« Le collège de Monsieur Paty » sur France 2 : « Les témoignages pourraient être utiles aux professeurs et aux élèves d’Arras », espère la réalisatrice Christine Tournadre

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Le documentaire diffusé ce lundi 16 octobre à 21h10 propose une immersion pendant un an dans l’établissement où enseignait Samuel Paty, assassiné il y a 3 ans par un terroriste islamiste

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Transcript
00:00 Votre invité média Céline Bayle d'Harcourt a passé une année au sein du collège où enseignait Samuel Paty,
00:05 dont on commémore aujourd'hui les trois ans de sa disparition.
00:09 France 2 diffuse demain soir le documentaire "Le collège de Monsieur Paty".
00:12 Bonjour Christine Tournadre.
00:14 Bonjour.
00:14 Trois ans que ce professeur a été tué par un islamiste parce qu'il avait montré en cours des caricatures de Mahomet.
00:20 Alors si le contexte est évidemment différent, un drame similaire s'est produit vendredi à Arras.
00:24 Dominique Bernard, prof de lettre, a été tué par un musulman radicalisé.
00:28 Qu'avez-vous ressenti en apprenant ce nouveau drame ?
00:32 J'ai été sidérée, choquée, bouleversée comme tout le monde j'imagine.
00:38 Mais c'est vrai que pour moi ça prend un sens d'autant plus fort parce que,
00:43 comme j'ai passé beaucoup de temps au collège du Bois-d'Aune,
00:46 que je me suis rapprochée des élèves et des professeurs de ce collège,
00:51 je mesure l'ampleur du séisme qui est en train de se produire au lycée d'Arras.
00:57 L'impact pour moi est double.
01:02 Je pense évidemment à ces familles, ces élèves, ces professeurs qui sont meurtris à Arras.
01:11 Et je pense aussi au choc que cela représente pour les professeurs et les élèves du collège du Bois-d'Aune.
01:18 Vous avez parlé avec eux depuis vendredi ? Vous les avez eus au téléphone ?
01:20 Non, j'ai échangé avec eux par message pour respecter aussi leur temps à eux.
01:30 Dans quel état d'esprit sont-ils ?
01:32 Évidemment très choqués, mais là où je les trouve vraiment admirables,
01:37 et c'est ce que montre aussi le film j'espère,
01:40 c'est que tout de suite ils se sont ressaisis en se disant que finalement
01:45 la force de leur témoignage dans ce film pourra peut-être être utile.
01:50 Parce qu'ils sont passés par ces traumatismes, ils sont passés par de terribles moments,
01:56 mais ils ont aussi fait un cheminement qui peut peut-être aider leurs collègues à s'en sortir.
02:04 Oui, parce que c'est le chemin d'une reconstruction finalement que vous racontez,
02:08 et on voit bien qu'après la sidération, il y a des solutions pour dépasser ce traumatisme.
02:12 Et ça c'est très utile et ça va probablement hélas servir aux corps enseignants et aux élèves à Arras.
02:18 J'espère oui, le film raconte vraiment ça,
02:21 c'est-à-dire on commence en fait par rentrer dans le collège au moment du premier hommage
02:27 qui a été rendu à Samuel Paty,
02:30 c'était la première fois que tout le collège se réunissait pour lui rendre hommage.
02:36 Et donc à ce moment-là on voit effectivement le désarroi, les traumatismes,
02:42 et petit à petit en fait on voit dans le film comment ces professeurs vont essayer de mettre des mots là-dessus,
02:48 vont essayer de faire avancer leurs élèves, vont essayer de réfléchir ensemble
02:51 à comment finalement essayer de réparer aussi un certain nombre de choses.
02:57 Parce qu'au début c'est très compliqué,
02:59 et notamment parce qu'il y a un lien de confiance qui est rompu entre les profs et les élèves,
03:03 puisque des élèves ont été complices de cet assassinat.
03:07 Alors certains élèves, il y a cinq élèves qui ont été mis en examen,
03:11 et surtout il y a une rumeur qui a circulé au sein du collège à partir d'un mensonge.
03:17 Et donc évidemment il y a beaucoup de culpabilité, à la fois de la part des élèves,
03:21 mais aussi des professeurs de ne pas avoir vu peut-être suffisamment tôt cette rumeur,
03:27 qui a été finalement essentiellement aussi relayée à l'extérieur
03:31 et manipulée, enfin instrumentalisée finalement par des adultes.
03:35 Donc tout fait que quand on rentre dans ce collège à ce moment-là,
03:39 tout est électrique, tout est compliqué, et puis c'est pas le mot tabou le bon,
03:44 mais en tout cas le dialogue est un peu compliqué.
03:47 Au début en effet, il n'y a pas vraiment de dialogue sur ce sujet-là.
03:50 C'est très difficile pour tout le monde d'en parler, parce qu'il y a beaucoup de souffrance,
03:53 beaucoup de... les profs se sentent aussi un peu trahis.
03:57 Et puis petit à petit, justement sous l'impulsion d'un groupe de professeurs
04:01 qui est extrêmement courageux, ils se sont dit qu'on ne pouvait pas rester dans cette situation.
04:07 Et donc avec l'aide aussi d'intervenants extérieurs,
04:10 qui sont l'Association française des victimes du terrorisme, ou un éducateur,
04:15 ils vont essayer en fait de faire tout un travail pour que justement la parole se libère.
04:20 Et c'est vraiment ce que raconte le film.
04:22 C'est comment on arrive petit à petit à essayer de surmonter ces traumas
04:26 et essayer de créer une famille.
04:30 - On va écouter un extrait de votre documentaire Christine Tournadre.
04:34 On va écouter ces collégiennes qui alors évidemment évoquent leur douleur d'avoir perdu leur professeur,
04:38 leur douleur de voir les autres professeurs avec un chagrin immense,
04:41 mais elles évoquent aussi un aspect dont à mon sens on ne parle pas assez.
04:45 - C'était horrible, il y avait les journalistes qui nous demandaient à chaque fois,
04:48 vous ne vous imaginez pas, à chaque fois on sortait du cours,
04:50 il y avait des gens qui nous couraient après pour nous demander quelque chose,
04:52 mais on n'a pas envie de ça.
04:53 - Ils nous mettaient le micro sous le nez en mode "pourrez-vous parler s'il vous plaît" etc.
04:57 - Et on se demandait "ça vous a fait mal, est-ce que vous avez souffert ?"
05:01 Déjà on avait 13 ans l'année dernière, vous imaginez, et on nous pose ce genre de questions.
05:06 - Oui mais mentalement c'était... - C'est horrible, ça fait un traumatisme un peu.
05:11 - Ça c'est ce qu'il faut absolument éviter avec les élèves d'Arras,
05:13 même si j'ai envie de dire que c'est un petit peu trop tard parce que les micros,
05:16 les caméras sont là depuis vendredi.
05:18 - Oui, si on peut tirer des expériences de ce qui s'est passé au Collège du Bois-d'Aune,
05:23 les élèves ont été triplement traumatisés.
05:26 D'abord évidemment par l'assassinat de leur professeur,
05:30 ensuite par les répercussions que ça a eues sur tout le corps enseignant,
05:34 de voir leur professeur s'effondrer, pour certains effectivement,
05:40 pleurer, pour d'autres finalement aussi se mettre en retrait ou avoir des arrêts maladie et autres.
05:48 Tout ça, ça a été très compliqué pour eux.
05:49 Mais il y a aussi cette troisième voie de traumatisme en fait,
05:54 qui est celle des médias.
05:55 La pression médiatique qu'il y a eu à ce moment-là,
05:57 qui a été très importante sur des jeunes,
06:01 c'est ce qu'ils disent, ils avaient 13 ans à l'époque,
06:03 ils étaient poursuivis en fait par des journalistes
06:05 qui voulaient avoir des informations sur le professeur, sur leur ressenti.
06:09 Comment mettre des mots à ce moment-là,
06:11 quand on est jeune, c'est impossible.
06:15 Donc ça m'a posé aussi beaucoup de questions éthiques,
06:18 moi, dans mon rôle de documentariste aussi,
06:20 de donner cette parole, mais de faire attention à la donner dans de bonnes conditions.
06:24 Mais ce film est vraiment un message d'espoir,
06:26 parce qu'on voit au fil de l'année que chacun retrouve une certaine sérénité.
06:29 C'est un film vraiment utile à voir.
06:31 Merci beaucoup d'être venue nous en parler Christine Tournadre.
06:33 Merci à vous.

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