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Xerfi Canal a reçu Alain Burlaud, professeur émérite du Conservatoire National des Arts et Métiers, pour parler des décisions à partir de nombres faux.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Alain Burleau.
00:10 Bonjour Jean-Philippe Delis.
00:11 Alain Burleau, professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers et désormais
00:15 auteur du Collège de France de la gestion.
00:17 C'est une plaisanterie pour parler de cette collection, les grands auteurs francophones,
00:22 "Comptabilité, l'empire des nombres", c'est l'ouvrage que vous publiez, édition
00:26 EMS.
00:27 Ce n'est pas qu'une plaisanterie, le Collège de France de la gestion.
00:29 Question provocatrice Alain Burleau, est-ce que finalement on peut décider à partir
00:36 de nombres faux, voire en l'absence de nombres ?
00:39 Alors, on peut décider à partir de n'importe quoi en fait.
00:44 Donc le problème est de savoir si on décide bien ou pas bien.
00:48 Alors c'est évidemment un problème un petit peu compliqué.
00:52 Mais ce que l'on peut dire, c'est que globalement, la plupart des nombres à partir desquels
01:00 on décide dans une organisation en général, sont issus de la comptabilité.
01:05 Pas que, mais une bonne partie quand même.
01:09 Alors la comptabilité qui produit des états financiers à usage externe, c'est-à-dire
01:18 la comptabilité financière pour les entreprises privées et puis la comptabilité publique,
01:24 elle produit un bien commun.
01:26 L'accès à ce bien est gratuit, il est donc non exclusif et il est non rival.
01:38 C'était la typologie d'Eleanor Ostrom.
01:42 Alors donc, à partir du moment où on a un bien commun, on a forcément une intervention
01:49 des pouvoirs publics.
01:50 Et cette intervention, elle est assez ancienne, avec un mot, un terme qui est très important,
01:59 c'est celui d'image fidèle, parce que ça donne toute sa légitimité à la discipline.
02:05 Bien sûr.
02:06 Le mot image fidèle, il est introduit en 1844 en Angleterre, dans le Joint Stock Companies
02:14 Act.
02:15 Donc là, on parle d'image fidèle.
02:17 Et puis ce terme, donc "true unfair view" en anglais, il a été repris dans tout le
02:21 droit comptable jusqu'à aujourd'hui, bien sûr.
02:25 Alors, une image fidèle, ça veut dire finalement, c'est une photo.
02:30 Tant que la photo n'est pas trafiquée, la photo donne la réalité.
02:33 Mais il y a quand même un certain nombre de biais et qui sont soulignés depuis déjà
02:39 pas mal de temps.
02:40 Donc, je citerai un aphorisme d'Auguste de Tuff en 1937.
02:46 Prodigieux.
02:47 Je me permets de le lire parce que c'est magnifique.
02:50 Je vais le lire à votre place.
02:52 Un bilan est inéluctablement faux, car ou bien l'on y porte les choses pour qu'elles
03:00 ont coûté et ce qu'elles ont coûté n'est généralement plus ce qu'elles valent,
03:04 ou on prétend les porter pour ce qu'elles valent.
03:06 Et comment voulez-vous savoir ce que vaut une chose qu'on vendra ? On ne sait quand
03:11 ni comment et peut-être qu'on ne vendra jamais.
03:14 Aujourd'hui, à l'heure de tous les débats sur les taux d'intérêt, de l'inflation,
03:18 etc.
03:19 C'est magnifique et c'est toujours d'actualité.
03:23 Ça pose des problèmes de fond pour la discipline.
03:25 La comptabilité, le public n'en a souvent pas conscience.
03:32 Elle a l'apparence de l'objectivité, mais elle s'appuie quand même aussi sur certaines
03:38 doses de subjectivité.
03:40 Par exemple, la règle de prudence.
03:42 La prudence n'est pas la même selon que c'est Dupont ou Durand.
03:47 Les intentions, c'est-à-dire selon l'intention que l'on a en ce qui concerne un actif, ça
03:54 peut devenir une immobilisation ou un actif circulant.
03:58 Il y a également, en dehors de l'intention, le jugement professionnel.
04:06 Donc, on a un certain nombre d'éléments qui introduisent de la subjectivité.
04:12 S'agissant de la décision, la question est de savoir si c'est le nombre qui provoque
04:20 la décision ou si le nombre vient légitimer une décision qui a déjà été prise.
04:26 Et ça, on ne sait pas.
04:28 C'est extrêmement difficile.
04:30 Personne ne va vous dire « j'ai calculé tel ratio ».
04:33 On parlerait de procès d'intention parfois.
04:36 C'est extrêmement compliqué.
04:39 On ne va jamais l'avouer.
04:40 C'est très compliqué.
04:41 Le nombre, c'est un des principes de la comptabilité, doit être pertinent.
04:47 Mais on ne dit jamais « pertinent » pour quoi et pour qui.
04:50 Là aussi, ce qui est pertinent pour l'un peut ne pas l'être du tout pour l'autre.
04:55 C'est ce que j'aime beaucoup dans votre conclusion, au regard de ce point-là.
04:59 Ce sont les conséquences qui tracent la frontière entre le vrai et le faux, le bon et le mauvais,
05:04 le juste et l'injuste.
05:05 Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.
05:07 Voilà.
05:08 T'es parfaitement limpide.
05:09 Merci Alain Virlaud.
05:10 Merci Jean-Philippe Dany.
05:12 Merci à vous.
05:16 [Musique]

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