Grand témoin : Laure Daussy, journaliste à Charlie Hebdo et autrice de « La réputation » (Les Échappés)
GRAND DÉBAT / Pénurie de médicaments : à qui la faute ?
« Le chrono de Blako » par Stéphane Blakowski
Selon les chiffres de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), plus de 3 700 ruptures ou risques de ruptures de médicaments ont été signalées en France en 2022, contre 700 en 2018 et moins de 200 en 2012. Les causes sont multiples : la guerre en Ukraine (pays phare de la production d'aluminium qui sert à emballer les médicaments), le monopole de certains laboratoires, des vagues de délocalisations qui compliquent l'importation et génèrent une dépendance vis-à-vis de certains pays producteurs, une explosion des prix, l'omniprésence des lobbys qui ne défendent pas toujours l'intérêt public... Cette situation de crise menace-t-elle la vie de certains patients qui ne pourraient plus se procurer leurs traitements ? Quelles solutions peuvent être mises en place pour combler les carences ? Faut-il réorganiser toute l'économie du médicament en France ?
Invités :
- Frédéric Bizard, professeur d'économie à l'ESCP et Président de l'Institut Santé
- Nathalie Coutinet, économiste de la santé en poste à l'université Sorbonne Paris Nord
- Bénédicte Bertholom, directrice générale de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO)
En Skype : Jean-François Rousset, député Renaissance de l'Aveyron
GRAND ENTRETIEN / Laure Daussy : les jeunes filles « sous surveillance » dans les quartiers
Shaïna n'avait que 15 ans lorsque son corps fut retrouvé brulé et poignardé dans un cabanon de Creil en 2019. Son meurtrier, un mineur d'à peine 17 ans, ne supportait pas l'idée qu'elle souhaite garder l'enfant dont il serait le père. Au coeur de cette ville de l'Oise, et plus précisément sur son plateau Rouher, l'émancipation et la liberté sexuelle des femmes est encore un sujet tabou. Dans son enquête « La Réputation », la journaliste Laure Daussy se plonge dans la fabrique des « filles faciles ». Ces jeunes femmes que l'on affuble de l'étiquette « pute » et sur qui, tout est permis. Au milieu de la désinformation, la pauvreté et le rigorisme religieux, la condition de la femme est encadrée par quelques groupes d'hommes aux idées arrêtées. Face à eux, la faiblesse des instances comme la justice ou l'école, semble laisser ces proies faciles à leur propre sort...
Grand témoin : Laure Daussy, journaliste à Charlie Hebdo et autrice de « La réputation » (Les Échappés)
LES AFFRANCHIS
- Bertrand Périer, avocat
- Mariette Darrigrand, sémiologue
« Action planète » : Léa Falco, membre du collectif « Pour un réveil écologique »
Ça vous regarde, votre rendez-vous quotidien qui prend le pouls de la société : un débat, animé par Myriam Encaoua, en prise directe avec l'actualité politique, parlementaire, sociale ou économique.
Un carrefour d'opinions où ministres, députés, élus locaux, experts et personnalités de la société civile f
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Shaïna n'avait que 15 ans lorsque son corps fut retrouvé brulé et poignardé dans un cabanon de Creil en 2019. Son meurtrier, un mineur d'à peine 17 ans, ne supportait pas l'idée qu'elle souhaite garder l'enfant dont il serait le père. Au coeur de cette ville de l'Oise, et plus précisément sur son plateau Rouher, l'émancipation et la liberté sexuelle des femmes est encore un sujet tabou. Dans son enquête « La Réputation », la journaliste Laure Daussy se plonge dans la fabrique des « filles faciles ». Ces jeunes femmes que l'on affuble de l'étiquette « pute » et sur qui, tout est permis. Au milieu de la désinformation, la pauvreté et le rigorisme religieux, la condition de la femme est encadrée par quelques groupes d'hommes aux idées arrêtées. Face à eux, la faiblesse des instances comme la justice ou l'école, semble laisser ces proies faciles à leur propre sort...
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00:00 ...
00:04 -Bonsoir et bienvenue.
00:07 Très heureuse de vous retrouver.
00:09 Dans "Ça vous regarde", ce soir, une enquête glaçante
00:12 sur la fabrique des filles dites faciles.
00:15 C'est la vôtre, Lordeau. Bonsoir.
00:17 -Bonsoir. -Merci d'être là.
00:18 La réputation et votre premier livre aux éditions les échappaient.
00:22 Vous êtes reporter à Charlie Hebdo et vous êtes retournée
00:25 à Creil, dans l'Oise,
00:27 là où Chahina, 15 ans, a été brûlée vive
00:30 par son ex-petite amie en 2019.
00:32 Vous avez rencontré ses amies, les autres filles du quartier.
00:35 Elles n'ont pas entendu parler du MeToo.
00:38 Vous nous direz pourquoi.
00:39 Elles vivent sous une forme de contrôle social important.
00:43 On en parlera toutes les deux dans la seconde partie.
00:46 Notre grand débat ce soir sur la pénurie de médicaments.
00:50 Antibiotiques, corticoïdes, anticancéreux,
00:53 les ruptures de stocks sont très préoccupantes.
00:56 L'hiver n'arrange rien.
00:57 Alors, qui est responsable ?
00:59 L'Etat, les labos, les pharmaciens,
01:01 tous les acteurs de la filière sont convoqués
01:04 par le ministre de la Santé la semaine prochaine.
01:07 On en débat dans un instant sur ce plateau.
01:09 Enfin, nous a franchis ce soir le billet d'humeur
01:12 de l'avocat Bertrand Perrier,
01:14 le mot de la semaine de notre sémiologue Mariette Darigand
01:17 et Action Planète, la chronique écolo du vendredi.
01:20 Voilà pour le menu. On y va, Lordeau, aussi.
01:23 Favo, Gave, c'est tout de suite.
01:25 Musique rythmée
01:27 ...
01:36 -Le phénomène est mondial et il n'épargne pas la France.
01:39 Alerte rouge sur la pénurie de médicaments dans notre pays.
01:43 Plus de 3 700 ruptures ou risques de rupture de stocks
01:47 ont été signalés en 2022 par les autorités sanitaires
01:50 et toutes les catégories de médicaments sont concernées.
01:53 Comment en est-on arrivés là et que peut-on faire dans l'urgence ?
01:58 Bonsoir, Bénédicte Bertollome.
02:00 Bienvenue sur ce plateau.
02:01 Vous êtes directrice générale de l'Union des syndicats
02:05 des pharmaciens d'Officines.
02:06 Ravie de vous retrouver sur ce plateau.
02:09 Professeure d'économie à l'ESCP
02:11 et présidente de l'Institut de santé.
02:14 Bonsoir, Nathalie Coutinet.
02:15 Ravie de vous retrouver, économiste de la santé
02:18 à l'université Sorbonne-Paris Nord.
02:20 Un député représentant la majorité
02:22 de la distance depuis sa circonscription de l'Aveyron.
02:25 Dans un instant, l'ordre dossier,
02:27 c'est un sujet qui nous concerne tous.
02:29 Peut-être que vous avez dans vos proches
02:32 des patients qui souffrent de cette pénurie.
02:34 N'hésitez pas à interroger nos invités.
02:37 On va commencer par planter le décor.
02:39 De quoi manque-t-on le plus ?
02:41 A qui la faute ? C'est dans le chrono de Blaco.
02:43 Bonsoir, mon cher Stéphane.
02:47 -Bonsoir, Myriam.
02:48 Bonsoir à toutes et tous.
02:50 -Alors, cette pénurie de médicaments.
02:52 On a beau être une émission d'actualité,
02:55 il faut bien reconnaître que la pénurie de médicaments,
02:58 c'est pas nouveau.
02:59 Ces dernières années, quand ça s'est produit,
03:01 on a tendance à priver ça à des circonstances exceptionnelles.
03:05 Il y a le Covid en 2020,
03:06 où on a découvert que l'Inde et la Chine
03:08 fabriquaient 80 % des produits actifs
03:11 et qu'on avait un problème de souveraineté.
03:13 Mais aussi, l'hiver dernier, c'est la triple épidémie,
03:16 bronchiolite, grippe et Covid,
03:18 qui fait que certains médicaments étaient extrêmement demandés
03:21 et on avait une rupture de stock.
03:23 Sauf qu'au-delà de ces circonstances,
03:25 il y a un vrai problème de fond,
03:27 c'est que la consommation mondiale de médicaments
03:30 a augmenté de quasiment 40 % ces 10 dernières années
03:33 parce que des pays en développement,
03:35 comme la Chine, l'Inde, en consomment de plus en plus
03:38 et donc ça pèse sur un marché mondial.
03:40 Résultat, ça a des conséquences sur ce qui se passe en France.
03:44 Regardez, en 2014, il y avait 91 médicaments
03:47 qui étaient en risque de rupture de stock.
03:49 L'an dernier, il y en avait...
03:51 Quasiment 20 fois plus.
03:53 Donc on voit qu'effectivement,
03:55 ce n'est pas un problème tout à fait récent.
03:57 Mais face à cette situation, on a déjà entendu des annonces,
04:01 notamment le président de la République,
04:03 c'était au moins en juin dernier,
04:05 il avait dit qu'il allait falloir relocaliser 50 médicaments
04:08 vraiment essentiels dans notre pays dans les prochaines années.
04:12 Mais comme les usines ne se construisent pas
04:14 d'un claquement de doigts, il faut continuer
04:17 de faire face aux pénuries.
04:19 Il a vraiment dressé une liste de 450 médicaments essentiels.
04:22 Le principe, c'est que les industriels doivent forcément
04:25 avoir 4 mois de stock de ces médicaments.
04:28 Donc là, on est à l'abri de la pénurie, normalement.
04:31 Le stock existe, mais il n'est pas super bien géré.
04:33 C'est pas moi qui dis ça,
04:35 c'est le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, qu'on écoute.
04:39 -On a 450 médicaments qui sont mis sous surveillance
04:41 par l'Agence nationale de sécurité du médicament.
04:44 En effet, globalement, on a du stock au niveau national.
04:48 Et après, certains de nos concitoyens ne trouvent pas.
04:51 Il y a certaines très grosses pharmacies
04:53 qui commandent direct aux industriels
04:55 et qui font du surstock, donc des petites pharmacies
04:58 qui n'arrivent pas à avoir.
05:00 -Il y a un problème. Le ministre va essayer de le résoudre
05:03 la semaine prochaine en réunissant l'ensemble des membres
05:06 de la filière pharmaceutique.
05:08 En attendant, le gouvernement a déjà pris des mesures.
05:11 Vous avez peut-être entendu parler, par exemple,
05:14 pour des médicaments en pénurie, on va les vendre à l'unité,
05:17 comme les pays hugosaxons,
05:19 pour ne pas stocker chez soi des médicaments
05:21 qu'on n'a pas utilisés.
05:23 Il y a des questions de prix aussi.
05:25 -L'amoxyciline. -J'en ai oublié une.
05:27 L'amoxyciline, l'antibiotique le plus vendu en France,
05:30 va connaître une augmentation de 10 %,
05:32 20 centimes par boîte,
05:34 pour inciter les industriels à en fabriquer plus.
05:37 Et là, on aborde un autre problème du sujet,
05:40 c'est qu'en ce moment, les industriels du médicament
05:43 préfèrent fabriquer des médicaments très innovants,
05:46 sans de gros frais de recherche,
05:48 car ils vont pouvoir les vendre très cher.
05:50 Ils mettent de côté les médicaments
05:52 dont le brevet est connu, mais tombé dans le domaine public,
05:56 sur lesquels on fait très peu de marge.
05:58 Je peux vous donner un exemple.
06:00 Le médicament le plus vendu en France, c'est le Doliprane.
06:03 C'est une chance de fabriquer ce médicament.
06:06 Sanofi préfère confier ça à une autre branche de l'entreprise
06:09 pour ne pas plomber ses marges.
06:11 Je ne pense pas pouvoir vous tirer des larmes
06:14 en évoquant les problèmes de Big Pharma,
06:16 de tous ces industriels du médicament.
06:19 Et pourtant, le patron de BioGarand,
06:21 une marque française de médicaments génériques bon marché,
06:24 sont diagnostiques.
06:25 -Alors que l'équation économique n'est plus au rendez-vous
06:29 pour 144 de nos produits,
06:30 144 médicaments BioGarand qui ne sont plus rentables,
06:34 nous avons décidé de les conserver
06:36 jusqu'à maintenant, de maintenir le dialogue
06:38 avec les pouvoirs publics, de continuer à les fabriquer
06:42 et de les conserver.
06:43 Bref, voilà, j'espère que vous avez un peu près saisi la situation.
06:47 Cela y est, ça fait trois ans que je fais des chroniques
06:50 sur des problèmes assez compliqués.
06:53 J'en ai rarement vu d'aussi complexes
06:55 que la pénurie du médicament. -Merci beaucoup, Stéphane.
06:58 On va revenir sur les causes profondes de ces pénuries.
07:01 On a compris qu'elles ne datent pas d'aujourd'hui.
07:04 Déjà, Bénédicte Bartholome,
07:06 qu'est-ce que vous répondez au ministre de la Santé,
07:09 Aurélien Rousseau, qui dit clairement
07:12 qu'il y a pas de pénurie au niveau national,
07:14 c'est ce qu'il dit, mais pour anticiper
07:17 les éventuels problèmes de rupture à venir,
07:19 peut-être le mois ou dans deux mois,
07:21 eh bien, les pharmaciens préfèrent garder les médicaments
07:25 dans leurs entrepôts, si j'ose dire.
07:27 -Les médicaments sont faits pour être dispensés aux patients.
07:31 Donc, si on a des médicaments,
07:33 on les dispense immédiatement aux patients.
07:35 Je pense que c'est voir les choses par le petit bout de la lorgnette
07:39 et que nous, on est dans un système qui dysfonctionne.
07:42 Aujourd'hui, les pharmaciens ont besoin de répondre
07:45 à la demande des patients.
07:46 Un patient qui va sortir de l'hôpital
07:48 et qui a besoin, pendant que le pharmacien est de garde,
07:52 de répondre à cette demande,
07:53 dans un système dysfonctionnant, il va stocker des médicaments.
07:57 Je pense pas que c'est la cause principale des ruptures.
08:01 -C'est une accusation, quoi, un peu injuste,
08:03 malhonnête, qu'il vous fait là ?
08:05 -Peut-être, mais je pense pas que ce soit la cause principale
08:09 des ruptures.
08:10 Il y a d'autres facteurs beaucoup plus concrets,
08:13 notamment au niveau des industriels,
08:15 qui doivent être identifiés.
08:16 Je pense aux stocks de médicaments.
08:19 Il y a des stocks de médicaments chez les laboratoires,
08:22 mais pas chez les pharmacies.
08:23 -C'est d'entrée de jeu qu'on a essayé d'inviter sur ce plateau
08:27 les industriels de la pharmacie.
08:29 De quels médicaments, concrètement,
08:31 les pharmaciens manquent le plus ?
08:33 On a l'impression que ça concerne tout,
08:35 du plus essentiel au plus...
08:37 Vous sortez d'une opération,
08:39 pour éviter des effets secondaires,
08:41 il peut manquer un médicament avec des conséquences graves,
08:44 si vous ne l'avez pas, avec des risques de décès.
08:47 On en est là, aujourd'hui ? -Bien sûr.
08:49 Aujourd'hui, le rapport du Sénat l'indique très clairement,
08:52 il y a 37 % des patients qui sont confrontés
08:55 à une pénurie d'approvisionnement en 2023.
08:57 Je pense que c'est assez dramatique.
09:00 Et puis, ça concerne, comme vous le dites,
09:03 tous les médicaments, que ce soit les médicaments psychotiques,
09:06 les antibiotiques, on en parle énormément,
09:09 mais pas uniquement les antibiotiques,
09:11 mais aussi les anticancéreux.
09:13 Ce qui est dommageable, aujourd'hui,
09:15 c'est qu'on a l'impression qu'il faut s'habituer
09:17 à vivre avec les ruptures, que c'est normal.
09:20 Il y a des ruptures, mais c'est pas une situation normale,
09:23 il faut trouver des solutions pour anticiper et prévenir.
09:26 J'anticipe peut-être, mais c'est les solutions qu'il faut trouver.
09:30 Ca doit rester des situations exceptionnelles.
09:33 -Frédérique Bizarre, les causes profondes.
09:35 Il y a du conjoncturel et du structurel.
09:37 Il y a la guerre en Ukraine,
09:39 il y a aussi toute une série de matériels
09:42 qui manquent avec cette guerre.
09:45 Il y a le structurel, c'est la délocalisation massive.
09:48 On est totalement dépendants, aujourd'hui,
09:51 des principes actifs qui sont fabriqués massivement
09:54 en Chine et en Inde ?
09:55 -Vous avez raison, il faut regarder les causes.
09:58 Il y a juste trois choses pour comprendre
10:00 que le politique ne veut pas regarder ces causes-là
10:03 et préfère essayer de trouver des solutions de surface,
10:07 mais qu'il y a des causes profondes.
10:08 On ne réglera pas le problème.
10:10 La première cause, c'était bien dit par votre collègue,
10:13 c'est qu'il y a un déséquilibre structurel
10:16 entre l'offre et la demande sur des produits matures.
10:19 Il y a une très forte hausse de la demande,
10:22 tout simplement, parce qu'on est dans l'accélération
10:25 de la transition démographique.
10:27 Prenez juste la France.
10:28 25 % de la population française a plus de 60 ans.
10:31 Ces 25 %-là consomment plus que tout le reste de la population.
10:35 25 % vont devenir 33 % dans 20 ans.
10:37 Si vous prenez les plus de 75 ans,
10:39 ils consomment en moyenne 3 unités par jour.
10:41 Cette population de 75 ans va doubler
10:43 dans les 20 ans qui viennent.
10:45 La hausse de la consommation de médicaments
10:47 était de l'ordre de 2 à 3 % jusqu'aux années 2010.
10:50 On est passé 3 à 4 %.
10:52 L'année dernière, on était à plus 9 % en volume.
10:54 -C'est pour la France, c'est pour l'Europe,
10:57 mais les pays qui fabriquent les principes actifs,
11:00 les Chinois consomment plus.
11:01 -En même temps, on a eu une réduction
11:04 de la base de la production pour les raisons évoquées.
11:06 Comme le modèle économique n'était pas rentable pour les big pharma,
11:10 ils ont délocalisé et externalisé à des sous-traitants,
11:13 mais avec un nombre de fabricants qui s'est considérablement réduit.
11:17 Ca, c'est une situation qui est là et qui va nécessiter un choc.
11:21 On reviendra sur les solutions plus tard.
11:23 C'est un phénomène mondial pour cette raison-là.
11:26 Si on ne fait pas de choc de réindustrialisation,
11:28 mais pas de la France,
11:30 on y reviendra.
11:31 Deuxièmement, il n'y a pas de choc
11:33 sur la disponibilité des médicaments,
11:35 qui est un problème en France.
11:37 On était les premiers derrière les Américains
11:39 il y a 20 ans en termes d'innovation.
11:42 On est aujourd'hui entre la 15e et la 20e place.
11:44 On a vraiment perdu beaucoup de compétitivité.
11:47 On était les premiers producteurs d'Europe il y a 15 ans.
11:50 On est les 5e. On s'est fait doubler par les Italiens,
11:53 les Anglais, les Suisses, les Irlandais.
11:55 On voit bien qu'il y a un problème de notre politique de médicaments
11:59 qui n'est pas suffisamment ambitieuse
12:01 pour créer un secteur suffisamment stratégique.
12:04 On a désinvesti dans la recherche,
12:06 puis on a désinvesti dans la production.
12:08 On a raté le virage des biotechnologies.
12:11 On est toujours massivement avec une production
12:13 de produits chimiques qui sont, au fur et à mesure
12:16 de l'évolution des technologies, de moins en moins stratégiques.
12:20 Bref, on a un problème qu'on ne veut pas voir.
12:22 Le dernier point, c'est qu'il y a un entrelacement
12:25 de la pénurie du médicament avec la crise systémique,
12:28 puisqu'il n'y a pas qu'une pénurie de produits de santé,
12:31 mais aussi de soignants à l'hôpital,
12:33 dans les EHPAD. On voit bien qu'on a une crise de la santé
12:36 qu'on ne veut pas voir. Je crois que tant qu'on ne voudra
12:39 pas regarder de façon un peu globale et structurelle,
12:42 et on va venir sur les problèmes,
12:44 il y a un problème d'organisation de l'Etat,
12:47 on a une supérétatisation, on a ultra-bureaucratisé
12:50 des agences régionales de santé qui sont des mammouths
12:53 bureaucratiques... -Vous nous faites
12:55 le tableau global. -Non, mais parce que tout ça...
12:58 -Toute la chaîne de la santé en France
13:00 est ancrée. -Il y a trois choses.
13:02 Il y a des choses spécifiques aux médicaments.
13:04 Donc, juste pour reprendre sur l'aspect systémique,
13:07 à partir du moment où il n'y a pas de vision long terme,
13:10 ce qu'il n'y a pas pour les hôpitaux,
13:13 pour les acteurs de santé, c'est encore plus grave
13:15 pour les industriels, parce qu'ils doivent
13:18 une certaine stabilité et une vision de long terme
13:21 sur la politique de santé en général,
13:23 ce qu'on ne fait pas, car on a une vision budgétaire
13:26 de court terme. Donc, on va parler
13:28 des solutions de court terme, comme avec le ministre,
13:31 mais je pense que tant qu'on ne pensera pas véritablement
13:34 à une refonte, et je vous dirai quelques idées là-dessus...
13:37 -Laquelle ? Dans un instant. -Laquelle, exactement.
13:40 -C'est vrai qu'en préparant l'émission,
13:42 on connaît ce problème de pénurie, mais on se rend compte
13:45 que nos labos, même si peut-être qu'on est moins performants
13:49 à l'échelle mondiale qu'il y a quelques années,
13:51 n'ont aucune usine de backup.
13:54 Sanofi, par exemple, n'a plus aucune usine de secours,
13:57 c'est-à-dire que la chaîne est à flux tendu en permanence.
14:00 Il suffit d'un grain de sable et on a un problème d'approvisionnement.
14:04 C'est ça, la situation ? -Bien sûr.
14:06 Les firmes pharmaceutiques, depuis une dizaine d'années,
14:09 à partir du moment où les pénuries commencent à croître,
14:12 on a des laboratoires pharmaceutiques
14:15 qui sont organisés comme n'importe quelle autre entreprise,
14:18 qui sont très financiarisées, peut-être plus financiarisées
14:21 que dans d'autres secteurs, car ce sont les grands fonds
14:24 qui détiennent ces firmes pharmaceutiques,
14:27 Pfizer, Sanofi, BlackRock, qui est bien connu en France...
14:30 -BlackRock, un énorme investisseur financier.
14:32 -Un énorme investisseur.
14:34 -Des milliards de chiffres d'affaires.
14:36 -L'objectif des firmes pharmaceutiques
14:38 de ces grands laboratoires,
14:40 c'est de satisfaire la rentabilité des actionnaires.
14:43 Pour ça, ils se sont, comme le disait votre collègue,
14:46 ils se sont tournés vers les produits les plus innovants
14:49 parce que les prix sont très élevés
14:51 et ils ont abandonné progressivement
14:54 ce qu'on appelle les médicaments matures,
14:56 les médicaments qui ont perdu le brevet.
14:58 -C'est ça, médicaments matures dont le brevet est tombé
15:01 dans le domaine public. -Ils peuvent être produits...
15:04 -Ils sont essentiels.
15:05 C'est pas parce qu'ils sont anciens qu'ils sont pas essentiels.
15:09 -Ils peuvent être anciens, mais ils peuvent être très importants.
15:13 Les industriels ont pas joué le jeu qu'avaient proposé,
15:16 mais c'est un peu dans tous les pays la même chose,
15:19 de bien rémunérer l'innovation,
15:21 les prix pour les médicaments innovants sont élevés,
15:24 et l'autre partie, c'était de baisser le prix des médicaments anciens
15:27 sur lesquels la rentabilité avait été plus que faite.
15:30 En réaction à ça, les laboratoires ont soit arrêté de produire,
15:34 soit externalisé, et on a, comme le disait Frédéric,
15:38 sur certains médicaments, très peu de producteurs,
15:41 peut-être un dans le monde.
15:43 -Il va y avoir des augmentations de prix
15:45 pour obliger justement les... -Est-ce très juste ?
15:48 -Les labos, l'industrie, à reproduire
15:50 certains médicaments, plus de 10 %,
15:52 notamment sur la moxicycline.
15:54 -Ce que disait le président de BioGarant,
15:56 c'est très intéressant, si on ne fait que des génériques,
15:59 effectivement, on n'est pas rentable,
16:02 parce que la rentabilité,
16:03 au moment où ces génériques avaient des brevets,
16:06 c'était les big pharma qui les produisaient.
16:08 Il y a eu aussi une injustice, puisque finalement,
16:11 en externalisant les médicaments anciens,
16:14 les producteurs de ces médicaments
16:16 ont des difficultés à être rentables.
16:18 Donc, on a toute une politique aussi,
16:20 parmi les choses qu'il faut revoir,
16:22 sans doute la façon de fixer les prix des médicaments.
16:25 -On va y venir.
16:26 Comment est fixé le prix des médicaments ?
16:29 On entend parler d'un pôle public du médicament.
16:31 Peut-être que l'Etat peut reprendre la main
16:34 sur tous les médicaments qu'on n'arrive plus à fabriquer
16:37 par les industriels dans notre pays.
16:39 Pour se figurer un peu les choses, on va revoir ce qui se passe
16:42 en image dans les pharmacies.
16:44 Un reportage de Baptiste Garguichartier
16:46 tourné dans plusieurs pharmacies, Paris, Marseille,
16:50 regardez.
16:51 -Comme un air de déjà-vu.
16:57 L'hiver dernier, certains antibiotiques manquaient
17:00 à l'appel et avaient connu des soucis d'approvisionnement.
17:03 Alors la France va-t-elle de nouveau subir
17:05 une pénurie équivalente à celle de l'an dernier ?
17:08 A en croire cette pharmacie située au coeur de Paris,
17:12 rupture de stocks d'antibiotiques qui traitent notamment
17:15 les infections, plus d'augmentins, quasiment plus d'amoxycylines.
17:19 -Effectivement, depuis plusieurs semaines,
17:22 voire plusieurs mois, on a des problèmes d'approvisionnement
17:25 sur les antibiotiques en général, amoxycyline, amoxycyl-acide
17:29 claviannique. On essaie de voir avec des confrères
17:31 si on peut être dépanné par nos confrères.
17:34 Sinon, on appelle le médecin pour un changement de prescription.
17:37 -Et à l'approche de l'hiver, les clients sont inquiets.
17:41 -Ce qui est mal guétant, c'est que c'est pas la 1re année,
17:44 on le sait, qu'on a entendu beaucoup de déclarations
17:47 et qu'il se passe rien.
17:48 -Ce n'existait pas de mon époque.
17:51 -C'est pas normal. On est quand même un grand pays,
17:54 donc on devrait avoir la capacité
17:57 de régénérer nos stocks.
18:01 -Dans le sud de la France, même constat
18:03 dans cette pharmacie marseillaise.
18:05 Plus une seule boîte d'antibiotiques
18:07 qui traite les infections.
18:09 -Le problème, c'est qu'il manque des médicaments
18:12 qui sont majeurs. On parle d'antibiotiques
18:14 pour les enfants.
18:16 -Comme cette dernière boîte d'amoxycyline
18:18 s'est procurée dans ce laboratoire marseillais,
18:21 spécialisé dans la fabrication de médicaments.
18:24 -Je vais placer les gélules au niveau du gélulier.
18:28 -Pour pallier les ruptures de stock, 50 préparateurs
18:31 sont à l'oeuvre et produisent sur demande
18:33 les traitements manquants dans ce laboratoire.
18:36 Depuis plus d'un an, la production a augmenté de 30 %.
18:41 -On le fait d'ailleurs pour tous nos confrères,
18:43 donc ça, c'est un point important.
18:45 Une quarantaine de pharmacies en France
18:48 sont spécialisées là-dedans et concentrent cette activité
18:51 et la distribuent sur le territoire.
18:53 -Cette année, les autorités de santé l'assurent,
18:56 les risques de rupture de stock seront plus ou moins fréquents
18:59 cet hiver, selon l'intensité des épidémies.
19:01 -Bonsoir, Jean-François Rousset.
19:03 Vous êtes à distance depuis la Véron,
19:06 votre circonscription, vous êtes député Renaissance,
19:09 merci d'être là.
19:10 En quelques mots, on voit quelques pistes
19:13 évoquées par le gouvernement,
19:15 qui convoquent toute la filière la semaine prochaine
19:18 au ministère de la Santé.
19:20 Pour vous, les premiers responsables
19:22 de ces pénuries de médicaments, ce sont les industriels ?
19:25 -Je pense que c'est plus compliqué que ça.
19:27 Dans l'ordre, il y a d'abord la prévention des infections.
19:31 Et si on sait utiliser des vaccinations,
19:33 comme les vaccinations contre la grippe, la Covid et la bronchiolite,
19:37 on peut se passer d'antibiotiques s'il n'y a pas de surenfection.
19:40 Après, le circuit du médicament est très compliqué.
19:44 Il y a probablement une analyse à faire,
19:46 et c'est ce que propose le ministre Aurélien Rousseau,
19:49 quand il veut mettre les gens autour de la table,
19:51 pour mettre les industriels, les répartiteurs,
19:54 les petites pharmacies.
19:56 C'est vrai que s'il y a un souci, il faut anticiper.
19:59 Ca fait plusieurs semaines, plusieurs mois
20:01 qu'on connaît ce problème.
20:03 -L'augmentation des prix, c'est une solution pour vous ?
20:06 On en est au chapitre des solutions sur le médicament
20:09 pour forcer les industriels à produire en France.
20:12 -L'augmentation...
20:13 Il faudrait arriver à relocaliser la production de médicaments en France.
20:17 C'est une volonté du président, mais pas sur un claquement de doigts.
20:20 Les incitations par l'augmentation du prix,
20:23 ça veut dire que les industriels auront intérêt
20:25 à vendre plus de médicaments, car ils les vendront plus cher.
20:29 Mais je pense que c'est pas la seule et unique solution.
20:32 -Qu'est-ce que vous préconisez, alors, d'un mot, M. le député ?
20:35 -D'abord, de mieux répartir et d'éviter les stocks inutiles.
20:40 Ensuite, encourager les Français à faire moins de stocks
20:43 dans leurs pharmacies propres,
20:45 parce que je suis sûr que la pénurie
20:47 chez les particuliers
20:50 n'est pas la même que celle des officines.
20:54 Ce que vous avez présenté, qui paraît une bonne piste,
20:57 c'est de permettre à des pharmacies, des laboratoires d'officines,
21:00 souvent adossés à des pharmacies des hôpitaux publics,
21:03 de fabriquer les molécules essentielles,
21:06 les antibiotiques, les antivireurs et les antipyrétiques.
21:09 C'est une bonne solution parmi d'autres.
21:12 -Merci beaucoup, M. le député Rousset.
21:15 Bénénique Bertolom, le gouvernement,
21:18 avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale,
21:21 a permis la vente à l'unité.
21:23 C'est un petit peu, pour prolonger la réflexion de ce député,
21:27 ça peut changer les choses ou là, c'est du cosmétique ?
21:30 -Clairement, nous, on est défavorables à cette solution.
21:33 On l'a dit à plusieurs reprises.
21:35 C'est une mauvaise réponse à une bonne question.
21:38 -Ca fait moins d'argent pour les pharmaciens ?
21:40 -Je ne pense pas que ce soit ça,
21:42 puisque ça serait rémunéré, mais la problématique,
21:45 c'est qu'il n'y a pas de sécurité
21:47 quand il y a une dispensation à l'unité.
21:49 Le pharmacien va découper une boîte,
21:51 donner un médicament dans un sachet en vrac,
21:54 mais comment il va faire s'il y a un retrait de l'eau ?
21:57 Il va devoir se rappeler qu'il a donné tel médicament
22:00 dans tel sachet à tel patient ?
22:01 En termes de faisabilité, si c'est un sirop en rupture,
22:05 comment va faire le pharmacien pour donner
22:07 un médicament à un enfant ? C'est pas faisable.
22:10 -Même dans l'urgence, on sait bien que relocaliser,
22:13 ça va prendre du temps. Ca semble du bon sens,
22:15 Nathalie Cotinet. La vente à l'unité,
22:17 c'est pas quelque chose qui peut pallier l'urgence ?
22:20 -Ca serait du bon sens si les industriels conditionnaient
22:23 pour vendre à l'unité. Mais comme les conditionnements
22:26 ne sont pas faits pour vendre à l'unité...
22:29 Dans les pays où il y a de la vente à l'unité,
22:31 les conditionnements des industriels
22:33 prévoient la vente à l'unité.
22:35 On voit pas très bien, d'abord, en général,
22:38 quand même, les boîtes correspondent peu ou prou
22:40 au traitement. On voit pas le pharmacien enlever
22:43 deux gélules de chaque plaquette pour constituer une autre boîte.
22:46 C'est un peu du bricolage et en aucun cas,
22:49 c'est de nature à résoudre le problème.
22:51 Et quand le député dit "les gens ont des médicaments chez eux",
22:55 je suis désolée. -Même le ministre a dit
22:57 "attention, on consomme plus de médicaments,
22:59 "les patients, les malades peuvent avoir beaucoup de médicaments".
23:03 -C'est parce que les gens sont de mauvaise volonté
23:06 et sont devenus des gros consommateurs.
23:08 Il y a des déterminants qui sont connus de longue date.
23:11 On aurait pu l'anticiper. Il n'y a aucune surprise
23:14 au fait qu'une population comme la France
23:16 consomme beaucoup plus de médicaments en 2023
23:19 qu'en 2013. -Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
23:21 -Qu'est-ce qu'on fait ? D'abord, on doit être très mauvais,
23:24 tous les universitaires ou autres,
23:26 parce qu'on a l'impression de parler à un mur.
23:29 On essaye d'expliquer qu'il y a quelque chose de structurel
23:32 et qu'on peut le garder sous le capot,
23:34 et en fait, il n'y a aucune volonté,
23:36 ou tout du moins, il n'y a que la volonté
23:38 de parier sur la volonté des acteurs et de dire
23:41 "toi, t'as pas été gentil, t'as surstocké ta machine".
23:44 On doit pas être assez clair, mais on évite le vrai problème.
23:47 Sur le moyen long terme, comment est-ce qu'on peut
23:50 réindustrialiser ? Les Américains l'ont fait.
23:53 Ils l'ont pas fait avec un pôle public,
23:55 mais ils l'ont fait pas avec un pôle lucratif,
23:58 avec un pôle d'un secteur non lucratif.
24:00 C'est-à-dire que la problématique,
24:02 c'est d'attirer des investisseurs.
24:04 Donc, pour ça, il faut être attractif
24:06 en matière de marché. -C'est ce qu'on commence à faire,
24:09 là, non ? Emmanuel Macron qui relocalise le Doliprane,
24:12 des usines sur une cinquantaine de médicaments.
24:15 -Ca n'intéresse pas la majorité des investisseurs.
24:18 Sur les 100 millions d'euros qu'a coûté l'usine dans le Rhône
24:21 pour relocaliser le Doliprane, il a fallu mettre,
24:24 on ne sait pas très bien, mais peut-être les 2/3 d'argent public.
24:28 -C'est un état finance. -Ca n'est pas attractif.
24:31 -Le modèle économique n'est pas attractif.
24:33 Il faut le rendre. Comment ? Ce qu'on fait, les Américains,
24:36 c'est que vous garantissez à des industriels un marché
24:39 sur un temps suffisamment long, 5 à 10 ans,
24:42 avec une rentabilité suffisante pour qu'ils puissent investir.
24:46 C'est une centaine de millions. -Quel marché ?
24:48 Les médicaments innovants, les anciens ?
24:50 -Les matures. -Les matures.
24:52 -Que l'on connaît. -On comprend bien.
24:54 -Les médicaments nouveaux, ils sont rentables.
24:57 -Est-ce qu'on peut redevenir attractif sur ce secteur-là ?
25:00 -Il y a plusieurs façons de faire,
25:02 mais il faudrait qu'il y ait un consortium à l'échelle de l'Europe.
25:06 La France ferait bien d'en prendre l'énergie,
25:08 comme avec Airbus,
25:10 parce que c'est trop long, la procédure,
25:12 à travers l'Union européenne,
25:14 ça prendrait trop de temps avec des désaccords.
25:16 Je pense qu'il faut créer ce marché-là
25:19 en le rendant attractif pour des médicaments matures,
25:22 que l'on sait, qui vont rester durablement en tension
25:25 ou en rupture, parce qu'on sait
25:27 qu'il y a ce déséquilibre entre l'offre et l'amende,
25:29 et on peut les identifier,
25:31 et recréer un pôle de production à partir d'un certain nombre de vecteurs.
25:35 On manque ni d'argent, ni de savoir-faire,
25:37 ni d'industriel. -Ca, ça serait compétitif
25:40 avec la Chine et l'Inde ?
25:41 -Bien sûr que c'est possible, à partir du moment
25:44 où vous rendez le marché attractif.
25:46 De toute façon, on est condamnés à le faire,
25:48 les Américains ont bien compris ça,
25:50 puisqu'ils l'ont fait à travers l'OTAN.
25:52 -Mais on relocalise aussi. -Si on relocalise...
25:55 D'abord, une fois qu'on a relocalisé,
25:57 qu'on a mis 100 millions dans une usine,
26:00 Sanofi s'est précipité pour, ce qui a été bien expliqué par Nathalie,
26:03 cette ultra-financiarisation qui ne fait que du profit
26:06 le guide de choix des lictes de sable.
26:08 -Ca ne sert à rien. -C'est leur façon de faire.
26:11 On a vu avec Sanofi qu'ils viennent se séparer
26:13 de son pôle santé grand public, dans lequel il y a le Doliprane.
26:17 Parce que c'est pas assez rentable, on le donne au marché financier
26:21 en disant qu'on va faire une introduction en bourse.
26:24 On pensait que ça serait rentable pour les marchés financiers
26:27 si c'était pas rentable pour les big pharma.
26:29 -C'est pas le même modèle économique.
26:31 -Même si les prix sont libres. -Je suis d'accord avec vous.
26:35 -Nathalie Coutinet, c'est vrai qu'il y a l'argent privé
26:38 des big pharma, comme on les appelle,
26:40 les industries pharmaceutiques, et puis l'argent public,
26:43 parce qu'il y a beaucoup d'aides publiques à la recherche
26:46 et à l'innovation dans le marché du médicament.
26:49 Est-ce qu'il faut conditionner ces aides publiques ?
26:52 On pense aux crédits d'impôt recherche.
26:54 Est-ce qu'il faut changer l'économie d'aides publiques
26:57 dans ce secteur-là ?
26:59 -Le problème, c'est qu'on parle en même temps
27:01 de deux sous-catégories de marchés de médicaments
27:04 qui ne sont pas les mêmes.
27:05 Il y a les médicaments innovants, dont la recherche
27:09 est largement subventionnée par les Etats,
27:12 quelle que soit la manière dont...
27:14 Que ce soit direct ou indirect,
27:16 mais ceux-là n'ont pas de problème de rentabilité,
27:19 puisqu'ils sont très chers.
27:20 On peut dire que les big pharmas font des profits
27:23 sur l'argent public, et en plus, le marché est rendu solvable
27:26 parce que les médicaments sont remboursés.
27:29 Il n'y a aucun problème.
27:30 Le problème qui se pose aujourd'hui, c'est les médicaments matures.
27:34 Ce sont des médicaments peu chers, anciens,
27:36 mais qui restent très efficaces.
27:38 Le problème de demande est encore plus important,
27:41 puisque les pays émergents,
27:43 ceux qui commencent et dont la consommation de médicaments
27:46 augmente, consomment justement ces médicaments matures
27:49 moins chers, car c'est souvent des pays en développement.
27:52 Comme disait Frédéric, le problème sur les médicaments matures,
27:55 on va l'avoir pendant des années.
27:57 L'année prochaine, on peut se revoir et vous direz
28:00 qu'il n'y a plus 3 700 médicaments rupturés,
28:03 mais 4 500, je sais pas.
28:04 -Avec les pertes de chance que ça a pris pour les malades.
28:08 -Et les pouvoirs publics qui ne prennent pas la mesure
28:11 du problème. Quand j'entends le ministre dire
28:13 que les patients ont des médicaments chez eux,
28:16 mais il y a des anticancéreux dans sa boite,
28:18 je peux pas dire n'importe quoi aux gens non plus,
28:21 je suis désolée. Donc, effectivement,
28:23 il faut que pour ces médicaments matures s'inspirer
28:26 du modèle américain dans lequel vous avez des hôpitaux,
28:29 parce que les prix étaient trop élevés sur les génériques
28:32 et qu'il y avait trop de ruptures, ils se sont organisés
28:35 pour faire produire pour eux-mêmes en étant les acheteurs,
28:39 et ça garantit... -Ils garantissent leur marché.
28:41 -Ils garantissent le marché.
28:43 Aujourd'hui, vous avez plus de 150 hôpitaux américains
28:46 qui s'approvisionnent pour un certain nombre de marchés
28:49 sur ce producteur qui est non-profit.
28:51 -Ca veut dire une guerre commerciale aussi.
28:54 -Aux frontières. -Les big pharma s'en fichent.
28:56 Elles veulent pas produire ça.
28:58 -C'est possible. -C'est une autre industrie.
29:01 Comme a dit Nathalie, vous avez deux industries.
29:03 -Sans barrière douanière à l'entrée.
29:06 -Les big pharma qui partent de la R&D
29:08 et qui ne produisent pas les produits innovants.
29:11 Vous avez l'industrie des produits matures,
29:13 qui sont des industriels purs et durs,
29:16 qui produisent en grande quantité.
29:17 -Il n'y a pas de recherche sur ces médicaments-là.
29:20 C'est pas le même modèle économique.
29:22 -L'ordre d'ossie, qu'est-ce que ça vous inspire ?
29:25 -J'écoute attentivement.
29:27 -C'est un big bang qui prendra énormément de temps.
29:30 -On se demande pourquoi il n'y a pas
29:32 une sorte de service public du médicament.
29:34 Vous l'avez déjà évoqué. Ca me fait penser aussi,
29:37 lorsqu'il y avait le Covid,
29:40 où la stratégie vaccinale avait été confiée
29:43 à des organismes privés comme McKinsey,
29:46 parce qu'il y avait un manque d'agents publics
29:49 pour pouvoir gérer ça.
29:50 On a l'impression que derrière tout ça,
29:53 il y a quand même...
29:54 On n'a pas suffisamment mis en place
29:57 des services publics pour faire ça.
29:59 Peut-être que l'argent aussi qui a été donné à McKinsey,
30:02 c'est un peu un pas de côté par rapport à notre débat,
30:05 mais aurait pu servir, peut-être.
30:07 Je lis ça dans une tribune qui était très intéressante.
30:11 On aurait pu servir pour relocaliser les médicaments.
30:14 -Après les pandémies, on s'est sentis
30:17 tous extrêmement démunis et ça a sauté aux yeux.
30:19 Les pharmaciens, qu'attendent-ils ?
30:22 On parle d'un pôle public du médicament.
30:24 Est-ce que ça, c'est une demande qui pourrait aider les pharmaciens
30:28 à garantir les stocks ?
30:30 -Ce qui pourrait aider les pharmaciens,
30:33 et la population, surtout, c'est renforcer la transparence.
30:36 Aujourd'hui, on attend de savoir où sont les médicaments.
30:40 Aujourd'hui, on est dans ce qu'a appelé le gouvernement
30:43 un triangle des Bermudes.
30:44 On ne peut pas agir si on ne sait pas où sont les médicaments.
30:48 On ne peut pas prévenir et anticiper ces ruptures.
30:51 -Vous voudriez avoir les moyens de fricher les stocks ?
30:54 Est-ce qu'ils sont dans les usines ?
30:56 -Où sont-ils ?
30:57 Ils ont été exportés par les grossistes répartiteurs ?
31:00 Il y a un outil qui s'appelle le "déperrupture"
31:03 qui existe depuis 10 ans, que le ministre a cité récemment.
31:07 Il est encore fort pour la chaîne de distribution des médicaments,
31:10 les laboratoires, les grossistes répartiteurs,
31:13 les officinaux et les hospitaliers.
31:15 Si nous savons où sont les ruptures, les médicaments, les stocks,
31:19 nous pourrons agir. L'Etat, l'ANSM pourra agir.
31:21 -D'accord avec ça ?
31:22 -C'est ce qu'a montré le rapport du Sénat,
31:25 qui a un excellent rapport sur cette question.
31:28 Il a montré qu'on était incapable de remonter
31:30 la chaîne de production d'un médicament.
31:33 Personne n'est capable de dire ce médicament
31:36 et personne ne sait qui l'a produit, quelles ont été les étapes.
31:39 Il y a un problème de transparence sur toute la chaîne de production
31:43 et sur toute la chaîne de financement des médicaments.
31:46 C'est un triangle des bermudes, c'est une belle expression.
31:49 -Un point là-dessus pour terminer ?
31:51 -Oui, le point commun de la crise systémique dont je parlais,
31:55 et ça vient d'être évoqué, proposé par l'Institut de santé,
31:58 c'est de créer un service public territorial de santé,
32:01 de généraliser les valeurs fondamentales
32:04 du service public, la continuité du service,
32:06 l'égalité d'accès et la mutabilité,
32:08 l'adaptation aux technologies.
32:10 Il faut intégrer, même si ce sont des acteurs privés,
32:13 dans une régulation de service public
32:15 à l'échelle de l'ensemble du portefeuille.
32:18 Deuxième chose, il faut partir des besoins,
32:20 de l'offre. Ce qui a été bien dit,
32:22 c'est qu'on est à l'aveugle, on ne connaît même pas nos besoins,
32:26 on n'essuie pas, on est capable de savoir
32:28 ce que l'on va consommer en 2024 par rapport à 2023.
32:31 C'est ça qui doit être le guide de la régulation.
32:34 Or, on demande aux laboratoires d'être leur propre guide
32:37 en disant "ayez deux mois de stock",
32:39 mais c'est pas aux laboratoires d'avoir la vision nationale
32:43 qui répondent aux besoins. -L'Etat doit piloter
32:45 une stratégie d'ensemble. Merci, c'était important.
32:48 Ce débat n'est pas simple, il ne va pas se régler
32:51 à quelle échelle nationale, on l'a bien compris.
32:54 Merci de vos éclairages. On s'arrête là.
32:56 Vous restez avec moi lors d'aussi dans une dizaine de minutes
33:00 où nous allons découvrir le maître-crit de nos affranchis.
33:03 Ce soir, vous allez découvrir Bertrand Perrier
33:05 dans une clé de l'écriture inclusive.
33:08 Tempête, c'est le mot de la semaine de Mariette Darigrand.
33:11 De quoi nous parlez-vous dans Action Planète ?
33:13 -On se demande comment un donut peut nous aider
33:16 à comprendre la transition écologique.
33:18 -Hâte de vous entendre, mais d'abord,
33:20 on va plonger dans la réputation.
33:22 Aux éditions, on va les échapper
33:24 lors de "Si, votre livre raconte ces jeunes filles"
33:27 dans la cité de Creil, dans l'Oise,
33:29 la ville où a été poignardée et brûlée vive Chahina.
33:32 Vous vous êtes retournée là-bas,
33:34 quatre ans après cette affaire terrifiante,
33:37 un véritable fait de société pour essayer de comprendre
33:40 comment elles vivent, ces jeunes filles,
33:42 et comment les garçons veulent les transformer
33:45 en filles dites faciles.
33:46 L'invitation est signée par Stéphanie Despierre.
33:49 On en parle toutes les deux.
33:56 -Si on vous invite lors d'"Aussi",
33:58 c'est pour parler de cette mauvaise réputation,
34:01 celle qui colle à la peau des filles dans certains quartiers
34:04 et qui peut être mortelle.
34:06 Journaliste à Charlie Hebdo, dans votre livre,
34:08 vous racontez l'histoire de Chahina,
34:10 une pétillante jeune fille de 15 ans,
34:13 poignardée, puis brûlée vive par son petit ami
34:15 car elle était enceinte.
34:17 C'était en 2019, dans une cité de Creil.
34:20 Son corps est retrouvé dans un cabanon de jardin.
34:23 -C'est inadmissible qu'on puisse faire ça à une jeune fille.
34:26 On doit se sentir libres et protégés.
34:29 -Deux ans avant sa mort,
34:30 Chahina avait porté plainte pour un viol collectif.
34:33 Depuis, elle était catégorisée "fille facile".
34:36 C'est ce qui a attiré son petit ami et futur meurtrier.
34:39 Lors d'"Aussi", vous n'allez pas sur le terrain judiciaire,
34:42 vous enquêtez sur la fabrique des filles faciles.
34:45 Vous décrivez le terrible contrôle social et religieux
34:48 qui s'exerce sur les jeunes filles du quartier du Plateau Rouert,
34:52 où vivait Chahina.
34:53 Ses amis vous racontent
34:55 comment les garçons imposent leurs interdits.
34:57 "C'est super triste à dire,
34:59 "mais c'est la même ambiance que si on vivait en Algérie.
35:02 "On ne doit pas trop montrer notre corps,
35:05 "pas s'habiller trop court."
35:07 Pour vous, c'est une brigade des mœurs qui ne dit pas son nom.
35:10 Et puis, il y a cette phrase effroyable d'un père de famille.
35:14 -Je préfère avoir mon fils en prison
35:16 qu'une fille qui soit une traînée.
35:18 -Votre livre est glaçant, mais nécessaire.
35:21 A votre grande surprise,
35:22 ces adolescentes n'ont jamais entendu parler de "me too".
35:25 Le phénomène, d'ailleurs, semble les avoir oubliés.
35:29 En 2002, déjà, une jeune fille, Sohan,
35:32 mourait brûlée vive à Vitry-sur-Seine,
35:35 sur fond de vengeance entre bandes.
35:37 Son meurtre avait bouleversé la France
35:40 et provoqué la création du mouvement féministe
35:42 "Ni pute, ni soumise".
35:44 C'était il y a 20 ans,
35:46 et on a l'impression que rien n'a changé.
35:48 Alors, nous avons une question, lors d'aussi.
35:51 Où sont les féministes dans ce combat
35:53 pour la liberté des filles dans les quartiers ?
35:55 -Réponse, lors d'aussi.
35:58 C'est une question qu'on me pose souvent.
36:00 En réalité, elles sont là, tout de même.
36:03 Pas toutes, mais une grande partie des féministes sont là.
36:06 Elles sont, pour beaucoup, sur le terrain, au quotidien.
36:09 -Il y a des familles, des associations de quartier
36:12 pour accompagner les jeunes filles ?
36:14 -Oui, il y a... Je consacre un chapitre aux associations.
36:18 Il y a un certain nombre de difficultés
36:20 pour beaucoup d'entre elles,
36:22 parce que manque de moyens,
36:23 parce que certaines associations sont influencées
36:26 par une forme de communautarisme,
36:28 où certaines militantes ne sont pas forcément bien formées
36:31 et vont reproduire ce stéréotype.
36:33 -Il n'y a pas un malaise chez certaines de féministes
36:36 qui ont dénoncé le sexisme ?
36:38 -Il y a celles qui sont dans le quartier
36:40 et qui essayent de faire des choses,
36:42 et dans d'autres quartiers,
36:44 au quotidien, dont on n'entend pas assez.
36:47 Il y a peut-être, dans le discours médiatique,
36:49 peut-être une gêne de la part de certaines féministes
36:55 que je déplore,
36:58 peut-être une volonté de ne pas stigmatiser,
37:01 de ne pas pointer en particulier certains quartiers.
37:07 Moi, à l'inverse, je dis que le plus stigmatisant,
37:10 ce serait d'abandonner ces adolescentes
37:12 à leur situation.
37:13 Je rappelle que les violences faites aux femmes
37:16 sont partout, dans tous les territoires,
37:18 c'est important de l'avoir en tête,
37:20 mais je ne m'interdis pas de pointer en particulier
37:23 le sexisme, que je dis, exacerbé, extrêmement violent,
37:26 que vivent ces adolescentes,
37:28 avec ce contrôle au quotidien, cette surveillance au quotidien,
37:32 qui n'est pas forcément le lot de tout le monde.
37:35 -Vous-même, vous avez d'abord fui le sujet,
37:38 trop sordide, écrivez-vous, trop révoltant.
37:41 Qu'est-ce qui vous a poussé, finalement,
37:44 à enquêter sur cette affaire Shahina
37:46 et à enquêter, d'une certaine manière,
37:48 sur toute une ville ? -Oui, c'est vrai
37:50 que j'ai d'abord eu ce mouvement de recul,
37:53 parce que c'est un féminicide, comme tous les féminicides,
37:56 mais qui est particulièrement atroce,
37:58 mais ensuite, je me suis dit, il faut s'en emparer,
38:02 il faut comprendre comment on en est arrivé là,
38:05 et j'ai d'abord travaillé sur ce sujet pour Charlie Hebdo,
38:08 et en allant à Creil, j'ai commencé à recueillir la parole
38:12 de certaines adolescentes qui me disaient avoir peur
38:15 ou le même sort que Shahina,
38:17 qu'elles me racontaient ce contrôle constant, quotidien,
38:20 de la part de certains petits groupes de garçons,
38:23 et je me suis dit, il y a là un sujet important,
38:25 et c'est comme ça que je me suis dit qu'il fallait en faire un livre.
38:29 -Alors, rembobinons.
38:30 Shahina, brune enjouée, aux longs cheveux bruns,
38:34 a été victime, à 13 ans, d'un viol collectif
38:37 qui a cruellement ovalu la réputation de fille impure,
38:40 mais elle n'a pas abdiqué,
38:41 elle a porté plainte, puis deux ans plus tard,
38:44 en 2019, elle a été poignardée et brûlée vive
38:47 par son ex-petite amie parce qu'elle serait tombée enceinte
38:50 et que la publicité de cette relation
38:53 menaçait d'entacher son honneur à lui.
38:56 Vous avez suivi, pour Charlie Hebdo, le procès,
38:59 vous racontez une partie de ce procès dans votre livre.
39:03 Ce qui frappe, c'est cette constante mauvaise réputation
39:07 qui ne cesse, d'une certaine manière,
39:09 de désigner Shahina à la vindicte et de l'exposer au danger.
39:13 -Oui, c'est vrai que cette notion de réputation
39:16 est extrêmement présente,
39:18 c'est une épée de Damoclès au-dessus de la tête
39:21 de toutes les filles que j'ai rencontrées,
39:23 et en effet, c'est un peu cette notion
39:26 qui est en partie responsable du meurtre de Shahina,
39:30 parce que cette histoire est terrifiante.
39:33 Dès le début, vous l'avez dit,
39:35 il a été agressé sexuellement à l'âge de 13 ans par des garçons
39:39 qui, ensuite, ont propagé dans toute la cité
39:42 l'anathème sexiste de "fille facile",
39:45 auquel je mets des guillemets.
39:47 -Et qui va survivre à sa mort, c'est ça qui est incroyable
39:51 et terrifiant.
39:53 Cette réputation de "fille facile" va lui survivre.
39:56 Il va y avoir d'ailleurs peu de personnes
39:58 qui participent à la marche blanche.
40:01 Vous avez rencontré des jeunes hommes à Creil
40:03 qui continuent à remettre en cause sa parole,
40:06 à minimiser le viol collectif qu'elle a subi.
40:08 -Les garçons lui disent qu'ils condamnent tous le meurtre,
40:12 heureusement, mais en effet,
40:14 quelques-uns disent
40:16 "oui, cette agression sexuelle, on n'est pas tout à fait sûrs,
40:20 "elle avait une réputation",
40:22 c'est souvent le mot qui revient comme ça,
40:25 et donc ils minimisent sa parole.
40:28 C'est vrai que Shahina, finalement, sa parole a été remise en cause
40:32 dans de nombreux aspects, à la fois par les habitants,
40:36 les garçons, et aussi, je développe,
40:38 par la justice et par différents acteurs judiciaires.
40:41 -Pour plusieurs institutions, judiciaires et policières.
40:45 -Voilà, absolument, et c'est vrai que c'est assez effrayant
40:48 de voir à quel point il y a un certain nombre de failles,
40:51 dès qu'elle vient auprès de la police pour témoigner,
40:56 la policière écrit "nous mentionnons que Shahina
40:59 "ne présente aucune émotion particulière",
41:02 ce qui est certainement le phénomène de sidération
41:05 qu'on peut ressentir après une agression sexuelle.
41:09 C'est assez surprenant que la policière écrive ça noir sur blanc
41:12 comme si ça sous-entendait que Shahina n'avait rien vécu.
41:16 Il y a aussi le médecin, une femme médecin,
41:18 qui ausculte Shahina le soir même de l'agression,
41:21 qui dit "Shahina se déshabille facilement
41:24 "et ne semble éprouver aucun affect de honte ni de culpabilité",
41:28 comme si elle devait en éprouver.
41:30 -Toute la société, finalement, qui ne veut pas l'entendre.
41:33 Comment vous avez fait pour rencontrer ces jeunes filles,
41:36 pour qu'elles vous parlent sans difficulté
41:39 de ce contrôle sexiste, misogyne qu'elles subissent ?
41:43 -Alors, j'en ai rencontré un certain nombre
41:47 lors d'une cérémonie d'hommage à Shahina,
41:51 où j'avais pris leur contact, je les ai recontactées,
41:54 et finalement, elles avaient plutôt envie de me parler.
41:57 C'est ça qui me donne un peu d'espoir,
42:00 c'est qu'elles ont envie que ça change,
42:03 et j'espère que ça pourra être le cas
42:05 en leur donnant la parole.
42:07 Elles avaient envie de dénoncer ce qu'elles subissent.
42:10 Beaucoup, malheureusement, leur seul échappatoire,
42:14 c'est de partir de Creil,
42:16 mais certaines sont obligées de rester,
42:18 ou me disent "Ma petite sœur est encore là,
42:20 "elle subit encore ça". -Quand elles vous disent
42:23 "Si tu montres tes formes, on va dire que tu l'as cherchée",
42:26 qui est ce "on" ?
42:28 Qui sont "eux" ?
42:31 On entend tout le temps.
42:33 -C'est une masse un peu informe. -Ils ne sont jamais nommés.
42:36 De qui parle-t-on ? Est-ce que c'est l'islam régoriste
42:39 qui pèse dans ces quartiers ?
42:40 Est-ce que ce sont les grands frères ?
42:43 De qui parle-t-on ? -C'est un peu multifactoriel.
42:45 J'intitule un chapitre "eux"
42:47 parce que j'avais l'impression que ces filles me parlaient
42:50 de ces garçons comme d'une masse informe,
42:53 un peu indéfinie, qui pesait au-dessus d'elles.
42:55 En réalité, c'est une minorité de garçons,
42:59 mais dont l'influence est assez importante.
43:02 Il y a d'autres garçons qui dénoncent ces attitudes-là
43:04 et qui veulent que ça évolue.
43:06 -C'est important de le dire. -C'est important.
43:09 Vous l'avez dit, oui, c'est multifactoriel.
43:12 Il y a en partie l'intégrisme religieux
43:14 qui joue un rôle.
43:15 Je raconte que je vais à la rencontre
43:18 de l'imam, un des imams de Creil,
43:20 à qui je rapporte certains témoignages d'adolescentes,
43:23 dont une qui, on a dit, dans la rue,
43:25 ne devait pas s'habiller en jupe.
43:27 Il me dit "je vous confirme que la jupe
43:29 "est un interdit religieux".
43:31 C'est son point de vue, son interprétation.
43:34 D'autres imams disent autre chose,
43:36 mais on peut supposer que s'il répercute ça
43:38 dans ses prêches, certains garçons se sont autorisés,
43:42 ensuite, à surveiller et à contrôler les adolescentes.
43:45 -Le tabou absolu, c'est qu'il faut rester vierge au mariage.
43:50 -Oui. -Elles le disent ?
43:51 -Absolument. Elles me le disent, pas tout de suite,
43:54 quand on est dans une relation de confiance.
43:57 C'est vraiment ça qui est attendu.
43:59 Je pense que ça, c'est assez méconnu,
44:01 mais c'est une des spécificités, un des terreaux le plus important
44:05 qui crée ensuite ce sexisme et ce risque de réputation.
44:08 Une mère de Fanny me disait "je sais très bien
44:10 "que quand un garçon touche une fille,
44:13 "c'en est terminé pour elle,
44:14 "tous les autres garçons pensent qu'elle va être d'accord,
44:18 "elle tombe immédiatement dans cette catégorie de fille facile".
44:21 C'était cette injonction, donc il faut avoir conscience,
44:25 et je pense aussi que les féministes
44:27 devraient davantage avoir conscience
44:29 pour déconstruire ces stéréotypes et ces injonctions.
44:32 -Comment expliquez-vous qu'elle n'ait pas entendu parler
44:35 de la vague MeToo ? Elles sont connectées,
44:38 sur les réseaux sociaux.
44:39 Comment est-ce possible que cette libération de la parole-là
44:43 ne soit pas allée jusqu'à elle ?
44:45 -Je ne me l'explique pas trop, mais je le constate,
44:48 et je l'ai découvert avec grande surprise.
44:51 Quand j'ai parlé à certaines de ces adolescentes,
44:54 certaines ne connaissaient pas MeToo.
44:56 Ca correspond à 14 % de la population,
44:58 c'est une étude due au Conseil à l'égalité,
45:00 donc c'est quand même un certain nombre de personnes.
45:03 Ca dit aussi quelque chose, je pense,
45:06 d'une fracture dans notre société,
45:08 où on a l'impression, en tant que journaliste,
45:10 ou dans, peut-être, beaucoup de politiques,
45:13 on a l'impression que tout le monde a entendu parler
45:16 du mouvement MeToo. En réalité, ce n'est pas le cas.
45:19 Donc ça doit toutes nous interpeller.
45:22 Et c'est vrai que, malgré le fait
45:24 que ce soit... Ces filles sont connectées,
45:26 mais il y a aussi les algorithmes qui font qu'on reste dans des bulles.
45:30 Il y a aussi un manque d'informations.
45:33 Une aussi me dit que s'il y avait un local
45:36 ouvertement féministe à Creil,
45:38 il pourrait être brûlé.
45:40 C'est peut-être pas le cas, mais en tout cas,
45:43 elle pense que ce serait le cas, donc ça dit aussi beaucoup
45:46 de la peur et de l'impossibilité de se dire féministe
45:49 dans ce quartier.
45:51 Voilà, donc c'est...
45:53 -Vous croyez à une forme de MeToo des quartiers ?
45:59 -Je l'espère.
46:00 -Comment le rendre possible ? Comment l'accompagner ?
46:03 Vous évoquez, pour terminer, peut-être l'école,
46:06 l'éducation affective et sexuelle.
46:09 Quelles sont les pistes pour rendre ces jeunes filles
46:13 plus confiantes dans leur avenir
46:15 et surtout les laisser libres, leur garantir cette liberté ?
46:18 -Déjà, oui, j'espère une sorte de MeToo des quartiers,
46:22 le mouvement MeToo, c'est le fait de prendre la parole,
46:25 d'être écoutée, c'est ce que font ces adolescentes
46:28 en me confiant leurs témoignages.
46:30 J'évoque parmi les pistes qui peuvent sembler,
46:32 mais qui sont surtout en amont,
46:34 c'est l'éducation affective et sexuelle
46:37 dans les établissements scolaires, une loi de 2001,
46:40 très mal appliquée, et j'ai pu assister
46:42 à une de ces séances, qui est à la fois glaçante
46:45 et passionnante, ça m'a montré combien c'était important,
46:48 à la fois pour contrer des ignorances
46:51 et des tabous absolus autour du consentement,
46:53 autour de la sexualité, et aussi pour une libération
46:56 de la parole, il y avait des petits groupes de filles
46:59 qui ont passé la séance entière et raconté les violences
47:03 qu'elles avaient subies. C'est nécessaire
47:05 de mettre en place... -En tout cas,
47:07 ce livre y contribue à cette libération de la parole.
47:10 L'ordre aussi, la réputation en quête sur la fabrique
47:13 "des filles faciles", c'est-à-dire aux éditions
47:16 les échappées. Vous restez avec moi,
47:19 les Affranchis, leur partie de prix.
47:21 On les accueille.
47:22 Bienvenue, les Affranchis du vendredi.
47:24 -Bonjour. -Maître Bertrand Perrier,
47:26 Mariette Darrigrand, notre sémiologue du vendredi.
47:29 Installez-vous. On va commencer, comme chaque vendredi,
47:32 avec Léa Falco, Action Planète.
47:34 Bonsoir, Léa. La chronique écolo du vendredi.
47:37 Vous nous la racontez autour d'une notion
47:40 qu'on répète sans cesse dans les médias,
47:42 la transition écologique.
47:44 -La fameuse, et c'est sans vouloir voler,
47:47 évidemment, le travail de Mariette.
47:49 Mais cette notion-là, elle interroge malgré tout.
47:51 Depuis qu'elle est entrée dans le champ médiatique,
47:54 politique, partisan, on en entend beaucoup parler,
47:57 mais sous un unique prisme, celui du climat.
48:00 Quand on réfléchit à ce qu'on associe
48:02 immédiatement, instinctivement, comme mot,
48:05 à la transition écologique, on pense éolienne,
48:07 centrale nucléaire, plus rarement sobriété ou décarbonation.
48:11 Bref, c'est une transition écologique
48:13 qui ressemble un peu à une transition énergétique.
48:16 Même s'il faut absolument parler de climat,
48:18 il faut pouvoir se détacher un peu de cet enjeu-là
48:21 pour regarder une photo qui est bien plus grande
48:24 que celle du simple climat. -Ca va au-delà ?
48:26 Il faudrait arrêter de parler de climat ?
48:29 -Il faut absolument continuer à parler de climat,
48:32 mais surtout à décarboner,
48:33 parce que ça fait partie de la transition écologique.
48:36 Mais elle ne s'y arrête pas.
48:38 Pour comprendre un peu mieux comment on pourrait envisager,
48:41 quelles grilles de lecture on pourrait adopter
48:44 pour montrer que c'est pas une simple continuité,
48:47 que c'est une rupture avec nos modes de vie,
48:49 on pourrait utiliser un donut.
48:51 Un donut, parce que c'est un modèle
48:53 qui a été utilisé par des chercheurs,
48:56 qu'on peut voir à l'écran,
48:57 avec au-dessus ce qu'on appelle des limites planétaires,
49:00 c'est-à-dire des limites que l'humanité ne devrait pas franchir
49:04 au risque de dérégler le système Terre.
49:07 On a le climat, évidemment,
49:08 mais il y a les questions de biodiversité,
49:11 les questions liées au sol, à la fertilité des sols,
49:14 aux cycles de l'eau douce,
49:15 et donc tout un tas de choses à faire attention,
49:18 d'autant plus que c'est des enjeux qui se répondent les uns les autres.
49:22 Le changement climatique entraîne une perte de biodiversité,
49:25 la perte va affecter la manière dont on fait l'agriculture, etc.
49:29 Et en plus, ce donut-là, il y a, évidemment, au milieu, un trou.
49:33 À l'intérieur de ce donut-là,
49:35 il y a le modèle d'une économiste britannique, Kate Rousseau,
49:38 qui s'appelle le modèle du donut.
49:41 On a donc cet espèce de socle de capacités humaines,
49:44 c'est-à-dire ceux dont on veut que les humains puissent bénéficier
49:47 dans un monde en transformation écologique.
49:50 Il y a la santé, il y a une alimentation,
49:52 il y a l'eau, qui va être un vrai enjeu en particulier en France.
49:56 Ce modèle-là du donut nous permet de voir quelque chose
49:59 qui est bien plus grand que la simple transition énergétique
50:03 dont on parle beaucoup.
50:04 C'est un modèle plus complexe,
50:06 qui rend plus difficiles les défis auxquels on a à faire face,
50:10 mais il faut avoir en tête toute la complexité de ces modèles-là
50:13 pour pouvoir avoir des réponses adéquates.
50:15 -Formidable. Bart Simpson va adorer
50:17 votre chronique écolo-donut.
50:19 -Il y a des vidéos de donuts qui nous attendent.
50:22 -Si on peut y arriver avec le donut...
50:24 -Si ça peut inciter les gens à être plus écolo.
50:27 -Il faudra revenir, Léa, pour nous montrer dans le détail
50:30 ce donut écologique.
50:33 On enchaîne avec vous.
50:34 Bertrand, vous vouliez revenir sur l'inauguration
50:37 de la République de la Cité internationale
50:40 de la langue française, au château de Villers-Cotterêts,
50:43 dans l'Aisne. -Oui, c'était lundi dernier.
50:45 Le président de la République a inauguré,
50:48 dans le château restauré de Villers-Cotterêts,
50:50 cette Cité internationale de la langue française.
50:53 C'est une quinzaine de salles, c'est très beau.
50:56 Il y a un parcours à la fois ludique et historique
50:59 qui permet d'appréhender la vitalité de la langue française,
51:02 dont le point d'or est une verrière lexicale
51:05 qui comprend des mots de la langue française,
51:07 mais des mots très divers,
51:09 des mots de langue aussi un peu canadienne ou africaine,
51:12 à 10 m du sol. C'est assez beau.
51:14 Evidemment, ça a duré trois ans de chantier,
51:17 ça a coûté plus de 200 millions d'euros de travaux,
51:20 mais le résultat est assez réussi.
51:22 Evidemment, le choix de Villers-Cotterêts
51:24 s'imposait, puisque c'est dans ce château
51:27 qu'en 1589, François Ier a signé
51:30 sa fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts,
51:33 qui prescrivait l'emploi du français
51:36 substitué au latin dans les actes, notamment juridiques,
51:39 pour que, simplement, les justiciables
51:41 puissent comprendre les décisions de justice.
51:44 -On a compris que cette inauguration
51:46 vous avait beaucoup plu.
51:47 Peut-être la phrase présidentielle qui a été beaucoup commentée,
51:51 un peu moins. À cette occasion, Emmanuel Macron
51:54 a évoqué l'écriture inclusive en disant que la langue française,
51:58 je cite, "le masculin fait le neutre",
52:00 et a ajouté des points au milieu des mots.
52:02 -C'est une façon assez étonnante d'aborder le débat
52:05 sur l'écriture inclusive, que je trouve à la fois biaisée
52:09 et caricaturale, parce que d'abord,
52:11 on a l'impression que pour le président de la République,
52:14 le débat sur l'écriture inclusive se cristallise et se résume
52:18 à un débat sur le point médian.
52:19 Or, le point médian est une des formes
52:23 de l'écriture inclusive.
52:24 Il y en a tant d'autres,
52:26 et tant d'autres utilisées par le président lui-même.
52:29 Il y a la féminisation des titres, préfète, greffière,
52:32 le langage épicène, les mots neutres,
52:34 le peuple français, et tant d'autres.
52:37 Par exemple, la double flexion,
52:38 c'est-à-dire quand on dit "française, français",
52:41 "citoyenne, citoyen".
52:43 Et même sur cette question du point médian,
52:45 je voudrais dire quelque chose, ça hystérise beaucoup les gens,
52:49 mais le point médian n'est pas destiné à être lu.
52:52 C'est une abréviation.
52:53 Quand on nous dit "le point médian défigure la langue",
52:57 il ne le défigure pas différemment
52:59 que quand on dit, à la place de "monsieur M.",
53:03 ou "madame MME".
53:04 C'est une abréviation.
53:06 Personne ne dirait "M. Macron",
53:08 personne ne dirait "MME Borne".
53:10 Et donc, de la même façon que quand on dit "citoyenne.ne.s",
53:16 ça n'a pas vocation à être lu ainsi.
53:18 Je trouve qu'en cristallisant le débat
53:21 sur le point médian, qui est le plus urtiquant,
53:24 le président de la République, Escamot,
53:27 a mis le débat sur l'écriture inclusive
53:29 dans sa globalité, et c'est dommage.
53:31 -Ce débat a rebondi au Sénat.
53:34 -Télescopage du calendrier, le jour même,
53:37 il y avait, à l'ordre du jour du Sénat,
53:39 une proposition de loi de sénateur LR
53:41 qui visait à interdire l'emploi de l'écriture inclusive
53:45 dans des actes privés.
53:46 Il y avait eu une circulaire d'Edouard Philippe
53:49 pour l'interdire dans les actes publiés,
53:52 mais là, un contrat de travail, une notice,
53:54 ne pourrait pas, sous peine de nullité,
53:57 vous imaginez, la nullité du contrat de travail,
53:59 s'il était écrit en écriture inclusive.
54:02 Il faudra encore que ça passe à l'Assemblée,
54:04 à le Conseil constitutionnel,
54:06 tout ça me paraît évanescent,
54:08 car je ne vois pas pourquoi une entreprise
54:10 ne pourrait pas utiliser l'écriture inclusive.
54:13 En somme, ce que je veux dire,
54:15 pour dédramatiser les choses,
54:17 c'est que personne n'est obligé d'utiliser l'écriture inclusive.
54:20 C'est toujours une faculté, c'est un choix,
54:23 et personne ne se verra imposer ce langage
54:26 s'il ne le veut pas.
54:27 C'est un usage que l'on choisit,
54:29 c'est un choix politique,
54:31 et que d'abord, ce qui doit être inclusif,
54:33 ce n'est pas la langue, c'est la société,
54:36 pour le bien de tous et de toutes.
54:38 -Merci, maître. Convaincu par la plaidoirie ?
54:41 -J'ai été convaincue, je suis ravie d'entendre votre plaidoirie,
54:44 car il y a souvent des cris d'orfraie autour de l'écriture inclusive,
54:48 et souvent parce qu'on ne la connaît pas.
54:51 J'ai raison de dire, et j'essaie dans mes articles
54:54 d'utiliser l'écriture inclusive sans qu'on s'en aperçoive,
54:57 c'est pas avec des points détirés.
54:59 Je dis "les infirmiers et les infirmières",
55:02 car ça me semble violent de dire "les infirmiers",
55:04 qui engloberaient les infirmières,
55:07 car à 90 %, ce sont des femmes.
55:09 -L'erronière du sort, c'est que le président l'utilise,
55:12 "bonsoir à toutes et toutes", en permanence.
55:14 -Il est fait comme M. Jourdain, en réalité,
55:17 mais dès qu'on en vient au symbole du point médian,
55:20 là, il réduit, je trouve, le débat de façon regrettable.
55:23 -On verra ce qu'en pensent ceux qui nous regardent.
55:26 Je suis sûre que vous avez une idée,
55:28 mais vous n'aurez pas forcément le temps.
55:31 On fait d'abord la chronique,
55:32 on entendra Mariette sur l'écriture inclusive.
55:35 Vous parliez de "tempête".
55:37 -Oui, le mot s'imposait pour des raisons climatiques,
55:40 mais c'est intéressant de voir dans quelle mesure
55:43 il est aussi, par analogie, très politique, ce mot.
55:46 Il est simple à comprendre.
55:48 Bertrand, bien sûr, nos mots remontent beaucoup au latin,
55:51 c'est notre source, donc le "tempus".
55:53 La chose, c'est que nous, en français, le temps,
55:56 c'est pas comme en anglais, où on a "time" et "weather",
55:59 où on fait la différence entre la météo et l'horloge.
56:02 "Tempête" a voulu dire au départ aussi bien un moment
56:05 qu'un phénomène climatique, c'est tout à fait intéressant.
56:08 Elle n'était pas forcément cette tempête dangereuse.
56:12 On pouvait dire "je pars en tempête calme",
56:14 par exemple, quand on traversait...
56:16 Elle est dangereuse, en fait, dans les écrits,
56:19 que quand elle devient très sonore.
56:21 Une tempête, c'est d'abord un vacarme, un tumulte,
56:24 c'est ça, les synonymes de tempête.
56:26 On s'en est bien aperçus.
56:28 -Aujourd'hui, on a plutôt le sens figuré,
56:30 on parle souvent de tempête médiatique ou politique.
56:33 -Exactement, mais ce sens-là, qui va très vite
56:36 du climatique au politique, on l'a dès le Moyen Âge.
56:39 On pouvait dire "mettre tel seigneur dans la tourmente",
56:42 c'était déjà là, parce qu'en fait, il y a en substrat,
56:45 il y a une image très forte de notre vision du politique
56:48 en Occident, qui est la cité en voyage,
56:50 dans des conditions plus ou moins difficiles,
56:53 entre Caribe et Sylla. C'est ça, "gouverner".
56:56 Ca vient du mot "gouvernail", il ne faut pas l'oublier.
56:59 Cette grande image nautique,
57:01 tous nos politiques, à un moment ou un autre, l'emploient.
57:04 J'ai regardé Charles de Gaulle, son appel du 18 juin,
57:07 il n'y fait pas référence, il n'a pas besoin,
57:10 parce qu'il est un chef militaire, mais en juillet 45,
57:13 un chef politique, il réfère à cette tempête.
57:15 Il emploie déjà le mot "transition".
57:17 En 45, il dit qu'il faut qu'on fasse la transition,
57:20 parce que la tempête, c'est-à-dire la guerre et Vichy,
57:23 ont mis à mal nos institutions. Il a déjà cette métaphore.
57:27 -Cette figure du président sauveur,
57:30 capitaine à la barre d'un navire en pleine tempête
57:33 est un peu grandiloquente, non ?
57:35 -Oui, elle est très théâtrale, très grandiloquente.
57:38 Il n'est pas sûr qu'elle fonctionne.
57:40 Elle n'a pas marché pour Nicolas Sarkozy en 2017.
57:43 On peut s'en moquer, au théâtre, Shakespeare,
57:45 "the tempest", il le dit en français, en roman,
57:48 alors qu'en anglais, le mot, c'est "storm".
57:50 Ca, c'est pour la guerre, vous vous souvenez,
57:53 parce que c'est revenu dans le débat cette semaine.
57:56 La campagne militaire en Irak en 91,
57:58 des Américains, c'est la tempête du désert, "desert storm".
58:01 Ca, c'est beaucoup plus violent,
58:03 c'est ce que nous avons avec ces tempêtes guerrières.
58:06 Alors, je reviens au thème de mon camarade.
58:09 Ils rient.
58:10 Il me semble que cette écriture inclusive,
58:13 effectivement, elle produit...
58:14 C'est une chose que nous adorons en France,
58:17 et je dirais, c'est la tempête dans un verre d'eau.
58:20 -Magnifique.
58:21 -C'est quand même pas extrêmement grave,
58:23 mais on est capables, et la phrase du président
58:26 a déclenché, non pas une polémique, cette semaine, justement,
58:30 parce que nous sommes entourés de vraies tempêtes,
58:33 mais quelque chose, quand même,
58:34 on aime bien un peu s'engueuler autour de ce genre de trucs.
58:38 Mais ce qui m'intéresse, là-dedans,
58:40 c'est l'expression "tempête dans un verre d'eau",
58:43 parce qu'elle semble moderne, un peu argotique,
58:45 mais en réalité, il semble qu'elle ait été créée par Cicéron.
58:49 Alors, je vous la donne en latin, cher maître.
58:51 "Fluctus in simpulo", c'est-à-dire un flot qui déborde,
58:55 mais dans un tout petit vase.
58:56 Cicéron l'employait pour dire qu'il y a les grandes tempêtes
59:00 qui mettent à mal le monde, et les petites tempêtes
59:02 qui nous amusent, qui nous occupent, par vitesse de croisière.
59:06 -Tel talent, Mariette. Merci beaucoup.
59:08 C'est pas mal d'avoir des petites tempêtes.
59:11 Pour l'instant, on est préservés.
59:13 On en a une, ces vraies météos,
59:14 mais d'ailleurs, dans le monde, elles sont très fortes.
59:17 Merci, les Affranchis, pour vos parties prises,
59:20 merci, Léa Falco. Lisez "La Réputation"
59:22 aux éditions Les Échappées, premier livre.
59:25 Il y en aura sans doute d'autres, "L'or d'Ossie".
59:28 C'est le week-end. Profitez bien.
59:29 Merci à toutes les équipes de "Ça vous regarde derrière la caméra"
59:33 qui m'accompagnent fidèlement dans cette émission.
59:36 A la semaine prochaine. Belle soirée sur LCP.
59:38 ...
59:51 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]