Comment a été rédigé l’ouvrage «Spirale», le dernier livre de Redoine Faïd qui a défrayé la chronique ?

  • l’année dernière

"Spirale" c’est le titre du livre publié ces jours ci par Rédoine Faid, braqueur récidiviste qui s’est évadé deux fois de prison et qui est désormais condamné à y rester jusqu’en 2060. La rédaction de ce roman ne s’est bien sûr pas faite dans des conditions classiques, les coulisses sont à l’image du CV de Redoine Faïd : hors norme.

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00:00 Avec Thomas Hill et la question média du jour.
00:02 Spiral, c'est le titre du livre publié ces jours-ci par Redouane Faïd,
00:06 braqueur récidiviste qui s'est évadé deux fois de prison et qui est désormais condamné à y rester
00:11 jusqu'en 2060. La rédaction de ce roman ne s'est bien sûr pas faite dans des conditions classiques.
00:16 Les coulisses sont à l'image du CV de Redouane Faïd, hors normes. Et pour en parler,
00:21 nous sommes ce matin avec son éditrice qui a été au cœur de la rédaction de ce livre,
00:25 Clara Dupont-Monnault. Bonjour. - Bonjour Thomas.
00:27 - Merci d'être avec nous. Déjà, dites-nous comment s'est déroulée la prise de contact avec Redouane Faïd.
00:32 C'est lui qui est venu vers vous. - C'est lui qui est venu vers moi et c'est une assez belle
00:36 histoire puisqu'il se trouve que j'ai publié un roman il y a deux ans. Il m'a vu à la télévision,
00:41 à la grande librairie et du coup il m'a écrit. Il s'est procuré le livre, il l'a lu plusieurs fois.
00:47 Le titre, c'est "S'adapter". Donc en rigolant, il m'a dit plus tard que c'était le projet de sa vie
00:53 depuis maintenant plusieurs années. Et il m'a écrit une lettre en me disant "Voilà, je vous ai vu
01:00 à la télévision et j'ai écrit ce texte, si ça vous intéresse". Je l'ai lu. Il y avait vraiment,
01:07 vraiment une patte, un style, un rythme, un phrasé qui était absolument digne d'être publié. Et c'est
01:14 comme ça qu'en retour, nous avons organisé une visite au parloir à Fleury-Mérogis où je l'ai
01:21 rencontré pour la première fois. - Et c'est un prisonnier très particulier de Fleury-Mérogis
01:25 évidemment. Il est à l'isolement total maintenant, 23 heures sur 24. Mais visiblement, il peut quand
01:32 même encore communiquer avec l'extérieur puisqu'il a pu communiquer avec vous. - Vous avez le droit
01:36 d'envoyer du courrier et donc il a procédé comme ça. - Et donc c'est comme ça qu'il vous a envoyé ce
01:41 qu'il avait écrit, qui était très dense au départ. - Qui était très dense. Il y avait un million de
01:45 signes. Alors je sais pas si ça parle beaucoup aux gens, mais c'est très, très, très volumineux. Et
01:50 il était question dans un premier temps d'ailleurs de le publier en deux tomes. Et finalement, parce
01:56 que moi j'ai beaucoup coupé le texte, beaucoup serré, finalement c'était "réductible" à un seul
02:03 et même volume. - Mais vous, vous vous êtes contentée de couper. C'est-à-dire que le style
02:09 était déjà là. - Voilà, le style était là, mais vous êtes contentée de couper. - Oui, c'est un
02:12 travail énorme évidemment. - C'est ça, parce qu'en fait il s'agit d'abord de le faire à distance, donc
02:16 l'auteur vous fait complètement confiance, vous êtes dépositaires de ses mots, du rythme du livre.
02:23 Il n'est pas derrière vous pour passer un coup de fil ou pour dire "bon bah qu'est-ce que vous avez
02:27 pensé de ce paragraphe, j'aimerais bien le garder". C'est beaucoup plus compliqué. Donc il y a une
02:31 espèce de responsabilité que vous avez en tant qu'éditeur qu'il faut honorer. Et par ailleurs,
02:37 il y avait dans le texte des tas de fois où on sentait une espèce d'ironie, un humour très
02:44 acéré de Redouane Faïd, qui était un petit peu noyé, soit dans des détours qu'il faisait, soit dans
02:51 des scènes où il y avait des redites qu'on pouvait supprimer. Donc tout le travail a consisté, et ce
02:56 que je lui ai expliqué, à faire saillir ce côté assez ironique. Il y a des moments qui sont très
03:03 drôles dans le livre. - Oui, c'est même assez étonnant de rire de ça, mais en même temps, on va
03:09 parler des questions éthiques qui se posent évidemment sur un livre comme celui-là, mais d'abord
03:13 sur ce style, parce qu'il est très particulier, il a son style à lui. Mais c'est la question,
03:19 c'est le sens de ma question, c'est est-ce que vous avez retravaillé les phrases ou est-ce que
03:24 c'était des coupes uniquement ? - C'était des coupes, et c'était tout l'aspect confort du
03:28 travail. - Donc le style c'est le sien ? - Oui, totalement, et c'est encore une fois, ça a fait
03:33 tout le prix du manuscrit que moi j'ai reçu, brut de décoffrage, où vous flairez assez vite la
03:39 puissance du phrasé. - Sauf que le problème c'est que pour faire ces coupes, pour faire valider
03:45 quand même ces changements, vous alliez donc au parloir, mais au parloir vous n'avez pas le droit
03:50 d'avoir un crayon ou un papier avec vous. - Rien du tout, ni portable bien sûr, ni tablette. Vous
03:55 vous délistez de tout, même de votre manteau, donc vous êtes devant lui, derrière une vitre en plus
04:02 en plexiglas blindé, donc vous n'avez pas du tout accès à lui, même au sens physique. Ce sont des
04:08 espaces très étroits, très petits, extrêmement surveillés bien sûr, et donc comment est-ce qu'on
04:13 travaille avec un auteur en face de soi dans ces conditions-là ? C'était aussi tout le défi. - Donc
04:18 vous avez dû apprendre par cœur des passages ? - Alors ce que je faisais, c'est que je mémorisais
04:22 en effet les passages qui allaient me poser problème, ou en tout cas quand il y avait des
04:27 grandes coupes, ou quand je savais ou je sentais que c'était un thème auquel il était attaché, et je
04:34 savais qu'il faudrait soit le supprimer, soit le réduire, et donc j'apprenais par cœur le début
04:40 en fait des passages que je souhaitais serrer, pour être sûre que je me trompe pas aussi. Bon,
04:46 lui voyait instantanément où c'était, alors il y a des fois où il était d'accord, la plupart du
04:49 temps il était d'accord, mais il y avait des fois où ça le gênait un peu, on en parlait, et c'est
04:53 comme ça qu'on travaillait, et moi je coupais en lui faisant parvenir par un roulement de 30 pages
04:58 le texte ainsi réduit. - D'accord, alors qu'est-ce qu'il contient ce livre, qu'est-ce qu'il raconte
05:05 Redouane Faïd dans ce livre, on en parle dans un instant sur Europe 1, tout de suite. - La suite
05:10 de la question média du jour, on parle d'un braqueur qui se livre dans un livre édité par
05:15 Clara Dupont-Mono, "La spirale de Redouane Faïd" aux éditions J.C.Lattès. - Et alors dans ce livre,
05:21 Redouane Faïd raconte déjà ses douze premières années d'incarcération, il raconte la prison, de
05:26 l'intérieur, il parle d'une grotte bétonnée qui empeste la mort, de l'ennui qui est le berceau des
05:32 faits divers, du shit qui est la monnaie d'échange aussi sur place, et de l'impression qu'il a d'être
05:37 emmuré vivant. Physiquement, moralement, quand vous l'avez rencontré, Clara Dupont-Mono, il vous a
05:43 semblé comment, Redouane Faïd ? - Alors déjà merci Thomas de souligner que c'est des choses qu'il écrit
05:48 sur la prison que moi j'avais jamais lues, qui sont époustouflantes au sens négatif du terme. Il le
05:54 dit lui-même, comme il a pu hélas observer la dégradation des conditions de la vie pénitentiaire
05:59 sur quasiment 20 ans, c'est un témoignage de première main quand même, ce qu'on peut lire. Il
06:05 parle en effet de cellules qui ressemblent à des caveaux, il dit qu'on en sort soit fous, soit obèses,
06:10 et qu'on a beau multiplier les alertes, il y a un vrai problème quand même de détention en France.
06:16 Et quand on le voit, il est point serré, il est nuque droite, il est endurant. C'est l'exemple
06:27 d'endurance que vous avez sous les yeux. Donc il est très très focus sur le livre, il est focus sur
06:35 le procès qui se préparait à ce moment-là, parce que quand je le voyais, il n'y avait pas encore le
06:38 procès qui s'est ouvert le 3 septembre pour sa deuxième évasion. Donc c'est quelqu'un qui est
06:44 extrêmement tendu, concentré, drôle aussi. - Est-ce qu'il exprime des regrets aussi ? Sur ce qu'il a fait,
06:53 sur le mal qu'il a pu faire ? - Ça à la limite, il se trouve qu'avec moi, il n'en a pas exprimé,
06:58 mais c'est heureux parce que moi ce n'est pas mon rôle. Moi je suis là pour son texte, et puis ça ce
07:04 qui se passe dans le fort de son cœur, et ça se joue soit à la barre avec la justice, soit auprès de
07:09 sa famille. Non, non, et ce n'était pas la question. D'ailleurs quand on a un parloir comme ça, c'est
07:15 très calibré au niveau du temps. On a une heure, et moi je ne suis pas juge, je ne suis pas non plus
07:22 son psy, je suis son éditrice. Donc on était très très focus sur le texte, avec aussi cette idée
07:27 assez étonnante que dans ces conditions-là, on est en train de construire un livre. - Oui, et alors il
07:34 raconte aussi dans ce livre sa première évasion, et là c'est vraiment une scène de film. On sent
07:38 qu'il s'inspire aussi beaucoup des films qu'il a pu voir, des films américains notamment. J'imagine
07:44 que l'objectif pour lui derrière c'est aussi d'en faire un film, non ? - Alors il y a un projet de
07:48 film, donc je ne peux pas vous dire plus que ça, mais en effet c'est quelqu'un qui a été nourri de
07:54 références cinématographiques. Alors quand on le dit comme ça, c'est vrai qu'il y a un petit côté
07:58 gangster qui a le romantisme du film américain. C'est plus loin que ça. - Mais ça se ressent, il y a
08:05 des références. - Bien sûr, et il ne s'en cache pas, et ce sont des films en plus qu'il a vus des dizaines
08:09 de fois. Mais c'est quelqu'un, dans les conditions dans lesquelles il vit, je m'en suis rendue compte,
08:13 pour qui la lecture, le cinéma, la musique sont des respirations, mais on est quasiment au sens
08:21 physique du terme. - Et alors le livre, il s'arrête avant la seconde évasion en hélicoptère de la
08:26 prison de Réau. Il attendait d'avoir l'issue de son procès pour raconter ça. J'imagine que ce
08:31 sera l'objet d'un deuxième tome ? - Ça j'en sais rien, il faudra que je lui demande. - Est-ce qu'il vous a dit
08:35 aussi pourquoi il faisait ce livre ? Est-ce que l'écriture, ce n'est pas aussi le dernier moyen
08:39 pour lui de s'évader, puis peut-être de faire aussi un pied de nez à ceux qui l'ont enfermé,
08:43 en disant "je suis enfermé mais j'arrive encore à faire parler de moi ?" - Non, parce que faire
08:47 parler de soi, faire un livre pour faire parler de soi, quand on voit le travail que c'est, quand on
08:53 voit le style, le côté détail, un peu à la lime à ongles, quand il écrit et comme il en parle,
08:59 il y a quelque chose qui va bien au-delà de la starisation qu'il souhaiterait. Ce qui est sûr,
09:06 c'est que c'est quelqu'un qui a la littérature dans le sang et qui, quand on a travaillé ensemble,
09:11 et même le texte qu'il a fait, ça fait partie intégrante de sa vie. Donc en fait, la question
09:16 de savoir pourquoi on fait un livre, pas un livre, elle se pose pas tant que ça. C'est vraiment "est-ce
09:22 que tu aurais pu ne pas le faire ? Il faut le prendre à l'envers." Et là, en l'occurrence,
09:25 la réponse était non. - C'est un moyen de survie pour lui ? - Alors est-ce que c'est un moyen de
09:28 survie et c'est aussi un moyen, encore une fois, d'oxygène ? C'est aussi quelque chose qu'il tient
09:33 en très haute estime, la littérature, le cinéma aussi, encore une fois. Indépendamment de tout
09:40 le reste, moi j'avais en face de moi quelqu'un qui tenait en assez haute estime la littérature,
09:44 pour qu'on puisse commencer à travailler ensemble. - On a une petite question sur Twitter d'un
09:48 auditeur. - Oui, c'est Etienne qui vous demande, Clara Dupont-Mono, si Redouane Faillite va toucher
09:53 de l'argent avec ce livre ? Est-ce qu'il va gagner de l'argent ? - Normalement, ça c'est le rayon
09:59 juridique, mais il y a des droits d'auteur et je ne sais pas du tout, parce que je ne suis pas du
10:04 tout quelqu'un du droit des mots, est-ce que dans ces cas-là, quand on est en prison, les sous vont
10:09 à un ayant droit, un compte en banque à son nom, ça j'en sais rien. Mais bien sûr et heureusement,
10:14 en France, quand on écrit un livre et si ça se vend, eh bien on vous gagne un peu de sous. - Parce
10:19 que j'imagine que vous avez dû vous poser quand même mille questions avant de sortir ce livre
10:22 qui est tellement particulier. Est-ce que ça ne vous pose pas un problème éthique aussi de
10:27 contribuer quelque part à la légende qu'il s'est fabriquée, Redouane Faillite, de lui faire gagner
10:32 de l'argent peut-être aussi avec ses droits d'auteur et puis de devoir assurer sa promotion,
10:36 parce qu'évidemment qu'il ne peut pas le faire lui-même. - La légende dont vous parlez, d'abord
10:40 c'est l'affaire des médias, c'est les médias qui font une légende et c'est les médias qui font la
10:45 starisation, rien d'autre. - Vous n'y participez pas avec un livre comme celui-là ? - Il est déjà
10:51 légende avant moi, il n'avait pas besoin de moi. Donc il y a aussi un côté où c'est un peu votre
10:56 enfant quand même au niveau de la starisation. Et puis ensuite, évidemment que vous vous posez la
11:04 question quand vous recevez ça, ce serait faux de dire que vous ne vous posez pas la question. Après
11:08 il y avait deux paramètres, il y avait le fait que la justice était passée, ça c'est très important,
11:12 et moi encore une fois je ne suis pas juge, je suis éditrice et il avait été jugé pour les faits
11:18 qu'il raconte dans le livre. Donc ça, ça changeait tout quand même. Et ensuite, j'avais quand même
11:23 sous le nez, on l'a dit déjà, un texte qui était très puissant. Et enfin, quand on regarde bien,
11:29 vous avez déjà eu dans notre histoire littéraire des écrivains détenus, à commencer par François
11:36 Villon qui a été condamné notamment pour l'assassinat d'un prêtre, Jean Genet qui a été
11:42 condamné 13 fois je crois. C'est pas un cas de figure si isolé que ça, il n'en est pas moins que
11:48 vous êtes à un moment écrivain. Et c'est ce qu'on constate effectivement dans ce livre "Spirale" de
11:54 Redouane Fahyde. Merci, Clara Dupont-Mono d'avoir été avec nous ce matin.

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