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00:00 [BIP]
00:24 Julia, j'ai envie de me tourner vers toi parce que je trouve dans ta danse, dans aussi cette effervescence que tu vas chercher dans cette favela,
00:33 tu as décidé de construire ton centre d'art à Rio, je trouve qu'il y a ce même enracinement dans une volonté irrépressible de l'homme à sa liberté.
00:46 Bonsoir, je vais essayer de mon mieux de parler français après vous tous ces belles mots que vous parlez parce que c'est votre langue.
00:56 Je suis brésilienne et c'est très difficile pour moi peut-être de m'exprimer correctement.
01:03 Je me sens très honorée d'être ici avec vous, avec vous aussi.
01:10 C'est aussi un long parcours de compagnonnage, je pense qu'ils sont déjà huit ans,
01:16 ça a commencé avec une invitation de Michel et la Biennale de la danse de Valdemarne pour montrer mon travail ici dans le théâtre Jean-Vilar.
01:26 Et c'est à partir de cette rencontre qu'on a commencé à développer ce qui maintenant, je pense que ce n'est plus un compagnonnage,
01:37 c'est une amitié, c'est un échange entre des gens qui pensent l'art, la culture, la politique, la vie.
01:46 Je vois ici plein d'amis, je me sens chez moi à Vitry.
01:50 Je n'ai jamais pensé parce que je n'avais pas Vitry dans ma tête, je ne savais pas ce que c'était.
01:55 Et maintenant c'est comme s'il y a un endroit en France qui est comme chez moi.
02:02 Je me promène dans la rue, je rencontre des gens, on mange ensemble, après on fait aussi de la danse, on vient au théâtre, on donne des cours.
02:12 Et ça je pense que c'est plus important que tout, c'est ces liens qu'on crée entre les gens.
02:19 Mais c'est aussi à cause d'une équipe qui travaille, ça ne se fait pas sans des gens, des gens qui travaillent vraiment, qui pensent.
02:31 Qui pensent la différence, qui pensent ce qu'il y a entre Vitry et Rio de Janeiro,
02:37 ce qu'il y a entre une favela Rio, c'est une périphérie de la ville de Rio, et Vitry-sur-Seine.
02:45 Ça c'est très important.
02:46 Alors il y a toute une équipe qui dépense, on peut dire, le temps, qui utilise leur temps pour penser ça.
02:54 Ça n'a rien à voir, le Rio est tellement loin.
02:57 Qu'est-ce qu'on a à voir avec Rio de Janeiro, avec ces gens de la favela, ou les artistes brésiliens ?
03:03 Et c'est incroyable que tout d'un coup on a trouvé ici à Vitry, une espèce de miroir entre ce qu'on fait là-bas et ce que vous faites ici.
03:13 Mais plus que ça, ce que je voulais vous dire, c'est que je ne sais pas si vous savez le privilège que vous avez d'être là aujourd'hui,
03:25 en train de fêter 40 ans dans le théâtre, avec un maire qui peut parler de la culture comme il a parlé,
03:32 avec la présence de gens tellement importants pour votre culture.
03:38 Je pense que ça c'est un privilège.
03:40 Chez moi, ce n'est pas comme ça.
03:43 Alors, il faut vous battre pour que ça continue, parce que c'est un exemple.
03:48 Chez moi, je disais avant, que c'est peut-être en France, avec les amis que j'ai ici,
03:57 et les gens qui m'ont aidé pour être ce que je suis, que je peux dire que j'ai un métier de chorégraphe, j'ai un métier d'artiste.
04:05 Chez moi, je pense que ce métier est tellement précaire que je ne me sens pas vraiment un métier.
04:17 Ici en France, j'ai appris ce que c'est un métier.
04:21 Je veux vous remercier à tous, public, amis, tous ceux qui m'ont aidé à trouver mon métier ici. Merci.
04:31 J'aimerais savoir pourquoi ces grandes dames du journalisme reconnaissaient en toi un des acteurs de la danse en train de se faire.
04:40 Qu'est-ce que tu écrivais donc pour qu'elles puissent dire ça ?
04:44 Alors, ce que j'écrivais donc pour dire ça, une chose d'abord élémentaire.
04:50 Pour chaque pièce que je faisais, je mettais au point des codes, un alphabet.
04:57 Pour chaque pièce que je faisais, je disais, cette forme de mouvement, elle n'aura pas sa place dans cette pièce.
05:04 Tel autre aura sa place.
05:06 Et avant de commencer une pièce, j'échafaudais une sorte de canevas de codes, c'est plus précis, en disant ça je n'en servirai pas parce que je m'en suis déjà servi, je ne veux plus en entendre parler.
05:16 Par contre, je vais faire une recherche pour telle pièce.
05:19 Par exemple pour Delta, on a rajouté tous les principes des positions classiques, mais tous.
05:24 Il n'y en a pas un qui soit resté.
05:26 Il n'est resté qu'un balancement.
05:28 C'est tout. Après une grande discussion, j'ai proposé le balancement.
05:31 Et pour chaque pièce, il y avait des pas qu'on retrouvait dans telle pièce que tu as vu ici, et la pièce suivante, on ne retrouvait pas les mêmes choses.
05:40 Et ça a été un combat que je faisais déjà avec moi-même, parce que quand on dit je ne vais pas me servir de ces codes, c'est quand même bien pratique les codes.
05:49 Et qu'il faut en inventer de nouveau pour une autre pièce, c'est riche, c'est compliqué, parce qu'on ne peut pas créer constamment des codes.
05:57 Et pourtant, toutes mes pièces, elles ont eu à chaque fois une sorte d'alphabet pour désert, pour créanin, pour bichocre bleu, dont on ne trouvait pas les mouvements deux fois ou trois fois dans les différentes pièces.
06:11 Ça a été le plus grand effort que j'ai pu faire, et c'est par ce biais-là que des femmes comme Marcelle Michel ou Dinamagui disaient que j'étais un précurseur, par exemple.
06:21 Et qu'est-ce que veut dire ce code du balancement ? Est-ce qu'on peut tenir un ballet entier qui dure 47 minutes, comme Delta, avec comme alphabet premier uniquement cette question du balancement ?
06:36 Oui.
06:37 Qu'est-ce que ça produit pendant 45 minutes ?
06:39 Qu'est-ce que ça produit ? D'abord, il faut tenir. Parce que dans un balancé, quand on jette... Moi, je l'ai travaillé sur la notion de poids.
06:47 Ça a été la chose que je revendique encore aujourd'hui quand je vais voir un spectacle, tout à l'heure, on se regarde le poids.
06:55 Pas supposé. Le poids spécifique d'un corps. Pas le poids supposé, c'est-à-dire qui est pris en charge par le danseur ou envoie une certaine raideur.
07:02 Ça ne m'intéresse pas. Le poids supposé, c'est le poids que le danseur me fait voir tel qu'il est. S'il pèse 50 kilos, je dois sentir les 50 kilos.
07:10 Sinon, je ne suis pas d'accord. Je m'ennuie, comme ça. C'est donc le poids qui m'a donné tellement d'élan, si j'ose dire, que pour chaque personne, comme le poids est différent,
07:23 il y avait tout un univers à découvrir, à construire avec chaque personne. Bien que j'ai été formé au ballet classique, j'ai toujours refusé,
07:37 mais plus ça va, plus je refuse, que deux mouvements soient identiques. Avec deux danseurs, par exemple.
07:43 Tout ce qu'on appelle les ensembles, j'en ai souffert comme danseur et je ne peux pas avoir ça. Parce que c'est le contraire du dialogue.
07:51 Pour moi, la danse, c'est le dialogue. Avant tout, sans les mots, puisque les gestes sont suffisamment éloquents pour les remplacer.
07:58 Donc, si on essaie de faire deux choses en même temps, de la même forme, c'est un leurre, parce qu'on n'a pas le même corps, on n'a pas la même dynamique,
08:09 on n'a pas le même poids, on n'a pas le même rien. Deux corps différents sont différents, il ne faut jamais l'oublier.
08:15 Et il faut les laisser différents. C'est par la différence qu'on établit un langage, ce n'est pas en gommant la différence.
08:22 Plus on l'aime, plus on travaille. Plus on laisse la différence s'exprimer, plus on peut travailler ensemble.
08:28 C'est ce que je dis aux quatre filles qui vont venir travailler pour le ballet.
08:33 - Qui va ouvrir le 40e anniversaire. - J'ai dit surtout à Geneviève, à Imen, je vais partir de ceux que vous êtes,
08:39 et surtout, n'essayez pas de faire comme l'une ou comme l'autre pour essayer de me faire plaisir, vous perdrez votre temps, et moi aussi.
08:44 Donc respectons les différences.
08:47 On part du danseur, de sa qualité personnelle. Comment est-ce qu'on va arriver à faire danser un avec un autre, avec un autre ?
08:58 Comment tu vois cette relation entre chacun et puis ce collectif ? Parce que tes derniers ballets parlent de ça aussi, comme "Rocas" et "Piracéna".
09:07 Oui, mais je pense que Michel a très bien dit, une chose que je suis complètement d'accord, c'est quand il dit que pour chaque spectacle qu'il crée, il crée un corps pour ce spectacle.
09:20 Moi je pense qu'il y a aussi cette impression qu'il faut créer un corps pour chaque danse.
09:27 Moi je ne suis pas une chorégraphe qui a un code, qui on peut dire que j'ai inventé ce code, comme, vous me corrigez si je ne suis pas correcte,
09:39 Cunningham, Trisha Brown, ils ont un code qu'on voit, qu'ils ont construit un corps très clair,
09:48 et moi je ne suis pas une chorégraphe qui a créé ça, une technique, un corps pour ça, comme Martha Graham, comme d'autres.
09:58 Mais c'est que j'essaye, comme tu as bien dit, que chaque fois j'ai construit un corps ensemble avec ces danseurs qui sont là.
10:10 Et alors, pour faire ça, il y a une chose qui pour moi, au moins c'est très nécessaire, c'est le temps.
10:17 Parce que moi je pense que je n'arrive pas à faire très vite cette construction du langage dans le corps.
10:24 Alors il faut être ensemble, il faut faire des choses ensemble, partager, dans une longue période.
10:31 Et ça c'est aussi une formation pour ces artistes, parce qu'il y en a plusieurs qui arrivent sans aucune expérience.
10:38 L'effet d'être là, de travailler ensemble, et de créer ensemble, ça je suis sûre que ça forme au moins quelqu'un de plus sensible pour l'art.
10:50 Et si tu fais confiance à une de ces personnes-même qui n'est pas préparée,
10:54 elle reçoit cette confiance d'une telle manière que ça devient une force pour cette personne.
10:59 Oui, ce n'est pas facile pour les femmes.
11:01 Ce n'est pas facile, mais en tout cas tu mesures, si tu dis toi à quelqu'un des favelas qui n'a pas fait de danse,
11:07 tu viens danser avec moi, c'est énorme pour cette personne.
11:12 C'est une porte qui s'ouvre et dans laquelle la personne peut s'investir, tu te rends compte du jour au lendemain.
11:20 Au Brésil, je parle même des gens qui ne sont pas de la favela, puisque plusieurs n'ont pas la formation.
11:28 Ils arrivent comme ça très tôt au début de leur profession.
11:33 Et une autre chose que tu m'as demandé, comment on fait pour travailler ensemble, puisqu'on crée des pièces ensemble.
11:40 Je crois aussi que les différentes personnes, c'est ça qui fait un bon groupe pour travailler.
11:47 Parce que c'est à travers leur différence, c'est comme tu as dit, que ça crée une tension nécessaire, un conflit nécessaire,
11:56 un échange, parce qu'on va échanger nos conflits finalement.
12:01 Je pense que ça c'est très important aussi, au moins pour moi.
12:05 On reconnaît d'ailleurs la danse contemporaine dans cette direction-là, exercer la différence et ne pas la gommer.
12:13 C'est le contraire du classique où il faut au contraire s'astreindre à faire comme l'autre,
12:17 ne pas lever la jambe trop haut ou trop bas parce que sinon on va être gêné.
12:21 Non, dans la danse contemporaine, on accepte cette différence mieux.
12:25 On la cherche, on la prend comme outil, comme matériau, comme nourriture.
12:30 C'est ça la différence.
12:32 Et comme tu as bien dit, je pense que moi je suis privilégiée dans ce sens parce que je viens après un tas de chorégraphes et de créateurs
12:40 qui ont ouvert un chemin pour que je puisse aujourd'hui faire ce que je fais.
12:44 Ça c'est très important.
12:46 On a eu plein de gens qui ont expérimenté et qui ont poussé la danse dans différents chemins.
12:54 Et ça a ouvert les champs de créateurs en danse.
13:00 Ça c'est merveilleux.
13:02 Comme directrice d'un festival au Brésil, j'ai beaucoup appris avec ça.
13:06 C'est de voir plusieurs artistes différentes qui ont des voix différentes et qui ont les présents,
13:13 on équilibre, on les déséquilibre, faire une proclamation, c'est une chose très intéressante finalement.
13:20 Oui.
13:21 On a ça en commun, quoi.
13:24 Tu mettais quelque part deux conditions pour que ce soit possible.
13:32 C'est la condition du temps, de la durée nécessaire et du fait d'être un collectif, d'être ensemble sur la durée.
13:40 Et évidemment, moi je me souviens de l'ensemble chorégraphique de Vitry, c'est-à-dire que vous étiez un réel ensemble
13:50 où il y avait des professionnels mais aussi de doux jeunes gens qui ne possédaient pas encore leur art.
13:59 Et aujourd'hui, chez toi aussi, en permanent, si tu veux, tu recomposes un ensemble et tu as besoin de la durée pour créer.
14:08 Et comment cette chose-là est-elle possible ?
14:11 Comment a-t-elle été possible ? Comment est-elle possible aujourd'hui ?
14:15 Et qu'est-ce qui s'est passé ?
14:17 Parce que tout de même, l'ensemble chorégraphique, à un moment donné, tu as été obligé de l'arrêter.
14:22 Et c'est là que la Biennale est née.
14:25 Et je sais, Lya, que c'est très difficile pour toi de maintenir aujourd'hui aussi un ensemble, un collectif de danseurs.
14:34 Quelles sont les menaces ?
14:37 (rires)
14:39 - Il y en a beaucoup.
14:40 - Rapidement !
14:42 - Rapidement, moi j'ai vendu ma voiture, je ne me payais pas, je ne me suis jamais vendu, c'est déjà énorme.
14:53 Mais à part ça, tout le reste, bon, dans ce théâtre-là, je me rappelle, je venais d'acheter une R16, à l'époque c'était une voiture très à la mode, une belle R16 Delroy.
15:04 Et puis voilà, il y avait les danseurs dans une loge à la fin, il fallait que je les paye dans une semaine.
15:09 Et puis je n'avais pas 20 sous, alors je suis allé, j'ai pris, je n'ai rien dit aux danseurs, je suis allé à un garage sur la Seine,
15:15 j'ai dit "Vous m'en donnez combien de ma voiture ?"
15:17 "Oh, je ne sais plus le prix."
15:19 Je me suis dit "Attends, je vous l'amène demain."
15:22 Et ça devait être un prix très intéressant, il m'a rappelé, il me dit "Non, je vais vous donner encore un peu plus."
15:28 (rires)
15:29 J'avais tellement besoin de l'argent que je n'avais pas discuté du prix.
15:32 Et j'ai pris ça, et ça m'a permis de payer les danseurs qui étaient là.
15:36 Et puis un jour, à force d'avoir des dettes et tout ça, j'ai dit "Ce n'est pas normal non plus."
15:40 Je ne veux pas devenir millionnaire en faisant ce métier, mais il y a quelque chose de malsain là aussi.
15:45 Ça veut dire qu'on ne pose pas les questions au bon moment de la bonne manière.
15:49 Si je ne peux pas financièrement faire ma pièce, je ne la ferai plus.
15:52 Et j'ai plus fait de pièces.
15:54 Un mot sur ce sujet-là, sur la difficulté de maintenir un collectif de danseurs.
15:58 D'abord, ce n'est pas un collectif dans ce sens-là, parce que les danseurs arrivent et ils s'en vont.
16:05 Les projets, c'est à moi, personnel.
16:08 Alors, ce n'est pas une collectivité, ils n'ont pas... Je n'avais pas une voiture, j'avais une maison.
16:14 Très belle, mais je l'ai rendue aussi.
16:18 Tu l'as rendue, nous sommes des vendeurs.
16:21 Je l'ai rendue pour les festivals et pour la compagnie.
16:25 Mais ça fait partie des choix.
16:28 Je considère ça un choix que j'ai fait, et je sais très bien pourquoi je l'ai fait.
16:33 Sinon, je ne serais pas ici.
16:35 Mais au Brésil, ici, parce que je pense que la France, pour moi, quand je voyage au Brésil, était un paradis pour un artiste.
16:48 J'ai dansé ici, j'ai vécu ici, j'ai vu que c'était parfait.
16:55 J'étais juste ici quand je me suis réveillée pour la première fois, et tout s'est changé pour la danse contemporaine.
17:02 J'étais juste avant, et j'ai vu tout ce qui s'est passé.
17:06 Alors je suis revenue à mon pays avec une idée, un rêve pour mon pays.
17:12 Je pense qu'en visionnant ces rêves, à partir de ça, j'ai créé un peu toute mon histoire.
17:20 Je voulais avoir un festival, je pensais que c'était bien.
17:24 Je voulais avoir une compagnie qui travaillait 7 heures par jour,
17:28 qui avait des cours donnés par des professeurs,
17:31 et les danseurs ne devaient pas, pour moi, faire un cours et penser à la production.
17:36 Alors je me suis mise en marche pour créer ce projet des compagnies de danse.
17:42 Cela fait déjà 22 ans.
17:46 Je dois dire qu'à ce moment-là, je suis en train de repenser un peu ce modèle.
17:53 Peut-être ce modèle n'est plus viable dans ce temps qui court.
18:00 Parce que je vois que tous ceux que je croyais qui allaient arriver un jour à être comme vous ici,
18:07 je vois qu'ici les choses s'écroulent un peu,
18:10 et qu'au Brésil on ne va jamais arriver à ça.
18:13 Ça, ce n'est pas le futur.
18:17 Alors je dois repenser la façon avec laquelle je mène ma compagnie.
18:22 Parce que jusque maintenant, si ce n'est pas la France,
18:25 puisque ici j'ai beaucoup de travail,
18:28 c'est ça qui, parfois, pendant toute une année,
18:31 la compagnie survit avec l'argent français.
18:34 Complètement.
18:35 Avec les tournées qu'on a, avec les coproductions, avec le travail.
18:40 Et je dois repenser un peu comment est-ce que je peux gérer ces groupes,
18:46 c'est énorme, 11 danseurs, c'est énorme.
18:48 Oui, c'est beaucoup.
18:49 Et je dois inventer une autre façon de survivre, je pense.
18:56 J'entends ce que tu dis quand tu parles de modèles français que tu voulais importer au Brésil,
19:01 et d'un rêve qui peut-être, c'est pas peut-être, certainement s'écroule.
19:07 Bon, c'est vrai que nous nous souffrons de cette, finalement, perversion.
19:14 Moi j'ai vécu, j'étais tout jeune, là,
19:17 ce mouvement pour la danse extrêmement riche, extrêmement prometteur,
19:21 et j'ai vécu, et grâce à toi, pu analyser comment l'institutionnalisation de ce travail
19:29 avait opéré une réduction de l'invention des chorégraphes en question,
19:35 prisonniers de l'institution.
19:37 Alors, toi tu es parti avec ce rêve-là,
19:39 je crois qu'il y a une bonne chose dans ce rêve,
19:41 c'est la force de la puissance publique.
19:45 C'est-à-dire qu'il y a une vraie politique d'État concernant la danse.
19:48 Après, les formes que ça a pris en France, je crois qu'on peut les critiquer.
19:52 Mais connaissant le processus dans lequel tu te trouves toi,
19:56 c'est-à-dire un processus dans lequel l'État n'intervient pas directement,
20:00 mais où il intervient quand même à travers une grande entreprise
20:03 qui s'appelle Petrobras, par ponction de ses bénéfices, d'une partie des bénéfices,
20:10 aujourd'hui dans une économie qui est même au Brésil problématique,
20:17 et qui fait que, si j'ai bonne mémoire, Petrobras voit ses profits diminuer
20:23 et a priori à 70% du budget qui a été consacré aux aides, aux projets, qui va disparaître.
20:31 Sur quoi vas-tu t'appuyer ?
20:34 Et sur quoi vas-tu t'appuyer pour continuer à travailler dans ce dialogue que tu mènes
20:42 entre ce centre d'art que tu as ouvert dans la favela de la Marais,
20:48 qui est un centre d'art dont la particularité est de mobiliser les gens autour de la culture et de la danse,
20:57 et puis l'échange avec la France ?
21:01 D'abord, pour penser à ce qu'on a parlé ce matin,
21:05 je me demande sur quoi je vais m'appuyer, si je me rêve.
21:12 Parce que ce que j'ai vu, ce que j'ai survécu, parfois pas,
21:17 parfois je sens que mes rêves aussi deviennent des cauchemars,
21:21 mais quand même je pense que c'est à partir de ce que je rêve,
21:27 il existe un verbe "cauchemarder",
21:35 mais c'est vrai que c'est un peu, parfois c'est comme ça,
21:38 mais je pense que c'est surtout ça, parce que je n'ai pas d'espérance que ça va trop changer dans mon pays.
21:46 Alors, si je veux continuer à faire ce que je fais, que c'est mon métier,
21:51 que je crois que c'est mon métier,
21:53 je dois être d'abord très créative pour trouver de nouvelles formes de survivre.
21:59 Ce n'est pas être seulement créative pour créer une pièce,
22:03 mais c'est être créative pour créer une situation qui permet mon travail.
22:09 Je pense que ça, j'ai quand même fait des mouvements dans ce sens-là.
22:14 D'abord avec les festivals, finalement je pense que j'étais un peu égoïste
22:19 parce que j'ai créé un festival parce que je trouve que c'est très pas intéressant
22:25 de ne pas avoir plein de chorégraphes pour dialoguer.
22:28 Alors je pense qu'il y a beaucoup de chorégraphes, Monard, Samichi.
22:32 Et après, quand j'ai décidé d'aller vers ce projet dans la favela,
22:38 c'était aussi un détour pour aller vers une autre forme de subsister,
22:46 de résister, d'être là, de faire mon travail.
22:49 Moi je pense toujours qu'en l'art, la plus belle chose c'est qu'on est libre.
22:54 On a parlé de ce mot "liberté", je pense qu'aujourd'hui c'est dangereux ce mot,
23:01 mais quand même je pense que l'art c'est encore un territoire
23:04 où on peut quand même être libre de voir et de ressentir des choses
23:11 qu'on veut quand on voit une pièce.
23:13 Et ça c'est merveilleux, il y a encore ça qu'on doit lutter pour que ça persiste,
23:19 parce que ça c'est la plus belle chose.
23:22 On n'est pas obligé de penser comme les autres, c'est bien qu'on ne pense pas la même chose.
23:28 On ne va pas se tuer à cause de ça.
23:31 Et ça c'est merveilleux, l'art nous donne cette possibilité
23:36 de discuter des idées sans faire de la guerre.
23:40 Si tout l'argent que les gens ont mis pour faire la guerre et pour les banques,
23:46 si ils ont mis tout cet argent-là, aujourd'hui il y a toute cette prise en culture et éducation,
23:52 on était dans un monde merveilleux.
23:54 Je pense que j'ai une expérience de l'espace différente à partir de mon expérience dans la favela.
24:02 Je pense que ça m'a donné plus de liberté par rapport à l'utilisation de l'espace scénique.
24:09 J'étais trop timide avec l'espace.
24:12 Mais juste une question technique, quand tu regardes la favela, est-ce qu'il y a un grand espace ou un petit espace ?
24:18 Un énorme espace.
24:20 Il n'y a pas de piliers, rien au milieu ?
24:23 Il y a 1200 mètres carrés, 15 mètres d'hauteur,
24:29 mais les plateaux que j'ai construits c'est quand même 11 par 11, c'est pas très grand.
24:34 Mais la question de l'espace se pose aussi à cause que je travaille dans cet énorme espace.
24:40 C'est la première fois que je me suis battue pour avoir cet espace.
24:45 C'est très vide, c'est très bien de travailler.
24:48 Mais surtout la question d'espace dans la favela.
24:51 Par exemple, les gens de la favela n'ont pas l'expérience d'être dans un espace énorme.
24:58 Parce que c'est serré, c'est toujours serré.
25:01 Les rues sont étroites, il y a des marmottes.
25:04 Les rues, les maisons, les étaliers, c'est tout comme ça.
25:08 Je pense que c'est très important cette expérience spatiale qu'on avait dans des grands musées, des églises, des temples.
25:17 C'est important.
25:19 J'ai essayé de laisser le plus ouvert possible pour que les gens puissent aussi avoir une expérience corporelle de l'espace.
25:26 C'est important.
25:28 Il faut goûter l'espace, il faut le sentir et goûter.
25:32 Si l'espace est vide, on peut penser à la danse.
25:37 Je pense qu'elle nécessite un espace.
25:40 Alors quand j'ai une chose merveilleuse, j'ai un espace que je peux utiliser toute la journée si je veux.
25:47 J'imagine que ce doit être pour les danseurs brésiliens qui vivent très serrés.
25:51 Ils doivent avoir après un comportement différent en travaillant avec toi.
25:56 Parce que l'espace est remodelé, il est redéfini.
25:59 Je pense que par exemple l'expérience corporelle dans la favela c'est très différent.
26:04 Parce qu'au même temps que c'est serré comme ça, c'est beaucoup de monde en même temps.
26:10 C'est vivant.
26:11 Alors tu es comme ça dans une marée de monde.
26:14 C'est comme si l'espace c'est énorme parce qu'il y a tellement de choses qui se passent en même temps.
26:22 Mais il y a tellement de monde aussi en même temps.
26:24 Oui, au même temps tu passes, il y a quelqu'un qui t'appelle, l'autre, les chats, tout en même temps.
26:30 C'est beaucoup d'informations et de sollicitations.
26:34 Et ça, je pense que ça par exemple, je vois cette expérience dans le pororoque beaucoup.
26:44 Cette espèce de chose qui fait beaucoup de mouvements partout et qu'on ne peut pas la tenir.
26:52 C'est insaisissable.
26:54 C'est complètement opposé au piracime.
26:56 Le piracime c'est ce que tu viens de voir, c'est complètement saisi.
26:59 C'est une nécessité de m'appuyer sur quelque chose.
27:04 Qu'est-ce que ça veut dire piracime ?
27:06 Piracime c'est les mouvements que les poissons font contre les courants pour la fécondation.
27:12 Pour remonter le courant comme les saumons.
27:16 Oui, c'est ce que j'ai découvert, c'est intéressant, c'est une métaphore, je pense que c'est belle.
27:21 Les saumons remontent les rivières comme ça ?
27:23 Oui, ils ont besoin d'un grand stress corporal pour pouvoir féconder.
27:29 Ils ne se touchent pas, mais ils se libèrent.
27:32 Alors ils se mettent dans une situation de stress énorme parce qu'ils vont contre les courants.
27:37 Donc il faut remonter.
27:39 Oui, pour libérer cette, pour faire la fécondation, pour continuer à vivre.
27:48 C'est une belle métaphore.
27:50 Oui, piracime c'est les poissons qui sèment l'agitation.
27:55 C'est bien de parler de poissons quand on parle de danse.
28:01 Ce sont les danseurs.
28:05 Oui.
28:07 Merci.
28:09 Merci.
28:11 Merci.
28:13 [SILENCE]