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00:00 6h30, 9h, les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:05 7h15, la question du jour sur France Culture avec vous, Marguerite Caton, bonjour.
00:09 Bonjour Quentin, bonjour à tous.
00:10 Et ce matin, Kiran a aiguisé votre curiosité.
00:13 Oui, depuis deux jours, Kiran fait la une des journaux, on discute prénoms, on parle photos.
00:19 On rappelle 1999, on évoque pour les plus pointus le rail des dépressions qui,
00:24 comme un chemin de fer mystérieux, conduit les tempêtes dans le ciel.
00:28 Que savons-nous vraiment de ces phénomènes ?
00:30 Comment avons-nous appris à les connaître, ces humblements ?
00:34 Une épistémologie des tempêtes que je vous propose ce matin, en compagnie de Nicolas Schoenenwald.
00:38 Bonjour. Bonjour.
00:40 Merci d'avoir bravé Kiran pour gagner ce studio.
00:42 Vous êtes professeur de géographie en classe préparatoire au lycée Corot de Savigny sur Orges,
00:47 chercheur associé au CEDET, le Centre d'études pour le développement des territoires
00:51 et l'environnement de l'Université d'Orléans.
00:53 Pouvez-vous nous définir, pour commencer en termes simples, ce qu'est une tempête ?
00:57 J'ai compris qu'il s'agit d'une forme d'organisation de la circulation de l'air,
01:02 mais quelle est cette forme particulière ?
01:04 Alors oui, c'est exactement ça.
01:06 La tempête, elle se définit d'abord par rapport au vent et à une vitesse de vent.
01:10 On parlera de tempête dès lors que des vents atteignent une certaine vitesse
01:14 et ce, quel que soit le phénomène météorologique concerné,
01:18 ça peut être du phénomène local comme la tornade
01:21 jusqu'au phénomène de type que nous avons actuellement,
01:24 donc une dépression extra-tropicale, qui sont d'échelles très différentes.
01:29 Maintenant, c'est vrai que quand on parle de tempête en général,
01:32 on parle de ces systèmes qui sont des cyclones extra-tropicaux
01:36 qui n'ont rien à voir avec les cyclones de la zone tropicale
01:40 qu'on appelle aussi parfois des ouragans,
01:42 et qui se forment en effet par la rencontre d'air froid et d'air chaud
01:49 et qui donnent en fait cette vitesse de vent remarquable.
01:56 A partir de 90 km/h, on peut parler de tempête.
02:00 Comme la plupart des tempêtes sous nos latitudes,
02:02 Kiran s'est formée au nord-est du Canada, vers Terre-Neuve, c'était lundi.
02:06 Elle a atteint les côtes du Finistère vers minuit,
02:08 elle poursuit sa route en ce moment vers l'est.
02:10 Qu'est-ce qui la pousse ? Qu'est-ce qui la fait avancer ?
02:13 Alors, elle se forme effectivement sur le rail des dépressions dont vous avez parlé.
02:18 - Ça me... - Dans votre introduction.
02:20 Donc ce rail de dépression, ça désigne le chenal en quelque sorte
02:25 dans lequel se produisent et circulent l'essentiel des dépressions extra-tropicales.
02:32 Et donc ce rail de dépression, il est à l'interface entre l'air froid polaire et l'air chaud tropical.
02:42 Et ce qui pousse, elle se forme au début du rail du côté de Terre-Neuve en effet,
02:49 parce que c'est à cet endroit que le contraste thermique est le plus fort entre l'air polaire et l'air tropical,
02:55 et propice à la formation du tourbillon qui va amorcer,
03:00 enfin l'amorce du tourbillon amorce la formation de la tempête elle-même.
03:05 Et ce qui pousse cette tempête vers l'ouest,
03:10 c'est tout simplement la circulation générale de l'atmosphère qui, aux latitudes tempérées,
03:15 est dominée par les vents d'ouest, par les "westerlies" comme on dit.
03:18 - Et est-ce que ça ne rencontre pas, on nous parle d'un courant d'altitude que rencontrerait la dépression ?
03:24 - Effectivement, le courant d'altitude est étroitement lié à la formation des tempêtes,
03:29 c'est-à-dire que des dépressions se forment quasiment quotidiennement sur ce rail des dépressions.
03:34 Toutes ne donneront pas forcément des tempêtes.
03:37 Pour qu'elles explosent en tempête, comme on dit,
03:40 il faut effectivement une interaction entre le tourbillon qui se forme en surface
03:44 et un tourbillon au niveau du courant de jette en altitude.
03:48 Et c'est ça qui va permettre vraiment le renforcement de la dépression,
03:52 au point qu'on va pouvoir parler de tempête avec une accélération des vents
03:56 consécutive à cette interaction entre circulation de surface et circulation d'altitude.
04:01 - Comment s'est-on rendu compte que les tempêtes se déplaçaient ?
04:04 J'imagine qu'il a fallu des moyens de communication relativement modernes.
04:08 Je crois que c'est le fameux urbain Le Verrier, le génie de la météo française, qui a fait cette découverte.
04:13 - Oui, il y est pour beaucoup, c'est vrai.
04:16 Le Verrier est nommé à la tête de l'Observatoire de Paris en 1854.
04:20 A cette époque, on est en pleine guerre de Crimée.
04:23 Et en novembre 1854, justement, une tempête ravage la marine française et britannique en mer de Crimée.
04:31 Et on entend se prémunir contre ce type de risque à l'avenir.
04:39 Le Verrier, à l'idée de prendre des informations avec ses collègues un peu partout en Europe,
04:48 et en réunissant ces informations, il se rend compte que des signes de bourrasques, de coups de vent,
04:55 il parle de coups de vent qui avaient éclaté un peu partout en Europe les heures et les jours qui ont précédé.
05:01 Donc il a cette idée que cette tempête n'est pas quelque chose qui éclate à un instant T, à un endroit précis,
05:09 mais bien un système qui se déplace d'ouest en est.
05:13 Et il a cette idée justement de créer un système météorologique international
05:20 pour mettre en relation les observatoires de différentes villes d'Europe.
05:25 Et grâce à ces données de pression et de vent qu'on lui envoie par télégraphe,
05:32 et de plus en plus précisément à mesure que le réseau se densifie et que le réseau télégraphique se densifie aussi,
05:39 on peut dessiner des cartes de champs de pression. Et ça c'est vraiment la grande nouveauté.
05:43 À l'heure actuelle, nos capteurs sont démultipliés, nos modèles affinés.
05:47 Est-ce qu'une tempête est un événement facile à prévoir pour le service de Météo France ?
05:51 De plus en plus facile. Là on voit que cette tempête que nous avons aujourd'hui, on en parle depuis plusieurs jours.
05:58 Et c'était déjà le cas avec Xintia en 2010, où je me souviens très bien que la vigilance rouge avait été annoncée plusieurs jours à l'avance.
06:07 Donc on sait de mieux en mieux le prévoir.
06:12 Par ailleurs, ce sont des tempêtes qu'on a vues se former au-dessus de l'Atlantique quand même pas mal de temps avant qu'elles atteignent les côtes françaises.
06:21 Alors qu'en 1999, non seulement on avait des modèles de prévision moins performants,
06:26 mais en plus l'explosion en tempête de la dépression s'est produite juste au moment où elle arrivait sur la Bretagne.
06:32 Je crois que nos voisins des services météorologiques insulaires, au Nîrlande et au Royaume-Uni, sont très performants.
06:39 Encore plus que la France pour la prévision de tempête ?
06:42 Oui, et ça a à faire justement avec la localisation géographique des îles britanniques qui sont en plein sur le rail des tempêtes.
06:49 Elles subissent des dépressions quasiment quotidiennement pendant la saison hivernale.
06:54 Plusieurs d'entre elles méritent le terme de tempête.
06:58 Et donc cette habitude au phénomène explique aussi leur plus grande culture du risque et leur souci de pouvoir prévoir l'événement.
07:08 Ce qu'il faut dire pour conclure Nicolas Schoenenwald, c'est que notre époque ne connaît pas tant plus de tempêtes qu'autrefois,
07:14 mais que nous y sommes peut-être plus vulnérables, nous, habitants majoritairement urbains de pays densément peuplés et densément boisés.
07:22 C'est ça les principaux facteurs de risque finalement ?
07:25 C'est vrai que notre rapport au risque a beaucoup changé.
07:30 On vit dans la société du risque où on veut que ce risque soit maîtrisé, qu'on puisse le prévoir, qu'on sache s'en prémunir,
07:39 qu'on puisse l'indemniser ensuite lorsqu'il donne lieu à des catastrophes.
07:42 Et c'est vrai que la vulnérabilité a aussi progressé parce qu'en devenant de plus en plus urbain,
07:48 on est aussi de plus en plus coupé des éléments et donc on est moins sensible à cela.
07:54 Même si je crois qu'en France, vraiment depuis la tempête de 1999, le traumatisme a été tel qu'il y a une culture du risque aujourd'hui beaucoup plus grande qu'elle ne l'était en 1999.
08:04 L'augmentation de la population, l'augmentation des constructions, vous avez dit l'augmentation du boisement, c'est vrai, la forêt française gagne du terrain.
08:13 Elle n'a jamais été aussi vaste depuis le 19e siècle.
08:17 Elle a gagné du terrain notamment à la suite de la déprise rurale.
08:21 Plus de forêts sont susceptibles d'être touchées, plus de maisons aussi.
08:26 Et le sol détrempé actuellement accroît encore la fragilité des arbres et leur risque de chute.
08:31 Merci Nicolas Schoenenwald d'être venu ce matin, géographe, professeur en classe préparatoire au lycée Savigny-sur-Orge.
08:36 Vous êtes aussi chercheur associé à l'université d'Orléans. Merci.
08:40 Merci Marguerite et merci à votre invité de nous avoir expliqué les choses.
08:43 Vous écoutez France Culture, il est 7h23.

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