Regardez Le débat du 08 novembre 2023 avec Yves Calvi et Amandine Bégot.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h, 9h
00:05 RTL matin. Il est 8h21, bonjour Laurent Beccaria. Bonjour. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL. Je salue également Bernard Lehue
00:13 qui est avec nous puisque le prix Goncourt a été attribué hier à Jean-Baptiste Andréa pour son roman
00:18 "Veillez sur elle". C'est aussi une consécration pour votre maison d'édition, l'Iconoclast. C'est son nom qui a été créé il y a 25 ans
00:25 par votre épouse Sophie de Sivry. Elle n'aura pas pu partager le triomphe de son auteur puisque un cancer l'a emporté en mai dernier.
00:32 Vous accompagnez désormais deux de vos filles à la tête des éditions de l'Iconoclast.
00:36 J'imagine évidemment que ce prix est pour vous une immense émotion.
00:39 Oui d'abord parce que ça récompense un auteur merveilleux, un livre qui est une espèce de cavalcade
00:44 qui a été d'abord
00:47 un auteur qui a été couronné par RTL lire en premier
00:51 et qui a été plébiscité par les libraires. Donc c'est rare qu'un livre soit couronné par le prix Goncourt alors qu'il est déjà porté par une vague
00:58 et de vente et d'enthousiasme. Donc c'est vraiment formidable pour l'auteur. Et puis pour la maison évidemment.
01:04 Cette maison qui a 25 ans mais simplement 10 ans en littérature et qui finalement est une très jeune maison. Hier soir
01:12 on faisait une fête
01:14 et la moyenne d'âge était 25-27 ans. C'était impressionnant et ça dansait jusqu'à 2 heures du matin.
01:19 Et c'est pas tout à fait ce qu'on a l'habitude d'avoir à Saint-Germain-des-Prés.
01:23 Je cite le tweet publié hier par l'Iconoclast. "On a sauté de joie, on s'est beaucoup embrassé, on a pleuré aussi en pensant à Sophie de Sivry
01:29 partie avant de connaître ce bonheur fou. Si je comprends bien dans le taxi qui vous menait chez Drouant, c'était la fontaine aux larmes ?"
01:34 Oui, il y avait pas mal de larmes et le chauffeur de taxi disait "mais qu'est ce qui se passe en fait ?
01:40 Pourquoi est-ce que vous êtes comme ça ?" et donc on lui a parlé
01:43 du prix Goncourt. Et lui connaissait le prix Goncourt. Ce qui est fou c'est que tout le monde en France,
01:48 beaucoup de gens en tout cas connaissent le prix Goncourt alors que
01:50 tout le monde ne lit pas des romans et des livres.
01:54 - Bernard Le Hul. Laurent Beccaria a hier la remise du prix Goncourt chez Drouant. Vous portiez au revers de votre veste en médaillon
02:00 une surprenante fraise.
02:02 Qu'est-ce symboliste cette fraise ? Elle a toute une histoire.
02:05 - Oui, c'est-à-dire que nous avons donc 4 filles et l'une d'entre elles, quand leur mère est
02:09 tombée malade, lui a donné cette petite fraise en pins qu'elle portait tout le temps sur elle parce que c'était une femme très joyeuse.
02:17 Et à la mort de Sophie, elle a enlevé la fraise et elle me l'a donnée.
02:22 Et je la porte dans les belles circonstances. Par exemple lundi c'était la remise du prix féminin et j'avais oublié la fraise.
02:29 - Ou Jean-Baptiste Andréa.
02:30 - Et Jean-Baptiste était finaliste et il n'a pas eu le prix. Et donc hier matin,
02:33 elle m'envoyait des sms et elle m'a dit "t'oublies pas ta fraise". Et donc j'ai mis ma fraise et maintenant voilà.
02:39 - Donc c'est une fraise enchantée.
02:40 - C'est une fraise enchantée. C'est ma décoration, ça vaut toutes les légions d'honneur.
02:43 - Votre épouse Sophie de Sivry était une des niches de talent. Jean-Baptiste Andréa en est un des meilleurs exemples.
02:48 Vous nous rappelez le nombre de fois où son premier livre a été refusé par vos confrères ?
02:52 - Je crois une dizaine de fois, oui.
02:53 - D'après moi, 14. On peut donc avoir raison contre tout le monde ?
02:57 - Oui, on a raison contre tout le monde parce que c'est une rencontre toujours d'une personne et d'un livre.
03:02 Je me rappelle, on était en voyage très loin quand Sophie a découvert le livre.
03:06 Et elle faisait des bons. Et elle me disait des phrases. Elle me dit "j'appelle tout de suite".
03:11 "Mais je démarre les 4h du matin à Paris, donc tu vas attendre un petit peu".
03:13 Elle m'a dit "mais quelqu'un d'autre va le prendre". Et c'est ça le désir, c'est la vie.
03:18 - "Veillez sur elle", donc récompensé ailleurs par le prix Goncourt.
03:22 D'après vous, qu'est-ce qui explique le succès ? Quelles sont les raisons du succès de ce livre ?
03:26 Avant même, vous l'avez rappelé, d'avoir reçu le prix.
03:29 - Je crois que c'est le romanesque pur. Un peu comme quand on est enfant et qu'il faut éteindre la lumière
03:36 mais encore continuer et que les parents vous disent "non, maintenant il faut arrêter".
03:40 Et c'est un plaisir qui est finalement rare dans les livres, les romans consacrés par la critique.
03:48 Et cette cavalcade-là du livre, cette puissance du romanesque, c'est ça qui fait la force.
03:53 - Didier Decoin, le président du prix Goncourt, hier a eu une formule admirable pour parler du livre.
03:57 Il a dit "c'est un matin de printemps, la lecture de ce livre".
04:01 - Parce qu'en même temps, il y a une écriture lumineuse, limpide.
04:04 C'est incroyable. Vous sortez du livre avec euphorie et puis en même temps regret
04:09 parce que vous avez quitté ces personnages qui vont garder toute votre vie.
04:13 - Quel cavalcade ? Il faut l'expliquer. Bernard Le Hurt, en quelques mots, vous qui connaissez ce livre.
04:18 Qu'est-ce qu'on y découvre ?
04:20 - Dans ce livre, ça commence par un sculpteur qui est en train de mourir
04:24 et il a laissé une œuvre que le Vatican garde précieusement, secrètement depuis 40 ans
04:30 car elle a un pouvoir inouï sur tous ceux qui la voient.
04:32 On comprendra au bout des 600 pages et c'est une fresque historique.
04:37 Ça se passe dans la première moitié du 19e siècle, du 20e siècle en Italie.
04:41 Fresque historique mais également sentimentale.
04:44 C'est un grand roman d'amour, là aussi. C'est l'une des explications du succès de l'édition.
04:48 - La publicité, c'est si vous lisiez un grand roman d'amour.
04:52 Et c'est vraiment ça. C'est un amour empêché, bien sûr, parce que c'est vieux comme Roméo et Juliette.
04:58 Mais c'est extraordinaire.
05:00 - Bernard nous disait hier, ça change de tous ces auteurs qui publient des livres
05:05 qui tournent autour de leur nombril. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne définition du charme de veiller sur elles ?
05:10 - Oui, je pense que c'était la force aussi, c'est la force de l'iconoclase
05:14 de donner leur chance à des voix qui viennent d'ailleurs.
05:20 Toute cette jeunesse de la littérature, je crois qu'arrive maintenant à l'âge où ils écrivent
05:25 et puis beaucoup de lectrices et de lecteurs, des gens qui sont décomplexés
05:29 d'une obsession du style, d'un univers finalement assez clos
05:35 où les critiques parlent aux critiques. Et là, on raconte des histoires, mais des histoires très différentes.
05:41 Parce que chaque livre de l'iconoclase est différent, mais il y a toujours cette voix, cette énergie.
05:45 Et Sophie était quelqu'un qui adorait les livres qui sont à l'os, comme elle dit, rapides, etc.
05:50 Et ce livre de 600 pages, il est rapide comme un livre de 150, en fait.
05:53 - Qu'il veut dire qu'il y a encore une place aujourd'hui dans le monde de l'édition pour des maisons indépendantes, familiales ?
05:57 - Mais bien sûr ! Et ce qui était extraordinaire pour Sophie, c'est qu'elle a commencé à danser dans la littérature à 55 ans.
06:04 Et c'était une jeune éditrice de 60 ans. Sophie avait cette jeunesse incroyable, elle ne s'entourait que de jeunes.
06:11 Et elle a percé tout de suite le prix RTL lire, le prix FNAC, le prix Interallié, etc.
06:17 Et les gens disaient "mais qu'est-ce qui se passe dans cette maison ?"
06:19 Mais je crois qu'il y avait le mélange de jeunesse et puis d'expérience.
06:22 - Un livre comme ça, un succès de ce type, un concours, ça permet de financer combien d'auteurs ?
06:26 - Oui, évidemment, comme tous les gros succès, c'est arrivé nous dans la maison déjà plusieurs fois.
06:32 Parce qu'on est deux maisons, les "Arennes" et les "Conoclas".
06:35 Le "Rain Marais" de Valérie Trier-Waller, "Merci pour ce moment".
06:39 Un livre qui s'appelle "La vie secrète des arbres" qui avait plus d'un million d'exemplaires.
06:42 Et ces livres-là, ils ont une puissance qui fait que derrière, c'est un peu comme s'ils fécondaient.
06:47 Le reste, c'est les "Crus du Nil". Ça arrive, la cru arrive, et quand elle repart, il y a du limon pour faire pousser plein d'autres choses.
06:53 - Pour un éditeur, de quoi sont faites les heures qui suivent l'attribution du prix Goncourt ?
06:58 - Déjà, il faut réimprimer. C'est une mécanique extraordinaire l'édition.
07:02 C'est-à-dire qu'en 10 minutes, vous donnez le top départ et il y a 250 000 livres qui sont imprimés.
07:10 Et ce matin, 100 000 livres sont dans les librairies de plus avec le bandeau "Prix Goncourt".
07:16 Et d'ici samedi, ce sera 250 000.
07:18 C'est-à-dire que la plus petite maison de la presse va recevoir le prix Goncourt.
07:22 C'est une logistique. L'édition, on a l'impression que c'est très artisanal.
07:26 Mais il y a aussi toute une industrie qui fonctionne avec des myriades de camions, etc.
07:31 Les libraires, ce sont des gens qui ont une énergie folle. Et ce livre, c'est leur livre.
07:37 - Alors, ce livre, on l'a dit, est très populaire. Il a un fort potentiel commercial, pour ne pas utiliser de gros mots.
07:43 Vous espérez, au final, combien de ventes ? Je suis persuadé que ça va être un énorme Goncourt.
07:48 - Oui, on parle beaucoup de "Au revoir là-haut", de Pierre Lemaitre, qui a été pareil, un prix qu'on peut offrir à tout le monde.
07:55 Parce que, vous savez, à Noël, le cadeau numéro un des Français, c'était un livre.
08:00 Parce que pour 20 euros, qu'est-ce que vous pouvez avoir de plus fort que donner un livre à quelqu'un ?
08:06 Et donc, c'est sûr qu'un livre qui a ce potentiel, c'est énorme.
08:10 Maintenant, la magie de notre métier, c'est qu'on ne sait pas, comme tous les métiers.
08:14 Et alors, les gens sont là, ils font des paris, et tout. Déjà, c'est tellement merveilleux.
08:17 Puis, il y en a un auteur incroyable, c'est que, en juillet, je l'ai vu, et on sentait que ça allait monter.
08:23 Il m'a dit, je te demande juste une chose, c'est que, avant Noël, tu ne me parles pas de mes ventes,
08:27 parce que je veux profiter des rencontres avec les lecteurs.
08:30 Et hier, il y a quelqu'un qui a fait le mot "horrible", qui lui a dit ses ventes.
08:34 Et c'était comme dans Harry Potter, le nom dont il ne faut pas parler.
08:39 Et il y a eu tout le monde à une espèce d'effroi.
08:41 - Il va vite s'en remettre, ne vous inquiétez pas.
08:43 Simon Collorant-Mecaria, éditeur du nouveau prix Goncourt 2023, veillez sur elle, de Jean-Baptiste Ancelot.
08:48 [SILENCE]