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00:00 à 7h45, on vous donne la parole et ce matin on parle, Théo H, de la montée des actes antisémites en Isère.
00:04 - Oui, comme partout en France, ils augmentent, plus d'un millier depuis le début du conflit Israël-Hamas.
00:09 Alors venez témoigner ce matin sur France Bleu Isère.
00:12 - Oui, venez nous raconter comment vous vivez cette période, que vous soyez juif ou pas,
00:16 est-ce que vous vous sentez concerné, est-ce que vous avez participé aux marches contre l'antisémitisme hier.
00:20 Appelez-nous au 04 76 46 45 45.
00:23 Votre avis est important, on est là pour échanger donc on compte sur vous pour nous appeler.
00:27 - Et avec notre invité, on prend un peu de recul avec l'historien Tal Bruttman.
00:31 Bonjour M. Bruttman. - Bonjour.
00:33 - Merci d'être avec nous ce matin, historien grenoblois, spécialiste de la Shoah et de l'antisémitisme en France.
00:40 Alors hier, près de 200 000 personnes ont défilé un peu partout en France, notamment 4 000 personnes à Grenoble.
00:46 Quelle peut être M. Bruttman la portée historique de ces marches ?
00:50 - Alors là, c'est un peu tôt pour le dire en termes d'avenir.
00:55 En revanche, ce qu'on peut tout de suite constater, c'est que sur la dizaine de marches qui ont mobilisé,
01:00 ou voulu mobiliser justement contre l'antisémitisme depuis 1980,
01:05 c'est une des plus importantes, puisqu'en 1981, à la suite de l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic,
01:11 il y avait eu 200 000 personnes qui s'étaient rassemblées.
01:13 Puis en 90, après la profanation du cimetière métier-contraire, il y avait eu de nouveau 200 000 personnes,
01:19 ce qui est le maximum jamais atteint.
01:21 Et ensuite, à partir du début des années 2000, alors que paradoxalement,
01:24 c'est le moment où l'antisémitisme s'est de nouveau exprimé en France de manière assez forte,
01:29 là, les mobilisations n'ont justement pas mobilisé.
01:33 Et hier, ce qui s'est passé, c'est qu'on a eu une très forte mobilisation pour le coup.
01:38 - Il y a eu une recrudescence des actes antisémites depuis le 7 octobre,
01:43 c'est l'une des raisons de cette mobilisation.
01:46 Quand est-ce que vous datez la reprise, la recrudescence de ces actes antisémites en France et en Isère ?
01:55 - Depuis le début des années 2000, on a un vrai mouvement de fond
02:00 où l'antisémitisme s'exprime de manière de plus en plus décomplexée.
02:05 Et ça, on peut le constater, il n'y a pas un événement, il y a des événements.
02:09 Par exemple, après le 11 septembre 2001, il y a eu une explosion d'accusations antisémites.
02:15 Les tours, c'était les juifs qui les avaient fait tomber,
02:17 ou Israël, c'est synonyme en général dans ces cas-là.
02:21 Puis ensuite, à chaque événement, on peut voir déjà que ce n'est pas forcément lié à Israël-Palestine,
02:26 mais à chaque événement international grave, il y a ce...
02:32 le saut d'antisémitisme au nom du Covid, dont on a eu plein également.
02:36 - C'est ce que j'allais vous dire, la période Covid et la hausse du complotisme
02:39 riment aussi avec hausse de l'antisémitisme.
02:42 - Exactement, c'est une constante.
02:44 Et donc, ce qui est en train de se passer depuis le 7 octobre,
02:47 qui est très largement un produit d'importation, et ça il faut le souligner,
02:53 ce n'est pas une nouveauté.
02:54 - Un produit d'importation, c'est-à-dire ?
02:55 - Et bien, parce qu'on peut voir, et notamment, alors,
02:58 chez ceux qui manifestent de l'antisémitisme, ce n'est pas tant,
03:00 c'est ce qui se passe entre Israël et les territoires occupés,
03:05 est un prétexte pour donner libre cours à son antisémitisme,
03:08 mais c'est aussi véhiculé par certains personnels politiques en France.
03:13 - Je vous coupe justement, M. Brutman, on va au Standard de France Bleu Isère,
03:18 rejoindre Jacqueline Amelan. Bonjour Jacqueline.
03:21 - Oui, bonjour, bonjour tout le monde.
03:23 Et effectivement, moi je trouve qu'il est compliqué et peut-être tout à fait néfaste
03:29 de confondre l'antisémitisme tel qu'il est vu aujourd'hui,
03:35 parce que la politique israélienne envers la Palestine est effroyable en ce moment,
03:43 et l'antisémitisme, parce que quand on dit antisémitisme,
03:48 on dit juif, mais qu'est-ce que ça veut dire ?
03:50 C'est un problème religieux ? Est-ce un problème religieux ?
03:54 La question est là.
03:56 Est-ce un problème politique qui fait que, brutalement,
04:00 l'antisémitisme se révèle et s'affiche partout,
04:04 non pas pour protester contre la religion juive,
04:09 contre le juif en général,
04:11 mais contre la politique israélienne envers la Palestine et les Palestiniens ?
04:16 - Même s'il y a eu plus que ça, on a vu des étoiles de David,
04:19 par exemple, graffées sur les murs,
04:21 il y a eu des actes qui sont allés au-delà de la critique de la politique d'Israël, Jacqueline.
04:26 - Oui, d'accord, mais il y a toujours effectivement des groupuscules d'extrême droite,
04:33 par exemple, pour ne citer qu'eux, qui s'emparent de ce problème.
04:39 - Je reviens vers vous, monsieur Brutman, historien grenoblois.
04:43 À quel point est-ce que la critique de la politique d'Israël
04:49 s'est mêlée avec l'antisémitisme ?
04:52 Ça date de quand ? Et est-ce que c'est le cas, selon vous ?
04:55 - Alors, il y a deux choses qu'il faut souligner très fortement.
05:00 D'abord, critiquer la politique d'un État, ça ne relève pas de l'antisémitisme,
05:04 ça c'est le premier point.
05:05 Par contre, le deuxième point, c'est que la critique de l'État d'Israël,
05:10 qui est quelque chose de normal, donne souvent lieu à l'expression de l'antisémitisme,
05:16 à tel point que, justement, historiquement, en 1945, après la Shoah,
05:21 le monde occidental, très largement, a disqualifié l'antisémitisme en disant
05:27 "Vous voyez, le résultat de l'antisémitisme, c'est la Shoah."
05:30 Mais dans le même temps que c'était disqualifié,
05:33 que l'antisémitisme s'est retrouvé confiné au marge de nos sociétés en Europe occidentale,
05:37 dans l'URSS de Staline, vous aviez une politique antisémite
05:40 qui s'est mise en place très rapidement en sortie de la Seconde Guerre mondiale,
05:43 qui était décomplexée.
05:44 Le seul problème, c'est que ça ne pouvait plus se revendiquer antisémitisme,
05:48 et du coup, Staline et ses hommes ont appelé ça une politique antisioniste.
05:53 C'est-à-dire que, dès le départ, dès la naissance de l'État d'Israël,
05:56 sous couvert d'antisionisme,
05:59 de s'attaquer à Israël,
06:03 on a mis en place des politiques antisémites.
06:06 Et c'est là où il y a quelque chose de très particulier.
06:09 C'est que c'est le seul conflit dans le monde
06:12 qui génère des attaques contre des populations qui n'ont rien à voir avec ce conflit.
06:16 Les Juifs de France sont français,
06:18 ou ils peuvent être immigrés,
06:19 mais quel rapport ont-ils avec l'État d'Israël ?
06:23 Aucun.
06:24 Quand vous avez par exemple la Russie de Poutine
06:27 qui rase la Tchétchénie et Grosveny,
06:30 dans les années 90 à deux reprises,
06:32 vous n'avez pas d'attaque contre les gens de religion orthodoxe en France.
06:35 Il n'y a pas de liaison directe qui est faite, on peut faire le même.
06:38 - Là, il y a une confusion.
06:40 - C'est plus qu'une confusion, c'est une assimilation
06:42 qui est un des sous-bassements de l'antisémitisme.
06:45 - 7h53, notre invité ce matin, c'est l'historien Tal Bruttman.
06:49 J'imagine que vous pouvez toujours nous appeler,
06:51 mais très rapidement, 0476 46 45 45.
06:54 Nous avons justement Rolande avec nous.
06:55 - Rolande, bonjour.
06:57 Rolande qui nous appelle de Saint-Martin-d'Erre.
06:59 - Oui, bonjour.
07:01 - Votre sentiment ce matin ?
07:02 - Je suis effondrée par ce qui se passe,
07:05 mais je voulais dire quand même que la majorité des Français n'est pas raciste.
07:10 La preuve, c'est que Jean-Jacques Goldman est le chanteur préféré des Français.
07:14 - Je pense que c'est un exemple.
07:15 - On va dire que c'est un exemple, oui.
07:18 - Mais moi, je connais des personnes, ma meilleure amie est juive.
07:22 Sa maman, après la guerre, elle est née après la guerre, dans les années 48.
07:29 Sa maman n'a jamais voulu qu'on l'appelle Sarah Lee Rachel.
07:33 Elle lui a donné un prénom français.
07:37 - D'accord, elle était marquée.
07:38 - Sa maman, oui.
07:39 Elle a perdu sa famille, elle a été très très marquée.
07:43 - Je reviens rapidement vers vous, M. Bruttman.
07:45 On a entendu dans la manifestation d'hier des personnes
07:49 qui faisaient le parallèle entre les années 30 et aujourd'hui.
07:51 Est-ce que ce parallèle, il est judicieux selon vous ou pas ?
07:56 - Il peut l'être, mais ce qui vient juste d'être dit est très important,
08:00 c'est que quand vous regardez les sondages aujourd'hui,
08:02 les trois quarts des Français, ce qui est colossal, rejettent l'antisémitisme.
08:06 Donc oui, il y a une explosion d'antisémitisme,
08:10 mais qui n'est pas partagée par la population.
08:12 C'est-à-dire qu'une minorité relativement faible s'adonne à l'antisémitisme
08:17 pendant que la grande masse des Français le rejette et le condamne.
08:20 Donc on peut faire des parallèles avec les années 30
08:23 sous tout un ensemble d'aspects qui sont intéressants
08:25 et qu'on pourrait décrypter, mais il faudrait beaucoup plus de temps.
08:28 Mais en même temps, on peut se rendre compte
08:29 que l'immense majorité de la population est hostile à cela.
08:32 Et pour répondre à votre question initiale,
08:34 ça montre pourquoi cette marche a aussi mobilisé 200 000 personnes,
08:38 qui ne serait-il pas de très loin uniquement une mobilisation de juifs ou politiques,
08:43 parce que la population est hostile, elle rejette tout ce qu'il se passe.
08:47 – Et on terminera sur cette note positive tout de même.
08:49 Merci beaucoup Tal Brutman d'avoir été avec nous ce matin,
08:52 historien grenoblois spécialiste de la Shoah et de l'histoire de l'antisémitisme.
08:57 Je renvoie d'ailleurs vers l'un de vos livres,
08:59 vous en avez écrit plusieurs, mais l'un de vos livres,
09:01 notamment "La logique des bourreaux", s'est publié chez Hachette.
09:04 Merci bien M. Brutman, belle journée.