• l’année dernière
On a rencontré Halimata Fofana , écrivaine et éducatrice à la Protection judiciaire d’Évry, à l’occasion des Rencontres de l’Avenir, un événement dont nous étions partenaires.

Elle publie en 2015 son premier roman Mariama, l’écorchée vive (Karthala) dans lequel elle met des mots sur l’excision dont elle a été victime à l’âge de 5 ans, lors d’un voyage au Sénégal. En 2022, elle signe son deuxième roman, mi-fictif mi-autobiographique, À l’ombre de la cité Rimbaud (Éditions du Rocher) et réalise la même année le film documentaire, À nos corps excisés, sur Arte.

Elle dénonce cette pratique.

Les Rencontres de l’Avenir est un événement annuel, organisé par Nicolas Bouzou et la ville de Saint-Raphaël, dans lequel différentes personnalités viennent échanger.

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Transcription
00:00 j'ai subi une excision.
00:01 J'étais partie en vacances au Sénégal avec ma mère, ma sœur, mon frère.
00:04 Donc on a été dans le village de ma grand-mère et après on quittait le village de ma grand-mère
00:07 vers Dakar et j'entendais ma grand-mère dire "il va falloir que ça se fasse".
00:11 Moi j'avais 5 ans, je ne savais pas à quoi elle faisait référence et elle répétait
00:15 plusieurs fois "il va falloir que ça se fasse, il va falloir que ça se fasse".
00:18 Et ma mère à un moment a dit "c'est prévu".
00:20 Je ne sais pas de quoi elle parle.
00:21 On arrive à Dakar et tout, il y a une tante que j'aimais beaucoup, elle vient me chercher
00:25 à la maison, elle me dit "on va au marché".
00:26 Moi je suis très contente d'aller au marché, je me souviens de cette chaleur étouffante.
00:31 Et j'arrive dans une maison et à l'intérieur il y a comme une grande cour.
00:35 Je vois un morceau de pagne, qui est un tissu africain, et je vois une petite fille allongée
00:41 avec les jambes écartées.
00:42 Et je vois une vieille dame qui met de la pommade sur l'index et elle l'applique dans
00:47 le sexe de la fille.
00:48 Je ne comprends pas mais ma tante me fait comme ça pour que je m'asseye donc je m'assoie.
00:53 J'ai 5 ans.
00:54 Et suite à ça, la petite fille se lève et la vieille dame me fait ça.
00:58 Donc je viens, elle me dit "retire ton pantalon, ta jupe, je trouve ça bizarre, tire ta culotte,
01:08 je trouve ça encore plus bizarre".
01:09 Et là c'est là qu'il y a des gens qui me tiennent.
01:11 Et là, sous le pagne, il y avait un couteau.
01:15 Donc elle sort le couteau et je me souviens très très bien du couteau malgré le temps
01:18 qui est passé.
01:19 Parce que sur le manche, il est entouré d'un tissu.
01:21 Et elle prend ça et là où je subis une excision.
01:23 Donc vous imaginez bien, c'est fait à vif sur le corps d'un enfant.
01:26 Et le clitoris est un organe, c'est un des organes les plus nerveux je crois du corps
01:31 de la femme.
01:32 Donc vous imaginez une douleur monstrueuse.
01:35 Même le sang, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c'est quelque chose d'incommensurable.
01:39 Je ne pourrais pas même mettre des mots sur la douleur ressentie.
01:42 Parce que c'est le corps d'un enfant quoi.
01:44 C'est ça qu'il faut comprendre et se mettre en tête.
01:47 C'est le corps d'un enfant.
01:48 Et suite à ça, j'ai du mal à me relever, je perds l'équilibre.
01:53 Donc je ne voulais pas tenir ma tente.
01:56 Parce qu'à ma tente, qu'est-ce que je lui dis ?
01:57 Je lui dis "je vais le dire à ma mère".
01:59 Elle rit.
02:00 Malgré tout, je me tiens à elle.
02:01 J'arrive dans la maison où je retrouve ma mère.
02:04 Et j'entends cette femme dire à ma mère "tout s'est bien passé".
02:07 Et là je comprends.
02:08 Ces gens autour de moi, ils savaient.
02:10 Et dans mon forme intérieure, qu'est-ce que je me dis ?
02:12 Tu ne peux pas faire confiance à ces gens autour de toi.
02:15 J'ai 5 ans.
02:16 Comment tu fais pour te construire comme ça ?
02:17 Quand les premières personnes, celles qui sont censées te protéger,
02:21 c'est elles qui t'ont amené à l'échafaud.
02:23 Et toute la difficulté, tout le problème, il est là.
02:26 Aujourd'hui, l'excision, ça concerne des femmes françaises ?
02:29 Exactement.
02:30 J'aime beaucoup la manière dont vous présentez.
02:32 Parce que généralement, quand on parle d'excision,
02:35 on parle de cette problématique comme soi-disant très loin de nous,
02:38 donc elle ne nous concerne pas.
02:40 Alors que l'excision concerne des françaises.
02:42 Exactement.
02:43 À partir du moment où ces jeunes filles sont nées en France,
02:46 elles y ont grandi, elles y ont leurs attaches,
02:49 elles sont françaises.
02:50 Donc l'excision est une problématique française.
02:53 Et ça, c'est très très important de le dire comme ça.
02:56 Je pense que c'est à partir de là que les choses peuvent changer,
03:00 que les politiques peuvent s'emparer de cette question
03:03 pour faire bouger les choses, pour faire changer les choses,
03:06 afin de protéger les petites filles de cette pratique
03:11 qui est meurtrière et qui est atroce.
03:16 En effet, c'est inculturel.
03:18 Non, l'excision est une tradition ancestrale
03:24 qui est en tout cas sur le territoire africain,
03:28 et même en Asie,
03:30 mais qui est là avant l'arrivée des religions.
03:33 Avant l'arrivée des religions, il y avait déjà la pratique de l'excision.
03:37 Donc oui, ça faisait partie d'une tradition.
03:40 Il faut comprendre pourquoi on excise.
03:42 Quand on excise les jeunes filles, les petites filles, les bébés,
03:45 parce que je tiens à préciser qu'on excise aussi des bébés,
03:49 il y a une volonté de contrôler le corps de la future femme.
03:53 C'est pour ça qu'on excise.
03:55 Donc après, on va vous dire que oui, mais c'est parce qu'elle va être plus belle.
03:59 On va vous dire des choses qui sont totalement irrationnelles,
04:03 mais la vérité, c'est qu'on excise pour contrôler le corps de la femme.
04:08 Et ça marche.
04:10 Ça marche dans le sens où, à partir du moment où on est capable de mettre sa main
04:13 dans ce que vous avez de plus intime,
04:15 à travers ce geste, on vous dit que votre propre corps ne vous appartient pas.
04:19 Et tout le travail psychique à faire, c'est de déconstruire cette croyance
04:23 qu'on vous a mis dans la tête depuis que vous êtes toute petite fille.
04:26 Et ça, c'est un travail qui est sur le temps long.
04:29 Et moi qui travaille cette question depuis un certain temps,
04:32 je le vois à travers les femmes que je rencontre,
04:35 mais de générations différentes.
04:37 Et c'est pour ça que c'est ce qui me fend le cœur.
04:39 Autant on peut dire pour moi, on ne savait pas.
04:41 D'accord, moi, à nuit matin, on ne savait pas.
04:43 Mais celles qui ont 20 ans, 25 ans, on sait.
04:45 Pourquoi on n'a pas bougé ?
04:47 Et moi j'arrive, force de proposition, en disant,
04:50 mais on peut faire changer les choses.
04:52 Il faut former les gens.
04:53 Il faut former les sages-femmes.
04:55 Il faut former les médecins.
04:56 Il faut former les gynécologues, les professeurs.
04:59 Moi qui étais professeure en école maternelle,
05:00 je discutais avec les ADCEM, les assistantes maternelles avec qui on est.
05:04 Et elles m'ont dit, mais c'est vrai que nous, nous ne formons pas sur cette question-là,
05:07 même sur la question des agressions sexuelles sur les enfants de manière générale.
05:11 On ne nous forme pas.
05:12 Mais qui sont celles qui sont dans les toilettes avec les enfants ?
05:17 Ce sont les ADCEM.
05:18 C'est elles qui sont proches.
05:19 Si elles sont formées, elles vont pouvoir aussi détecter des choses.
05:25 Mais si on ne les forme pas ?
05:26 Et le problème, il est là, en tout cas en France.
05:29 Aujourd'hui, c'est qu'en France, on agit sur après.
05:32 C'est-à-dire que tu as subi une agression,
05:33 après, tu n'as qu'à avoir recours à la réparation chirurgicale.
05:36 Je tiens à rappeler que la réparation chirurgicale,
05:38 c'est une opération qui est tout de même importante.
05:41 Elle est douloureuse, avec des douleurs post-opératoires importantes.
05:44 Et je rappelle que nous sommes des corps faits de chair et de sang.
05:48 Nous ne sommes pas des voitures.
05:49 Donc, on ne répare pas un corps comme une voiture.
05:52 Et souvent, sur la question des mutilations génitales féminines,
05:55 c'est perçu comme ça.
05:56 Ah, tu as subi une excision.
05:57 Ah, on te répare et hop, c'est fini.
05:58 Non, le vrai travail, il est psychique et il est sur le temps long.
06:02 Moi, je connais des femmes qui ont subi une excision
06:05 et qui ont des vies sexuelles épanouies.
06:06 Et des femmes qui n'ont pas subi d'excision et qui ont des difficultés.
06:10 Tout est le rapport que vous avez avec votre propre corps.
06:13 Et moi, je pense profondément que si on veut faire changer les choses,
06:17 il faut déjà, un, former pour pouvoir détecter.
06:20 Et puis, il faut prévenir.
06:22 Il ne faut pas attendre que la petite fille ou le bébé ait subi ça
06:24 et de se dire, tiens, on peut faire ça.
06:26 Il faut faire un travail de prévention dans les maternités,
06:29 parler avec les mères.
06:33 Et surtout, qu'au moment de l'accouchement,
06:35 on voit si la femme a subi une excision ou pas.
06:37 C'est peut-être le moment aussi de tester et de voir
06:39 si la mère va être dans un schéma de répétition
06:42 ou si la mère a pris conscience.
06:45 Mais si vous n'avez pas d'échange avec la mère,
06:46 parce que moi, ça m'est arrivé à plusieurs reprises où des médecins m'ont dit,
06:51 quand j'en parle aux sages-femmes, les sages-femmes disent, je n'ose pas.
06:55 Si toi, tu n'oses pas en tant que sage-femme, mais qui est-ce qui va oser ?
06:58 Parce que bien souvent, ces femmes-là,
07:00 le corps médical les voit très, très rarement.
07:03 Là, parce que c'est au moment de l'accouchement,
07:05 mais il n'y a pas forcément de suivi gynécologique
07:07 en dehors du cadre de l'accouchement.
07:08 Donc là, c'est vraiment l'occasion de susciter un échange.
07:13 C'est vraiment important.
07:14 À quoi, selon vous, ressemblera l'avenir ?
07:17 Là, on est aux rencontres de l'avenir, c'est pour ça que je pose cette question.
07:20 Et même dans ce dont vous évoquez, par rapport à l'excision,
07:23 est-ce qu'il n'y aura plus jamais aucune femme française qui subira l'excision ?
07:27 À quoi ressemblera l'avenir ?
07:31 Pour les femmes, je dirais quand elles ont...
07:34 Déjà, c'est l'accès à l'école.
07:35 Le changement radical, c'est qu'il faut vraiment que les filles,
07:38 toutes les filles, alors les garçons aussi,
07:40 mais je mets l'accent sur les filles,
07:42 à quel point il est important pour elles
07:46 qu'elles apprennent à...
07:49 qu'elles prennent conscience que leur vie leur appartient.
07:53 Et surtout qu'il n'y a personne qui va venir les sauver,
07:55 c'est à elles de se sauver.
07:57 Et moi, je crois profondément qu'au fil du temps,
07:59 les femmes, les filles, elles prennent conscience,
08:02 les mères vont transmettre ce bagage-là à leurs filles
08:05 pour éviter que leurs filles vivent les mêmes difficultés
08:09 qu'elles-mêmes elles ont rencontrées.
08:11 Moi, je crois profondément, je le vois moi, dans ma propre famille,
08:16 où moi, j'ai subi ça, ma mère l'a subi, ma grand-mère l'a subi,
08:19 et je peux monter de génération en génération,
08:22 mais là où je suis très optimiste,
08:23 c'est que la génération suivante, c'est terminé.
08:26 Donc le combat est gagné.
08:28 Et à quel moment vous vous êtes dit
08:30 "ce que j'ai subi, c'est pas normal" ?
08:32 [Silence]
08:38 J'étais ado.
08:40 J'avais...
08:42 J'étais au collège, je pourrais pas dire exactement l'âge que j'avais,
08:44 j'étais au collège,
08:46 et il y avait un cours de SVT,
08:48 sciences de la vie et de la terre,
08:50 et il y avait un prof...
08:52 On travaillait sur l'appareil génital féminin,
08:55 et il y avait un rétroprojecteur,
08:57 donc il avait projeté un énorme vagin,
09:00 et il avait un espèce de stylet rouge,
09:02 pour marquer, pour montrer...
09:04 Un laser.
09:05 Un laser, voilà.
09:06 Et il montrait les différentes parties,
09:08 il montrait les grandes lèvres, les petites lèvres,
09:11 et il montre le clitoris,
09:13 et moi je me dis
09:14 "toi t'as pas ça".
09:16 Et j'avais très honte,
09:19 j'avais terriblement honte,
09:21 je pensais que ça se voyait,
09:23 vous allez me dire "mais bon".
09:24 Mais je pensais que ça se voyait,
09:26 et c'est là que je me suis rendue compte que j'étais différente
09:28 de toutes les autres filles de ma classe.
09:31 Et ça pour moi, ça a été très très dur
09:35 de vivre cette différence-là.
09:36 ♪ ♪ ♪

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