Le médecin légiste anthropologue revient pour une nouvelle saison, toujours aussi passionnante, de « L’Histoire au scalpel ».
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00:00 Et votre invité médié, Céline Baydarcourt, est le plus médiatique des médecins légistes.
00:03 Il est également anthropologue et présente sur France 5 une série de documentaires intitulée
00:07 "L'histoire au scalpel".
00:09 Deux nouveaux numéros sont diffusés ce soir.
00:11 Bonjour Philippe Charlier.
00:12 Bonjour Céline.
00:13 L'homme qui fait parler les morts, c'est effectivement comme ça qu'on vous surnomme.
00:16 Non seulement vous réalisez des autopsies pour des cold case à la demande de la justice,
00:21 mais on vous connaît surtout pour vos analyses de restes de grandes figures historiques.
00:25 Vous avez par exemple établi que Louis IX était mort du scorbute.
00:27 Vous avez reconstitué le visage d'Henri IV.
00:30 Vous avez examiné ce qu'il reste d'Hitler, ses dents notamment.
00:34 Vous n'êtes pas trompé de métier, ce n'est pas historien que vous vouliez faire ?
00:36 C'est en fait historien des maladies, historien des techniques médico-chirurgicales et puis
00:42 historien du corps humain en réalité.
00:44 C'est une sorte de mélange des genres si on peut dire.
00:46 Pourquoi ce sont les figures historiques qui vous fascinent ?
00:48 Parce que ce sont les figures qui sont les mieux documentées.
00:50 C'est ce qui nous permet de savoir si l'histoire dit la vérité ou pas.
00:53 On a un corps qui est potentiellement celui de tel personnage historique.
00:56 On a des chroniques, on a un rapport d'autopsie, un rapport d'embaumement, on a des portraits,
01:00 on a un masque mortuaire.
01:01 On essaie de voir si tout ceci va dans la même direction ou pas.
01:05 Vous menez deux nouvelles enquêtes ce soir sur France 5.
01:07 L'une sur le maréchal Ney qui passera en deuxième d'ailleurs.
01:10 On va s'arrêter sur la première qui concerne Louis XIII et Louis XIV.
01:13 Première étape, quel était leur état de santé, de leur vivant et de quoi sont-ils morts ?
01:17 Parce que ça on ne le sait pas ?
01:18 On le sait mais il y a des versions différentes.
01:21 Et puis il y a aussi un réexamen des termes médicaux de l'époque qui est vraiment utile.
01:26 Par exemple on peut décrire des verts, on peut décrire aussi un état de santé bucodentaire
01:30 assez effrayant pour le pauvre Louis XIV qui avait une partie de la mâchoire supérieure
01:34 qui avait été arrachée.
01:35 Et puis pour Louis XIII on ne sait pas s'il avait une tuberculose intestinale ou s'il
01:39 avait une maladie de Crohn.
01:40 Ça change beaucoup de choses pour la cause de son décès et également pour l'efficacité
01:44 des éventuels traitements qu'on a pu lui donner.
01:45 Donc il y a toujours un intérêt à revenir sur ces colcaises historiques si on peut dire
01:49 et à les réexaminer mais jamais tout seul.
01:51 Toujours avec des historiens et avec des historiens de l'art.
01:54 Tout ce qu'il reste de Louis XIII et de Louis XIV ce sont leurs cœurs.
01:57 Comment ça se fait ?
01:58 Et bien malheureusement ils ont été non pas profanés mais vraiment éparpillés façon
02:03 puzzle au moment de la Révolution française.
02:05 En octobre 1793 le corps de ce qui restait de ces souverains a été ouvert, a été dispersé
02:11 et ensuite jeté dans une fosse commune puis récupéré quelques années plus tard et remis
02:15 dans un ospère à la basilique Saint-Denis.
02:17 Entre temps les viscères avaient été déposées à Notre-Dame de Paris et à la Révolution
02:21 française ça a été éparpillé et les cœurs eux, et bien une légende nous dit que ces
02:26 cœurs auraient été déposés chez les jésuites à Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais à
02:31 Paris puis vendus à deux peintres, Pote-Saint-Martin et Martin de Rolig qui les auraient ensuite
02:36 broyés, transformés en pigments et mis dans deux peintures, une au Louvre et une au musée
02:40 de Pontoise.
02:41 Vous savez tout, est-ce qu'en examinant des rapports d'autopsie sans avoir le cadavre
02:46 devant vous, vous pouvez retracer une vie carrément ?
02:48 Avec les éléments biologiques, avec un petit fragment de cœur, on a pas mal d'examens
02:53 comme ceux que vous pourriez passer par exemple dans un hôpital ou en ville en laboratoire
02:58 d'analyse médicale.
02:59 Vous pourriez passer des scanners par exemple ?
03:00 On a un scanner, on a de la microscopie, optique ou électronique à balayage qui va beaucoup
03:04 plus loin évidemment et puis on a d'autres examens comme l'immunologie, comme la biochimie,
03:09 la toxicologie ou encore la protéomique, l'identification de toutes les protéines
03:13 qui composent un échantillon.
03:14 Quand on met toutes ces données les unes à côté des autres, on reconstitue non seulement
03:18 le carnet de santé de l'individu et parfois même on peut connaître la cause de son décès.
03:22 Alors on apprend plein de choses dans votre documentaire sur nos anciens rois et notamment
03:25 à quoi ressemblait la voix de Louis XIV.
03:28 Écoutez bien.
03:29 Bonjour le monde.
03:31 Le tutoiement n'est point requis pour s'adresser à un roi.
03:35 Mais nous commençons à bien nous connaître, faisant donc vie des coutumes.
03:40 Mais comment avez-vous pu reconstituer la voix de Louis XIV, Philippe Charlier ?
03:43 Alors ça c'est une voix qui avait été reconstituée par nos collègues pour un précédent documentaire
03:47 et on en fait plutôt une analyse un petit peu critique de cette reconstitution de voix.
03:51 Ça c'est un phoniatre qui, à partir du visage de l'individu, Louis XIV, a imaginé
03:56 la voix potentielle de cet individu, une voix un peu caverneuse, un peu nasale, parce qu'il
04:02 lui manque une partie du palais osseux qui normalement délimite vos fosses nasales et
04:08 votre fond de gorge.
04:10 Et chez lui, c'était malheureusement parti en lui arrachant une dent et du coup il avait
04:13 cette voix un petit peu particulière.
04:15 Ça c'est un travail, on va dire, d'évocation.
04:16 Nous en revanche, pour un autre roi, Henri IV, pour lequel on a la chance d'avoir la
04:20 tête embaumée, momifiée depuis le larynx avec les cordes vocales jusqu'à toutes les
04:25 fosses nasales et les sinus de la face, y compris la langue, et bien là on est en train
04:31 de reconstituer de façon scientifique la voix de cet individu.
04:34 Donc les premiers phonèmes sont en train d'apparaître et on a pour but de lui faire
04:38 dire soit une lettre d'amour à Gabriel Destré, notre côté romantique, soit les premiers
04:43 mots de Lady de Nantes, on va dire quelque chose d'un peu plus politisé.
04:46 Il y a une anecdote que j'adore, on va l'écouter, elle concerne cette chanson.
04:51 "Grand Dieu sauve le roi, grand Dieu venge le roi"
04:58 Vous avez reconnu ?
04:59 Oui, on nous l'a piqué ?
05:00 Alors c'est le fameux God save the king or the queen.
05:03 On nous l'a piqué, ben oui, parce que c'était au départ une chanson française qui rendait
05:07 hommage à un endroit très particulier du corps de Louis XIV.
05:10 Une chanson fondamentale on va dire.
05:12 C'était Lully qui avait fait un hymne pour fêter la guérison de l'opération de la
05:17 fistule anal du roi de France Louis XIV.
05:20 Voilà l'endroit particulier pour parler Céline.
05:22 Et l'ambassadeur d'Angleterre en France a trouvé l'air totalement charmant et du coup
05:27 ça a été ensuite importé jusque chez nos amis anglais et donc ayons une pensée pour…
05:31 Ah oui d'accord, donc ça n'a pas du tout le même symbole.
05:34 Ça n'a pas du tout le même symbole mais je trouve que c'est un petit clin d'œil
05:38 de l'amitié franco-anglaise assez croquignolesque.
05:40 Vous aimez travailler sur des reliques Philippe Charlier.
05:43 Quelle est la plus ancienne que vous ayez étudiée ?
05:45 Les restes humains les plus anciens que j'ai pu étudier c'était avec Yves Coppins, c'était
05:49 les restes de Lucie.
05:51 On s'est rendu compte chez cette Australopithèque à Farencis qu'elle était morte malheureusement
05:57 peut-être croquée ou dévorée par un crocodile et qu'ensuite son corps avait été dispersé
06:02 lors d'un glissement de terrain assez important.
06:06 C'est le cas le plus ancien.
06:07 Vous ne pouvez pas aller plus loin ?
06:08 Plus loin si c'est possible.
06:10 Plus ancien que Lucie ?
06:11 Plus ancien que Lucie c'est possible.
06:12 Sur d'autres pré-humains c'est toujours possible de porter un regard médical mais
06:16 attention toujours accompagné par un paléo-anthropologue spécialiste qui nous dit non ça c'est une
06:21 variation anatomique, non ça c'est normal pour l'espèce, il ne faut pas faire de diagnostic
06:24 par excès.
06:25 Pourquoi devient-on médecin légiste ? Pourquoi on a envie de passer ses journées avec la
06:28 mort ?
06:29 Je ne suis pas fasciné du tout par la mort.
06:31 Moi ce qui m'intéresse c'est les rituels autour de la mort et c'est aussi faire parler
06:34 les morts.
06:35 C'est-à-dire trouver la véritable cause de décès d'un individu et puis essayer d'avoir
06:39 le maximum d'informations sur la façon avec laquelle on vivait à cette période-là.
06:43 C'est ça qui m'intéresse.
06:44 Pour moi les morts ne sont pas entièrement morts, vous ne voyez aucune métaphysique.
06:48 Il y a toujours moyen de leur tirer les vers du nez si je peux dire.
06:51 C'est-à-dire moyen de les faire parler et de mieux connaître comment on vivait à cette
06:56 période-là.
06:57 C'est des patients du passé.
06:58 On peut dire sur qui vous travaillez en ce moment ?
07:00 En ce moment je suis en train de dépouiller les résultats des fouilles archéologiques
07:03 qu'on a menées chez Napoléon à Longoue dans l'occurrence sur l'île de Sainte-Hélène.
07:08 Ce sont les latrines, ce sont les poubelles.
07:10 Vous étudiez les toilettes de Napoléon ?
07:12 Les toilettes c'est passionnant.
07:13 Dans les toilettes vous avez évidemment tout ce que l'individu a pu manger au fur et à
07:17 mesure du temps.
07:18 Les toxiques potentiels et là vous voyez l'intérêt pour Napoléon bien évidemment.
07:21 Et puis également tout ce qu'on perd dans les toilettes.
07:23 Alors maintenant on perd son téléphone portable ou on perd ses clés éventuellement.
07:27 Je vois que ça ravive des souvenirs chez vous.
07:29 Mais à l'époque Napoléon a pu perdre et il a perdu d'ailleurs des boutons, il a perdu
07:34 des dés pour jouer, il a perdu des cures dents.
07:37 Et puis parfois on met dans les toilettes quelque chose qu'on n'a pas envie que les gens retrouvent
07:41 et en l'occurrence peut-être là.
07:42 On cache des choses dans les toilettes ?
07:43 On cache des choses dans les toilettes.
07:44 Ne le faites pas maintenant parce que ça boucherait.
07:45 Je n'ai pas envie.
07:46 Mais dans les latrines, le premier masque mortuaire de Napoléon, il est possible qu'il ait été
07:50 jeté dans les latrines parce qu'il ne correspondait pas à un type physique parfait.
07:55 Un tout petit mot Philippe Charlier parce que vous êtes en train de créer un nouveau
07:58 musée.
07:59 Oui, je porte le projet de création d'un musée autour de la science médico-légale
08:03 au service de l'histoire qui sera également un centre de recherche européen.
08:07 Toutes les disciplines, scanners, microscopie, analyse, etc. seront centralisées à cet endroit-là
08:13 avec galeries d'exposition temporaires et permanentes.
08:16 Ça sera dans le Grand Paris et ça devrait ouvrir dans quelques années.
08:19 Merci beaucoup Philippe Charlier.
08:20 L'histoire au scalpel, c'est passionnant.
08:22 On aurait pu en parler encore pendant des heures.
08:25 De nouvelles enquêtes sur France 5 ce soir à 21h05.