À la rencontre de Juan Romero, républicain espagnol déporté en 1941 à Mauthausen, Vidéo de France 24
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00:00 Le rendez-vous de Paris Direct avec toutes les rédactions de France 24.
00:03 Ce rendez-vous aujourd'hui c'est avec vous Stéphanie Trouillard.
00:05 Bonjour Stéphanie.
00:06 Bonjour Pony.
00:07 Bienvenue sur ce plateau.
00:08 Stéphanie, vous êtes une nouvelle fois partie sur les traces de la mémoire
00:11 à l'occasion cette fois-ci des 80 ans de la retirada.
00:14 Stéphanie, vous avez fait le portrait d'un ancien républicain espagnol,
00:18 un vieux monsieur qui va bientôt souffler, c'est sans bougie.
00:21 Oui, il s'appelle Juan Romero et il va avoir 100 ans à la fin du mois d'avril.
00:25 Donc je l'ai interviewé à l'occasion des 80 ans de la retirada.
00:28 Alors la retirada pour beaucoup ça ne veut pas dire grand-chose,
00:31 il faut revenir un petit peu en arrière.
00:32 Donc en 1936, c'est le début de la guerre civile en Espagne
00:36 entre les républicains et les nationalistes qui sont fidèles au général Franco.
00:40 Donc pendant trois ans ils s'opposent et finalement en janvier 1939,
00:43 la ville de Barcelone tombe aux mains des franquistes,
00:46 puis Madrid au mois de mars 1939 et finalement c'est la fin de la guerre d'Espagne.
00:51 C'était les 80 ans hier, le 1er avril 1939.
00:55 Et donc dans le même temps, il y a aussi 500 000 personnes qui doivent fuir l'Espagne,
00:59 qui doivent fuir les persécutions des franquistes
01:01 et donc ils traversent la frontière, ils traversent la frontière française.
01:04 C'est ce qu'on a appelé la retirada.
01:06 Donc il faut imaginer un demi-million de personnes qui traversent les Pyrénées dans le froid,
01:10 c'est l'hiver, à pied, c'est des soldats mais aussi des familles.
01:13 Et arrivés en France, les autorités françaises
01:17 n'ont pas vraiment mesuré cet afflux de réfugiés
01:20 et donc ils placent ces personnes finalement dans des camps de fortune,
01:23 beaucoup dans le sud de la France et là les conditions sont vraiment épouvantables.
01:27 Ce qui a été le plus marquant notamment, c'est le camp d'Argelès-sur-Mer
01:30 où des milliers de personnes se sont retrouvées sur la plage sans aucun abri.
01:33 – Oui, il y a eu des cérémonies d'ailleurs il y a quelques jours
01:37 et donc parmi ces 500 000 Espagnols qui arrivent en France, il y a Juan Romero.
01:42 – Oui, ça faisait déjà trois ans qu'il combattait aux côtés des Républicains,
01:46 il s'est engagé très jeune, à 17 ans et donc lui aussi a fait partie de ces retiradas.
01:51 Il est parti pour la France, il a franchi la frontière,
01:53 il s'est retrouvé dans un camp en Ariège et il m'a raconté
01:57 que les conditions étaient terribles, rien n'était prévu pour ces personnes,
02:00 les conditions d'hygiène étaient déplorables.
02:03 Et donc pour sortir de ce camp, pour lui il n'y avait qu'une solution,
02:05 c'était de s'engager dans la Légion française,
02:08 c'est ce qu'il a fait, la Légion étrangère,
02:10 et donc il a rejoint l'armée française et là, la seconde guerre mondiale a éclaté
02:14 et il a été fait prisonnier par les Allemands dans l'est de la France,
02:18 il a été envoyé en Allemagne mais comme il était espagnol,
02:21 il s'est finalement retrouvé dans un camp de concentration,
02:23 il s'est retrouvé à Mauthausen puisque Franco avait donné des ordres à Hitler,
02:27 il disait "ce sont des rouges, c'est républicains espagnols,
02:30 ce sont des communistes", en gros, donc vous ne les envoyez pas
02:33 dans des camps de prisonniers de guerre normaux
02:35 mais dans des camps de concentration et là Juan Romero a vécu l'enfer.
02:38 – Il s'est effectivement retrouvé dans le camp de Mauthausen,
02:42 un camp à la sinistre renommée, vous lui avez demandé
02:45 quel a été à ce moment-là son souvenir le plus marquant,
02:47 on va l'écouter tout de suite.
02:49 – Le souvenir, je me suis dit un jour, on était prêts avec les bras en capot,
02:55 on allait à la décédation, puis les portes du camp s'ouvrent,
03:00 il y a un groupe de juifs qui rentraient, les enfants, les gens de la salle,
03:07 ils les voient, moi, il y a passé une dame, une dame, des juifs,
03:10 et il m'a fait un sourire, la petite prêtre,
03:13 elle savait pas où elle allait la pauvre, elle s'est lancée en braquant,
03:17 il allait rien embrasser, mais si j'embrasse,
03:20 l'SS me réagit, je sors avec eux.
03:23 C'était le jour, je suis toujours dans la tête de la petite dame,
03:30 petite dame humile, et puis ça, et puis on faisait gamin,
03:35 les criminels, toute la famille des enfants, ils se sont brésillés.
03:39 Ça, ça m'a fait mal, pourtant ils me tuaient tous les jours les gars,
03:43 je sais pas la petite dame qui m'a fait sourire, la pauvre gamine,
03:47 c'était ignorant, je sais pas où elle allait,
03:51 je sais pas où elle allait,
03:53 elle est rentrée dans la chambre, là,
03:55 là, ils me sont mis des grâces, là, oh là là.
03:59 – L'émotion de Juan Romero, 80 ans après,
04:02 qu'est-ce qui lui est arrivé après le camp à Juan Romero ?
04:05 – Alors finalement, il a été libéré en mai 1945 par l'armée américaine,
04:09 et il a eu beaucoup de chance, parce qu'il faut savoir
04:11 qu'il y avait à peu près 7000 républicains espagnols
04:13 dans le camp Mataozan, et 2000 seulement ont survécu,
04:16 donc c'est un miracle qu'ils soient encore là aujourd'hui.
04:19 Et donc il a été envoyé dans un camp d'accueil en France,
04:21 puisqu'il ne pouvait pas repartir en Espagne,
04:23 le pays était toujours dirigé par Franco,
04:25 et donc il s'est retrouvé dans un camp à Ahi, c'est en Champagne,
04:28 et c'est là qu'il a trouvé du travail,
04:29 avec une vingtaine d'autres républicains espagnols,
04:31 et finalement ils se sont installés dans ce village où il vit toujours,
04:34 ils se sont mariés, ils ont eu des enfants,
04:36 et c'est devenu une petite communauté espagnole en Champagne.
04:39 D'ailleurs il vous raconte son amour pour le champagne.
04:41 D'un mot, pourquoi est-ce que cette histoire est extrêmement importante Stéphanie ?
04:44 C'est important de rappeler cette histoire,
04:46 parce que comme je le disais, finalement la retirada,
04:48 ça ne veut pas dire grand-chose pour grand monde aujourd'hui,
04:51 et c'est pourtant un épisode important de l'histoire de France,
04:53 c'est quand même un demi-million de personnes qui arrivent en France,
04:56 et beaucoup d'entre eux sont restés, se sont installés,
04:58 et il y a aujourd'hui encore beaucoup de descendants
05:00 de ces républicains espagnols.
05:01 Merci beaucoup Stéphanie, votre article et ce portrait très émouvant
05:05 de ce vieux monsieur à l'histoire incroyable,
05:07 vous pouvez le retrouver sur le site internet de France 24,
05:09 vous revenez quand vous voulez sur les traces de la mémoire dans Paris Direct.
05:12 Belle journée à vous.