GRAND AIR - NOVEMBRE 2023 - Sur le fil des 4000 des Alpes

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Avec Lise Billon, alpiniste professionnelle, piolet d'or 2016, Jordane Liénard collectionneuse de 4000 et Frédéric Bréhé guide de haute montagne.

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00:00 [Musique]
00:24 Bonjour à tous, vous pouvez respirer à fond, c'est Grand'Air, le magazine de la montagne et des sports de pleine nature de Télé-Grenoble.
00:31 Aujourd'hui, on va s'intéresser aux 4000 des Alpes et à l'esprit de Cordée qui relie les alpinistes entre eux quand ils sont en haute montagne.
00:39 À mes côtés, Jordane Lienard, bonjour. Bonjour.
00:42 C'est une alpiniste amatrice qui est pourtant une des rares femmes à avoir gravi tous les 4000 des Alpes.
00:49 Un défi que vous racontez dans ce livre, l'appel des 4000 qui vient de sortir chez Guérin aux éditions Paulsen.
00:57 À côté de vous, parce que vous n'étiez pas seul dans votre défi, il y a Frédéric Bré. Bonjour Frédéric. Bonjour.
01:01 Guide de haute montagne basé dans la vallée de Chamonix et vous avez accompagné Jordane au fil de ces 4000, du premier jusqu'au dernier.
01:10 On va rebalayer un petit peu avec vous ce défi qui s'est déroulé sur plus de deux ans.
01:16 Et puis on a aussi un autre guide de haute montagne en face, Lise Billon. Bonjour Lise. Bonjour.
01:21 Bienvenue. Lauréate du Piole d'Or, c'était en 2016 pour une première sur un sommet de Patagonie.
01:28 On parlait de 4000, là on est sur un petit 2000, mais assez difficile à atteindre. 4000 c'est trop haut pour moi.
01:35 Il y a certains guides qui ont du mal avec l'altitude et quel que soit leur niveau technique, à 4000 ou 5000 mètres,
01:41 le corps n'est pas toujours égal devant la très haute altitude Frédéric.
01:47 Non, non, c'est vrai. Et puis même, je veux dire, une personne qui est à l'aise à un moment donné peut ressentir davantage d'altitude à un autre moment.
01:56 Voilà, donc c'est pas définitif. Alors dès 4000, c'est un peu l'altitude symbolique pour les sommets dans les Alpes.
02:05 En Patagonie, c'est plus bas, en Himalaya c'est plus haut. Chez nous, c'est une barre un peu mythique pour beaucoup d'alpinistes.
02:13 Il y en a 82, des 4000. Alors 26 en France, 48 en Suisse et 36 en Italie.
02:19 Lise, qui est une super mathématicienne, me dit ça fait plus que 82 et elle a raison, Jordan.
02:24 Oui, il y en a qui sont biculturels, donc qui sont à cheval entre deux pays.
02:30 Donc ils comptent double.
02:31 Voilà, ils comptent double. Il existe Frédéric une liste officielle de ces sommets de plus de 4000 mètres d'altitude ?
02:39 Oui, oui, oui, tout à fait. C'est l'UIA qui a défini une liste de sommets qui répond à des critères spécifiques finalement,
02:49 avec des caractéristiques géographiques, des caractéristiques d'altitude.
02:56 Mais ça reste quand même arbitraire parce qu'il y a des sommets qu'on pourrait faire rentrer dans la liste qui ne sont pas
03:02 et puis d'autres finalement qui sont des petits 4000.
03:07 Il y en a un qui est un grand 4000, c'est celui qui est au sommet de la liste qu'on voit en image.
03:11 C'est le Mont Blanc, évidemment, mais le plus petit des 4000, le plus bas.
03:18 Je me tourne vers Lise, les professeurs à l'ENSA, donc j'imagine qu'elle connaît la réponse.
03:23 À son regard, je n'en suis pas sûre.
03:26 Le plus bas, c'est les droites, effectivement, 4000 piles.
03:32 Après, il y a juste l'aiguille de Rochefort, je ne savais pas non plus avant de préparer cette émission.
03:37 4001 pour l'aiguille de Rochefort.
03:39 Alors on voyait le Mont Blanc à l'instant, on a vu que ces derniers temps, il est passé de 4810, la mesure officielle, à 4806.
03:46 Est-ce qu'on peut imaginer que ceux qui sont ricrac 4000, Frédéric, ils puissent sortir de la liste avec le réchauffement climatique ?
03:53 Disons que les droites, c'est un sommet rocheux, donc on peut espérer que les tours rocheuses qui le constituent ne s'écroulent pas.
04:01 Après, c'est vrai que le Mont Blanc peut fondre un petit peu et perdre de sa neige.
04:06 C'est possible.
04:07 Puis après, je pense qu'il y a aussi les référentiels qu'on utilise maintenant sont un peu différents,
04:11 donc ça peut faire aussi évoluer l'altitude.
04:13 Il a perdu officiellement 4 mètres, le Mont Blanc, avec la dernière mesure qui a eu lieu cet été.
04:18 Vous en avez gravi certains, Lise, j'imagine, de ces 4000 ?
04:22 Oui, j'étais perdue dans mes pensées justement pour essayer de calculer combien j'en avais fait.
04:27 Je pense que je n'en ai pas fait beaucoup.
04:29 On compte quand on est guide de haute montagne, tous les sommets, on tient une liste de courses.
04:34 C'est ce qu'il faut faire au début quand on veut passer le diplôme.
04:36 Est-ce qu'ensuite, on continue à noter tous les sommets qu'on peut gravir ?
04:41 Certains, oui, mais pas moi.
04:44 J'avoue que pour la liste de courses, j'ai dû me replonger dans ma mémoire parce que je n'avais rien noté.
04:49 Mais je trouve que c'est quand même quelque chose de beau.
04:51 Les copains qui le font, en tout cas, je trouve ça plutôt chouette de se replonger dans les carnets
04:57 et de voir ce qu'on a gravi.
04:59 Peut-être que je devrais commencer.
05:01 Oui, parce qu'après, la mémoire n'est pas toujours très fiable avec les années qui passent.
05:06 Vous tenez à jour votre comptabilité de sommet, Frédéric, 4000 ou autre ?
05:10 J'ai arrêté il y a longtemps.
05:12 Ah, vous aussi.
05:13 C'est vrai que pour le projet, en tout cas, des 4000, oui, on tenait la comptabilité.
05:20 Ça aurait été dommage d'en rater un.
05:22 Elle est venue comment, cette idée, Jordane, de vouloir gravir tous les 4000 des Alpes ?
05:27 En haut d'un 4000, en fait, déjà.
05:30 C'est-à-dire que Fred m'avait emmené en haut de la Dendeyrinse, un sommet très joli.
05:38 Sauf que quand on est arrivé en haut du 4000, il y avait énormément de brouillard,
05:42 comme vous le voyez à l'écran.
05:44 Et on ne voyait vraiment strictement rien.
05:47 Donc, j'avais trouvé que l'expérience jusque-là était intéressante.
05:50 Mais je me suis dit, à quoi bon si on ne peut rien voir quand on est tout là-haut ?
05:53 Et puis là, il y a eu cet espèce de petit moment de magie où la brume s'est évanouie
05:59 et on a vu le Cervin, la Dome blanche.
06:02 Et Fred a commencé à ménumérer tous les 4000 qu'on voyait depuis là-haut.
06:05 Et il y en a énormément dans les Alpes bernoises.
06:08 Et je lui ai demandé combien il y en avait.
06:10 Et quand il m'a dit 82, tout d'un coup, je me suis dit,
06:13 "Oups, il y a quelque chose de possible.
06:15 Ça veut dire que je peux renouveler ça 82 fois."
06:18 Et donc, j'ai passé tout le chemin du retour à me poser la question
06:21 de savoir comment je pourrais faire rentrer ça dans les prochaines années de vie.
06:26 Il fallait forcément qu'il y ait un guide avec vous, puisque je l'ai dit,
06:30 ce n'est pas votre formation.
06:31 Vous êtes une amatrice de montagne, d'alpinisme comme beaucoup.
06:36 C'est Frédéric qui était là, à la Denderens.
06:38 C'est forcément lui que vous imaginiez sur ce projet jusqu'au bout ?
06:41 C'est celui qui m'a initiée à l'alpinisme,
06:43 parce que j'ai commencé l'alpinisme avec Fred.
06:47 Et je ne sais pas, il y avait déjà une vraie relation de confiance qui s'était installée.
06:52 Donc, en fait, la question ne s'est même pas posée.
06:55 Il avait été mon mentor jusque-là.
06:57 Et s'il acceptait, parce qu'il fallait quand même que je lui fasse une vraie demande,
07:01 ça allait être lui de façon assez évidente.
07:03 Et puis, pour être tout à fait honnête, je voyais un vrai gage de sécurité
07:07 à fonctionner avec la même personne pendant tout le projet,
07:09 parce que c'était aussi important que je le connaisse,
07:12 que le fait que le guide me connaisse bien.
07:14 Parce que c'est vrai que dans une cordée, c'est important de connaître
07:17 les limites de l'un et de l'autre et d'avancer,
07:21 avec cette connivence aussi qui s'installe et ce grand apprentissage de la corde.
07:29 C'est vrai que souvent, Fred dit que la corde parle,
07:31 mais je pense que c'est parce que les deux finissent par bien la comprendre,
07:35 ou comprendre le même langage.
07:37 - Vous avez hésité longtemps, Fred, quand Jordan vous a fait cette proposition ?
07:41 - Oui, non, je n'ai pas...
07:44 - Vous avez réfléchi, quand même.
07:46 - Non, je n'ai pas hésité du tout.
07:48 Non, parce que finalement, pour un guide, c'est un choix de projet,
07:51 parce que dans ce métier-là, on a quand même tendance à s'installer dans la facilité.
07:58 Et puis là, ça apportait quand même beaucoup de diversité à mon job.
08:05 Je pense que j'avais dû engravir une trentaine avant...
08:09 - 27. - 27.
08:11 C'est toi qui tenais la comptabilité.
08:14 - 27. Et ça m'a fait découvrir plein d'endroits que je ne connaissais pas.
08:20 C'était très excitant pour moi aussi.
08:23 - Ça vous aurait plu, Lise, en tant que guide de Haute-Montagne,
08:25 qu'un client vienne vous voir et vous propose un défi au long cours ?
08:28 Parce que 82-4000, on ne les gravit pas comme ça sur quelques semaines.
08:32 - Complètement, parce que c'est des...
08:34 Comme dit Fred, on peut vite s'installer dans la facilité.
08:38 Et c'est souvent des projets comme ça, c'est...
08:42 En fait, à titre personnel, ils sont aussi intéressants.
08:45 Donc ça donne envie. C'est des beaux projets.
08:48 - Il y a un 4000 où on voit les 81 sommets de 4000 des Alpes ?
08:53 Puisque vous parliez de la vue dans l'Aderrasse.
08:55 Est-ce qu'il y en a un dans les Alpes où on peut voir tous les autres ?
08:58 - C'est possible. C'est possible.
09:02 Mais il y en a un qui est quand même très éloigné, c'est le Piz Bernina,
09:06 qui est le plus oriental, finalement, des 82-4000,
09:11 qui est au fin fond de la Suisse.
09:13 Et je pense que celui-ci, même en s'approchant de lui,
09:19 dans le massif de l'Uberland, je ne suis même pas sûr de l'apercevoir.
09:24 - De l'apercevoir, oui.
09:25 - Voilà. Donc je pense que lorsqu'on est dans les écrins, ou quoi que ce soit,
09:30 en tout cas, on est aussi très distant, finalement, des autres 4000.
09:35 Donc, oui, c'est peut-être pas possible de tout embrasser d'un coup.
09:39 - Il y en a un chez nous, en Isère, de 4000, avec la Dôme des écrins, là-bas.
09:44 D'ailleurs, les deux sont à la limite entre les deux départements.
09:48 On parlait de l'engagement sur un projet comme celui-là.
09:51 Alors, depuis quelques années, Lise, vous êtes alpiniste professionnelle,
09:55 donc vous guidez moins les clients qu'au début de votre carrière,
09:58 mais vous l'avez fait.
09:59 Ce n'est pas un engagement anodin, même sur une course toute simple,
10:03 de partir avec un client en haute montagne.
10:05 - Non. Et du coup, j'ai quand même gardé la part d'encadrement des équipes jeunes.
10:10 - Ah oui ? - Donc, du coup, c'est une autre dimension.
10:13 On part avec des cordées autonomes.
10:15 Donc, il y a un moment donné, on ne les a même pas au bout de sa corde,
10:18 donc la corde, là, ne parle pas.
10:20 Et il n'y a pas de... Ouais, il y a toujours...
10:26 La montagne, il y a toujours une forme d'engagement,
10:28 même sur des plus petits projets que je pourrais faire par moi-même.
10:33 Voilà.
10:35 - J'ai vu que vous disiez que vos clients les plus nuls
10:37 étaient souvent ceux avec lesquels vous vous entendiez le mieux.
10:40 - Bah oui, parce que du coup, j'aime bien...
10:42 J'ai le souvenir de clients...
10:46 J'adorais parce que du coup, je pouvais prendre...
10:49 On allait plus doucement, donc je pouvais prendre un sac plus lourd.
10:51 Et souvent, j'amenais un melon en montagne.
10:54 Voilà, c'était mon petit plaisir.
10:56 Et j'adorais sortir le fruit, le saumé, le sengral,
11:00 et dire "Oh !" de manger ça.
11:03 C'était merveilleux.
11:05 - Ça vous est déjà arrivé de refuser un client que vous sentiez pas ?
11:08 Vous aviez des doutes peut-être sur son niveau ou...
11:12 - Bah, on refuse jamais.
11:14 Enfin, je ferais à dire pareil.
11:16 On s'adapte, en fait.
11:18 On a des gens qui viennent à nous, et on essaie d'évaluer...
11:22 Quand on est sur des projets au long cours, comme ils ont fait,
11:25 on se connaît, on évolue ensemble,
11:27 mais au début, c'est là où on doit tâtonner
11:30 et répondre à ce qu'on imagine du client.
11:34 Et si on va dans quelque chose qui est trop dur,
11:36 c'est qu'on a mal estimé et on se réajuste pour la suite.
11:40 - J'ai lu une petite interview de vous.
11:42 Vous évoquiez une sortie sur la mer de glace, je crois,
11:45 avec des clients américains,
11:47 qui étaient pas forcément en phase, pas forcément techniquement,
11:50 mais avec votre façon de penser du moment.
11:53 - Oui, alors ça, c'est...
11:55 En plus, j'étais aspie encore à l'époque.
11:58 Et on prend le boulot... - Comme il vient.
12:02 - Comme il vient.
12:04 Et donc je faisais beaucoup de Vallée blanche. J'adore.
12:06 Donc on sait pas... Les gens qu'on va rencontrer, c'est une surprise.
12:10 Et là, j'étais tombée sur 2 climatosceptiques.
12:13 Et... Ouais, ça avait été un peu particulier.
12:16 Je... J'm'étais dit que j'étais...
12:19 Ouais, j'étais pas en phase.
12:21 - Dans la Vallée blanche, vous aviez tout pour montrer
12:23 que ça se réchauffe en climatique.
12:25 - Surtout la remontée des escaliers.
12:27 Et puis surtout, en fait, j'ai compris...
12:29 Bon, après, peut-être que c'est trop politique, ce que je veux dire,
12:31 mais ils étaient très engagés pour pro-Trump.
12:33 Alors déjà, ça m'a mis la puce à l'oreille.
12:35 Et dans la remontée des escaliers de la mer de glace,
12:38 j'avais beau leur dire oui, effectivement,
12:40 c'est normal que ça se réchauffe et que ça fonde,
12:42 mais là, on peut quand même observer l'accélération.
12:45 Et ça, pour eux, c'était juste de la manipulation de masse.
12:49 Et j'avais pas trop d'arguments.
12:52 - Alors des fois, il faut pas essayer de faire entendre raison
12:56 à des gens quand les opinions sont trop différentes.
12:59 On refuse pas un client, mais on peut en lâcher un en cours de projet.
13:03 Frédéric, à un moment, avec Jordan,
13:06 vous étiez plus non plus en phase avec son idée de faire les 82-4000.
13:10 - Oui, disons que c'est normal aussi sur un projet un peu long comme ça
13:15 qu'il y ait des moments où finalement on soit plus complètement en phase.
13:18 Et puis ça a permis notamment de remettre les pendules à l'heure
13:24 et puis de s'accorder à nouveau.
13:26 Voilà parce que finalement,
13:28 nos attentes ont aussi évolué en fonction du projet.
13:31 Donc plus ça allait, plus moi, j'avais d'exigences finalement
13:36 sur ce que Jordan devait être aussi comme partenaire,
13:43 notamment en montagne.
13:46 Et c'était important pour moi qu'elle participe.
13:50 Voilà, beaucoup plus que devrait le faire un client lambda finalement,
13:55 parce que j'avais besoin d'un associé plus qu'un client finalement.
14:00 - Et là, vous aviez passé le stade du simple client avec son guide.
14:04 Vous étiez presque une cordée lancée sur un même projet.
14:08 - Exactement. Petit à petit, la cordée s'est construite.
14:12 Et finalement, il y avait des choses qui t'incombaient directement.
14:21 L'organisation et la compréhension aussi du milieu dans lequel on évoluait.
14:25 - Ça a été une phase un peu compliquée de votre projet
14:28 de se retrouver pendant quelque temps.
14:30 Frédéric a vite revenu sur le projet,
14:33 mais à un moment, vous étiez coupé dans votre élan.
14:36 - Oui, pendant quatre jours.
14:38 Donc ça a été... Enfin, quatre ou cinq jours, je sais pas.
14:42 Mais oui, il y a eu un arrêt brutal,
14:44 ce qui m'a fait poser beaucoup de questions.
14:47 Donc... Mais c'était... Finalement, ça a été un mal pour un bien.
14:51 D'abord, je me suis rendue compte à quel point, voilà, je tenais à ce projet.
14:55 C'est-à-dire que j'ai dû me reposer la question,
14:57 qu'est-ce que j'arrête, est-ce que je continue,
14:59 qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce qui est en jeu à ce moment-là ?
15:04 Et voilà. Et j'ai pris aussi conscience
15:08 que je tenais également beaucoup à cette cordée,
15:10 en me disant, oui, c'est vraiment un gage de sécurité pour moi.
15:13 Donc là, tout d'un coup, moi qui avais jamais fait de cauchemars,
15:16 de quoi que ce soit, je commençais à avoir des pitons
15:19 qui s'arrachaient des montagnes, des cordes qui se cassaient.
15:23 Voilà, des rêves un peu difficiles.
15:25 Voilà. Donc je pense qu'après,
15:27 on a pu aussi repartir sur des bonnes bases.
15:30 Et ça a été vraiment... Je pense que c'était assez salvateur, en fait.
15:33 - Vous comptez pas le nombre de sommets, Frédéric.
15:36 Donc j'imagine que vous avez pas compté le nombre d'heures
15:38 que vous avez passées avec Jordan,
15:40 reliées par une corde ou sur des parois ou dans des bivouacs,
15:43 puisque vous avez aussi passé des nuits en montagne.
15:46 Mais ça représente forcément beaucoup, beaucoup de temps.
15:50 Il faut qu'il y ait une compréhension, une intimité,
15:52 même, qui puisse exister, coexister entre deux membres d'une cordée.
15:56 - Oui, oui, oui.
15:58 C'est sûr qu'il y a une évolution entre le début et la fin du projet.
16:03 C'est vrai qu'on apprend à se connaître de plus en plus.
16:09 Les choses deviennent automatiques.
16:12 On se parlait d'ailleurs de moins en moins.
16:15 Parce que finalement, on avait moins besoin de se parler.
16:19 On se comprenait finalement plus facilement aussi.
16:23 Mais oui, oui, il y a eu une proximité,
16:27 de toute manière, qui se crée.
16:29 De toute manière, à partir du moment où on sent corde
16:32 et qu'on va en montagne avec quelqu'un,
16:34 on donne une partie de soi et c'est très vite.
16:39 Il y a un lien fort qui se crée, quoi qu'il en soit.
16:44 - À part les clients américains, vous le ressentez très vite, ce lien ?
16:47 Vous êtes une communicante avec vos clients.
16:49 Parce qu'on a aussi parfois l'image des guides, notamment à Chamonix,
16:53 un peu à l'ancienne, qui emmènent le client là où il veut aller,
16:57 mais ça s'arrête là.
16:58 - Non, je pense que c'est une image qui est passée.
17:03 On est quand même plus dans la communication.
17:05 En tout cas, moi, je le suis.
17:07 Mais c'est quand même la relation de confiance.
17:11 C'est pas quelque chose qui s'installe, qui s'instaure dès le début.
17:15 C'est quelque chose qui se construit petit à petit.
17:18 Du coup, généralement, ça va plutôt dans un sens.
17:21 Les clients, ils vont plus vite nous faire confiance
17:24 parce qu'on est professionnels.
17:26 Et dès la 1re course, ils vont...
17:29 En fait, s'ils reviennent pas, c'est qu'ils nous ont pas fait confiance.
17:32 Alors que nous, c'est quelque chose qui se construit sur le plus long terme.
17:37 - Jordan, qu'est-ce qui a été le plus dur dans ce projet,
17:41 les 4000 des Alpes ?
17:44 - De maintenir un entraînement entre les ascensions,
17:47 en fait, pendant 2 ans et demi.
17:49 Ne pas se blesser.
17:51 On avait un calendrier assez précis avec Fred.
17:54 Et du coup, je m'entraînais vraiment beaucoup entre chaque période.
17:58 - Parce que vous vivez en Belgique.
18:00 - Voilà.
18:01 - Donc, si vous êtes française...
18:03 - Je vis dans le pays.
18:05 - C'est pas idéal pour s'entraîner, même si vous avez trouvé,
18:08 on le voit sur ces images, quelques séquences.
18:10 - Non, en fait, rapidement, j'ai dû m'entourer de professionnels
18:13 parce qu'il fallait que je compense le manque de dénivelé
18:16 que j'avais autour de moi.
18:18 J'aime bien escalader en salle, mais pas tant que ça.
18:21 J'aime vraiment être en montagne.
18:24 Après, tout est prétexte. Pour moi, tout est un outil.
18:27 Au départ, j'ai pas une passion dévorante ni pour le ski,
18:30 ni pour l'alpinisme.
18:32 Pour l'escalade, pardon.
18:34 C'est plutôt des outils pour passer le plus de temps possible en montagne.
18:38 Donc, c'était un peu douloureux pour moi de m'entraîner,
18:41 parfois pendant des périodes de confinement
18:43 où je voyais jamais la fin.
18:45 Je me demandais si je vais arriver au pied de ces montagnes.
18:48 - C'est pas un défi à prendre à la légère.
18:50 Les 82 4000, il y a de grands noms de la montagne
18:53 qui s'y sont attelés sur d'autres formes.
18:56 Là, on a retrouvé des images de Patrick Béraud
18:59 qui avait tenté d'enchaîner les 82 4000.
19:02 Lui, il s'était fixé un objectif de les faire en 82 jours.
19:06 C'était en 2004.
19:09 Patrick Béraud qui trouvait la mort quelques instants
19:12 après ces dernières images.
19:14 C'était l'ascension du dôme de Mishabel dans le Valais suisse.
19:17 Il était avec notre guide Philippe Magna.
19:20 Quand on part sur des sommets comme ça de haute montagne,
19:24 Frédéric, il y a forcément une prise de risque.
19:27 - Oui, il y a une prise de risque qui est inévitable.
19:33 Après, il faut voir que là, Patrick était lui parti, je crois, au mois de mars.
19:39 Donc, il avait attaqué avec des conditions quand même qui étaient délicates,
19:43 beaucoup plus délicates que ce que nous, on a pu connaître.
19:46 J'ai quand même mis un point d'honneur à sortir
19:49 quand les conditions étaient optimum.
19:52 C'est aussi pour ça que ça s'est étalé sur deux ans et demi.
19:55 C'est parce qu'en fait, on attendait le bon créneau pour y aller.
19:58 Donc, on ne peut pas faire disparaître tous les risques.
20:04 Il y a un risque en montagne, tout le monde le connaît.
20:07 Mais par contre, on peut le minimiser et mettre toutes les chances de notre côté.
20:11 - Patrick Béraud est mort sur le 67e sommet de ces 4000 dômes de Michabelle.
20:18 Et vous l'avez gravé aussi, forcément, ce sommet.
20:21 C'était votre 67e également de la série.
20:23 Alors, je ne sais pas si c'était voulu ou si c'est un hasard complet, Frédéric.
20:28 - Je découvre.
20:30 - Non, c'était un hasard complet.
20:32 Non, ça n'a pas été pensé, calculé.
20:35 Mais on a eu une pensée pour Patrick Béraud
20:37 quand on était au sommet du Téchernes, effectivement.
20:39 Puis on a imaginé cette arête cornichée sur laquelle on est passé.
20:44 On s'est dit, effectivement, il y a moyen de se faire voir.
20:49 - Alors, il y a eu Lichetech qui les a enchaînés quelques années plus tard en deux mois, ces 84 000.
20:55 Il y a Liv Sansoz, c'est une championne du monde d'escalade,
20:59 qui s'est aussi lancée dans ce défi il y a quelques années.
21:02 Liv, ça ne vous a jamais intéressé ou attiré, ce type de record ?
21:08 - Non, pas trop.
21:10 C'est rigolo, on en parlait juste avant, mais j'avoue pas être trop collectionneuse.
21:15 Mais en tout cas, je trouve que c'est plutôt une chance
21:21 d'avoir pu former une cordée comme ça en tant que guide client.
21:24 C'est un projet vraiment atypique qui me plairait.
21:29 - La prise de risque, vous êtes mère de famille, Jordane.
21:33 Vous y avez pensé, vos proches y ont pensé pour vous, peut-être,
21:36 quand vous leur avez annoncé que vous partiez pour essayer d'escalader tous ces sommets ?
21:41 - Mes très proches, non, parce que mes enfants n'étaient pas très âgés,
21:45 donc je pense qu'ils ne se rendaient pas vraiment compte.
21:47 Il y a quand même eu une question, est-ce que tu vas mourir ?
21:50 Voilà, ça, c'était fait.
21:52 Mais c'est vrai que, rapidement, le cercle un peu plus large m'a parlé tout de suite du danger,
21:58 alors que moi, je ne l'ai jamais vraiment mis dans la balance.
22:01 Ce n'est pas ça qui m'aurait ralenti ou quoi que ce soit.
22:05 Et c'est peut-être aussi quelque chose que Fred m'a reproché à un moment donné,
22:08 c'est d'être un peu trop candide et peut-être de minimiser un peu la prise de risque.
22:15 Et j'avoue que je reconnais volontiers que j'ai bien minimisé le risque que je prenais.
22:21 Mais c'est vrai qu'en plus, tout s'est toujours très, très bien déroulé,
22:25 alors aussi parce que les conditions, on n'a pas pris de risque concernant la météo.
22:30 On a attendu un mois pour la dernière traversée, enfin les derniers sommets,
22:35 parce que les conditions n'étaient pas bonnes en montagne.
22:38 Enfin, on a quand même été très précautionnés, mais on n'est jamais à l'abri, évidemment.
22:41 Mais comme je dis souvent, c'est vrai que j'ai vite fait le choix entre une vie tranquille, sans risque,
22:50 mais très ennuyeuse, ou à un moment donné, partir avec une prise de risque plus importante,
22:55 mais où on vit quelque chose de plus fort.
22:57 Mais je pense que tous les montagnards doivent comprendre ce sentiment.
23:01 Oui, elle est inhérente à la pratique, cette prise de risque.
23:04 Elle peut peut-être évoluer aussi avec l'âge, avec l'évolution de sa carrière ?
23:09 J'ai envie de mentionner quand même dans le carnet de guide, le petit livre,
23:13 il y a Laetitia Chomet qui dit que le risque, c'est comme le sel, il en faut un petit peu pour relever,
23:19 mais trop, c'est dégueulasse.
23:21 Et dans ce qu'elle dit, Jordan, je pense qu'on commence tous la montagne très naïvement,
23:31 sans se rendre compte de ce que c'est.
23:33 Et nous, on a déjà fait ce pas parce que ça fait un moment qu'on y est.
23:38 Et tous les clients qui viennent vers la montagne, forcément, ils ont cette naïveté,
23:43 sauf qu'ils sont généralement plus âgés que ce que nous, on a été quand on en avait.
23:47 Et c'est à nous d'accepter, de leur faire prendre conscience sur ce risque,
23:51 parce qu'il y en a un qui est réel.
23:53 Et je pense qu'on n'est pas seulement guide dans l'activité physique,
23:59 mais aussi dans ça, dans ce que c'est le côté un peu sacré.
24:04 Nous, on a perdu plein de copains en montagne,
24:06 on a ce sens de ce que c'est la gravité de la mort à travers un accident en montagne.
24:13 Et là-dedans, on guide aussi nos clients dans cette prise de conscience.
24:18 Et dans le "oui, c'est un environnement dans lequel j'ai réellement envie d'être".
24:23 Et je ne pense pas qu'on puisse aller collectionner les 82 4000
24:26 sans avoir fait ce pas de prise de conscience.
24:29 Sinon, c'est un peu inconscient.
24:34 Du coup, je crois que j'arrive à comprendre le chemin qu'ils ont dû...
24:38 - Justement, on parlait tout à l'heure de ce petit clash qu'il y avait eu au milieu du projet.
24:44 En fait, c'est ce qui avait initié le clash, finalement.
24:49 J'avais envie de repréciser, finalement, l'engagement que ça représentait pour toi,
24:59 maman, mari, enfin, voilà, pour ta famille.
25:03 Parce que nous, le pas, on l'a fait.
25:05 On a déjà accepté, justement, ce risque-là.
25:08 Mais il faut être conscient, justement, qu'on ne va pas pouvoir le faire disparaître,
25:12 bien qu'on soit guidé.
25:13 - Il fallait que j'en donne l'intérêt.
25:15 Et d'ailleurs, vous vous êtes fait peur, notamment sur l'arrêt du Mont Brouillard,
25:19 qui était un des derniers sommets que vous avez gravis avec Frédéric.
25:23 - Oui, avec toute la gravité de l'été où on l'a fait,
25:26 enfin, qui était caniculaire et où la montagne s'effondrait.
25:31 Enfin, il y avait quand même beaucoup de choses qui étaient inquiétantes en montagne,
25:34 des glaciers qui disparaissaient.
25:35 Enfin, on parlait quand même sans être...
25:37 Alors, pour le coup, moi, je ne suis pas trop climato-sceptique.
25:39 Je suis plutôt un peu dans l'éco-anxiété.
25:41 Donc, c'est vrai qu'on a été un petit peu stressés à l'idée de partir.
25:46 Et c'est vraiment poser la question de savoir si on allait jusqu'au bout
25:49 ou si on s'arrêtait à 79 en se disant, voilà, la montagne a changé.
25:53 La liste des 82 devrait évoluer.
25:55 Et puis, faisons un communiqué et expliquons notre démarche.
25:58 Mais on n'ira pas jusqu'au bout.
26:00 Après, une fois qu'on a dit ça, c'est compliqué.
26:03 Il y a une petite fenêtre qui s'ouvre.
26:05 Il y a un refroidissement.
26:06 On se dit, ah, ça va peut-être un peu coller tout ça.
26:08 Et on part.
26:09 Mais on voit bien qu'il n'y a pas grand-chose qui tient.
26:12 Et on va devoir tirer à deux fois sur chaque prise avant d'avancer.
26:16 Donc, oui, ça fait réfléchir.
26:19 En tout cas, ça m'a bien fait réfléchir pendant toute la durée de la traversée.
26:22 - Ce sont les images qu'on a vues.
26:23 Parce qu'au cours de votre projet, vous avez décidé de faire un film.
26:26 Donc, forcément, il fallait des images.
26:29 Il fallait des gens qui puissent vous accompagner et les faire.
26:32 Alors, vous avez payé les services d'une star de la montagne.
26:35 Puisqu'il est, comme lise Piolet d'or.
26:38 C'est Elias Miro qui vous a accompagné sur quelques sommets.
26:42 - Oui, il y a eu Elias.
26:43 Mais enfin, il y a eu aussi David Hautemont,
26:45 qui connaît les Alpes comme personne,
26:48 qui nous a accompagné sur plusieurs sommets.
26:50 Oui, plusieurs.
26:51 Olivier Bigini aussi.
26:52 - Olivier Bigini.
26:53 - Jeune gendarme du PGHM.
26:55 Très, très en forme.
26:57 C'était chouette d'avoir des nouveaux compagnons de cordée, oui,
27:00 à la fin du projet.
27:01 Très chouette.
27:02 - Ça vous est déjà arrivé d'être engagée sur un projet de film
27:04 pour assurer la sécurité des cadreurs ou des protagonistes ?
27:09 - Oui, pas directement comme ça, mais un peu, un peu, oui.
27:14 C'est, ça rend l'aventure plus complexe.
27:17 - Ça change la donne d'avoir une caméra, Frédérique,
27:20 vous qui êtes le professionnel de l'aventure,
27:22 de savoir que là, on vous filme
27:24 et que ça vous pousse peut-être à faire des choses différemment ?
27:28 - Disons que ce qui était très facile,
27:32 parce que finalement, la personne qui a fait le plus d'images avec nous,
27:36 c'est David Hautement.
27:38 Et c'est très facile avec lui parce que c'est un montagnard aguerri.
27:43 Il daigne parfois de se mettre sur la corde, mais très rarement.
27:47 Donc il arrive à...
27:48 - Il y a eu quelques engueulades avec Elias Mirou,
27:50 que vous aviez embauché pour le chemin, puis en fait, vous ne voulez pas.
27:53 - On s'était brassé une fois, là, au sommet du Chré-Corne.
27:57 Mais parce que je connaissais peu David,
28:00 et puis je ne connaissais pas son mode de fonctionnement.
28:02 Et c'est vrai que de le voir évoluer en solo autour de moi,
28:04 ça me stressait un petit peu, d'autant plus que j'avais un sentiment
28:07 de responsabilité par rapport à toute l'équipe qui était là.
28:09 Et finalement, j'ai refait appel à lui pour aller sur l'arrêt du brouillard,
28:16 d'ailleurs, en lui disant, c'est direct de repartir avec nous,
28:20 malgré le fait que j'étais crié dessus au Chré-Corne,
28:23 mais j'étais très content d'être avec lui.
28:25 C'est très facile. Un gars chouette et un pro de la caméra en montagne.
28:31 - La peur en montagne dont on parlait, vous dites, Frédéric,
28:34 la ressentir avant, après, mais jamais pendant dans le feu de l'action ?
28:38 - Non, une fois qu'on est engagé, finalement, c'est plus un outil,
28:43 la peur, qui va nous permettre de prendre les bonnes décisions.
28:47 Mais voilà, on est tellement concentré que la peur, on la ressent peu sur place.
28:56 - C'est difficile dans une carrière de ne pas être confronté à des moments où on flippe ?
29:02 - Pour moi, la peur, elle est nécessaire.
29:05 Ça fait partie de notre instinct de survie, on va dire.
29:08 Et on ne la gère pas de la même manière au début de notre carrière
29:15 qu'à la fin ou pendant.
29:17 Et ça va vraiment dépendre de ce qui nous influence.
29:20 Mais je pense qu'elle est nécessaire.
29:22 Le tout, c'est de ne pas se laisser emporter par une peur un peu irrationnelle.
29:28 Sinon, on n'y va pas.
29:30 Mais ça ne sert à rien non plus de faire des courses avec la peur au ventre.
29:33 C'est qu'on n'est pas au bon endroit.
29:35 Pour moi, c'est un peu son ventre qui parle.
29:37 Il me dit, là, c'est que je n'ai pas accepté certains paramètres
29:40 dont on parlait tout à l'heure, comme la prise de risque.
29:43 Peut-être qu'elle n'est pas OK à ce moment-là pour moi.
29:45 Et bien, je n'ai rien à faire ici.
29:48 - J'ai retrouvé des images, Lise, qui ont dû vous faire peur à l'époque où elles ont eu lieu.
29:54 Vous allez reconnaître évidemment où ça se passe, avec un de vos compagnons de cordée
29:57 qui fait une chute en crevasse.
29:59 - Oui. Alors, ce n'était pas...
30:02 Ça, ce n'est pas les moments les plus inquiétants, on va dire.
30:06 Mais oui, j'ai...
30:09 C'est des moments comme ça qu'on ne regrette pas.
30:12 - La corde, on sent l'utilité dans des cas comme ça.
30:15 - Oui.
30:16 - C'était au Réseau Patron.
30:18 - C'était au Réseau Patron.
30:19 Mais on avait eu un accident 2 ans, je crois, auparavant, au Cérotauré, typiquement,
30:27 où la peur m'avait mis...
30:29 On était partis, je ne sais plus si c'était un jeudi, admettons.
30:33 Et moi, sur le glacier, j'avais la boule au ventre.
30:37 Je n'avais pas envie d'être là, en fait.
30:38 Donc, on retourne au camp de base.
30:40 On ne commence pas à grimper. On repart le lendemain et on a notre accident.
30:43 Mais pour moi, ce n'est pas anodin.
30:45 Je n'avais pas, à ce moment-là...
30:47 On peut se questionner sur mes compétences du moment ou des choses comme ça.
30:51 Mais surtout, en fait, je n'étais pas OK avec l'environnement dans lequel j'étais
30:54 à ce moment-là de ma carrière.
30:56 Peut-être que maintenant, quand j'y reviens, avec l'expérience que j'ai
30:59 et avec les prises de conscience que j'ai eues par rapport à mon activité,
31:04 j'aurai cette peur, je l'aurai toujours,
31:06 mais ce ne sera pas une peur terreur qui me fige sur le glacier.
31:10 Là, c'était Jérôme Sullivan qui était dans la crevasse.
31:13 J'en parle parce qu'il a été obligé de revenir au camp de base.
31:18 Vous étiez en Patagonie, très éloigné, dans des circonstances un peu particulières.
31:22 Mais il vient d'être nommé une deuxième fois pour le Piole d'Or, en 2023.
31:27 Oui, et c'est très rigolo parce que du coup, je suis jurée sur le Piole d'Or.
31:31 Oui, j'ai vu ça.
31:32 Je me suis demandé s'il n'y avait pas un conflit d'intérêts.
31:36 Vous qui l'avez sauvé d'une crevasse.
31:38 Ils ont fait une super ascension l'année dernière,
31:42 vraiment qui a été remarquée unanimement par tous les membres du jury.
31:46 Je me suis demandé s'il n'y avait pas un conflit d'intérêts,
31:49 mais vu le retour des autres membres du jury, ça m'a rassurée.
31:53 D'ailleurs, sur le réseau patron, il est resté sept jours avec l'épaule luxée.
31:59 Avec toute la descente qu'on a vu dans la jungle pour revenir au bord de la mer.
32:04 Vous avez douté, Frédéric, d'arriver à finir ces 4000 au cours de ces deux années ?
32:12 Douter ? Il y avait toujours un point d'interrogation, quoi qu'il en soit,
32:17 puisque notre démarche, c'était de partir plus ou moins des plus simples vers les plus difficiles.
32:22 Et ce que je disais, c'est que finalement, le sommet qu'on faisait me donnait un petit peu l'aval,
32:30 me révélait la possibilité d'aller sur le suivant.
32:36 Parce que je me disais, finalement, techniquement, ça passe là, on peut aller sur celui-là.
32:40 Et de fil en aiguille, on est arrivé au bout.
32:43 À un moment donné, effectivement, vers le 70e, je savais que techniquement,
32:48 on était calé, il n'y avait pas de problème.
32:52 Jordan avait bien progressé au fur et à mesure ?
32:55 Non, c'était indispensable de progresser.
33:00 Parce qu'entre la danderrince et puis l'intégrale de Petret ou du brouillard,
33:08 finalement, il y a quand même une différence de niveau.
33:12 Donc c'était nécessaire que Jordan s'entraîne,
33:15 qu'elle acquière finalement les compétences pour devenir une bonne alpiniste.
33:20 Et ce que tu es parvenu à faire, c'était...
33:24 Voilà, donc je n'ai pas douté.
33:27 Il y a un des chapitres où Jordan l'a intitulé "Si je passe les Jauras, j'irai au bout".
33:32 Je ne savais pas si bien dire.
33:34 C'était votre montagne repère.
33:36 Un peu, oui, c'était aussi un rêve.
33:38 Oui, les Grandes Jauras, ça fait rêver beaucoup de monde.
33:42 On va voir justement les images, je crois que c'est de votre dernier sommet, celui-là, le 82e.
33:48 Alors vous aviez choisi une belle journée pour immortaliser ce moment.
33:52 Il y avait de l'émotion ?
33:54 Ah, c'est un sujet entre nous, ça.
33:57 Parce que de l'émotion, moi j'en ai ressenti énormément.
34:01 Et je crois qu'on le voit sur les images et sur la bande-son.
34:05 Pour Fred, ça a été un petit peu plus, on va dire, subtil.
34:10 Et j'ai presque reproché après, c'est-à-dire qu'on n'était pas du tout en phase.
34:15 Je n'ai pas sauté de joie.
34:17 Parce que celui-là, il y avait un peu de vide autour.
34:20 Oui, et puis en plus, quand on arrive au sommet de la Pointe-Jouy à Médée,
34:24 il faut se taper toute la règle pour aller au sommet du Mont-Blanc.
34:27 Et finalement, on a fait avec la moitié de la journée.
34:29 Donc je savais que finalement, le projet, il se continuait encore.
34:34 Et puis, je suis peut-être moins expressif que toi.
34:39 Très clairement.
34:40 On voit effectivement le sommet du Mont-Blanc symboliquement finir.
34:45 Tu vois, tu as trouvé quelqu'un en refus.
34:47 Heureusement, il y avait un caméraman.
34:49 On sent que Jordan est ému, lâche même quelques larmes.
34:56 Frédéric, c'est son côté breton peut-être ?
35:00 C'est pour ça, j'étais ému intérieurement.
35:04 En tout cas, c'était une première pour une cordée mixte.
35:09 Guide, client de réussir ses 82 4000 en deux ans à peu près.
35:16 C'est sur le papier quand même un beau défi physique
35:21 pour une alpiniste "amatrice" comme était Jordan à ses débuts.
35:26 Oui, c'est une belle réussite.
35:31 En tout cas, pour la cordée, c'est une belle réussite.
35:33 Moi, je suis autant satisfait que Jordan d'être allé au bout de ce projet.
35:39 Après, il y a beaucoup de guides qui ont fait les 82 4000.
35:46 Il y a pas mal de guides à l'avoir fait.
35:48 Après, ce que je ne sais pas, c'est s'il y a eu une cordée guide client du début à la fin.
35:55 Il y a une Française qui a dû vivre un peu près le même type d'émotion que vous, Jordan.
36:02 C'était en juin dernier.
36:04 On la voit là sur ces images.
36:06 Un peu plus haut puisqu'elle est au sommet du Nanga Parbat,
36:09 qui était son 14e sommet de 8000.
36:12 Il s'agit de Sophie Laveau, qui a été la première Française et la première Française d'ailleurs
36:17 à boucler les 14 8000.
36:20 Aucun n'avait réussi ce défi.
36:22 Même si des grands noms comme Benoît Chamoux, Jean-Christophe Lafaye ou Éric Escoffier y avaient essayé.
36:29 Ils y avaient d'ailleurs laissé leur vie.
36:31 C'est un drôle de paradoxe que ce soit une amatrice qui vienne inscrire son premier nom sur les tablettes.
36:36 Qu'est-ce que ça vous a inspiré cette performance, Lise ?
36:40 Moi, ce n'est pas un alpinisme qui me parle.
36:43 Je ne pratique pas du tout comme ça, pour moi.
36:47 Après, ce que je trouve génial dans la montagne, c'est que chacun va chercher ce qu'il veut.
36:55 Je trouve que c'est un chouette coin d'œil que ce soit une nana qui coiffe les becs.
37:01 Même si les noms que j'ai cités ont escaladé ces 8000,
37:05 ont essayé de les escalader avec d'autres moyens que les voies normales.
37:08 On voit Sophie Laveau sur les cordes fixes.
37:10 L'esprit de cordée à 8000, Frédéric, il est moins présent que ça peut l'être dans les Alpes.
37:16 Disons que moi, si j'emmenais quelqu'un sur un sommet de 8000,
37:21 je pense que j'oublierais effectivement que je suis avec quelqu'un.
37:23 La cordée n'existerait plus.
37:26 Après, la pratique de l'alpinisme en Himalaya est complètement différente.
37:35 Donc, effectivement, guide criant ou même cordée d'amateur, ça n'existe plus.
37:41 On grimpe en solo ou on grimpe sur des cordes fixes, mais c'est différent.
37:47 Elle a un point commun avec vous, Jordane.
37:51 Sophie Laveau, c'est qu'elle s'est mise à la montagne très tard.
37:54 Elle a fait son premier Mont Blanc à 36 ans,
37:56 avant de se lancer dans cette idée d'enchaîner les 8000 de la planète.
38:00 Ça lui a pris un peu plus de temps que vous, je crois qu'une douzaine d'années.
38:03 Mais vous aussi, vous n'êtes pas née avec des crampons et des piolets dans les mains.
38:07 Non, pas du tout.
38:09 J'ai cherché dans le grenier de mes parents, mais il n'y a aucune trace,
38:12 rien du tout, ni de cordes, ni de tricounis, rien du tout.
38:16 Non, non, je n'étais même jamais quasiment allée en montagne avant mes 30 ans, je crois à peu près.
38:21 Non, 20 ans, 20 ans.
38:23 Mais l'alpinisme, je le découvre à 30 ans avec le Mont Blanc,
38:27 enfin un stage Mont Blanc très classiquement, comme Sophie Laveau.
38:31 Comme Sophie Laveau, je vous le salue,
38:33 c'est quand même un bel exploit d'avoir la chance de réussir ces sommets de plus de 8000 mètres.
38:41 Elle n'a pas eu le même guide du début à la fin.
38:45 Ça a beaucoup bougé.
38:46 Il y avait à la fois les Sherpas, il y avait François Damillano,
38:48 qui l'a filmé, comme on le voit sur ces images,
38:51 lors de différentes ascensions, notamment à l'Everest.
38:54 Gravir le toit du monde, Lise, pas forcément par les voies normales,
38:58 mais aller au moins une fois dans sa carrière d'alpinisme tout en haut,
39:02 c'est quelque chose qui vous attire ?
39:04 - Je vais être une déception pour toi, parce que je dis non à chaque question.
39:08 - Moi, je n'ai pas de réponse prévue.
39:10 - Moi, j'aime bien...
39:11 Alors, j'adore aller en Himalaya, mais j'aime bien...
39:13 Moi, j'aime bien les montagnes, les sommets techniques.
39:16 Et là, à très haute altitude, c'est pas quelque chose qui m'attire en soi,
39:20 marcher dans la neige, voilà.
39:22 Après, pourquoi pas le faire avec...
39:25 Le partager avec un client sur des voies normales.
39:29 Et dans ma pratique personnelle, c'est pas du tout quelque chose qui m'attire.
39:34 Même ouvrir une voie sur un limite,
39:36 déjà, je pense que j'ai pas le niveau technique,
39:38 et surtout, j'en ai pas l'envie.
39:40 - Bon. Alors, au-delà de la condition physique, de la pugnacité,
39:43 de la chance aussi pour réussir des défis comme ça,
39:46 il faut aussi un peu d'argent.
39:48 Pour Sophie Laveau, je crois que ça se compte en millions d'euros,
39:50 le budget qu'elle a investi dans ce projet pendant une douzaine d'années.
39:54 Vous savez combien ça vous a coûté, vous, Jordane ?
39:56 Vous avez fait le bilan.
39:58 - Le Fred, j'imagine qu'il...
40:00 - Le Fred qui peut vous donner les montes.
40:02 - Oui, il sait combien ça lui a rapporté.
40:04 - Pourquoi vous parlez en millions, là ?
40:07 - Alors, oui, non, ça se compte pas du tout en millions,
40:10 mais non, j'ai pas fait de calcul.
40:12 Non, mais bien sûr, c'est pas du tout ces budgets-là. Non, non.
40:15 - Mais c'est quand même un investissement financier.
40:17 Alors, vous aviez le même sponsor que Sophie Laveau,
40:20 Millet, je crois, qui vous a soutenus dans cette initiative.
40:23 - Oui, Millet, oui, et puis quelques...
40:25 Un peu de soutien financier aussi.
40:28 Mais non, non, c'est surtout bourse personnelle.
40:31 Mais voilà. Mais non, non, c'est pas du tout dans ces proportions-là.
40:35 Mais j'ai pas de chiffres à vous donner, non. Ouais.
40:37 - Ça va faire un trou dans le chiffre d'affaires, Frédéric, maintenant que vous avez fini la...
40:41 - Alors, je le précise, mais pas du tout,
40:43 parce que tous ces clients veulent faire les 80 décaptiles.
40:46 - Ah, ben voilà, c'est devenu le guide qui emmène les clients en haut.
40:51 - Non, non, non.
40:53 D'ailleurs, je sais pas si je repartirais sur un projet comme ça.
40:57 Enfin, faudrait pas qu'il soit défini tel quel.
40:59 C'est-à-dire que pourquoi pas, en fin de compte,
41:03 que ce ne soit pas un projet qui monopolise autant de temps.
41:09 Parce que finalement, c'est fabuleux comme projet pour un guide.
41:13 Mais c'est vrai que ça m'a rendu indisponible pour une partie de ma clientèle
41:20 et qui, pour certains d'entre eux, sont partis avec un autre guide à un moment donné
41:27 et puis sont restés avec lui parce que... - Ça se passait bien.
41:30 - Ils l'ont préféré. Voilà.
41:32 - C'était pas piscine, c'était G4000. Je peux pas G4000.
41:35 - Voilà. - Ce que dit, répondait Frédéric à ses clients.
41:38 Pour revenir sur les histoires de budget, ça reste un sport qui nécessite des moyens,
41:42 l'alpinisme, qui est forcément restreint à des gens qui peuvent se payer ce type de loisirs, Alice.
41:49 - Oui, ça reste quand même un sport pour une classe social aisée,
41:56 mais même nous, en pro, à la base, moi, je viens d'un milieu qui m'a permis d'aller vers ça.
42:02 C'est quand même pas quelque chose qui est accessible à tout le monde.
42:06 Mais quand je vais faire mes expéditions pour moi toute seule, c'est un budget, oui.
42:12 - Et forcément, même quand on est alpiniste professionnel,
42:15 le nerf de l'activité, c'est de trouver des financements, des sponsors pour aller en Patagonie ou au Pakistan,
42:22 qui est la dernière destination où vous étiez il y a encore quelques semaines.
42:27 - Non, quelques mois. - Quelques mois.
42:29 - Oui, en même temps, des mois sont des semaines. - Ça passe vite.
42:32 C'est vrai, il suffit de mettre le bon nombre derrière et on y arrive.
42:36 Alors, Pakistan, c'est connu pour un célèbre sommet, le K2.
42:40 On a envoyé des images avec Sophie Laveau et puis le Langue à part Bate aussi.
42:45 Mais vous, c'est pas le K2 que vous êtes allé gravir, c'est le K7.
42:48 Alors, je ne savais pas qu'il y avait une déclinaison comme ça.
42:50 Je ne sais pas jusqu'à combien ça va, les K au Pakistan.
42:52 - Eh bien, j'imagine que jusqu'au 16, peut-être qu'il y en a plus.
42:56 Parce qu'en face du K7, il y a le K6. Je ne sais pas ce que ça veut dire, le K.
43:02 Je ne me suis pas renseignée. - Karakoram ?
43:04 - Karakoram. - C'est peut-être le nom du massif, effectivement.
43:07 Première initiale. Alors, le K7, un peu moins haut que le K2, un peu moins connu aussi.
43:13 Un peu moins fréquenté, j'imagine ? - Eh bien, cette année, non.
43:17 - Non, il n'y avait du monde ? - Le sommet en lui-même, il n'est pas très fréquenté.
43:21 Mais la vallée dans laquelle on va, c'est la vallée du Charakouza.
43:25 Et cette année, on a fait cinq expéditions au camp de base, ce qui était un peu une première.
43:29 Normalement, ce ne sont pas des vallées où il y a beaucoup de gens.
43:33 Mais oui, ce sont des vallées qui sont moins fréquentées, tout simplement,
43:36 parce que les sommets n'atteignent pas cette fameuse barre des 8000.
43:41 Mais voilà, par contre, c'est un terrain de jeu fabuleux pour des gens comme nous
43:47 qui cherchons un peu plus de technicité et à faire des ouvertures.
43:51 - On vous voit là sur cette face. Je crois qu'il y avait une arrête de plus de 2 km à remonter pour arriver au sommet.
43:57 - Oui. Et là, c'est les phases annonces. - L'approche ?
44:02 - Non, c'est bien sur le sommet. On a buté au dernier ressaut, juste après celui-ci,
44:10 parce que ça prend du temps. Il faut avoir le créneau météo adéquat.
44:16 - Vous êtes partie pour combien de semaines, justement, sur un projet comme ça ?
44:19 - On est partie sur quatre semaines. Donc il y a toujours des phases d'acclimatation,
44:23 parce qu'on est confronté à l'altitude. Et le sommet, il sort à 6700, donc 6900, même. Je sais plus.
44:32 - Oui, donc on est déjà très haut. - On est déjà très haut.
44:34 - Le défait de l'altitude... - Et donc on a besoin de s'acclimater plus longtemps que dans les Alpes.
44:41 Donc on part sur plusieurs semaines. Et là, on était partie pour grimper pour une semaine.
44:48 - Comment on choisit un objectif comme celui-là ? Parce qu'il y en a des milliers de sommets au Pakistan.
44:54 - Alors généralement, on va frapper à la bibliothèque de l'ENSA et on demande à Martine.
44:58 On lui dit "Martine, sors-nous tout ce que tu peux sur les plus beaux sommets de telle région".
45:03 On a chacun nos petits trucs. Et moi, je sais que je suis beaucoup attirée par le voyage aussi.
45:09 Donc le Pakistan, c'était un endroit que j'avais vraiment envie de connaître.
45:13 Donc j'ai orienté mes recherches vers ça. Après, on a des profils de montagne qui nous attirent plus ou moins.
45:20 Moi, je suis plus attirée par de la technicité un peu verticale, un peu mixte et rocheuse.
45:25 La neige, ça m'attire un peu moins. Donc voilà. Et puis on affine petit à petit.
45:29 On se plonge dans les livres, dans les cartes. Et petit à petit, on trouve ce qui nous intéresse.
45:35 - Le bon sommet où aller. Est-ce que le mauvais temps, le froid, la neige, ça vous attire, Lise ?
45:42 - Alors non, ça ne m'attire pas directement. Mais on a eu des conditions un peu compliquées.
45:49 - Là, vous êtes pratiquement pieds nus. Je ne sais pas à quelle altitude. Mais en tout cas, il fait froid.
45:52 - Là, on est à 6 400, je crois. Et il commence à faire un peu frais parce que la nuit, elle approche.
45:57 On a eu un été très chaud au Pakistan. Donc c'est un froid relatif. Il ne fait pas si froid.
46:05 Mais on ne vient pas chercher la tempête. Après, ouais, peut-être que dans ces endroits-là, ça me plaît un peu moins.
46:15 Mais par exemple, aller à Aubaine-Nevis et être un peu dans la tempête sur des journées qui sont un peu moins engagées,
46:20 oui, ça peut m'amuser. Ou dans le massif du Mont-Blanc.
46:23 - Elle vous a fait rebousser chemin, quand même, cette météo sur cette ascension.
46:27 - Là, on a eu du mauvais tous les jours. - Au bout d'un moment, on lâche l'affaire.
46:31 - C'est frustrant quand on part aussi loin, qu'on fait des semaines d'expédition, d'être obligé d'arrêter, de ne pas faire le sommet.
46:40 Comment vous le vivez, vous ? - Alors moi, je suis assez... Alors les copains ont vécu beaucoup de frustrations.
46:46 Alors c'est un peu comme quand vous avez dû... Vous vous êtes posé la question pour le brouillard, à se dire...
46:50 "Merde, est-ce qu'on doit s'arrêter ?" Moi, l'ensemble de l'expérience, elle est déjà énorme pour moi.
46:58 - C'est très personnel. Je sais qu'il y en a qui... Clovis, qui était avec nous, ça a été très dur pour lui.
47:04 On avait des images où il crie dans la tente. Et vraiment, il dit "Fais chier, fais chier, fais chier".
47:09 Je suis désolée, c'est peut-être pour vous mettre des bibles. - C'est ce qu'il a dit.
47:12 - Mais moi, je... Alors déjà, je suis concentrée, pareil, sur... Quand je suis en haut et qu'on va buter, déjà, je suis concentrée sur la descente.
47:21 Pour moi, c'est pas fini. Il faut encore qu'on rentre. Et j'ai tendance à avoir les émotions qui me subergent après...
47:28 - Après la descente. - En digérant, quand je suis safe, de retour au camp de base ou même à la civilisation.
47:34 Mais pour moi, vraiment, tout ce qu'on a mis en place, déjà... Effectivement, je suis déçue de pas aller au sommet, parce qu'on vient pour ça.
47:42 Et on met tellement d'implications dans ce projet qu'on a envie de le mener à bout. Mais tout le cheminement est déjà assez fort pour moi.
47:50 - Vous parlez de la descente. Vous avez quand même une technique particulière. Je sais pas si c'est celle que vous enseignez aux jeunes alpinistes, Lise, pour descendre d'un sommet.
47:59 - Ouais. - Ouais ? C'est efficace. - C'est très efficace. Alors souvent, je conseillerais quand même de prendre une bâche...
48:06 - Un sac plastique. - Voilà, un sac plastique pour pas brûler le pantalon Gore-Tex. - Bon. Eh ben très bien. Vous validez cette technique.
48:14 - Je pratique aussi. - Vous pratiquez aussi ? Bon, Jordan, j'ai l'impression qu'elle a l'air d'être attirée par cette façon de redescendre assez rapidement,
48:21 puis une façon ludique d'un sommet. D'autres projets, Lise ? Les 4000, c'est pris. Les 8000 aussi. Il reste les 2000 dans les Boges.
48:32 - Ouais, les 2000 dans les Boges. Non, l'Espagne et aller clipper des dégaines sur des spits, c'est génial aussi. - Alors qu'on va venir sur de l'escalade pure.
48:40 - Ouais, avec des tapas le soir. - Ouais, ouais. Là, le mauvais temps est moins contraignant. - Non, je repars en Patagonie cet hiver, oui.
48:47 - D'accord. Bon, ben très bien. Jordan, elle a tout couché après ses ascensions dans ce livre, l'appel des 4000, où vous racontez,
48:58 même dans l'intimité, comment vous avez vécu ces 2 années. Vous l'avez lu, Frédéric ? - Oui, oui. 2 fois. - 2 fois ? Vous aviez pas compris la 1re fois ?
49:09 - Non, c'est parce qu'on m'a posé des questions dessus et j'étais pas capable de répondre. Donc allez, je l'aurai une 2nde fois.
49:16 Non, mais c'est assez spécial, finalement, de lire un livre dans lequel vous êtes cité, parce que finalement, vous avez une idée très imagée
49:24 de ce que vous avez vécu. Et parfois, ce qui est raconté, finalement, n'est pas exactement... Et ça colle pas exactement à votre réalité, à vous.
49:31 Donc il y avait une distorsion, ce qui faisait que j'avais du mal à faire... Disons, à oublier ce que moi, j'avais vécu pour rentrer dans le livre. Voilà.
49:45 - Bon. En tout cas, il est disponible. Si vous voulez vous inspirer de l'expérience de Jordan, j'ai 2 livres à vous présenter pour finir cette émission,
49:54 2 autres livres. Quel est le point commun ? Encore une petite colle. J'ai l'impression que l'Isabelle est là.
49:59 - Je vais encore pas savoir. - Entre le réalisateur des Bronzés, Patrice Lecomte, le magicien Eric Antoine, le violoniste Gautier Capuçon
50:06 et l'écrivain Bernard Minier, qui écrit les Polards. - Est-ce qu'ils font tous de la montagne ?
50:10 - Et bien, ils sont tous passionnés de la montagne. Ils se retrouvent tous dans ce livre qui vient de sortir également aux éditions Glena.
50:20 C'est une trentaine de personnalités. Voilà, ce sont livrés à Fabrice Lardo, qui est l'auteur, sur leur rapport à la montagne.
50:25 Dans cette galerie de portraits, on retrouve également quelques montagnards aguerris. Il y a la grimpeuse Stéphanie Baudet ou le guide Daniel Dulac.
50:32 Ça s'appelle "Leur montagne" et c'est aux éditions Glena. Comme il y a toujours un délai d'écriture, enfin un délai entre l'écriture et la parution,
50:40 on retrouve à titre posthume les confessions du chanteur Jean-Louis Murat, qui est descendé au printemps dernier, qui était aussi un passionné de montagne.
50:49 Voilà. Et puis, ce serait une faute professionnelle de ne pas en parler dans cette fin d'émission, puisque j'ai deux guides sur ce plateau.
50:57 Voilà, ces carnets de guides qui sortent également en ce moment aux éditions Glena, qui retracent les pérégrinations de Paul de Châtelperron et Simon Parcot,
51:07 qui sont partis à la rencontre d'une vingtaine de guides de haute montagne pour essayer de croquer le portrait d'un métier pas comme les autres.
51:13 Et vous savez qui on trouve dans cette galerie de portraits, Jordane ?
51:17 Non.
51:19 Alors là, vous avez une chance sur deux.
51:21 Catherine Destivelle.
51:23 Non, il n'y a pas Catherine Destivelle. Je vous donne un analyste. Elle a l'œil sec, trempé de glace, des gestes vifs, la langue acérée comme une lame de crampon.
51:32 Et voilà, c'est Lise Billon qui fait partie de ces vingt guides qui ont été croqués. Vous ouvrez le bouquin, pratiquement, Lise, là-dessus.
51:42 Vous l'avez lu aussi, les petits paragraphes qui vous ont consacré. Allez-là, Lise. Voilà. Donc, on vous reconnaît. Ouais. Allez.
51:54 C'est marqué dessus. Donc voilà, ça vient de sortir aussi aux éditions Glena et ça permet notamment pour le portrait de Lise de découvrir quelques anecdotes.
52:05 C'est là que j'ai pioché mes fameux américains climato-sceptiques qui vous accompagnaient sur la mer de glace.
52:10 Merci à tous les trois d'être venus sur le plateau de Grand Air. Je vous souhaite beaucoup de bonnes choses pour vos futurs projets et d'autres clients.
52:20 Frédéric, parce qu'une vie de guide, ça continue encore au moins une vingtaine d'années. Vous êtes encore tout jeune dans la force de l'âge.
52:27 Et puis, nous, on se retrouve prochainement avec d'autres invités pour d'autres aventures.
52:35 Merci. Merci beaucoup.
52:37 [Musique]