Rentrée littéraire janvier 2024 - Philippe Rey

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Transcription
00:00 Bonjour à tous, on se lance.
00:03 Merci de venir nous écouter présenter nos livres de janvier 2024.
00:12 Pour ma part, je vais vous présenter trois ouvrages.
00:16 On a fait une sélection pour la rentrée de janvier.
00:20 On a deux textes, un français, un étranger.
00:24 C'est un petit peu notre habitude, que ce soit rentrée de janvier
00:27 ou de septembre.
00:28 On essaie de se limiter à deux textes seulement pour pouvoir
00:31 les défendre correctement.
00:33 Et le texte français est écrit par Gisèle Pinault.
00:39 Je pense que beaucoup d'entre vous connaissent cette autrice.
00:43 Gisèle Pinault, équadroupéenne.
00:46 Elle a écrit maintenant une quinzaine de romans, je pense.
00:50 Moi, je l'ai connu il y a très longtemps chez Stock,
00:53 quand j'y travaillais.
00:55 On avait publié ses premiers romans et ensuite, Gisèle a
00:59 publié pas mal de textes, notamment "Au mercure de France".
01:03 Et elle est chez nous maintenant depuis deux ans.
01:07 Il y a deux ans, on a publié un très, très joli texte qui
01:11 s'appelait "Hadit, soleil noir".
01:12 On a eu un prix du roman historique de la ville de Blois.
01:16 Ce texte, nous le ressortons de notre collection de semi-poche.
01:23 Et pour accompagner la nouveauté qui s'appelle "La vie privée
01:27 d'oubli", qui est un roman assez ambitieux.
01:32 Gisèle Pinault a voulu montrer un certain nombre de personnages
01:40 un peu prisonniers du passé, prisonniers de l'histoire
01:46 de leurs ancêtres.
01:48 Notamment, on va suivre au début deux jeunes femmes, Margie et
01:54 Yael, qui sont deux Guadeloupéennes qui vont
01:57 adopter une pratique qui est de plus en plus malheureusement,
02:05 de plus en plus courante aux Antilles, qui est de jouer
02:11 aux mules. Les mules, c'est ces femmes qui, c'est ce que je dis,
02:14 des femmes, parce que c'est essentiellement des femmes qui
02:16 font ça. Je ne sais pas d'ailleurs pourquoi.
02:18 Les hommes n'ont pas assez de courage.
02:22 C'est d'avaler des capsules avec de la coque.
02:28 Et puis, une fois, elles prennent l'avion et une fois arrivées
02:33 en métropole, elles se débarrassent de ces capsules et
02:36 on récupère la drogue.
02:38 Elles sont des passeuses de drogue et c'est assez dangereux.
02:41 Parfois, les capsules éclatent.
02:44 C'est ce qui se passe d'ailleurs pour l'une des deux héroïnes
02:48 Yael. La capsule va éclater et elle va se retrouver dans le
02:52 coma à Paris.
02:53 Donc, à partir de là, on va voir autour de ces deux femmes
02:58 des tentes, d'une qui est à Paris, qui va la recueillir.
03:04 Et puis, on va avoir en parallèle d'autres femmes.
03:10 Joycie, qui est une Nigériane prostituée, qui va venir à Paris.
03:16 Et puis, il y a aussi Maya, qui est une femme qui est un peu
03:19 en recherche de son identité.
03:22 Toutes ces histoires sont liées.
03:24 C'est ce qui fait l'intérêt de ce roman.
03:27 C'est que je ne vous révélerai pas comment, mais c'est un art.
03:35 C'est une sorte de roman, quasi roman choral, même si ce n'est
03:38 pas écrit selon les voix des différents personnages.
03:42 Mais la narration fait que c'est une structure chorale et c'est
03:47 c'est magnifiquement raconté, magnifiquement développé.
03:52 Et puis, voilà.
03:55 Et ça reprend ce thème, puisque effectivement, toutes ces femmes,
03:58 je dis des femmes, il y a un homme aussi, un moment en
04:01 personnage, mais Gisèle Pinault a plutôt des personnages féminins.
04:06 Et ces femmes sont sont reliées par quelque chose qui
04:10 provient du passé.
04:11 Et c'est toute la question du roman.
04:13 C'est peut on vivre en se libérant des souffrances au fond du passé?
04:19 Très beau roman, vraiment, je vous engage à le lire.
04:22 Il m'a vraiment enthousiasmé.
04:25 Je vais vous parler d'un roman italien à côté de ce roman.
04:32 Là, nous publions le premier office de janvier.
04:35 Un roman de Paolo Nori qui est peu connu en France.
04:38 Paolo Nori est un professeur de littérature russe.
04:41 Il s'est fait connaître il y a quelques mois en Italie,
04:45 de manière nationale, puisque à suite de l'invasion de l'Ukraine,
04:50 on a voulu bannir l'enseignement du russe et de la littérature russe
04:56 des universités.
04:58 Et Paolo Nori a vraiment mené une croisade en disant c'est absurde.
05:03 On ne peut pas se couper de la culture d'un grand pays comme ça,
05:06 tout simplement parce que les dirigeants d'aujourd'hui font un
05:09 peu n'importe quoi. Donc, il a obtenu Ghenco.
05:12 Ça a été un grand débat dans les médias italiens.
05:14 Paolo Nori a écrit un texte très émouvant parce que il raconte
05:21 comment, à l'âge de 15 ans, il découvre chez son grand père,
05:27 qui est maçon, un seul livre.
05:31 C'était "Crime et châtiment" et il va l'ouvrir et il va être
05:35 touché en plein cœur.
05:37 Ce livre a complètement changé sa vie et à partir de là,
05:42 il va lire non seulement tout Dostoevsky, mais toute la
05:47 littérature russe qu'il va trouver et il va devenir un spécialiste.
05:53 Il va apprendre le russe et il va devenir un professeur de russe.
05:56 Il raconte ça dans ce livre et de manière assez intéressante.
06:01 Il fait des va et vient entre sa propre vie et la vie de Dostoevsky.
06:06 Des tout petits chapitres.
06:09 C'est plein d'esprit.
06:11 C'est drôle et surtout, ça vous prend dans ses filets,
06:18 qui sont les filets de la séduction de la littérature elle-même.
06:22 Parce que en suivant Dostoevsky, en suivant la vie de Dostoevsky,
06:29 qui est une vie incroyable.
06:30 Je ne sais pas si vous la connaissez, mais il a été arrêté,
06:35 déporté, il a été condamné à mort.
06:38 Il y a une scène absolument incroyable, ce qui est vrai,
06:41 c'est qu'il est sur le peloton d'exécution devant lui.
06:45 Et 30 secondes littéralement avant d'être exécuté,
06:52 il y a un courrier du tsar qui arrive à cheval et qui vient dire
06:57 que les prisonniers, les condamnés sont graciés.
07:01 C'est à dire que jusqu'à 30 secondes avant,
07:03 il pensait vraiment qu'il allait y passer.
07:05 Je crois que ça change votre vision de l'existence définitivement.
07:10 Quand vous vivez une expérience comme ça, il a écrit.
07:13 Il a été ensuite envoyé au bagne.
07:15 Il a écrit ce très beau livre qui s'appelle Souvenir de la maison des morts.
07:18 Et ensuite, il a eu une vie absolument incroyable.
07:23 Il était malade. Il a eu plusieurs femmes.
07:26 Il a eu des relations un peu tumultueuses avec ses femmes.
07:29 Et puis, il était un passionné de jeu.
07:32 Donc, il a écrit Le joueur, qui est très connu.
07:35 Mais tout ce qu'il gagnait, il allait le jouer alors qu'il avait une femme
07:39 et des enfants complètement affamés.
07:41 C'est ses personnages.
07:44 Il est un peu comme ses propres personnages, au fond.
07:46 Et ce que veut dire Paolo Nori en examinant la vie de Dostoyevsky,
07:53 c'est qu'au fond, c'est une littérature, c'est une vie
07:56 qui ne nous laisse pas indemne.
07:59 D'où le titre de ce livre qui s'intitule Ça saigne encore.
08:03 C'est à dire qu'un critique russe avait dit que la littérature d'Ostoyevsky,
08:07 c'était comme des flèches qui vous étaient lancées et qui vous atteignaient
08:11 et qui ne guérissait jamais.
08:15 Et c'est ce qu'on voit au fond dans ce texte, puisqu'il parle de lui,
08:19 des blessures au fond.
08:22 Quand on dit blessure, c'est plus que ça réveille
08:25 des blessures, peut être déjà là en nous, des blessures existentielles,
08:29 surtout puisque Dostoyevsky fait sa grandeur
08:33 et touche aux choses très profondes et existentielles chez l'homme.
08:37 Et donc, Paolo Nori explique ça par rapport à lui même, par rapport à...
08:44 C'est très, très beau et ça se lit comme un roman.
08:49 C'est un roman, d'ailleurs, il a appelé cela un roman.
08:53 Et on va jusqu'au bout, jusqu'au bout de la vie d'Ostoyevsky,
08:56 qui va mourir assez jeune, malheureusement.
08:58 Il avait la petite cinquantaine au moment où il connaissait la gloire.
09:02 Il y a une scène finale de toute beauté où il prononce un discours
09:06 et on a des frissons en lisant cette scène
09:08 qui va arriver quelques semaines avant sa mort, malheureusement.
09:13 Voilà un très beau texte qui vraiment va enchanter les amoureux de la littérature.
09:20 Et le troisième titre dont je vous parle, c'est un premier roman de Kiyemis.
09:26 Je ne sais pas si vous connaissez Kiyemis.
09:29 C'est une femme qui a 35 ans, je dirais, 40 ans, 35 ans et qui
09:36 est une blogueuse, autrice.
09:40 Elle est très connue dans les milieux féministes et elle pousse beaucoup
09:49 de tous ces écrits, pousse à s'affranchir de tous les impératifs de beauté
09:55 et de comportement.
09:57 Toutes les injonctions qui sont faites aux femmes d'agir et d'être
10:01 d'une certaine façon, d'adopter des codes physiques.
10:05 Et elle est très intéressante de ce point de vue là.
10:09 Elle est poète aussi.
10:11 Elle a écrit un recueil de poèmes.
10:14 Elle a écrit aussi un essai chez Alban Michel l'année dernière qui s'appelle
10:18 Je suis votre père, votre pire cauchemar, qui suit à la question
10:22 de la grossophobie.
10:23 Et là, elle nous a donné un texte qui est fait de son premier roman
10:32 et qui raconte l'histoire de sa grand mère.
10:36 Elle voulait vraiment rendre hommage à cette grand mère qui est toujours
10:40 vivante, qui est née dans un village au Cameroun, d'une famille très pauvre.
10:46 Elle a passé son enfance dans les champs d'Arachide, a travaillé et
10:52 déjà enfant, elle voulait vraiment partir.
10:56 Elle voulait se libérer.
10:57 Elle sentait qu'elle n'était pas faite pour cette condition.
11:00 Et c'était symbolisé, elle avait trouvé, c'était assez joli dans le
11:05 livre, de grosses fleurs jaunes comme des boules jaunes et qui avait
11:11 matérialisé son rêve, son rêve de partir, de s'affranchir,
11:16 de sa condition.
11:18 Elle veut absolument aller à l'école.
11:21 Elle va aller à Douala chez sa chez sa soeur, qui a un enfant, un mari.
11:26 Et malheureusement, sa soeur a besoin d'elle pour s'occuper des enfants,
11:32 pour faire tout le ménage, etc.
11:34 Elle est un peu, elle devient un peu la domestique de sa soeur et sa
11:40 soeur l'empêche d'aller à l'école.
11:41 Donc, elle ne va pas pouvoir le faire.
11:44 Ensuite, il y a une série.
11:46 On va suivre son histoire comme ça, comme elle est assez jolie.
11:51 Elle a la peau claire, donc elle attire beaucoup les hommes et
11:56 notamment un militaire qui, avec qui elle va avoir une histoire et
12:01 duquel elle va tomber enceinte à 17 ans ou à 16 ou 17 ans.
12:07 Et là, elle a tous les handicaps.
12:12 Elle sent qu'elle va être fichue.
12:14 On essaie de la marier à un homme qui est un pêcheur, mais elle trouve
12:18 qu'il sent le poisson, que tout sent le poisson chez lui.
12:20 Donc, elle fuit.
12:22 Elle a beaucoup de courage au fond et on va suivre pas à pas comme ça.
12:28 Cette femme qui va finir par partir pour venir en France.
12:32 Enfin, on suit.
12:33 Heureusement qu'elle est venue en France.
12:35 C'est comme ça que qui est mis, c'est là et qu'elle est née.
12:38 Elle, après, comme pas sa mère.
12:40 Sa mère était née, donc, puisque qui est mis, c'est la fille de
12:43 cet enfant né quand sa mère avait 16 ans.
12:47 Et donc, on va on va suivre.
12:51 C'est vraiment l'histoire de la migration d'une femme qui va venir
12:56 en France avec toutes les difficultés que ça peut comporter.
13:00 Et c'est très beau.
13:03 C'est très, très doux comme livre.
13:05 C'est jamais violent.
13:07 C'est jamais révolter.
13:10 Une forme de douce obstination que moi, j'ai trouvé très intéressant
13:16 dans ce texte par rapport à ce personnage et qui émise,
13:22 je pense à une sensibilité.
13:25 Elle a une vraie empathie pour cette pour cette grand mère.
13:32 Et à la fin, c'est un peu une ode à la liberté de d'être,
13:39 d'oser être seul finalement, parce que il y a l'idée que la
13:47 liberté est dans la solitude aussi.
13:50 Et le courage d'être seul pour une pour une femme venue du Cameroun,
13:56 vivant en banlieue parisienne, avec moi, la galère de la survie,
14:01 avec une petite fille.
14:03 Donc, tout ça est magnifique.
14:06 Et puis, c'est surtout là.
14:08 Elle explique comment les rêves peuvent être plus grands que la vie
14:15 et même mener la vie.
14:17 Il ne faut pas avoir peur de ses rêves.
14:19 C'est vraiment ce qui ressort de ce livre.
14:21 Et c'est d'où le titre et refleurir.
14:27 Évidemment, allusion à ces fleurs du début qui, à la fin, la
14:31 refleuraison, c'est beaucoup plus tard.
14:34 Elle va trouver un équilibre, un bonheur.
14:36 Et c'est un roman très beau, je trouve très apaisant.
14:43 Il y a une harmonie qui se dégage de ce texte.
14:49 Voilà pour les trois romans de janvier et début février.
14:54 Merci beaucoup de votre écoute.
14:55 (Applaudissements)

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