Acromégalie : de l'intérêt d'un dépistage précoce

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C’est une maladie très largement méconnue dont le nom est d’ailleurs souvent peu évoqué : il s’agit de l’acromégalie. Due à une sécrétion excessive d’hormone de croissance, selon l’âge, cette maladie rare se manifeste par un effet de gigantisme sur différentes parties du corps ou des déformations au niveau du visage. Mais il faut savoir que ces symptômes apparaissent de façon lente et insidieuse. De fait, l’acromégalie est généralement diagnostiquée après 4 à 10 ans d’évolution ! Les explications de Maïté-Delphine DUBOIS, de l’association Acromégales, pas seulement et du Dr Delphine Drui, endocrinologue.
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00:10 C'est une maladie largement méconnue dont le nom est finalement peu évoqué, l'achromégalie.
00:14 Elle est due à une sécrétion excessive d'hormones de croissance et selon l'âge,
00:19 cette maladie rare se manifeste par un effet de gigantisme sur différentes parties du corps
00:23 ou des déformations au niveau du visage.
00:25 Alors ces symptômes apparaissant de façon lente et insidieuse,
00:29 il faut généralement 4 à 10 ans pour diagnostiquer la maladie.
00:32 Or une prise en charge précoce est possible, on en parle justement aujourd'hui
00:36 avec Maïté Delphine Dubois de l'association Achromégale Pas Seulement
00:40 ainsi qu'avec le docteur Delphine Drouy, endocrinologue.
00:42 Bonjour mesdames.
00:43 – Bonjour.
00:44 – Alors pour commencer docteur Drouy, j'évoquais à l'instant des symptômes,
00:47 est-ce que vous pourriez rentrer dans le détail ?
00:48 Est-ce qu'ils sont uniquement physiques ces symptômes ?
00:50 – Vous avez raison, cette maladie a plusieurs types de symptômes.
00:54 En fait l'achromégalie c'est un excès de sécrétion d'hormones de croissance
00:58 mais par une tumeur bénigne qui s'appelle un adénome dans l'hypophyse.
01:01 Et donc il y a deux types de symptômes,
01:04 il y a des symptômes liés à la sécrétion des hormones
01:06 et puis il y a des symptômes liés à l'adénome.
01:08 Donc pour revenir à la sécrétion des hormones,
01:11 l'hormone de croissance en excès va être responsable
01:13 d'un épaississement des os et des tissus mous.
01:16 Et donc il y a comme vous l'avez très bien dit des symptômes osseux
01:19 qui sont donc l'acro-extrémité mégaligrande,
01:22 donc un épaississement des mains, une modification de l'alliance,
01:25 un grandissement des pieds avec un changement de pointure
01:28 mais ça peut aussi être des atteintes plus diffuses des tissus mous
01:32 et donc vous avez des douleurs articulaires
01:34 mais vous avez aussi un épaississement de la peau avec des rides marqués,
01:38 vous avez une rossité de la voix, une diminution de l'audition
01:41 ou aussi des ronflements, voire de l'apnée du sommeil
01:44 mais ça peut aussi induire une augmentation du volume de la thyroïde,
01:47 ce qu'on appelle un gouâtre, ou des polypes au niveau des intestins
01:50 et donc c'est au-delà juste des symptômes physiques
01:53 qu'on peut voir aux extrémités ou au niveau du visage
01:56 puisque je ne l'ai pas dit, au niveau du visage
01:58 on peut avoir des pommettes plus saillantes, un menton qui avance,
02:01 des arcades sourcilières plus saillantes, un nez un peu plus élargi.
02:04 Et puis d'un autre côté, il y a les symptômes liés à l'adénome.
02:08 Donc l'adénome par sa localisation peut donner des maux de tête
02:12 même si l'hormone de croissance donne aussi des maux de tête
02:14 mais peut aussi donner des troubles visuels,
02:16 ce qu'on appelle une modification du champ visuel,
02:18 c'est-à-dire qu'on ne va pas très bien voir sur les côtés
02:21 et enfin ça peut donner des atteintes des autres hormones
02:24 puisqu'on y reviendra, l'hypophyse est le chef d'orchestre des glandes de l'organisme.
02:27 – Je le disais, c'est une maladie rare parce qu'elle ne touche
02:29 qu'une personne sur 15 000 à une personne sur 25 000, c'est très peu en fait.
02:35 – Oui, c'est extrêmement rare puisque la maladie rare
02:37 est définie comme un cas pour 2000 personnes,
02:39 donc on est vraiment dans la rareté de la rareté.
02:41 Donc l'achromégalie est un excès de production d'hormones de croissance
02:45 en lien avec une fumeur bénigne, et j'insiste,
02:48 un bénigne, un adénome de l'hypophyse.
02:51 L'hypophyse, c'est une glande qui fait la taille d'un petit poids
02:54 qui est située en dessous du cerveau, à proximité des voies visuelles,
02:59 et qui sécrète donc différentes hormones.
03:02 Aujourd'hui, il n'y a pas de cause identifiée claire à cette maladie.
03:08 – Et puis moi, ce qui m'intéressait de savoir aussi,
03:10 c'est que cette maladie finalement, elle survient,
03:12 je ne vais pas dire du jour au lendemain puisqu'on n'arrive pas à identifier la cause,
03:16 et est-ce qu'elle touche les enfants, les adultes de la même façon ?
03:20 – Vous avez raison, elle ne touche pas tout le monde de la même façon.
03:23 Le diagnostic est en général réalisé plutôt autour de 40 ans,
03:26 plus souvent chez la femme que chez l'homme.
03:28 Même si la maladie peut survenir à tout âge,
03:30 elle est vraiment rare chez la personne âgée,
03:33 et puis dans de rares cas, on l'a dit,
03:35 elle peut toucher l'enfant au moment de la croissance,
03:37 et donc ça va accélérer sa croissance,
03:39 et l'enfant va finir avec une taille bien supérieure aux autres membres de la famille,
03:43 et donc là, on parle d'achromégalogigantisme.
03:45 – D'où l'intérêt peut-être de prêter plus d'attention aux signes avant-coureurs.
03:50 Et alors justement, je me tourne vers vous,
03:52 pour les patients, on imagine qu'il y a un impact direct sur la vie quotidienne,
03:56 notamment sur le physique, mais également sur l'aspect psychologique ?
04:00 – Oui, déjà pour commencer, les symptômes qui amènent au diagnostic
04:04 ont déjà un impact sur le quotidien,
04:06 mais on peut aussi parler de l'errance diagnostique,
04:10 du diagnostic et ce qui suit le diagnostic.
04:12 Psychologiquement, ces trois phases qui sont extrêmement difficiles à vivre,
04:17 et ça a un impact aussi sur l'environnement familial, social, professionnel.
04:22 Le temps aussi du diagnostic qui est difficile,
04:24 parce qu'après un long moment d'attente, de souffrance,
04:29 de difficultés à expliquer aux autres, mais aussi à soi-même,
04:32 ces difficultés au quotidien, on se voit annoncer "tu meurs",
04:38 qu'on a tendance à appeler davantage aujourd'hui adénome,
04:41 qui a un impact peut-être un peu moindre au moment de l'annonce.
04:44 C'est rassurant parce que d'un côté on se dit "ah, mais donc je ne suis pas folle,
04:48 je ne suis pas dépressive, je n'imagine pas mes symptômes",
04:53 mais ça annonce aussi dans le même temps un parcours,
04:57 un parcours qui s'annonce long, difficile,
05:01 et d'autant plus difficile si on n'est pas soutenu et accompagné.
05:04 – Très bien, alors justement sur le soutien psychologique,
05:07 pour vous il est indispensable également ?
05:09 – Alors je pense qu'il est vraiment intéressant de l'évoquer avec le patient
05:13 et de lui faciliter l'accès à ce soutien psychologique.
05:16 – Voilà, et puis là on parlait aussi du fait que le diagnostic était finalement difficile à poser,
05:21 parce que je le disais en introduction, en fait les symptômes évoluent très lentement.
05:25 Quels sont les signes d'alerte qui doivent amener à se poser des questions ?
05:29 – Il y a les signes physiques dont on a parlé qui sont le changement de pointure,
05:33 ce n'est pas normal de changer de pointure à l'âge adulte,
05:36 une modification de la taille d'alliance, surtout si ça se répète,
05:40 ce n'est pas normal non plus.
05:41 Ça peut aussi être des modifications du visage qu'on voit finalement rétrospectivement
05:46 en reprenant des photos plus anciennes, et là les albums de famille peuvent aider.
05:50 Et parfois c'est des personnes qu'on ne voit pas souvent
05:52 qui peuvent être amenées à dire "ouh là là il y a un changement dans le visage"
05:56 mais ce n'est pas facile de dire ça à quelqu'un qu'on ne voit pas souvent,
05:58 même si ça peut aider justement à avancer dans cette maladie rare,
06:02 ce n'est pas des situations très faciles.
06:04 Mais je pense que ce qui est important c'est de ne pas s'arrêter seulement
06:08 à ces symptômes physiques et visibles qui semblent un peu évidents
06:12 dans le cadre du diagnostic d'achromégalie,
06:13 mais c'est aussi l'association de plusieurs symptômes,
06:16 surtout si ces symptômes augmentent en fréquence et en intensité dans la durée.
06:22 C'est-à-dire un patient qui dit "mais ça s'aggrave, mais c'est de plus en plus fréquent",
06:27 il ne faut pas se dire "non c'est rien", il faut se dire "à côté de quoi je suis passé ?"
06:31 et donc quand on associe plusieurs symptômes,
06:33 à ce moment-là il faut évoquer l'achromégalie
06:37 et j'ai l'habitude de dire qu'un symptôme d'apnée du sommeil
06:42 associé à une hypertension artérielle, associé à des modifications du visage,
06:47 ça doit faire évoquer l'achromégalie.
06:49 - Donc là on parlait finalement du diagnostic et une fois qu'il est posé,
06:53 on parle de la prise en charge,
06:55 est-ce que vous pourriez nous dire un petit mot justement de ce parcours de prise en charge ?
07:00 - Déjà si on en parle aujourd'hui, ce qui est important c'est de pouvoir le diagnostiquer
07:03 le plus précocement possible pour éviter d'avoir le maximum de séquelles
07:08 et donc c'est vraiment important de se diagnostiquer précoce
07:10 pour rentrer dans la phase de traitement.
07:12 La première chose c'est la chirurgie,
07:15 on peut espérer la guérison de la maladie grâce à un neurochirurgien
07:19 entraîné aux pathologies hypophysaires qui ira retirer cet adénôme par voie nasale
07:25 et donc si l'adénôme est petit, fait moins de 1 cm,
07:28 on peut espérer une guérison dans 8 à 10 cas sur 10.
07:31 Si l'adénôme est plus gros, on a l'habitude de dire que la guérison par la chirurgie
07:35 est plutôt pour 5 à 6 patients sur 10.
07:37 Bien sûr on comprend que cette chance de guérison va dépendre de la taille de l'adénôme
07:41 mais aussi de sa forme.
07:43 Si la chirurgie ne permet pas la guérison
07:46 et/ou si la chirurgie ne peut pas être réalisée pour différentes raisons,
07:50 à ce moment-là on a d'autres possibilités.
07:52 On a des traitements médicamenteux
07:54 et ces traitements médicamenteux, il y a ceux qui vont empêcher l'action de l'hormone de croissance
07:59 et puis il y a ceux qui vont réduire la production d'hormones de croissance
08:03 et enfin on a aussi la radiothérapie.
08:06 L'objectif vraiment de la prise en charge, il est double,
08:08 c'est d'arrêter la croissance de la tumeur
08:10 et d'arrêter la sécrétion d'hormones de croissance.
08:13 Donc pour cela, on a plusieurs outils thérapeutiques
08:17 et le choix du meilleur outil va être discuté de manière pluridisciplinaire.
08:21 On fonctionne vraiment en réseau pour les maladies rares
08:24 et en France, il y a un réseau pour les pathologies rares de l'hypophyse
08:29 et cette discussion collégiale multidisciplinaire permet de proposer aux patients
08:33 un parcours de soins et la décision va être partagée avec le patient.
08:39 – On passe aux questions de nos internautes
08:41 avec une première question qui concerne le diagnostic.
08:43 On y a déjà un petit peu répondu tout à l'heure
08:45 mais est-ce que le médecin généraliste peut soupçonner cette maladie rare ?
08:48 Est-ce qu'il a la connaissance suffisante
08:50 ou est-ce qu'on s'adresse directement à un spécialiste comme vous,
08:54 les endocrinologues par exemple ?
08:56 – Non, je pense vraiment que le généraliste, comme on le disait là,
08:59 a toute sa place en premier recours mais il va passer rapidement la main.
09:03 Il faut savoir, j'insiste sur cette organisation en réseau,
09:07 mais le Centre de référence des pathologies rares de l'hypophyse
09:11 a organisé un travail collégial pour qu'il y ait la publication fin 2021
09:17 sur le site de la Haute Autorité de Santé
09:19 de ce qu'on appelle un plan national de diagnostic et de soins pour la chromégalie
09:23 qui permet d'accompagner tous les professionnels de santé
09:26 qui vont être au contact d'un patient
09:27 pour qui on a une suspicion d'achromégalie ou un diagnostic d'achromégalie
09:30 de faire les meilleurs choix et le meilleur accompagnement
09:33 dans le parcours du patient.
09:34 Donc le médecin généraliste peut effectivement être le premier relais
09:38 pour ce diagnostic mais il faut aussi savoir que d'autres spécialistes,
09:44 du fait du retentissement de l'achromégalie,
09:47 peuvent être amenés à soupçonner ce diagnostic.
09:51 Et donc parfois c'est un autre spécialiste qui va adresser à l'endocrinologue
09:54 puisqu'effectivement la personne qui est le plus à même pour accompagner le patient
09:59 est le spécialiste des glandes et des hormones, c'est-à-dire l'endocrinologue,
10:02 mais ça peut être le cardiologue sur un cœur épaissi,
10:05 ça peut être le pneumologue sur un syndrome d'apnée du sommeil,
10:08 le rhumatologue sur des douleurs articulaires
10:10 qui vont amener à évoquer ce diagnostic.
10:15 – Si je peux rajouter quelques choses,
10:16 je voudrais juste dire qu'il y a certaines maladies
10:18 qui sont très très difficiles à objectiver
10:20 mais pour l'achromégalie il suffit d'une prise de sang.
10:24 Donc face à des symptômes, comme on l'a dit tout à l'heure,
10:27 le fait de ne pas savoir retirer son alliance,
10:30 d'avoir en même temps beaucoup de transpiration, un problème de thyroïde,
10:34 vous aurez compris que chaque patient est unique
10:37 et c'est la combinaison de plusieurs symptômes qui vont alerter.
10:40 En tout cas ça peut amener à ce fameux bilan qui ne coûte pas excessivement cher
10:45 mais qui peut sauver des vies.
10:47 – Voilà, donc quand on a plusieurs symptômes,
10:49 quand on a un doute, on se fait déjà épauler par son médecin traitant,
10:51 par son spécialiste et très vite finalement on peut demander une prise de sang
10:55 pour en avoir le cœur net.
10:56 – C'est ça.
10:57 – Super, alors une deuxième question aussi,
10:59 l'achromégalie peut-elle se transmettre ?
11:01 C'est-à-dire si je suis concernée, mes enfants seront-ils à risque ?
11:05 Autrement dit, l'achromégalie est-elle une maladie génétique ?
11:08 – Non, l'achromégalie n'est pas une maladie génétique,
11:11 elle n'est pas héréditaire.
11:12 Alors bien sûr, s'il y a des antécédents dans la famille d'adénomypophyseurs,
11:16 c'est d'autres personnes qui ont des tumeurs de l'hypophyse
11:19 ou d'autres maladies endocriniennes, il faut le signaler au médecin
11:23 mais l'endocrinologue pose systématiquement la question.
11:25 Et si on retrouve plusieurs histoires endocrinologiques dans la famille,
11:29 évidemment on poussera les explorations.
11:31 Pareil, si l'achromégalie survient tôt, avant l'âge de 30 ans,
11:35 on va systématiquement interroger la possibilité d'une cause génétique
11:38 mais celle-ci est extrêmement rare, autour de 5%.
11:41 La dernière situation qui doit faire évoquer la possibilité d'une cause génétique,
11:45 c'est la survenue dans l'enfance, le gigantisme.
11:48 Dans ce cas-là, c'est tout à fait différent.
11:50 Dans un cas sur deux, la cause de l'achromégalie est génétique,
11:53 le plus souvent liée à d'autres maladies et donc rassemblée sous un syndrome.
12:00 Et donc dans ce cas-là très spécifique de la pédiatrie,
12:02 il y a toujours un accompagnement génétique pour connaître la cause de la maladie.
12:06 Une troisième question pour terminer.
12:08 Alors, j'ai des doutes mais je ne me sens pas entendue par mon médecin,
12:11 qu'est-ce que je peux faire ?
12:12 Alors, en cas de doute, il est toujours préférable de pousser les explorations
12:18 et sachez que sur notre site internet, on a créé un petit quiz
12:22 qui ne remplace absolument pas une consultation médicale
12:25 mais qui permet en tout cas de poser les bonnes questions
12:28 et d'amener les bons sujets pendant la consultation avec son médecin.
12:32 Et il existe également un autre site qui s'appelle Orphanet
12:35 qui regroupe l'ensemble des informations de cette maladie rare qu'est l'achromégalie.
12:40 Super, merci beaucoup pour ces explications.
12:42 Merci à vous deux, mesdames, d'avoir été là avec nous
12:44 et puis merci à vous de nous avoir suivis.
12:46 Je vous dis à très bientôt pour de nouvelles expertises santé.
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