• il y a 2 ans
Les attaques perpétrées par le Hamas en Israël le 7 octobre ont été les premières d'une telle ampleur menées sur le territoire israélien. Elles ont causé la mort de 1400 civils et militaires israéliens, et la prise de plus de 200 otages par le Hamas. Il s'agit d'un choc sans précédent en Israël qui ravive la mémoire de la Shoah et des persécutions subies par les Juifs dans le passé.

Ces attentats ont frappé une société civile israélienne déjà profondément divisée sur la question de la conception de l'État d'Israël et marquée depuis un an par d'importantes manifestations dénonçant les dérives autoritaires du gouvernement de Benjamin Netanyahou, une coalition de partis de droite et d’extrême droite.

Où se situe aujourd'hui la société israélienne par rapport à son gouvernement ? Quelles sont les lignes de fracture après le choc de ces attentats ? N'y a-t-il jamais eu un choc comparable depuis la création de l'Etat d'Israël ? La cohabitation entre Arabes et Juifs est-elle encore possible en Israël et en Cisjordanie ? Comment envisager une solution politique au conflit ?

Autant de questions auxquelles Michel Taubmann, journaliste franco-israélien et collaborateur d'i24news, tente de répondre dans ce podcast.

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Transcription
00:00 Bonjour, mon invité aujourd'hui est Michel Tomman, journaliste franco-israélien. Vous
00:12 travaillez à Politique Internationale, pour lequel vous venez de préparer un gros dossier.
00:16 Oui, je viens de préparer un dossier sur la crise politique en Israël, qui est paru dans le numéro
00:21 d'automne de la revue Politique Internationale. Il a été bouclé juste avant le déclenchement
00:26 de la guerre, mais je crois que c'est un dossier avec un article de moi, des idées que j'ai faites
00:31 de différentes personnalités israéliennes et aussi d'autres articles. C'est un dossier qui
00:35 permet d'éclairer le contexte dans lequel cette guerre a été déclenchée et les événements actuels.
00:41 Et vous êtes également collaborateur d'une chaîne israélienne.
00:44 I24 News.
00:46 Oui, d'accord. Première question, Michel Tomman, où en est selon vous la société israélienne après
00:54 ces attaques, ces attentats du 7 octobre ? Est-ce qu'elle est unie ? Est-ce qu'elle est divisée ?
01:00 Quelles sont les lignes de fracture ou les lignes d'unité après le choc immense qu'ont créé ces
01:05 attaques ?
01:06 D'abord, je voudrais revenir sur un mot, le mot "résistant", le mot "résistance". Zipi Livni,
01:13 qui était ministre des Affaires étrangères du gouvernement israélien il y a quelques années,
01:17 avait dit à propos de l'abus du mot "terroriste" très souvent en Israël, elle avait dit "un
01:24 Palestinien qui attaque un soldat israélien à l'intérieur des territoires occupés, c'est un
01:30 combattant, voire un résistant. Un Palestinien qui s'attaque à des civils désarmés, c'est un
01:37 terroriste". Et donc, les actes qui ont été commis par le Hamas le 7 octobre dernier, ce sont des
01:45 actes de terrorisme particulièrement barbares, décapiter des enfants, enlever des vieillards,
01:52 des malades, mais surtout c'est un acte qui a été commis à l'intérieur du territoire israélien,
02:00 à l'intérieur des frontières légalement reconnues par la communauté internationale. Donc, ce n'est
02:06 pas dans les territoires occupés, c'est à l'intérieur d'Israël. Et pour la société
02:10 israélienne, outre les atrocités, le caractère traumatisant des atrocités, c'est une forme de
02:15 violation du sanctuaire israélien. C'est la première fois depuis 1948 que des Israéliens
02:23 sont massivement massacrés, pas des soldats, des civils, et que le territoire d'Israël est
02:31 profané, non pas par une armée étrangère, une armée d'un État étranger, mais par une armée
02:39 islamiste, terroriste. Et donc, le traumatisme est extrêmement profond, car c'est la vocation
02:45 même de l'État d'Israël, c'est-à-dire être l'État-refuge pour les Juifs du monde entier,
02:50 et qui protège les Juifs des persécutions dont ils ont été victimes, dont nous avons été victimes
02:56 tout au long de notre histoire. C'est ça qui a été touché au plus profond. Alors, quand on dit
03:01 c'est un pogrom, c'est une série de pogroms, quand on dit cela rappelle la Shoah, ça veut dire
03:08 que cet événement, c'est un événement qui réinscrit Israël dans la tragédie historique
03:12 du peuple juif, et dans une histoire de persécution, et qui donc cause un traumatisme extrêmement
03:18 profond, car il rappelle aux Israéliens qu'avant d'être des Israéliens, c'est-à-dire dans cette
03:24 puissance de ce pays qui était devenu la première puissance, et qui est toujours la première
03:28 puissance militaire du Proche-Orient, une grande puissance économique, avant d'être des Israéliens,
03:33 leurs ancêtres, leurs grands-parents, leurs parents étaient des rescapés de la Shoah,
03:38 étaient des gens qui étaient pourchassés, persécutés, soit pendant la Shoah, soit en
03:43 ex-Union soviétique, soit auparavant dans les pogroms en Europe centrale et orientale. Donc,
03:47 c'est une réintégration des Israéliens dans cette histoire millénaire de persécution. Donc,
03:54 ça prouve un choc considérable, dont les conséquences, je dirais psychologiques,
03:58 mais aussi politiques, sont encore impossibles à évaluer. Selon vous, il n'y a pas de choc
04:03 comparable depuis la création de l'État d'Israël ? Non, parce qu'on compare souvent avec la guerre
04:10 de Kipour, la guerre du Yom Kippour. Alors, il y a des similitudes, puisque c'était le 6 octobre
04:15 1973, jour de Kipour, jour de férié, jour de fête, jour de repos. Et puis, là, c'est le 7 octobre,
04:24 un samedi matin, jour d'une fête religieuse, cimbrat Torah, et c'est la surprise, des fêtes
04:30 surprises, puisqu'on ne s'y attendait pas. Et le territoire est attaqué, et le pays semble en
04:36 danger. Alors, d'une certaine manière, le danger était différent en 1973. Les armées égyptiennes
04:41 et syriennes ont fait croire pendant quelques heures, ont donné l'impression que le pays
04:45 pouvait être envahi, envahi par des armées régulières qui auraient pu l'occuper. Là,
04:50 rationnellement, quand on y réfléchit, les gens du Hamas n'avaient pas la possibilité d'envahir
04:56 le territoire, de le conquérir. Mais les dommages qui ont été causés en quelques heures à la
05:01 population civile et aux soldats, qui sont des Israéliens, 1 400 personnes ou 1 300 ou 1 400
05:07 personnes tuées en quelques heures, une partie du pays sur quelques kilomètres occupée par des
05:14 terroristes, par des ennemis, l'armée qui n'arrive pas à arriver, qui n'arrive pas à prendre pied.
05:19 Et puis, les cibles qui ont été visées, je pense que ça, il faut le dire, ce ne sont pas des colons
05:24 qui ont été tués, ce ne sont pas des belliqueux. Ceux qui ont été attaqués, ce sont les kibbouts,
05:30 des kibbouts les plus anciens d'Israël, qui avaient été fondés par des travaillistes,
05:35 par des marxistes, par des communistes au début du siècle dernier, qui sont toujours restés dans
05:41 les traditions de paix, de dialogue avec les Palestiniens. Donc, c'est le cœur, je dirais,
05:45 de l'Israël laïque, de l'Israël traditionnel, de l'Israël d'avant Netanyahou qui est attaqué.
05:51 Ce ne sont pas les vatanguers qui ont été attaqués. Donc, là, il y a un choc terrible,
05:55 terrible. Et puis, cette rêve partie, qui est le symbole de cette jeunesse pacifique,
06:00 mondialisée, qui se retrouve, comme au Bataclan, qui se retrouve autour de la musique et qui pousse
06:08 d'ailleurs, on peut dire, l'insouciance, l'inconscience, mais aussi finalement l'absence
06:12 de méfiance à l'égard de Palestiniens jusqu'à faire la fête à quelques kilomètres de Gaza.
06:17 Ça veut dire que ces jeunes-là ne s'imaginaient pas en danger parce qu'ils n'imaginaient pas
06:22 que des Palestiniens pouvaient venir les massacrer. Donc, on est devant une situation
06:26 où toutes les cartes vont être redistribuées dans les prochaines semaines, dans les prochains
06:32 mois, dans les prochaines années. Donc, Michel, par rapport à l'ampleur et l'horreur que suscitent
06:37 ces attaques, est-ce que la première réaction des Israéliennes se groupait autour de son
06:41 gouvernement et de son Premier ministre ou au contraire de tenir responsable des événements
06:46 qui sont survenus ? Alors, c'est vrai que lorsque l'attaque du 7 octobre a eu lieu,
06:52 Israël était divisé comme il n'avait jamais été divisé. On a depuis près d'un an des
06:57 manifestations, on avait depuis près d'un an des manifestations chaque samedi soir avec des
07:02 dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de manifestants. Et d'après les
07:07 statistiques, près d'un habitant, près d'un Israélien sur quatre a participé à ces manifestations.
07:11 C'est comme si en France, on avait 17 à 18 millions de manifestants. Donc, le cœur du plivage qu'au
07:18 fond, au sein de la société israélienne n'était pas la question palestinienne, mais c'était la
07:22 conception de l'État d'Israël. Pour ceux qui manifestaient, c'est-à-dire pour ceux qui sont
07:27 dans la gauche, le centre et une partie de la droite qui manifestait, qui contestaient Netanyahou
07:33 de plus en plus et qui étaient majoritaires dans l'opinion, leur conception d'Israël, c'est qu'Israël
07:38 doit d'abord être un État démocratique. Et pour ceux qui soutiennent la coalition de Netanyahou,
07:44 de l'extrême droite, socialiste, religieuse et ultra-orthodoxe, Israël doit d'abord être un
07:49 État juif dans le sens religieux. Et ces deux conceptions étaient en train de devenir
07:54 inconciliables jusqu'à ce qu'on connaît des échauffourées, des affrontements, le jour le
08:00 plus sacré dans le judaïsme, le jour du Yom Kippour, entre juifs modérés ou laïcs et juifs
08:06 ultra-religieux qui voulaient imposer des barrières pour séparer les hommes et les femmes lors d'une
08:11 prière à Tel Aviv. Donc, on était dans une situation où le pays était chauffé à blanc,
08:15 ce qui n'avait pas échappé ni au Hezbollah ni au Hamas, c'est pas pour rien que le Hamas a attaqué
08:20 à ce moment-là. Et peut-être à la surprise des adversaires d'Israël, le peuple s'est réuni,
08:27 le peuple s'est soudé, mais je ne dirais pas qu'il s'est soudé derrière ses dirigeants,
08:31 c'est toute la différence. C'est-à-dire qu'il y a une unité du peuple face à l'adversité
08:36 face à l'ennemi qui apparaît comme génocidaire, comme voulant détruire Israël et tous les juifs,
08:43 le peuple s'est ressoudé dans toutes ses composantes. Et ceux qui ont pris la tête,
08:48 disons, du mouvement patriotique, ce sont ceux qui manifestaient, les réservistes qui manifestaient
08:54 contre la réforme judiciaire, ces soldats, ces officiers, sont les premiers à être partis au
08:58 front. Ce sont eux aussi qui organisent des associations de solidarité, d'aide pour les
09:04 soldats mais pour les civils aussi, parce que 300 000 soldats mobilisés, ça fait des secteurs
09:08 entiers de l'économie qui se sont effondrés, des gens qui sont au chômage et une entraide sociale
09:13 qui s'est développée, une mobilisation comme on l'a vu en France à 1793-1870 où le peuple…
09:18 il y a un sursaut patriotique. Et en même temps, une colère très grande à l'égard des dirigeants
09:25 et notamment à l'égard de Netanyahou puisque tout le succès politique et toute l'aura de
09:30 Netanyahou depuis 15 ans environ, c'était d'être le monsieur sécurité qui assurait la prospérité et
09:36 la sécurité à Israël. Et tout ça s'est effondré et cela risque de s'effondrer encore plus avec les
09:42 révélations qui sont en train de sortir sur le fait qu'il avait été informé d'une attaque possible
09:47 du Hamas, des dangers qui s'accumulaient aux frontières d'Israël et qu'il n'a pas voulu
09:52 prendre ses responsabilités puisqu'il a accusé dans un premier temps ses généraux, les chefs…
09:57 Des services de sécurité.
09:58 La crise politique qui avait commencé avant la guerre n'est pas terminée. Elle est un peu mise
10:05 en veilleuse, en sourdine avec la guerre, mais l'effet drapeau ne joue pas en faveur de Netanyahou.
10:11 La crise politique va peser sur la guerre et la guerre va peser sur la crise politique.
10:17 Alors s'il y a une idée des Juifs en Israël, est-ce qu'on ne peut pas craindre, et c'est déjà
10:22 le cas, des affrontements, des colos qui s'en prennent aux Palestiniens en Cisjordanie sans que
10:27 l'armée ne réagisse vraiment, plus de 100 morts et aussi des heurts entre Israéliens, Juifs et
10:32 Arabes. Est-ce que la cohabitation entre Juifs et Arabes n'est pas gravement mise en cause ?
10:37 Il y a deux situations. En Cisjordanie, le Hamas veut mettre le feu à la Cisjordanie.
10:42 Ça fait partie du plan. Attaquer d'abord, créer un conflit à Gaza, susciter une très forte réaction
10:49 des Palestiniens, démartir… Là, c'est plutôt des colons qui attaquent pour l'instant.
10:52 Comment ?
10:52 Là, c'est plutôt des colons qui attaquent les républicains.
10:54 Alors, et maintenant, le deuxième plan… Dans les territoires, il y a deux facteurs d'incendie.
11:02 Il y a les extrémistes palestiniens et il y a les extrémistes juifs, les suprémacistes juifs,
11:09 les gens qui disent qu'il faut reprendre Gaza, il faut refaire des implantations à Gaza,
11:14 et qui disent qu'il faut expulser les Arabes de Judée Samarie, à Cisjordanie.
11:18 Et donc, on a deux groupes qui cherchent à mettre le feu au territoire de Cisjordanie.
11:24 Et entre les deux, il y a l'armée israélienne, mais aussi l'autorité palestinienne,
11:27 qui collabore, sans le dire ouvertement, avec l'armée israélienne,
11:30 pour essayer de maintenir, d'éviter un embrasement qui serait nuisible à tout le monde
11:36 et qui serait incontrôlable.
11:37 Et puis, il y a l'autre question, c'est à l'intérieur même d'Israël,
11:41 où 22 % des citoyens du pays sont des Arabes, sont des Palestiniens.
11:46 Ceux qui sont restés en 1948, les descendants de ceux qui sont restés en 1948.
11:50 Et là, il y a aussi des provocations, souvent venant de Juifs, souvent des gens issus de l'extrême droite,
11:56 mais aussi il y a des gens qui sont chauffés à blanc, il y a des gens qui sont révoltés,
11:59 il y a des gens qui sont extrêmement traumatisés,
12:02 et qui généralisent et qui veulent s'en prendre aux Arabes.
12:05 Et là, on a un tissu social qui tente de résister,
12:09 on a des associations juives et arabes qui militent dans les quartiers, dans les villes,
12:14 dans les maisons pour éviter tout incident.
12:17 À chaque fois qu'il y a un incident, on essaye de l'étouffer, de le juguler
12:21 et de maintenir du lien social.
12:22 Et il faut souligner que les Arabes israéliens, à 77 %, selon un sondage,
12:28 mais c'est confirmé par plusieurs enquêtes d'opinion,
12:31 77 % des Arabes israéliens ont condamné sans équivoque les massacres commis par le Hamas
12:38 et les dirigeants arabes israéliens Mansour Abbas et Oumar Nader,
12:45 les deux principaux chefs des partis arabes à la Knesset,
12:48 ont condamné sans la moindre équivoque les actes du Hamas.
12:51 Ce qui ne les empêche pas, à juste titre, d'être sensibles à la situation de leurs frères palestiniens
12:57 et à continuer à réclamer un État palestinien et à demander l'arrêt des combats à Gaza.
13:04 Mais ils ont été très clairs sans équivoque par rapport à cette question-là.
13:08 Et donc, l'enjeu aujourd'hui, c'est évidemment la paix sociale à l'intérieur d'Israël
13:12 et que les Juifs et les Arabes qui globalement vivent, qui vivent ensemble,
13:16 qui travaillent ensemble, qui ont soigné ensemble dans les hôpitaux les malades du Covid,
13:22 tous ces gens-là qui ont l'habitude de vivre ensemble malgré leurs différences,
13:26 malgré des problèmes qu'il ne faut pas cacher,
13:28 eh bien il faut éviter que…
13:30 en tout cas, tous ceux qui vivent ensemble font en sorte d'éviter que des groupes extrémistes
13:35 ou des groupes de jeunes ou des gens énervés mettent le feu.
13:39 Mais on est dans une situation vraiment très…
13:41 on est sur un baril de poudre.
13:43 Tout ça peut exploser d'un instant à l'autre.
13:45 Baril de poudre également à Gaza.
13:46 La réaction israélienne est forte, le nombre de morts augmente.
13:50 Alors, Israël dit qu'elle a le droit de se défendre, qu'elle attaque les installations du Hamas.
13:55 Les éditions internationales disent qu'en fait, il y a aussi des civils
13:59 et que ce sont des civils qui sont les premières victimes.
14:02 Est-ce que là, il n'y a pas un problème pour Israël de perdre la bataille des images
14:06 parce que les bombardements incessants sur Gaza
14:10 suscitent de plus en plus des morts dans le monde ?
14:14 Alors, c'est sûr qu'il y a une interrogation en Israël même qui commence à monter
14:19 et qui va sans doute monter de plus en plus
14:22 s'il n'y a pas une victoire militaire assez nette et rapidement
14:26 et s'il n'y a pas un débouché politique surtout.
14:28 Parce que…
14:28 Mais on ne le voit pas, Michel, le débouché politique.
14:30 Il n'y a pas de débouché politique.
14:32 Je vous dis, voilà comment les gens voient.
14:35 Aujourd'hui, il n'y en a pas.
14:36 Mais je dis que pour l'instant, il n'y a pas de débouché politique.
14:41 Ce à quoi tout le monde pense plus ou moins, en Israël,
14:44 dans les pays arabes, aux États-Unis, en France,
14:46 c'est de réhabiliter l'autorité palestinienne
14:49 qui a été bien affaiblie par le gouvernement israélien depuis une dizaine d'années
14:53 et que l'autorité palestinienne puisse prendre le pouvoir à Gaza.
14:57 Mais tout ça est très compliqué parce que l'autorité…
15:00 Oui, et prendre le pouvoir après des revenants israéliens.
15:03 Quelle serait la crédibilité d'une institution palestinienne
15:07 qui prendrait le pouvoir après une victoire militaire israélienne ?
15:10 Et des dégâts énormes.
15:11 Je dis que ça pose problème.
15:12 Mais simplement, il y a deux choses.
15:16 Il est évident que cette intervention israélienne,
15:20 elle cause, elle punit des innocents.
15:23 Puisqu'il y a tous ceux qui sont sous les bombes,
15:27 ne sont pas loin de là des responsables du Hamas.
15:29 Et souvent, les responsables du Hamas se cachent derrière les civils,
15:32 s'enterrent sous des hôpitaux, sous des écoles, etc.
15:35 Donc, il y a beaucoup d'innocents qui sont tués,
15:36 malgré les efforts humanitaires qui sont faits notamment par la France.
15:40 Donc, il y a cet aspect-là.
15:42 Mais d'un autre côté, est-ce qu'Israël pouvait ne pas réagir ?
15:46 C'est ça la question.
15:47 Est-ce qu'Israël pouvait, du point de vue de son opinion publique,
15:51 qui était, qui demandait ?
15:53 Je veux dire, en France, il y aurait des choses comme ça.
15:56 Les gens demanderaient qu'on punisse les coupables, qu'on réagisse.
15:59 Donc, le gouvernement devait réagir.
16:01 Oui, les coupables.
16:02 D'autant plus que Netanyahou était affaibli.
16:05 C'est la faiblesse politique de Netanyahou
16:07 qui l'a obligé à réagir très durement, y compris avec des propos.
16:12 Quand il dit qu'on va éradiquer le Hamas,
16:14 est-ce que sérieusement, on peut envisager d'éradiquer le Hamas ?
16:18 C'est-à-dire, on peut tuer 1 000, 2 000 militants du Hamas,
16:22 mais l'idéologie du Hamas ne sortira-t-elle pas renforcée ?
16:25 Bon, ensuite…
16:26 C'est un vrai problème, ça.
16:27 C'est un vrai problème.
16:28 C'est un vrai problème.
16:29 Mais est-ce qu'on peut…
16:30 Il y a un vrai dilemme.
16:32 C'est-à-dire, est-ce qu'on pouvait demander à Israël de dire,
16:34 ben, on ne fait rien.
16:35 Voilà, on ne fait rien ou on va…
16:37 Peut-être, on peut rêver de ça.
16:40 Mais ce n'est ni dans la culture israélienne,
16:42 ni dans la culture du monde arabe,
16:44 car y compris par rapport aux alliés arabes,
16:46 les alliés des accords d'Abraham,
16:50 de la normalisation du Maroc, etc.,
16:52 ils étaient prêts ou ils sont prêts à s'allier avec Israël
16:56 parce qu'Israël est fort,
16:57 parce qu'Israël est une puissance unitaire,
16:59 notamment face à l'Iran.
17:00 S'Israël est affaiblie,
17:01 Israël est démonétisé non pas à l'égard des opinions arabes,
17:05 mais à l'égard des dirigeants arabes.
17:07 Donc, toute la difficulté…
17:08 Moi, là, je ne vous dis pas que c'est bien ou que ce n'est pas bien,
17:12 mais j'essaie d'expliquer comment les choses se sont passées.
17:15 En tout cas, on est dans une situation qui, pour l'instant,
17:18 est sans débouchés politiques,
17:20 et même l'objectif militaire semble difficilement atteignable,
17:24 c'est-à-dire éradiquer le Hamas,
17:26 mener une guerre de six mois, d'un an, etc.
17:29 pour les raisons que vous dites,
17:30 raisons d'image,
17:31 c'est-à-dire raisons d'image à l'extérieur,
17:33 ce n'est pas seulement une question d'image,
17:35 c'est une question qu'il y aura des pressions
17:37 de l'administration américaine,
17:38 de l'administration française,
17:39 il y en a déjà pour un cessez-le-feu.
17:41 Et puis, à l'intérieur d'Israël,
17:43 il y a la question des otages,
17:44 il y a les familles des otages qui se mobilisent
17:47 et qui demandent qu'on mette la priorité
17:49 non pas sur la punition du Hamas,
17:52 mais sur la libération des otages.
17:54 Et le Hamas a beaucoup de cartes dans ses mains
17:56 pour jouer avec l'opinion publique israélienne
17:59 et faire pression sur le gouvernement israélien.
18:01 Alors, on est dans une situation qui est effectivement,
18:05 pour l'instant, dont on ne voit pas d'issue à court terme.
18:09 Pour conclure cet entretien,
18:11 c'est aussi l'absence de perspective politique
18:14 qui a débouché.
18:15 "C'est sans excuse, ce n'est pas sans cause",
18:17 avait dit Jean-Louis Bourlange à l'Assemblée nationale.
18:20 Et donc, est-ce qu'il est possible d'envisager,
18:23 par rapport aux douleurs duales,
18:26 à la haine qui monte entre les habitants de Gaza israéliens
18:30 et israéliens et le Hamas et les habitants de Gaza,
18:33 comment imaginer une solution politique
18:36 dont vous conviendrez qu'elle est le seul débouché ?
18:39 Peut-être que politique, il ne peut pas y avoir de solution militaire à cela.
18:43 Paradoxalement, les gens du Hamas,
18:45 qui ne sont pas pour un État palestinien,
18:48 ils ont toujours refusé un État palestinien,
18:50 c'est Paris-Israël, ils veulent défler Israël,
18:52 ils veulent toute la Palestine.
18:53 Paradoxalement, les gens du Hamas
18:55 ont remis sur la table la question palestinienne.
18:57 Et on a vu d'ailleurs aussitôt,
18:59 Joe Biden, le président Macron,
19:01 les dirigeants arabes dirent à Israël
19:03 "il faut régler la question palestinienne".
19:05 Question palestinienne que les dirigeants israéliens
19:07 avaient mis sous le tapis depuis longtemps.
19:09 Et en Israël, on vivait dans l'illusion,
19:11 la majorité des Israéliens,
19:13 vivait dans l'illusion que cette question était réglée.
19:16 Et donc, c'était devenu finalement
19:18 une question de maintien de l'ordre en Cisjordanie,
19:20 et que finalement on pouvait s'accommoder du Hamas.
19:23 Et c'est sans doute la plus grande faute politique,
19:25 la plus grande erreur de Benyamin Nezanirou
19:27 d'essayer d'avoir cru qu'on pouvait s'accommoder du Hamas.
19:30 Et maintenant, il dit que le Hamas c'est des Daech,
19:33 mais il avait été prévenu auparavant
19:35 que le Hamas ce n'était pas des gens avec qui on pouvait négocier.
19:38 Donc, effectivement, on ne voit pas comment aujourd'hui,
19:42 alors, à la fois, il faut régler la question palestinienne,
19:46 à la fois la question de la séparation
19:48 et d'une souveraineté palestinienne se pose,
19:50 mais en même temps, la méfiance est très grande côté israélien,
19:54 car on ne peut pas imaginer les Israéliens
19:56 acceptant un État palestinien dirigé
19:58 par des gens qui veulent les détruire.
20:00 Donc, on est dans une contradiction,
20:02 mais heureusement que l'histoire a plus d'imagination
20:04 que vous et moi, et je pense qu'il y a,
20:06 parmi les Palestiniens, il y a, il existe,
20:09 parmi les Palestiniens, y compris la Gaza,
20:11 des gens qui ne sont pas compromis
20:14 et qui, à un moment donné, pourront,
20:16 sans être des "collabos" d'Israël ou des agents d'Israël,
20:20 à la fois défendre la cause palestinienne,
20:22 la nécessité d'une souveraineté palestinienne,
20:25 et accepter de mettre un terme à cette guerre.
20:28 Alors, ça ne se fera pas demain,
20:29 il n'y aura pas un État palestinien dans un an, dans deux ans,
20:32 mais qu'Israël n'occupe pas la Vita Beternam Gaza,
20:38 qu'Israël se retire.
20:39 Vous savez, il y a des gens dans des pays alliés d'Israël
20:42 comme Mahmoud Darlan, ancien dirigeant palestinien
20:45 qui est aux Émirats arabes unis.
20:46 Il y a des gens dans l'entourage de Mahmoud Abbas,
20:49 que Mahmoud Abbas est âgé,
20:50 mais il y a des gens qui sont des gens tout à fait capables
20:53 d'administrer un territoire.
20:54 Et je pense par contre que les accords d'Abraham,
20:57 et c'est d'ailleurs la critique que j'ai toujours faite
20:59 aux accords d'Abraham,
21:00 leurs principaux défauts, c'était d'avoir oublié
21:03 la question palestinienne.
21:04 Et c'est dans le cadre de cette alliance,
21:06 notamment avec un pays comme le Maroc,
21:08 n'oublions pas que le roi du Maroc est le commandeur des croyants
21:11 et le protecteur des lieux saints de Jérusalem.
21:13 Et donc, je pense que les dirigeants arabes de l'extérieur
21:17 et de l'intérieur peuvent devenir des interlocuteurs nouveaux
21:22 en écartant les gens du Hamas,
21:24 parce que même cette idée qui ne plaît pas aux Israéliens
21:28 d'une grande coalition dans laquelle il y aurait
21:31 des représentants du djihad islamique et du Hamas,
21:34 ça ne plaît pas aux Israéliens.
21:35 Mais si on arrive quelque part,
21:39 comme on a pu le faire au Liban, etc.,
21:42 il n'y a pas de solution.
21:43 C'est-à-dire que les Israéliens doivent cesser de penser
21:45 qu'il y aura une solution qui peut leur convenir parfaitement.
21:47 La seule solution qu'il faut envisager,
21:49 c'est une solution qui permette non pas de vivre en harmonie,
21:53 dans l'amour les uns des autres, mais de vivre en sécurité.
21:56 Et là, aujourd'hui, les Israéliens ne demandent pas la paix,
21:59 ils ne demandent pas la guerre non plus,
22:01 mais ils demandent la sécurité.
22:02 Et ce qu'ils reprochent à Benyamin Netanyahou,
22:05 c'est de ne pas les avoir protégés.
22:07 Et donc, il faut que du côté israélien,
22:09 émerge un leadership qui soit un leadership respecté,
22:12 et il faut aussi que du côté palestinien,
22:15 on mette à l'écart ces gens qui sont des gens sanguinaires,
22:18 qui sont des assassins.
22:19 Et je dois dire que moi, je suis très critique
22:22 à l'égard de la politique israélienne.
22:24 On peut passer des jours à ligner toutes les erreurs
22:27 qui ont été faites par les différents gouvernements israéliens,
22:29 mais rien ne justifie ce qui a été fait par le Hamas.
22:32 Et comment dire, la manière, les moyens que vous utilisez
22:36 pour une cause ne déterminent pas la cause que vous défendez.
22:41 Et donc, une libération nationale avec ces moyens-là,
22:44 ça ne sera pas une bonne libération nationale,
22:46 et on ne peut pas…
22:47 Donc, il faut tourner la page du Hamas aussi.
22:49 Merci Michel Thoman pour ce point de vue,
22:51 et espérons effectivement que la raison reviendra,
22:54 mais pour l'instant, on voit surtout la violence.
22:56 [Musique]

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