de rendre le manuscrit,
00:34:17 ce qui m'a fait rajouter...
00:34:18 J'ai choisi 2 citations en exergue.
00:34:21 Une citation de Ran Pamuk, qui est extraordinaire,
00:34:24 qui est tirée de "Mon nom est rouge".
00:34:26 Et puis cette 2e citation que j'ai trouvée
00:34:27 dans la correspondance de Michel-Ange,
00:34:29 qui dit simplement "Les temps sont durs pour l'art".
00:34:33 Qui dit ça d'ailleurs de façon...
00:34:34 Enfin, il écrit ça en 1512.
00:34:36 Le pauvre, à 1512, c'est...
00:34:38 Alors là, pour le coup, c'est la chapelle sixtine, etc.
00:34:42 Le pauvre, il ne savait pas ce qu'il attendait.
00:34:44 Mais bon, enfin, pauvre de nous, d'une certaine manière,
00:34:46 parce que moi, quand j'ai écrit ce livre,
00:34:48 je ne pensais pas du tout que cette question
00:34:50 serait une question d'actualité.
00:34:52 Et oui, tu dis aux Etats-Unis et en France,
00:34:56 un peu partout, oui, un peu partout,
00:34:57 et je dois reconnaître, un peu partout, à gauche et à droite.
00:35:01 -Oui, oui, ça vient de tous les côtés.
00:35:03 -Oui, oui.
00:35:04 -Récemment, on avait une interview de Marjane Satrapi dans "L'Obs",
00:35:07 qui expliquait que sa BD "Persepolis",
00:35:10 qui est un chef-d'oeuvre,
00:35:12 a été virée des bibliothèques aux Etats-Unis
00:35:15 par les trumpistes.
00:35:17 -Voilà.
00:35:18 -Et puis, après, elle a été virée des bibliothèques
00:35:21 par des gens beaucoup, beaucoup très à gauche.
00:35:23 Alors, les trumpistes, c'était parce que, soi-disant,
00:35:25 il y avait des scènes de sexe.
00:35:26 -Oui, c'est souvent ça, à côté de sa droite.
00:35:28 -Oui, ils les ont vues dans la société.
00:35:30 Elle racontait notre rôle et elle l'enchaînait en disant...
00:35:33 Et puis après, je ne sais pas, les démocrates,
00:35:34 ce qu'ils leur ont appris, ils ont dit,
00:35:36 "Mais qu'est-ce qui sont cons, ces gens de droite ?
00:35:38 On a le droit d'être aussi cons qu'eux."
00:35:39 Et donc, ils m'ont censuré pour islamophobie.
00:35:41 -Oui, voilà.
00:35:42 Avec cette différence que, en général...
00:35:46 Enfin...
00:35:47 Je veux pas faire dans le détail.
00:35:49 Il n'y en a pas un pour attraper l'autre dans cette histoire.
00:35:51 Mais en tout cas, je fais une différence
00:35:53 entre la censure pure et simple,
00:35:55 qui est...
00:35:56 -Vieille comme le monde.
00:35:59 -Oui, qui est vieille comme le monde
00:36:00 et qui, historiquement, me semble,
00:36:02 qui a quand même été plus le fait de la droite
00:36:05 ou de l'extrême droite,
00:36:07 bien qu'en... Oui, bon, il y a la question du stalinisme.
00:36:10 Mais là, il y a quelque chose de spécial avec la réécriture.
00:36:16 C'est-à-dire que, comme on a barbouillé sur la chapelle Sixtine,
00:36:19 là, on barbouille dans les textes.
00:36:22 C'est-à-dire que c'est pas juste qu'on interdit le livre,
00:36:25 c'est que...
00:36:27 Donc, on change le titre, OK, Agatha Christie,
00:36:30 là, il y a un commentaire qui nous plaît pas, on l'enlève.
00:36:32 Mais alors, Roald Dahl,
00:36:33 comme c'est pour les pauvres enfants, vous comprenez,
00:36:36 il faut être pédagogique.
00:36:37 C'est-à-dire que là, non seulement on règle,
00:36:39 mais on rajoute du texte qui n'est pas de l'auteur.
00:36:44 C'est absolument stupéfiant.
00:36:45 Enfin, la liste...
00:36:48 Je sais pas, d'ailleurs, si c'est pas dans l'Obs
00:36:51 que quelqu'un avait recensé les modifications.
00:36:54 Enfin, c'est-à-dire, bon, voilà,
00:36:55 il y a un personnage qui est chauve ou qui est gros,
00:36:57 et on rajoute, mais il a bien le droit d'être chauve ou gros
00:37:01 ou de porter une perruque ou je sais pas quoi.
00:37:03 Et donc, ça, cette dimension de barbouillage,
00:37:06 je trouve ça encore plus stupéfiant.
00:37:08 La censure, on comprend.
00:37:09 Bon, il y a quelque chose qui nous gêne.
00:37:12 On interdit, on efface, mais écrire par-dessus, barbouiller...
00:37:18 Et j'avais lu dans l'Ebay un article de Lionel Shriver,
00:37:25 l'écrivaine qui a écrit "Il faut qu'on parle de Kevin"
00:37:29 sur la question des "sensitivity readers" là,
00:37:33 et le titre, enfin, elle disait,
00:37:35 enfin, ça servait de titre, mais elle disait
00:37:37 "Otez vos sales pattes de nos livres".
00:37:40 Et c'est vrai que...
00:37:42 "Otez vos sales pattes sensibles de nos livres",
00:37:43 ils avaient utilisé ça comme titre de l'article.
00:37:47 Et c'est vrai que c'est...
00:37:48 Bon, ben là, le lien, je suis obligé de le faire.
00:37:50 C'est-à-dire, c'est exactement ce qu'aurait pu dire Michel-Ange,
00:37:53 "Otez vos sales pattes de mon jugement dernier,
00:37:56 de ma chapelle Sixtine".
00:37:58 Donc, oui, enfin, si la question est
00:38:04 "Est-ce qu'il y a des échos contemporains dans mon livre ?"
00:38:08 Oui.
00:38:09 Est-ce que je les ai recherchés ? Non, pas spécialement,
00:38:10 mais de toute façon, il y en a toujours.
00:38:12 Et donc, oui, je ne me pose jamais la question
00:38:16 quand je commence un livre,
00:38:18 mais de toute façon, je sais qu'il y en a toujours.
00:38:20 Mais alors, celui-là, je ne m'y attendais pas.
00:38:24 Mais de même qu'on pourrait...
00:38:25 Alors ça, bon, si, j'étais au courant,
00:38:27 mais la résurgence du fanatisme religieux,
00:38:31 c'est que maintenant, on commence à être habitué.
00:38:34 Mais c'est vrai que depuis le 16e siècle,
00:38:38 on a pu penser, il y a déjà quelques dizaines d'années,
00:38:41 on a pu penser que le problème allait être réglé, en fait.
00:38:45 -Tellement, oui.
00:38:46 Est-ce que... Je pensais te parler de ça après,
00:38:48 mais puisque tu parles de ton aversion pour le barbouillage
00:38:53 de ce qui a déjà été écrit ou de ce qui existe,
00:38:57 est-ce que ça a un lien avec ton rapport
00:39:00 avec le genre du roman historique ?
00:39:02 Parce que moi, ce qui m'intéresse beaucoup dans ton cas,
00:39:04 c'est que le premier livre de toi que j'ai lu,
00:39:06 "CT HHH",
00:39:08 ça a vraiment été un choc pour moi,
00:39:11 et notamment par toute la réflexion que tu menais
00:39:13 sur ce genre bizarre du roman historique.
00:39:16 Le mélange des faits avérés et de la fiction,
00:39:18 sans jamais très bien dire où vient se loger la fiction.
00:39:22 Et donc, tu avais tué, pour moi, le genre du roman historique.
00:39:28 Je me demandais qui oserait écrire un roman historique
00:39:30 après "CT HHH".
00:39:31 Et du coup, toi, tu l'as fait.
00:39:35 Et par quelle acrobatie, tu t'autorises désormais
00:39:38 à écrire des romans historiques.
00:39:39 -Oui, non, mais je peux tout t'expliquer.
00:39:41 -Tu le fais une fois sur un mot de bouffon
00:39:43 avec la 7e fonction du langage,
00:39:44 une fois... A chaque fois, tu te rembobines.
00:39:47 Mais quand même, là, tu t'autorises à nous raconter
00:39:50 que ce monsieur Pontormeau a été assassiné.
00:39:52 -Absolument, absolument. Mais on peut...
00:39:55 -C'est du barbouillage.
00:39:57 -Je ne crois pas...
00:40:00 Je ne crois pas que...
00:40:01 Le préalable, c'est que je ne crois pas
00:40:03 que la fiction a tous les droits.
00:40:05 Ensuite, c'est très simple.
00:40:09 Il suffit d'être clair au niveau du pack de lecture.
00:40:12 C'est-à-dire qu'une fiction qui s'exhibe comme fiction
00:40:15 ne me pose aucun problème.
00:40:17 Et ce que je reproche à certains romans historiques,
00:40:19 c'est de...
00:40:21 de...
00:40:26 de se présenter comme des...
00:40:30 des éléments d'élucidation de l'histoire,
00:40:35 de... Comment dire ?
00:40:38 D'être plus vrai que l'histoire.
00:40:41 Et de...
00:40:43 De mêler de telle sorte qu'on ne peut pas distinguer.
00:40:46 Et...
00:40:49 De nous faire... Par exemple, pour vous donner un exemple,
00:40:54 dans "Hah! Hah! Hah!" déjà, je parlais de ce grand roman
00:40:58 qui est "Les Bienveillantes" de Jonathan Little.
00:41:01 Je me souviens, donc 900 pages dans la tête d'un nazi.
00:41:06 Et je me souviens qu'il y avait...
00:41:08 Il me semblait qu'il y avait un grave problème
00:41:09 à la réception du livre.
00:41:11 C'est que des gens, mais parfois des gens
00:41:13 d'une très grande autorité, je me demande
00:41:15 s'il s'en prend lui-même, avait pas dit ça.
00:41:17 En tout cas, des...
00:41:19 Je crois que c'est lui qui avait dit
00:41:20 que s'il voulait comprendre le nazisme,
00:41:22 il faut lire "Les Bienveillantes".
00:41:23 Et ça, je pense que c'est une erreur majeure.
00:41:26 C'est faux.
00:41:28 C'est faux parce que si...
00:41:29 En fait, si vous voulez comprendre
00:41:31 ce qu'il y a dans la tête d'un franco-américain
00:41:33 des années 2000,
00:41:35 l'idée que se fait un franco-américain
00:41:37 des années 2000 du nazisme,
00:41:38 oui, vous pouvez lire "Les Bienveillantes".
00:41:40 Mais si vous voulez comprendre ce qu'était le nazisme,
00:41:42 il y avait rien à...
00:41:44 Enfin, il y avait très peu de choses
00:41:46 dans "Les Bienveillantes" où on présentait...
00:41:48 En fait, c'était d'autant plus gênant
00:41:50 que la figure du nazi, c'était la figure
00:41:53 du nazi très cultivé qui avait rencontré Brasillac à Paris,
00:41:56 qui avait fait sa cagne à Henri IV,
00:41:58 enfin, je ne sais pas quoi.
00:41:59 Et c'était d'autant plus embêtant
00:42:02 qu'en gros, il donnait l'image du nazi
00:42:03 que les nazis eux-mêmes voulaient donner d'eux-mêmes.
00:42:08 Donc, c'était quand même très problématique.
00:42:09 Et donc, ce qui me gêne,
00:42:11 c'est ce que Charlotte Lacoste avait très bien résumé
00:42:16 dans un livre qui s'appelle "Séduction du bourreau".
00:42:18 Ce qui me gêne, c'est quand la fiction devient falsification.
00:42:21 Et donc, voilà.
00:42:23 Et donc, tout ça est résolu par le pack de lecture.
00:42:26 Une fiction qui s'affirme fiction.
00:42:27 À aucun moment dans "La 7e fonction du langage",
00:42:30 je veux faire croire que Barthes a été assassiné.
00:42:32 Si vous voulez, si je veux faire croire ça,
00:42:34 alors c'est une démarche complotiste.
00:42:36 Il y a des complots qui existent.
00:42:37 Et ça pourrait, si vous voulez, mais enfin, ce n'est pas mon cas.
00:42:40 Et donc, en fait, c'est ça, la différence
00:42:43 entre un roman honnête et un texte
00:42:46 qui n'est pas honnête pour moi.
00:42:50 Et je ne parle pas simplement de certains romans.
00:42:51 Enfin, moi, j'inclus dedans les textes religieux.
00:42:56 Les textes religieux sont des mythes qui prétendent à une vérité
00:43:00 qui, pour moi, est mensongère.
00:43:04 Enfin, c'est de la fiction et ça se prétend vérité.
00:43:07 Donc ça, c'est un problème.
00:43:08 Ça, c'est un problème.
00:43:10 Et un texte...
00:43:11 -Après, ils invoquent un autre régime de représentation,
00:43:13 un hécorique...
00:43:15 -Oui, je dis ça un peu par provocation.
00:43:16 Mais en tout cas, disons qu'un roman honnête,
00:43:19 c'est un roman qui est honnête sur le pack de lecture.
00:43:22 Et donc, "Civilisation",
00:43:23 je n'avais pas tellement besoin d'en faire des tonnes
00:43:25 sur le pack de lecture.
00:43:28 Vous êtes...
00:43:29 Les lecteurs sont au courant que les Incas n'ont pas envahi l'Europe.
00:43:32 Sinon, on aurait cette conversation en Quechua.
00:43:34 Et donc, là, je n'avais pas de...
00:43:37 Voilà, je m'étais dispensé de tout pack de lecture.
00:43:39 Mais s'ils voulaient...
00:43:40 C'est-à-dire, oui, dans les 3K qui nous occupent,
00:43:44 c'est-à-dire les 3 romans qui viennent après "H.H.H.H",
00:43:48 les romans s'inscrivent dans une dimension ludique.
00:43:50 Je vous propose un jeu, et non pas une vérité
00:43:53 qui serait plus vraie avec un grand V,
00:43:55 qui serait plus vraie que la véracité historique, etc.
00:43:58 C'est pour ça, d'ailleurs, que quand on parle de ces sujets-là,
00:44:01 je préfère le terme de véracité, véracité historique, que vérité.
00:44:04 Parce que vérité, il y a une espèce de dimension métaphysique
00:44:08 que je trouve suspecte.
00:44:10 Donc, voilà.
00:44:12 Donc, le jeu...
00:44:15 Bon, la 7e fonction du langage était tellement délirante
00:44:18 que je n'avais pas besoin non plus de faire de préface.
00:44:21 Là, là aussi, c'est un jeu.
00:44:23 Le roman policier, c'est un jeu.
00:44:25 C'est un jeu qu'on propose au lecteur,
00:44:26 l'auteur propose au lecteur.
00:44:28 Voilà. Enfin, c'est...
00:44:29 Bon, il y a certaines critiques qu'on parlait de "Cluedo".
00:44:32 Oui, c'est ça.
00:44:33 Voilà.
00:44:35 On a retrouvé...
00:44:37 On n'a pas retrouvé le colonel Moutarde,
00:44:38 mais on a retrouvé le peintre Pontormeau dans la crypte
00:44:41 avec un coup de marteau, un ciseau, une planche
00:44:44 fichée dans le coeur autour de lui.
00:44:46 Il y a tel suspect, tel suspect, tel suspect.
00:44:48 Je vous distribue les cartes et vous allez jouer.
00:44:51 Mais ceci dit, alors, j'avoue que c'était...
00:44:55 peut-être un petit peu tordu,
00:44:57 mais j'ai rajouté une préface, justement, au livre.
00:45:01 Une préface qui...
00:45:04 dont la visée était d'inscrire le livre
00:45:06 dans un genre qui est le genre du roman épistolaire.
00:45:10 Le vis étant que...
00:45:12 À quoi est-ce qu'on reconnaît un roman épistolaire ?
00:45:15 C'est qu'il est toujours précédé d'une préface
00:45:17 où un narrateur dit "Ah ben, j'ai retrouvé,
00:45:21 dans une vieille caisse, dans un vieux coffre,
00:45:23 une pile de lettres et je trouvais ça intéressant.
00:45:26 Je l'offre à la lecture, à l'intérêt du public."
00:45:29 Donc, c'est-à-dire...
00:45:30 Donc, évidemment, c'est-à-dire la préface
00:45:34 qui inscrit le roman dans le genre épistolaire
00:45:39 est une préface menteuse.
00:45:40 Donc, là, il y a un jeu à 2, 3 tiroirs,
00:45:44 mais enfin, voilà.
00:45:46 Disons que cette préface-là, que pour le coup...
00:45:49 Alors, ça, c'est la trace de ma première idée,
00:45:50 j'ai écrite à la manière de Stendhal,
00:45:52 avec des vraies citations de Stendhal dedans, d'ailleurs,
00:45:55 avait cette fonction-là aussi de pack de lecture
00:45:59 un petit peu pervers.
00:46:02 -Très bien. Et puis, ça s'est renforcé à l'intérieur du texte
00:46:05 avec aussi des clins d'œil, notamment, évidemment,
00:46:07 au grand modèle du roman épistolaire,
00:46:09 "Quelle est l'aison dangereuse ?"
00:46:10 et avec lequel tu joues pas mal.
00:46:12 Il y a notamment une grande lettre de Catherine de Médicis,
00:46:15 qui est vraiment un pastiche de la grande lettre
00:46:17 de la marquise de Mertheuil dans "L'aison dangereuse", etc.
00:46:19 Il y a beaucoup de... J'ai l'impression...
00:46:21 -Oui, bien sûr. La lettre 81.
00:46:23 -Je prétends pas les avoir toutes décodées,
00:46:24 mais j'ai l'impression qu'il y a un livre un peu crypté aussi
00:46:27 de ce point de vue.
00:46:29 Peut-être que certains d'entre vous ont des questions.
00:46:32 Mais oui. Je vois un bras qui se lève, là.
00:46:35 (...)
00:46:51 Bien sûr. -Je crois qu'on a rien dit.
00:46:53 (...)
00:46:55 Ah !
00:46:56 (...)
00:47:24 -Eh oui.
00:47:25 (...)
00:47:31 C'est une très bonne question.
00:47:33 Alors, c'est une très bonne question.
00:47:37 Donc, bon, juste... C'est la 2e lettre.
00:47:41 La 1re étant une lettre de Marianne Médicis.
00:47:43 Dans mon livre, la poste, en général, fonctionne très bien.
00:47:48 Mais ceci dit, ne croyez pas que je me suis...
00:47:53 Voilà, j'ai fait n'importe quoi.
00:47:55 En général, j'essaie de penser à tout.
00:47:57 Et tout est possible. Tout est possible.
00:47:59 Florence, Rome, 200 km, 3 jours au XVIe siècle,
00:48:04 c'est tout à fait possible.
00:48:05 Les durées, quand ils écrivent en France, sont allongées.
00:48:09 Et j'ai travaillé sur cette question.
00:48:11 J'ai lu dans Brodel, sur la Méditerranée.
00:48:14 J'ai trouvé dans Brodel un passage où il explique que...
00:48:19 Alors, c'est très variable, mais parfois,
00:48:22 il y a des trucs extraordinaires.
00:48:24 En 15 jours, on a une lettre qui fait Paris-Istanbul.
00:48:26 Un truc incroyable.
00:48:27 Et parfois, par contre, ça prend 9 mois.
00:48:29 Bon, alors, globalement,
00:48:32 dans mon livre,
00:48:35 la tendance est plutôt à l'optimisme
00:48:38 et au fait que ça fonctionne bien.
00:48:40 Ceci dit, de temps en temps, il y a des dysfonctionnements.
00:48:43 Il y a des lettres qui n'arrivent pas,
00:48:44 des lettres qui sont interceptées.
00:48:46 Et donc, la question de la poste, évidemment, était...
00:48:48 Enfin, j'avais ça tout le temps en tête.
00:48:50 Et à la fin, j'ai d'ailleurs, je vous avoue,
00:48:54 que parfois, je me suis dit,
00:48:55 "Ah oui, bon, là, je vais quand même rajouter 2 jours."
00:48:57 Mais c'était compliqué, parce que 2 jours,
00:49:01 c'est-à-dire comme les différents groupes...
00:49:03 Enfin, pendant ce temps, il y avait le groupe...
00:49:07 L'intrigue avançait en parallèle.
00:49:09 Et donc, parfois, c'était vraiment...
00:49:11 Il fallait que je resserre au maximum.
00:49:12 Je me disais, "Bon, là, on va dire que vraiment,
00:49:16 "les relais de poste ont particulièrement bien fonctionné.
00:49:20 "Les chevaux avaient vraiment bien mangé.
00:49:21 "Ils sont allés très vite."
00:49:23 Mais oui, bien sûr, c'était évidemment une question
00:49:26 que j'avais à l'esprit.
00:49:28 -Une autre question ? -Oui, madame.
00:49:32 ...
00:50:01 ...
00:50:04 -Je ne sais pas de quel enlèvement vous voulez parler.
00:50:08 Oui. Non, pas tout de suite.
00:50:11 Pas tout de suite, mais...
00:50:13 -Peut-être que tu pourrais dire quelques mots de Marie, quand même,
00:50:16 qui est donc la première à écrire une lettre dans le livre,
00:50:19 qui est un peu à la périphérie de l'intrigue principale
00:50:22 et qui est un personnage important,
00:50:23 et qui a aussi son sort à des résonances contemporaines
00:50:27 sur la question de la condition des femmes, etc.
00:50:30 -Oui, tout à fait.
00:50:32 Donc, moi, je dis "Maria de Médicis",
00:50:34 parce que "Marie de Médicis", on pense à...
00:50:36 Enfin, vous avez raison.
00:50:38 "Maria de Médicis, la fille du duc",
00:50:40 oui, la première lettre est une réécriture
00:50:42 de la première lettre des "Liaisons dangereuses".
00:50:45 C'est une jeune fille qui se demande,
00:50:47 qui voit ses parents un peu complotés,
00:50:48 qui se demande s'ils ne sont pas en train de lui chercher un mari
00:50:52 et s'ils n'en vont pas bientôt la marier, tout simplement.
00:50:55 Et donc, c'est exactement le point de départ de mon intrigue.
00:50:58 Ensuite, chaque personnage a ses propres problèmes,
00:51:03 ses propres problématiques,
00:51:05 et son problème à elle, c'est ça,
00:51:09 c'est le mariage avec le duc de Ferrar,
00:51:12 ce qui est attesté historiquement.
00:51:14 Elle était promise au duc de Ferrar,
00:51:16 qui se trouve avoir été un individu au fils du duc de Ferrar,
00:51:20 un individu absolument horrible.
00:51:23 Donc, évidemment, sa problématique, c'est le mauvais mariage,
00:51:26 et il y a eu une rumeur qui a existé
00:51:28 comme quoi elle avait eu une aventure avec l'un des pages du duc.
00:51:33 Donc, j'ai exploité ce filon, et si vous tirez ce filon,
00:51:36 ensuite, le développement...
00:51:39 Si on part... Enfin, comment dire ?
00:51:43 Si on se met dans une logique romanesque,
00:51:45 le développement, disons, venait tout seul,
00:51:47 d'une certaine manière.
00:51:49 Donc, sans vouloir trop défleurer.
00:51:53 Mais ce que je peux vous dire aussi sur le...
00:51:56 Ça me permet de dire un mot au niveau du style.
00:52:01 C'est vrai que Marianne Médicis,
00:52:05 en gros, forme un couple avec Catherine de Médicis.
00:52:09 C'est vraiment la reproduction du couple Merteuil-Cécile Volange,
00:52:14 avec d'un côté le personnage extrêmement machiavélique.
00:52:20 Alors là, c'est le...
00:52:22 Il y a de le dire pour Catherine de Médicis.
00:52:25 Et puis, la naïveté de la jeune fille,
00:52:28 mais aussi la naïveté de la jeune fille,
00:52:29 mais qui a aussi une forme de malice,
00:52:34 une forme qui est amoureuse, qui...
00:52:38 Et donc, il y avait cette inspiration.
00:52:42 Mais au fur et à mesure que sa situation évolue,
00:52:46 vers la fin, l'inspiration qui est plus qu'une inspiration,
00:52:50 d'ailleurs, parce qu'il y a carrément des phrases
00:52:52 que j'ai empruntées à un autre ouvrage,
00:52:54 qui est "Les lettres portugaises" de Guy Rague.
00:52:58 "Les lettres portugaises" de Guy Rague,
00:52:59 parce que, alors, même si c'est un peu plus tardif,
00:53:01 c'est "17e", mais bon, c'est un roman épistolaire
00:53:04 constitué de...
00:53:06 Enfin, c'est les lettres d'une jeune femme,
00:53:08 en l'occurrence, une bonne sœur,
00:53:09 qui se plaint d'avoir été abandonnée
00:53:11 par son lieutenant français.
00:53:13 Et donc, là, le ton pathétique convenait mieux à la situation.
00:53:16 Donc, en fait, chaque personnage a son idiolecte
00:53:20 et son style propre,
00:53:22 mais en fonction de la situation, ça peut évoluer.
00:53:24 Par exemple, un autre personnage, comme Bronzino,
00:53:26 j'ai pensé beaucoup pour distinguer, justement.
00:53:29 Alors, la question du style, c'est une question
00:53:30 que certaines critiques n'ont pas très bien appréhendée,
00:53:34 mais, en fait, c'était intéressant,
00:53:37 parce que j'étais confronté à une double contrainte.
00:53:39 Il fallait qu'il y ait une forme d'homogénéité globale.
00:53:42 Il fallait que le ton global évoque le 16e siècle,
00:53:45 avec une hybridation 18e,
00:53:48 parce que le roman épistolaire,
00:53:50 donc héritier des grands modèles du 18e,
00:53:53 et en même temps, il fallait que les personnages
00:53:55 aient une voix distinctive.
00:53:58 Bon, certains critiques n'ont pas vu les distinctions,
00:54:01 mais bon, ils ont mal lu.
00:54:03 Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
00:54:04 Mais parce qu'il est évident que Marianne Médicis
00:54:07 ne parle pas comme un Cellini ou un Strozzi,
00:54:09 mais simplement, voilà.
00:54:11 Donc, il y avait ce ton global,
00:54:12 mais il y avait donc des contrastes
00:54:14 que j'ai essayé d'élaborer par couple de personnages.
00:54:18 Par exemple, Bronzino se distingue de Pontormo.
00:54:24 Alors, Pontormo, comme il meurt au début,
00:54:26 il n'a pas beaucoup de lettres.
00:54:27 Mais enfin, disons que Pontormo et Michel-Ange
00:54:30 ont sans doute une langue assez semblable,
00:54:33 parce qu'ils avaient le même caractère.
00:54:34 C'était des peintres, ils étaient acariâtres,
00:54:37 et voilà, ils râlaient tout le temps.
00:54:39 Bon, ce qui est...
00:54:41 Là, bon, Michel-Ange,
00:54:42 j'avais juste à puiser dans sa correspondance
00:54:44 pour me faire une idée.
00:54:47 Et Bronzino, lui, est un peintre beaucoup plus courtisant,
00:54:49 ce qui l'a amené à être, bon, le portraitiste officiel.
00:54:53 Et donc, dans ma tête, cette opposition,
00:54:55 je pensais à l'opposition Alceste et Philinthe
00:54:59 dans le "Misanthrope".
00:55:00 Vous voyez, les deux personnages,
00:55:02 deux types, finalement, qui étaient opposés.
00:55:04 Donc, je fonctionnais beaucoup par couple.
00:55:10 Et il y a aussi des personnages,
00:55:11 alors qu'ils sont un peu plus jumeaux.
00:55:13 Par exemple, Cellini, l'aventurier,
00:55:16 et Strozzi, le condottier,
00:55:18 bon, deux incarnations d'une espèce d'idéal viril,
00:55:23 moitié voyou, moitié chevalier.
00:55:27 Bon, eux, leur langage est plus...
00:55:31 nécessairement plus proche.
00:55:34 D'autres questions ?
00:55:39 -C'est difficile de te parler pour ne pas révéler la fin.
00:55:44 -Attention, tout le monde est tendu, là.
00:55:47 On sera très vigilants là-dessus.
00:55:48 -J'aimerais juste ne pas parler de la fin,
00:55:52 mais il y a quand même une espèce de double enquête.
00:55:56 Il y a l'enquête sur la mort de Rondelmond,
00:56:01 et aussi cette enquête sur ce tableau.
00:56:04 Et donc, la marge...
00:56:06 ...
00:56:10 ...
00:56:14 -Oui, parce que finalement, elle est très centrale.
00:56:16 -Il y a une enquête sur le tableau,
00:56:20 sur le tableau Cupidon.
00:56:23 -Le tableau maquillé, d'ailleurs.
00:56:25 -En tout cas...
00:56:26 -Oui, en fait, il y a une enquête sur le tableau,
00:56:31 enfin, en tout cas, affichée.
00:56:34 -Oui, en fait, Vasari est confronté à une double enquête,
00:56:38 en quelque sorte.
00:56:39 Bon...
00:56:40 -A quel point les deux enquêtes sont liées ?
00:56:44 -Vous n'avez pas parlé, je voulais...
00:56:47 Oui.
00:56:48 Et l'autre aspect, c'est que j'ai ressenti, moi,
00:56:54 en le lisant, c'est que, bien sûr, il y a cette enquête policière,
00:56:58 mais c'est vrai, souvent, l'histoire de l'art,
00:57:02 c'est-à-dire des questions d'histoire de l'art
00:57:05 prennent le dessus,
00:57:07 mais ça...
00:57:08 ...
00:57:12 ...
00:57:13 L'attaque...
00:57:15 L'attaque...
00:57:16 Enfin, à un moment donné,
00:57:19 Vasari est confronté à des armes...
00:57:23 Enfin, à un combat,
00:57:26 et il a une vision de la perspective d'Alberti, etc.
00:57:30 Là, oui, il y a tout à coup...
00:57:33 Enfin, à plusieurs reprises,
00:57:36 en fait, l'histoire de l'art prend une grande place, quoi.
00:57:41 Brunelleschi, Alberti...
00:57:45 Enfin, vous nourrissez cette enquête
00:57:50 de...
00:57:51 ...
00:57:52 ...de tout un savoir...
00:57:56 ...
00:57:57 ...
00:57:59 de l'histoire de l'art de l'époque.
00:58:01 Et donc, évidemment, du coup, c'est...
00:58:05 ...
00:58:06 Oui, on...
00:58:07 ...
00:58:09 ...
00:58:10 Vous faites bien sentir la...
00:58:14 ...
00:58:15 Oui, cette période très problématique
00:58:18 où...
00:58:20 ...
00:58:21 ...
00:58:22 ...
00:58:23 ...
00:58:24 ...
00:58:26 ...
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