Mathieu Lancry : «Les grandes surfaces ont déférencé le bio au profit de produits plus accessibles»
Mathieu Lancry, président de la Fédération des Organisations Économiques des Producteurs Bio de France, répond aux questions d'Alexandre Le Mer à l'occasion du Salon Marjolaine du 8 au 12 novembre 2023 au Parc Floral de Paris. Ensemble, ils s'intéressent à la baisse de la consommation du bio en France.
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00:00 - Comment se porte le marché du bio ? On pose la question ce matin sur Europe 1 alors que se tient
00:07 l'un des grands salons du secteur, le salon Marjolaine jusqu'à dimanche au Parc floral de Paris.
00:12 - Votre invité sur Europe 1, Alexandre Demers, pardon, c'est Mathieu Lancry,
00:15 président de Forêt Bio, Fondation des organisations économiques 100% bio.
00:20 - Bonjour Mathieu Lancry.
00:21 - Oui bonjour.
00:23 - Vous représentez les producteurs français, les coopératives 100% bio d'abord.
00:28 Quelle est la part du bio dans l'alimentation, dans la consommation des français aujourd'hui ?
00:32 - Alors aujourd'hui en fait on est un peu passé entre...
00:36 On a baissé, aujourd'hui on est plutôt autour de 6% dans la consommation des français.
00:41 C'est une baisse un peu historique, parce que ça a monté pendant des années
00:48 et là cette année on a vraiment marqué le pas et un peu diminué.
00:51 - Là ça recule, oui.
00:52 - Oui, oui.
00:53 - Hier matin ici même sur Europe 1, on parlait de la chute des ventes des produits made in France.
00:57 Précisément à cause de l'inflation.
00:59 Le bio, même problème.
01:01 Au supermarché, on voit les ventes plonger de 13% en volume au premier semestre, Mathieu Lancry.
01:07 - Oui, oui, tout à fait.
01:08 Oui, on l'a vu et en fait c'est essentiellement lié au fait que les grandes surfaces
01:13 ont déréférencé des produits bio pour mettre d'autres produits accessibles à la place.
01:18 Ce qui fait que comme il n'y a plus de linéaire avec des produits biologiques,
01:22 les consommateurs ne peuvent pas en acheter.
01:24 - C'est une espèce de cercle infernal en fait.
01:26 C'est un cercle vicieux.
01:27 Moins de demandes provoquent moins d'offres et ainsi de suite.
01:32 - Voilà, exactement.
01:33 On est dans un cercle vicieux où en fait on ne peut pas vendre nos produits
01:35 parce qu'ils ne sont pas référencés et donc ils ne sont pas disponibles à la vente.
01:38 - Alors vous êtes aussi administrateur de BioCop,
01:40 qui est la principale chaîne française de magasins bio.
01:44 Dans ce secteur, et là je ne parle pas uniquement de votre enseigne bien sûr,
01:47 près de 200 magasins spécialisés bio ont mis la clé sous la porte.
01:51 Ça veut dire quoi ? Le concept c'est terminé ?
01:53 Ça n'intéresse plus les consommateurs ?
01:55 - Alors non, le concept n'est pas terminé.
01:57 La difficulté aujourd'hui c'est qu'on avait une croissance rapide depuis des années
02:02 et que là il y a eu un retournement de marché assez conséquent.
02:06 On est passé on va dire de +15 à -15 d'un seul coup.
02:08 Et forcément les outils économiques, que ce soit les groupements, les producteurs,
02:12 les groupements de producteurs, les industriels et les distributeurs,
02:15 on ne peut pas réagir comme ça aussi rapidement sur des retournements de marché.
02:20 Et donc il y avait des distributeurs déjà un peu fragiles
02:22 qui n'ont pas pu résister à cette évolution.
02:26 - Alors il y a un effet amplificateur bien sûr avec l'inflation,
02:29 mais il y a quand même cette remarque qu'on se faisait déjà
02:32 avant la spirale inflationniste devant un produit bio.
02:34 Qu'est-ce que c'est cher ?
02:36 - C'est cher en fait. La problématique c'est qu'aujourd'hui le produit bio
02:40 intègre toutes les externalités positives que rend notre mode de production.
02:46 C'est-à-dire que quand on prend un produit conventionnel,
02:49 on ne va pas prendre en charge le fait qu'il faut dépolluer l'eau,
02:52 qu'il faut au niveau de la chimie, au niveau de la dépollution,
02:56 au niveau de la santé, tous ces éléments-là,
02:59 ce n'est pas dans le produit qu'on achète qui est intégré.
03:02 Nous dans le bio, il est déjà intégré.
03:03 Et donc effectivement, facialement, il est plus cher,
03:06 mais par contre on n'a pas de problématiques derrière à gérer,
03:10 à mettre des milliards d'euros pour dépolluer l'eau,
03:12 à mettre des milliards d'euros pour la santé publique,
03:14 pour la biodiversité, tout ça c'est intégré dans le prix qu'on a au bio.
03:18 Et c'est vrai que ça c'est quand même assez compliqué,
03:20 parce que ce n'est pas forcément au consommateur à prendre en charge,
03:22 ce serait plutôt à la collectivité.
03:24 - Et vous avez des rendements inférieurs évidemment,
03:27 si vous n'utilisez pas de pesticides, de produits phytosanitaires.
03:31 Est-ce que vous pouvez malgré tout, malgré des coûts de production plus élevés,
03:35 est-ce que vous pouvez encore prendre des marges moins élevées ?
03:38 - Alors en fait, la difficulté qu'on a aujourd'hui,
03:41 c'est qu'avec l'évolution du marché,
03:43 on n'a pas pu nous répercuter la hausse de nos coûts de production.
03:47 Alors il y a beaucoup moins d'énergie,
03:50 il y a besoin d'énergie et de produits phytosanitaires,
03:53 donc on n'a pas vu cette évolution positive,
03:56 cette augmentation des coûts de ce côté-là.
03:59 Par contre, on utilise beaucoup plus de manœuvres en agriculture biologique,
04:02 les emballages, et ça par exemple, on ne l'a pas pu répercuter.
04:06 Donc ce qui fait que c'est très compliqué aujourd'hui pour les producteurs bio.
04:10 D'une part, on ne sait pas vendre au bon prix pour nous,
04:13 et en plus on a une surproduction,
04:15 on a une demande qui n'est pas suffisante,
04:18 et ce qui fait qu'on n'arrive pas à tout vendre.
04:20 Et donc on déplace en conventionnel parfois.
04:23 - Retour en conventionnel, Mathieu Lancry.
04:26 On voit des producteurs qui s'étaient convertis vers le bio faire machine arrière.
04:29 Quelle est l'ampleur de ce phénomène aujourd'hui ?
04:32 - Alors aujourd'hui, on va dire relativement...
04:35 C'est la première fois où on a à peu près 400 producteurs
04:37 qui au 31 août, on franchit le pas de déconvertir,
04:40 de repartir en conventionnel.
04:42 Et là on voit quand même cet automne, et on va vraiment le voir en début d'année 2027,
04:45 où on va avoir une grande vague de déconversions,
04:48 notamment sur les grandes cultures.
04:50 Parce qu'il y aura des notifications à l'agence bio
04:53 qui vont s'accentuer d'ici quelques mois,
04:57 et on le sent déjà dans les groupements que ça arrive.
05:00 - Bon, un problème du label bio, c'est le prix, on en a parlé,
05:02 et il y a quand même quelque chose qui ne vous aide pas non plus,
05:05 si on parle de label, c'est qu'il y en a beaucoup trop.
05:08 Nos auditeurs ont sûrement déjà été perdus dans les rayons des grandes surfaces.
05:11 Mathieu Lancry, on pense notamment, pour ne citer que lui,
05:14 ce label "haute valeur environnementale"
05:17 qui ne veut pas forcément dire qu'on a affaire à du bio, par exemple.
05:19 - Exactement. On a eu vraiment un développement entre le local, le HVE, le zéro résidu,
05:24 il y a eu vraiment plein de différents labels,
05:27 ou alors allégations, parce que ce n'est pas forcément non plus des labels toujours,
05:30 qui fait que ça trouble effectivement le consommateur,
05:33 faisant penser que c'est du bio moins cher,
05:35 alors que ça n'a vraiment rien à voir.
05:37 En HVE, on continue à utiliser les pesticides,
05:40 et donc ça, effectivement, ça trouble le consommateur,
05:43 et on a vraiment un problème de communication,
05:46 et on a besoin de redire aux consommateurs ce que c'est vraiment la vie curbiologique,
05:49 et les bienfaits de la vie curbiologique,
05:51 pour la santé, l'environnement, la biodiversité, l'emploi, etc.
05:54 - Besoin de visibilité et de lisibilité.
05:57 Merci Mathieu Lancry, président de Forêt Bio, je le rappelle,
06:00 fédération des organisations économiques 100% bio.
06:03 Vous êtes aussi administrateur de Biocop. Merci à vous.
06:05 - Merci, bonne journée.