Avoir 20 ans - Les jeunes ne lisent-ils vraiment plus ?

  • l’année dernière
Il paraît que les jeunes ne lisent plus, que cela ne les intéresse pas, qu'’ils passent leur temps sur les réseaux et que leur smartphone est leur plus fidèle compagnon. Vraiment¿?
C’est ce qu’on va chercher à savoir dans ce nouveau numéro de "Avoir 20 ans".
Comment les jeunes lisent aujourd’hui et que lisent-ils¿? Faut-il toujours opposer réseaux sociaux et lecture¿?
On parlera dans cette émission du phénomène BookTok, ou comment TikTok booste la lecture et les ventes de livres.

Année de Production : 2024

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00:00 [Musique]
00:19 Il paraît que les jeunes ne lisent plus, que ça ne les intéresse pas,
00:22 qu'ils passent leur temps sur les réseaux et que leur smartphone est leur plus fidèle compagnon.
00:27 Est-ce vraiment le cas ?
00:28 C'est ce qu'on va chercher à savoir dans "Avoir 20 ans" cette semaine.
00:31 Comment les jeunes lisent aujourd'hui et que lisent-ils ?
00:34 Faut-il toujours opposer réseaux sociaux et lecture ?
00:37 On parlera notamment dans cette émission du phénomène BookTok
00:41 ou comment TikTok booste la lecture et les ventes de livres.
00:45 Un vaste programme donc et quatre invités sur ce plateau pour en discuter.
00:49 Deux jeunes qui vont nous partager leur rapport à la lecture.
00:52 Voici Laïtoua Man, bonjour.
00:54 - Bonjour.
00:54 - Vous avez 19 ans, vous êtes étudiante, vous êtes élève en classe préparatoire littéraire
00:59 en Cagnes à Montreuil, en région parisienne.
01:02 Votre passion des livres vous a d'ailleurs aiguillé sur cette voie d'études littéraires.
01:06 Merci beaucoup d'être avec nous également sur ce plateau.
01:09 Tom Lévesque, bonjour.
01:10 - Bonjour.
01:10 - Vous avez 26 ans, vous êtes auteur, éditeur, médiateur de littérature ado.
01:16 Je cite votre dernier livre "Sur les traces d'Ewylan",
01:19 l'héritage de Pierre Bottero, cher agent et guide
01:22 qui explore l'oeuvre de cet écrivain ado et fantaisie.
01:25 Sur ce plateau également, j'ai le plaisir d'accueillir Cécile Terwane, bonjour.
01:29 - Bonjour.
01:30 - Vous êtes directrice générale du département Achète Romand, le livre de poche jeunesse.
01:34 Vous êtes notamment la personne qui a ramené Twilight en France
01:38 et puis on va comprendre un petit peu quel est votre métier dans cette émission.
01:42 Et enfin, la présidente du Centre national du livre, Régine Hatchon-Laurie sur ce plateau.
01:46 Bonjour.
01:46 Le Centre national du livre qui accompagne, qui soutient tous les acteurs de la chaîne du livre
01:51 et qui a aussi mené une étude en 2022 sur les jeunes français et la lecture.
01:56 Et bien sûr, au cours de cette émission, on va en parler.
01:59 Mais pour commencer, on va écouter ces jeunes sur leur rapport à la lecture.
02:04 Voici-là pour commencer, tout simplement.
02:07 Est-ce que vous avez toujours aimé lire ?
02:10 - Je dirais oui, j'ai toujours aimé lire.
02:12 J'ai commencé à lire dès le plus jeune âge, depuis l'enfance,
02:17 donc depuis la classe élémentaire.
02:20 Puis après, j'ai un peu arrêté au cours du collège et au cours du lycée,
02:24 mais je poursuivais quand même ma lecture.
02:26 Et c'est vrai que j'étais moins passionnée par la lecture.
02:30 Et c'est vrai que depuis que...
02:32 - Et ça vous est revenu ?
02:33 - Voilà, exactement.
02:34 Depuis la classe préparatoire, de toute façon, je n'avais pas le choix.
02:36 Mais c'est vrai que ça m'est revenu et que j'ai repris goût à la lecture.
02:42 - Et d'où vous est venu ce goût ?
02:43 C'était familial ? C'était vous, dans votre exploration de livres ?
02:48 Vous allez à la bibliothèque ? Je ne sais pas.
02:50 - Oui, on peut dire que ça a été introduit par mes parents, premièrement.
02:54 Et puis, j'étais très scolaire.
02:56 Donc c'est vrai que moi, je n'avais pas du tout de mal à lire.
02:59 J'adorais ça, en fait.
03:00 - Les facilités.
03:01 - Exactement. À l'école, j'adorais aller à l'école, j'adorais apprendre.
03:05 Et au début, quand j'étais jeune, plus jeune,
03:08 je lisais plutôt des bandes dessinées.
03:11 C'était très divertissant.
03:14 C'était plus du divertissement qu'autre chose.
03:16 Après, j'étais une enfant, mais...
03:18 Mais oui, j'aimais beaucoup lire des livres avec des images
03:23 pour illustrer ma lecture.
03:24 - Et ça a évolué ensuite.
03:25 - Oui, heureusement.
03:26 - Alors, est-ce que vous diriez que vous étiez plutôt une exception
03:29 par rapport à vos amis ?
03:30 Ou au contraire, est-ce que vous avez pu partager cette passion avec des amis ?
03:33 Est-ce que ça vous a rapproché d'autres camarades ?
03:37 - Oui, ça m'a déjà rapproché la lecture.
03:40 Je ne peux pas dire que tout le monde lisait.
03:42 Bien évidemment, je pense que, comme partout, tous les enfants ne lisaient pas.
03:47 Et chacun avait ses centres d'intérêt.
03:49 Mais c'est vrai que moi, j'ai eu des centres d'intérêt...
03:52 Oui, ça m'a rapprochée de certains camarades.
03:55 Et ça m'a permis de me faire des amis avec qui on lisait.
03:58 On était même dans un club de lecture.
03:59 - Un club de lecture, oui.
04:00 - Oui, je me rappelle, dans ma première année de collège.
04:04 Et voilà, donc j'étais...
04:06 On faisait ça ensemble.
04:08 - Oui, c'est super.
04:09 Vous lisiez quoi ?
04:11 Vous vous rappelez un peu d'une lecture que vous avez faite en sixième ?
04:13 - Oui, "Le Club des Cinq".
04:15 - "Le Club des Cinq", un grand classique.
04:17 Alors, nous sommes aussi en visio avec Tom Himmler.
04:20 Bonjour.
04:21 Vous avez 23 ans, vous êtes étudiant en journalisme.
04:25 Tom, vous vivez actuellement au Canada.
04:27 Merci d'être avec nous d'aussi loin et aussitôt.
04:31 Vous, vous avez, Tom, un rapport beaucoup plus compliqué à la lecture.
04:35 Comment est-ce que vous pouvez l'expliquer ?
04:38 - Je pense que j'ai un rapport un petit peu compliqué à ça,
04:42 en partie parce que j'ai été forcé à lire à l'école.
04:46 Et je pense, des choses qui ne m'attiraient pas forcément,
04:49 je ne sais pas si j'ai un rapport compliqué à la lecture au global,
04:52 mais en tout cas, ce qu'on m'a demandé de lire
04:55 quand j'étais plus jeune à l'école,
04:58 je pense que ça m'a un petit peu braqué.
05:00 Parce que je pense que la lecture, il faut un minimum de volonté
05:04 et il faut un état de concentration pour pouvoir lire de manière pertinente.
05:10 Et je pense qu'il faut trouver le livre qui nous va.
05:12 Et je ne sais pas si c'est un effort qui a vraiment été fait
05:14 quand j'étais plus jeune.
05:16 - Oui, vous pensez que l'école vous a même un peu dégoûté de certaines lectures ?
05:20 Est-ce qu'il y a des exemples de livres
05:22 qui vous ont un peu dégoûté de la lecture, tout simplement ?
05:27 - Comme ça ne me plaisait pas forcément,
05:30 je n'en ai pas gardé énormément de souvenirs.
05:33 Mais je sais que mon cerveau a gardé bien ancré
05:39 "Vendredi ou la vie sauvage" qui est vraiment un classique,
05:41 que je me rappelle, pour arriver à la fin d'une page
05:46 et avoir oublié ce que j'avais lu au début.
05:48 C'était difficile.
05:49 - Difficile de se concentrer là-dessus.
05:51 C'est le livre que mon fils était en train de lire en 5ème actuellement,
05:55 donc j'espère que ça n'aura pas le même effet.
05:58 Et vous diriez, parce qu'on entendait Wasilla
06:00 qui disait que ça l'avait plutôt rapproché d'un groupe d'amis,
06:02 est-ce que du coup vous êtes plutôt avec des amis qui ne sont pas du tout lecteurs ?
06:07 Est-ce que ça vous zigzolle ?
06:08 Est-ce que c'est compliqué ce rapport à la lecture ?
06:12 - J'ai bien plus d'amis qui sont lecteurs que d'amis qui ne le sont pas.
06:18 Après, ça va dépendre de ce qu'ils lisent.
06:22 Moi, je prends aussi plaisir à lire.
06:24 Parfois dans l'année, j'arrive à trouver la disponibilité de lire,
06:28 mais je prends plaisir à lire des choses qui vont être plus des récits, etc.
06:31 Donc j'ai moins d'amis qui partagent ça,
06:33 mais j'évolue dans un environnement avec beaucoup plus de lecteurs,
06:36 que ce soit ma famille ou mes amis.
06:38 Et je suis persuadé, je reste persuadé que ça a une valeur et que ça a une importance,
06:43 et qu'il y a une pertinence aussi à créer un espace d'imaginaire commun avec la lecture, etc.
06:48 Parfois, je regrette de ne pas pouvoir…
06:51 - Il n'est pas trop tard. - …faire plus.
06:54 - Non, il n'est pas trop tard.
06:55 - Restez avec nous, Tom, on va vous reprendre en visio.
07:00 Tom Lévesque, vous, au contraire, vous avez toujours aimé lire,
07:03 particulièrement de la littérature ado, parce qu'elle résonne en vous.
07:07 Qu'est-ce qu'elle a de particulier ?
07:09 Qu'est-ce qui vous fait vibrer dans ce type de littérature ?
07:11 - Oui, nous, on a toujours beaucoup lu, quand je dirais "nous",
07:14 ça sera avec mon frère Nathan. - Avec votre frère jumeau.
07:16 - Voilà, mon acolyte en littérature ado.
07:19 C'est une littérature qui est vraiment une littérature proche de l'adolescence.
07:23 On la définit vraiment comme une littérature de l'intensité,
07:25 où on va expérimenter, en même temps qu'en le lisant,
07:28 les premières fois de l'adolescence,
07:30 les grandes émotions qu'on ressent quand on est adolescent,
07:33 quand on tombe amoureux pour la première fois,
07:35 quand on est ami, les histoires avec la famille.
07:36 Tout est très intense à cet âge-là,
07:38 et la littérature ado, elle retranscrit vraiment ça
07:40 dans ce qu'elle raconte, dans les sentiments qu'elle raconte.
07:42 Et du coup, c'est pour ça qu'à l'adolescence,
07:45 moi, j'adorais la littérature ado,
07:47 et je me sentais beaucoup plus proche de ces lectures
07:49 qu'en effet de celles qu'on nous proposait à l'école,
07:52 qui amenaient tout un patrimoine, une culture générale,
07:56 mais qui ne donnaient pas ce même plaisir, cette même émotion.
07:58 - Ça ne vous a pas vibré de la même façon ?
07:59 Vous pouvez comprendre ce que dit Tom.
08:01 - Je comprends tout à fait. Nous, quand on était avec Nathan,
08:03 on était aussi très énervés,
08:05 parce qu'on voulait vraiment défendre la littérature ado.
08:07 On lisait ça, et puis il y a beaucoup de profs
08:09 qui nous disaient "bon, lisez autre chose".
08:11 - Ce n'est pas de la vraie littérature, c'est un peu déprécié.
08:13 - Donc nous, on militait un peu déjà.
08:15 On mettait Hunger Games dans nos discours de littérature,
08:18 et puis on essayait de valoriser cette littérature déjà au lycée.
08:22 - Oui, c'est un phénomène assez fréquent, ça,
08:24 de voir les goûts de la jeunesse
08:27 qui sont dépréciés par les adultes.
08:30 Avant, c'était les BD,
08:32 aujourd'hui, on voit tout le débat autour des mangas.
08:35 On voit souvent, même jusqu'à une remise en cause politique,
08:39 parfois, on a vu le Rassemblement National sur ce sujet.
08:41 - Oui, ça a toujours été le cas.
08:43 En effet, au moment des élections,
08:45 autour des débats du pass culture,
08:47 il y avait le manga qui était en effet très déprécié.
08:49 Ça a toujours été le cas.
08:50 Dans les années 50, la culture jeune
08:52 et la culture yéyé étaient dépréciées.
08:54 Ce n'est pas nouveau.
08:55 La BD, le livre de poche, dans les années 50,
08:59 c'est quand même assez...
09:01 - C'est un peu créatif, vous diriez.
09:03 - Je pense qu'aujourd'hui, la littérature ado
09:05 presque gagne sa lettre de noblesse,
09:07 en effet, face au manga qui est déprécié.
09:09 Du coup, les parents sont contents
09:11 que les ados lisent des vrais livres, des romans.
09:13 - Le manga sera apprécié, ça sera autre chose.
09:15 - Je ne sais pas ce qu'il va être la prochaine vague.
09:18 - Cécile Terwans, cette forme de dépréciation,
09:21 de snobisme à l'égard des littératures jeunesse, ados,
09:25 c'est un phénomène réel,
09:27 c'est un phénomène très français aussi ?
09:30 - Je pense que oui, il y a un phénomène réel.
09:33 Et en définitive, presque l'exception qui confirme la règle,
09:37 c'est le fait d'être sur un plateau comme le vôtre
09:40 pour en parler, parce que c'est très rare.
09:42 Et la visibilité donnée à la littérature jeunesse et ado
09:45 est vraiment réduite à portions congrues.
09:48 La presse en parle très peu.
09:51 Et en définitive, vous mentionnez en introduction
09:53 les réseaux sociaux, mais ça a été un formidable vecteur
09:56 de notoriété pour la littérature jeunesse et ado.
10:00 Après, pour revenir sur un snobisme un peu à la française,
10:04 moi je trouve ça formidable qu'Oasila dise
10:06 que ce qu'elle lisait en 6e, c'était le Club des 5.
10:08 C'est une grande dame de la littérature jeunesse,
10:11 une blighton qui finalement fait qu'aujourd'hui,
10:14 on a une cagneuse qui va éventuellement devenir un jour
10:17 professeur de français ou chercheur à l'université.
10:20 Je pense que vraiment, et c'est aussi ce que disait...
10:22 - Il ne faut pas dire qu'il n'y a pas des livres nobles ?
10:25 - Non, il n'y a pas d'infra- littérature
10:28 ni de super-littérature.
10:31 Il y a des textes qui deviennent des classiques,
10:33 qui deviennent patrimoniaux, mais il y a surtout des textes
10:35 qui font des lecteurs.
10:37 Et ce que disait Tom depuis le Canada me semble essentiel,
10:39 c'est que la lecture, c'est une rencontre
10:41 avec un livre, avec un auteur.
10:44 Tom et Nathan ont beaucoup travaillé
10:48 et fréquenté Pierre Bottero.
10:51 C'est un écrivain qui a mis le pied
10:54 à l'étrier de la lecture des dizaines de milliers d'ados.
10:58 Et ça, c'est un trésor absolu.
11:00 - Oui, en plus, c'est une littérature qui fonctionne bien
11:03 d'un point de vue commercial.
11:04 C'est bien la preuve que les jeunes lisent.
11:06 D'ailleurs, on en revient un peu à ce que je disais au début,
11:08 puisqu'on dit que les jeunes ne lisent plus.
11:10 C'est le cas, puisqu'il y a des grands succès aujourd'hui.
11:12 - Oui, et puis la littérature jeunesse et ado
11:14 est même un des secteurs de l'édition qui se porte le mieux
11:17 avec justement la BD et le manga.
11:19 Et au sein de la littérature jeunesse et ado,
11:21 c'est vraiment la littérature ado qui est très dynamique
11:25 ces derniers temps.
11:26 - Alors Regina Tchondo, d'où vient cette affirmation
11:29 que les jeunes ne lisent plus ?
11:31 Puisqu'on vient de le comprendre, ce n'est pas vérifié
11:34 si on voit qu'il y a certains secteurs de vente
11:36 qui fonctionnent très bien et qui sont plébiscités par la jeunesse.
11:39 - Je pense que d'abord, ça vient d'une perception
11:42 parfois trop rapide de l'observation
11:45 qui est la nôtre du monde extérieur.
11:47 On prend le métro, on prend le train,
11:49 on prend n'importe quel moyen de transport,
11:51 on voit des jeunes avec leur ordinateur portable.
11:53 On en voit très très peu d'ailleurs.
11:55 - Souvent leur téléphone.
11:56 - D'ailleurs des adultes aussi, très très peu avec un livre.
11:59 Donc il y a cette question de
12:02 que font-ils sur l'ordinateur, sur leur smartphone
12:05 ou sur leur ordinateur quand ils sont chez eux
12:07 et est-ce qu'au fond, pour certains dont l'addiction
12:10 est trop grande, voire dangereuse,
12:12 et on voit aujourd'hui que le monde médical
12:14 commence à s'en inquiéter,
12:15 ce ne sont pas nos jeunes d'aujourd'hui ici présents
12:18 puisque ce sont des lecteurs,
12:20 je pense que forcément, il y a de manière tout à fait légitime
12:23 une inquiétude sur "lisent-ils encore ?"
12:25 Ça c'est le premier point.
12:26 Quand on les interroge,
12:27 puisqu'on les a interrogés pendant notre étude,
12:29 80% déclarent aimer lire.
12:32 - 81% de ces 25 ans lisent pour leur loisir
12:36 par goût personnel.
12:37 - Tout à fait.
12:38 Alors, comme c'est déclaratif, évidemment,
12:40 certains nous disent "attention, forcément ils savent que..."
12:42 - Ils vont grossir un petit peu, ils savent ce qu'il faut répondre.
12:44 - C'est peut-être un peu grossi, mais néanmoins,
12:46 on voit qu'il y a une bonne partie en tous les cas
12:48 des jeunes aujourd'hui qui considèrent que lire a des vertus.
12:52 J'allais dire même ceux qui ne lisent pas
12:54 considèrent que cela a des vertus.
12:56 - C'est ce que disait Tom aussi.
12:58 - Tom dit en gros "je regrette".
13:00 En fait, je pense que Tom, il lui a manqué la rencontre.
13:02 Et elle va arriver.
13:04 C'est comme une histoire d'amour.
13:06 On ne tombe pas amoureux tout de suite.
13:08 Donc je pense qu'il doit falloir qu'il trouve le livre
13:11 qui va lui donner envie d'être seul avec son livre
13:15 et d'en parler ensuite avec ses copains.
13:17 - D'être amoureux.
13:19 - Exactement. Donc je pense que si il y a une rencontre,
13:21 on voit bien que sur les réseaux sociaux,
13:23 je sais qu'on va en parler,
13:25 les conseils de lecture ou les clubs de lecture numérique
13:28 sont des vrais vecteurs de découverte
13:31 pour les jeunes qui ont envie d'être conseillés
13:33 par leur père P-A-I-R et pas forcément leur mère M-E-R-E
13:38 comme avant peut-être.
13:40 Donc je pense qu'il y a à la fois 80 % qui déclarent aimer lire,
13:47 qui considèrent que c'est important pour le langage,
13:50 pour apprendre des choses, pour l'émotion,
13:53 pour mieux comprendre les autres, etc.
13:55 Donc il y a quand même une conscience de cette vertu de la littérature.
13:58 - Il y a 16 % des jeunes qui n'aiment pas ou qui détestent lire.
14:02 - Qui détestent quand même.
14:03 Donc il y a quand même un petit travail à faire.
14:05 - Est-ce qu'on a une idée de ce qui peut amener à détester lire ?
14:07 On le disait, on n'a pas forcément eu la rencontre,
14:10 parfois une question de milieu familial, je ne sais pas.
14:13 - Oui, je pense que le milieu familial est un élément extrêmement important.
14:17 Les livres qu'on découvre dans le cadre de l'école.
14:20 Le milieu familial, 92 % des grands lecteurs aujourd'hui
14:24 disent qu'ils se souviennent avec émotion
14:27 des minutes de lecture du soir de leur mère lorsqu'ils étaient enfants.
14:31 - La lecture à haute voix.
14:32 - La petite lecture à haute voix donne envie.
14:35 Certaines familles lisent trois minutes à table le soir, pendant le dîner.
14:39 - Pour les parents qui se plaignent que leurs enfants ne lisent pas,
14:41 on peut déjà commencer par lire tous ensemble, sans doute lire sa famille, lire à haute voix.
14:45 - L'exemplarité de ce point de vue est essentielle.
14:47 C'est-à-dire que si les enfants voient leurs parents lire,
14:49 ils liront plus facilement de la même manière qu'ils lirent à la maison.
14:53 Mais sinon, par mimétisme, on va prendre un...
14:57 - Couper les téléphones portables.
14:59 - Couper l'écran de télé.
15:01 - Il y a toutes ces questions-là.
15:02 Et puis, on a quand même le cadeau de Noël en France,
15:05 le premier cadeau de Noël en France.
15:06 - C'est un fleu-livre.
15:07 - C'est un livre.
15:08 - Avant le téléphone.
15:10 - Or, un cadeau, c'est quand même...
15:12 Quand on offre un cadeau, a priori, on veut faire plaisir.
15:14 Donc, ça prouve bien qu'on estime qu'il y a du plaisir autour de la lecture.
15:17 Maintenant, le décrochage des adolescents, ou plus jeunes, vous disiez, cette année,
15:21 reste un souci dont il faut se préoccuper.
15:24 - Une vraie source d'inquiétude, effectivement.
15:26 Et d'ailleurs, vous parliez des réseaux sociaux.
15:28 Le temps consacré à la lecture reste bien inférieur à celui consacré aux écrans,
15:33 puisqu'on passe sur un livre, en moyenne, dans votre enquête,
15:37 3h14 par semaine, et sur les écrans, c'est 3h50 par jour.
15:42 Donc, effectivement, c'est quand même une concurrence un peu déloyale.
15:46 Tom Himmler, toujours en visio.
15:48 C'est vrai qu'aujourd'hui, vous diriez aussi que notre attention
15:51 est sollicitée partout, notamment par les écrans.
15:54 Ça aussi, ça ne facilite peut-être pas la lecture ?
15:58 - Moi, j'ai profondément… Je sais que j'arrive à lire l'été, par exemple.
16:03 En fait, c'est plus le fait que la lecture ne fait pas partie de mon rythme au quotidien.
16:08 Mais j'arrive à lire l'été, en fait, en trouvant un peu d'insouciance.
16:11 Mais je pense aussi qu'au-delà des réseaux purement,
16:14 il y a une espèce d'addiction à l'information, en fait.
16:17 En tout cas, pour moi, surtout en étant étudiant en journalisme.
16:20 Et je pense que l'actualité chaude, ou même globale,
16:24 de ce qui se passe en ce moment dans le monde,
16:26 ce n'est pas forcément très favorable pour trouver des moments de disponibilité pour lire.
16:32 En tout cas, pas vraiment pour moi.
16:34 Plus que les réseaux sociaux, ça serait plus la stimulation constante
16:38 liée à des problématiques, qu'elles soient sociales, environnementales ou…
16:41 - Vous êtes étudiant en journalisme, Tom. Ça s'explique aussi.
16:45 Ça fait partie vraiment de vous ?
16:47 - Je ne pense pas que ce soit la meilleure des addictions à développer.
16:50 C'est l'information, exactement comme ça, et le réseau social.
16:53 Je pense que dans les deux cas, il y a un bon anglicisme,
16:57 une overstimulation, une surstimulation.
16:59 - Merci beaucoup. Merci, Tom, d'être venu passer un petit moment avec nous
17:04 dans cette émission depuis le Canada.
17:07 Tom, voici là. Est-ce que vous lisez et vous regardez à un écran en même temps ?
17:12 Est-ce que ça peut vous arriver ?
17:13 On voit que ça fait partie des pratiques de lecture,
17:16 de faire deux choses en même temps aujourd'hui, quand on est jeune.
17:19 Ça vous arrive ?
17:20 - Personnellement, pas du tout.
17:22 - Vous arrivez à complètement coupler, à déconnecter de votre téléphone ?
17:25 Vous n'avez peut-être pas un rapport à votre téléphone ?
17:27 - Si. Je pense, comme tous les jeunes, je suis une grande lectrice,
17:31 mais je suis aussi une grande fan des réseaux sociaux,
17:37 si on peut appeler ça comme ça.
17:39 Mais je pense qu'autant pour l'un que pour l'autre,
17:42 je ne peux pas me concentrer sur deux choses à la fois.
17:47 Je pense que c'est important, pour se concentrer convenablement,
17:50 d'être concentrée sur une seule chose.
17:52 Et qu'aujourd'hui, on vit dans un monde où on est stimulé un peu partout,
17:57 et je trouve que c'est pour ça qu'on a du mal à se concentrer.
18:00 - De la difficulté de s'isoler, de faire la bulle nécessaire pour la lecture.
18:03 - C'est ça. Et donc, pour la lecture, je priorise le fait que ce soit un moment,
18:07 deux lectures. Même dans les transports, je mets mes écouteurs,
18:10 mais avec pas de son, juste histoire de vous isoler,
18:13 de combler un peu le bruit.
18:16 - Et Tom ?
18:18 - Moi, je dois avouer que si, je suis perturbé par les écrans aussi.
18:21 Et tout à l'heure, Cécile parlait d'exemplarité.
18:24 Je pense qu'on critique beaucoup les ados sur leur rapport au téléphone,
18:27 mais en fait, on est quand même beaucoup à être dans ce cas-là,
18:30 qu'on soit adulte ou ado.
18:32 - Tant qu'à la diction, on la ressent tous.
18:34 On a tous déjà été happé par des vidéos en train de scroller, etc.
18:37 - Exactement. Donc oui, la tension, je la trouve moins grande aujourd'hui
18:40 que quand j'étais ado. Et Tom aussi avait raison.
18:43 On vit sans les réseaux, même dans le monde dans lequel on vit,
18:47 est quand même, en effet, comme il disait, overstimulant.
18:50 Du coup, c'est vrai qu'on est tout le temps sollicité de plein de choses.
18:53 Moi, c'est pareil. C'est l'été que je trouve le plus de temps,
18:56 pendant les vacances, pendant les temps de repos.
18:59 Et quand on est, en plus, dans des grandes villes comme ça,
19:02 on bouge tout le temps beaucoup, on fait beaucoup de choses.
19:05 Je pense que c'est un défi pour tout le monde.
19:07 - Il y a beaucoup à dire sur l'impact négatif des réseaux sociaux.
19:10 Mais ce n'est pas toujours...
19:12 Les réseaux sociaux ne sont pas toujours là au détriment de la lecture.
19:15 C'est ce qui illustre le phénomène "booktalk" sur TikTok,
19:18 ce réseau qui est plébiscité par les jeunes,
19:21 où ils trouvent de tout, notamment des conseils de lecture.
19:24 Samia Deshir avec Aurélia Romano.
19:27 - Hello tout le monde. Vous savez que récemment,
19:30 le dernier film Hunger Games est sorti.
19:32 Ça s'appelle "La balade du serpent et de l'oiseau chanteur".
19:35 Et c'était trop bien.
19:37 - C'est le dernier coup de cœur de Pauline.
19:39 Une saga qu'elle recommande à ses followers,
19:42 dans une vidéo qu'on appelle un "booktalk".
19:45 - C'est "book", donc "livre" en anglais, et "TikTok".
19:48 Et on va les mettre ensemble, et ça va donner "booktalk".
19:51 On va parler de livres, on va recommander des livres,
19:54 et on va partager notre passion avec les autres.
19:57 Sur les réseaux sociaux, on se filme, on dit "j'ai lu ça",
20:00 "j'ai aimé ça".
20:02 - Le dernier film Hunger Games est sorti.
20:04 - Je regarde que tout va bien, mais normalement tout va bien.
20:07 Donc là, #booktalk, évidemment.
20:10 Hop, et là, elle est publiée.
20:12 - Plus de 46 000 personnes sont abonnées à son compte TikTok.
20:16 À 20 ans, Pauline, alias l'actrice à plein temps,
20:19 maîtrise parfaitement les codes de ce réseau social
20:22 très prisé des jeunes.
20:24 - On va recommander un livre, comme si on le recommandait à une amie.
20:27 Enfin voilà, je suis dans mon lit, je suis face à ma bibliothèque,
20:30 on va rire.
20:32 C'est vraiment très, très libre, je pense, plus qu'à la télévision.
20:35 - Passionnée de lecture depuis son plus jeune âge,
20:38 Pauline partage son temps entre ses études de lettres à la fac de Tour,
20:41 un job de bibliothécaire, et ses vidéos sur les réseaux sociaux.
20:46 - Moi, je le fais pour partager ma passion, pour partager les livres,
20:49 parce que c'est vraiment donner envie aux jeunes, surtout,
20:52 de lire et de ne pas trouver la lecture ennuyante,
20:55 comme on peut toujours entendre.
20:57 Les jeunes ne lisent plus, et bien si, les jeunes lisent,
21:00 et ils sont présents sur les réseaux sociaux en grande partie, d'ailleurs.
21:03 - BD, manga, polar, fantasy, le phénomène booktok
21:06 touche tous les genres littéraires,
21:08 et il peut faire décoller les ventes d'un livre.
21:11 Une belle surprise pour les éditions Robert Laffont,
21:14 dont un des titres a été propulsé par une simple vidéo sur TikTok.
21:18 - C'est "Et ils meurent tous les deux" à la fin,
21:21 qui avait eu un succès relatif, on va dire,
21:24 à sa parution en 2018, puisqu'on l'avait écoulé à 7 000 exemplaires,
21:27 et on en est maintenant à plus de 100 000 ventes.
21:30 Donc l'effet a été incroyable, et ce qui est rigolo,
21:33 c'est que cet effet s'est produit trois ans après la sortie du livre.
21:36 - Responsable de la collection "Jeunes adultes" chez Robert Laffont,
21:39 Elsa White voit dans le phénomène booktok
21:41 un moyen de conquérir un nouveau public,
21:44 séduit par des contenus jugés plus authentiques
21:47 qu'une critique littéraire.
21:49 - Un des éléments qui se retrouvent dans toutes les vidéos booktok,
21:52 c'est la pardonnée à l'émotion.
21:55 C'est-à-dire que la plupart des vidéos booktok
21:58 représentent des lecteurs en train de pleurer.
22:01 Ils expliquent à quel point le livre les a dévastés,
22:04 les a détruits émotionnellement, et c'est vraiment ce que recherchent,
22:07 en particulier les lecteurs, en tout cas ceux qui cherchent des recommandations sur TikTok.
22:10 C'est des livres qui vont les bouleverser.
22:13 - Consciente du potentiel de vente,
22:16 les maisons d'édition nouent désormais des partenariats avec ces booktokers.
22:19 Chez Robert Laffont, la nouveauté "Jeunes adultes de novembre"
22:22 est issue d'un concours lancé sur TikTok,
22:25 un appel à manuscrits dont le vainqueur a été choisi
22:28 par un jury de 10 influenceurs.
22:31 - Cécile Terouane, c'est un phénomène très fort aujourd'hui, booktok,
22:36 dans le domaine de l'édition et surtout dans l'édition jeunesse ou ado.
22:39 - Oui, dans l'édition ado, c'est vraiment depuis 2020-2021.
22:42 Ça a vraiment été assez concomitant du Covid.
22:45 Et je pense que de ce point de vue,
22:48 il y a eu un effet booster aussi des réseaux sociaux
22:51 parce que comme on était tous enfermés,
22:54 évidemment la fréquentation... - Une fenêtre sur le monde.
22:57 - Une fenêtre sur le monde, une occupation.
23:00 Et oui, le phénomène booktok est devenu majeur et moteur
23:03 pour l'édition ado.
23:06 De la même façon que les éditions air ont pu voir un titre
23:09 "Comme et ils meurent tous les deux" à la fin,
23:12 avoir une deuxième vie, c'était un titre du fond.
23:15 Nous, chez Hachette Romand, livre de poche jeunesse,
23:18 on a vu un roman qu'on avait publié il y a 8 ans,
23:21 "Mille baisers pour un garçon", qui se vendait gentiment.
23:24 Il était passé en poche, on en vendait 150 exemplaires par an.
23:27 Puis tout d'un coup, au mois de juin 2021,
23:30 on en a vendu 1 000 exemplaires en un mois.
23:33 Et on s'est dit "Mais qu'est-ce qui s'est passé ?"
23:36 - Et vous ne l'aviez pas compris sur le coup.
23:39 - On ne l'avait pas compris sur le moment parce que c'est le côté
23:42 qui est devenu booktalk, ce sont des choses qui ne sont pas maîtrisables.
23:45 Et on aura beau créer nos propres comptes TikTok,
23:48 et Hachette Romand a été le premier éditeur français à en créer un
23:51 en février 2020, juste avant le premier confinement,
23:54 ce n'est pas nous qui sommes les moteurs vraiment de ça.
23:57 Il faut laisser la main vraiment aux TikTokers,
24:01 TikTokeuses qui les animent et qui ensuite partagent,
24:05 qui relaient et où ça devient exponentiel.
24:08 - En plus, ce n'est pas forcément des TikTokers qui ont des énormes communautés.
24:11 - Mais cette vidéo peut devenir virale parce que quelqu'un montre
24:14 une émotion extrêmement forte, parle très bien d'un livre avec passion.
24:17 Tom, vous avez eu un blog très tôt, vous aviez 13 ans avec votre frère.
24:23 Quel regard vous portez aujourd'hui sur ce phénomène ?
24:26 Vous qui êtes un vieux de tout ça.
24:29 - Je suis un vieux puisque je n'ai pas TikTok.
24:32 - Ah non, pas possible.
24:34 - C'est la continuité des réseaux sociaux, il y a eu les blogs,
24:37 ensuite on est passé sur YouTube, Instagram, TikTok.
24:40 On ne le maîtrise pas et c'est très surprenant à chaque fois.
24:45 "1000 baisers pour un garçon", les livres d'Adam Silvera.
24:50 On a encore plus dans l'instant, les vidéos qu'on voyait émotionnelles.
24:56 C'est encore une autre manière d'exprimer des émotions
24:59 ou d'exprimer une prescription sur la lecture.
25:01 C'est intéressant ce que ça vient ajouter au spectre de tout ce qui existe déjà.
25:04 - Oui, parce qu'on est beaucoup plus dans l'analyse d'habitude
25:07 et pas dans la critique littéraire classique.
25:10 Ce qui est intéressant, c'est qu'on est dans du pur ressenti.
25:14 - On est dans de la promesse.
25:16 Il y a quelque chose de l'ordre de l'immédiateté qui se joue.
25:19 Elle pleure, donc j'ai la promesse que je vais être touchée.
25:22 Ça va me parler et on rejoint ce que disait Tom.
25:25 - Ça peut être des sceptiques, parce qu'on a une...
25:27 - C'est une littérature de l'intensité.
25:29 On rejoint ce que je trouve avec BookTok qui est assez extraordinaire.
25:33 Ce sont les pères qui parlent aux pères.
25:35 - C'est intéressant de voir comment une prescription se fait
25:37 et qu'on n'est pas dans une prescription descendante de l'autorité
25:40 qui va créer ce rejet dont vous parliez tout à l'heure
25:43 en disant qu'il y a X% qui rejettent, qui détestent la lecture,
25:47 précisément parce qu'ils sont en rejet de quelque chose
25:49 qui vient se poser et dont ils en viennent à faire.
25:52 - Je conseille un livre à mon enfant.
25:54 J'ai à peu près 80% de chance qu'il n'ait pas très envie de le lire.
25:59 - Ça vient aussi mettre en avant des livres qui ne sont pas mis en avant
26:02 dans les prescriptions habituelles, notamment analytiques.
26:05 Là, on a la littérature ado, mais c'est aussi beaucoup de romances.
26:08 C'est aussi ça que tout le monde vient chercher sur TikTok,
26:12 c'est parler de livres dont on ne parle peut-être pas ailleurs.
26:14 - Oui. Régina Tchoundo, c'est un réseau que vous investissez, TikTok,
26:19 maintenant que vous voyez la place que ça peut avoir dans la littérature jeunesse ?
26:23 - Nous, on ne vend pas de livres, déjà, donc c'est moins notre sujet.
26:27 Mais on est sur tous les réseaux sociaux.
26:29 On a plusieurs fois essayé de monter des opérations avec TikTok.
26:33 On n'a pas réussi à le faire pour l'instant, mais ça ne saurait tarder.
26:36 Ils sont très intéressés par partir en livre.
26:39 D'ailleurs, Pauline, l'influenceuse que vous avez interrogée,
26:42 avait la fiche de partir en livre.
26:44 - C'est une des opérations du Centre national du livre.
26:46 - Voilà, que l'on organise justement pour donner le goût de la lecture aux plus jeunes.
26:50 Mais les réseaux sociaux sont très intéressants pour donner envie de lire.
26:55 De toute façon, nous, au Centre national du livre,
26:57 on pense que tout ce qui donne envie de lire, tout ce qui fait lire,
27:01 je pense aussi au succès du pass culture pour les livres en général,
27:05 pour les mangas en particulier, en tous les cas, au début,
27:07 qui s'est rééquilibré maintenant, on n'est plus à 70% de mangas maintenant,
27:11 les mangas sont à 38-40%.
27:13 Nous, on trouve ça très bien parce qu'on sait qu'un enfant qui franchit
27:16 le seuil d'une librairie et pris en main par un libraire,
27:20 va repartir avec deux, trois mangas.
27:22 S'il revient, évidemment, on peut lui donner envie de lire un autre livre.
27:27 De la même manière, il peut se retrouver sur un club de lecture numérique,
27:31 sur TikTok.
27:32 - On avait vu un libraire qui nous racontait au début beaucoup de mangas,
27:34 et puis ça avait beaucoup changé, il avait vu même des jeunes s'intéresser
27:37 à des choses assez ardues en termes d'histoire, etc., des romans.
27:44 - On pense que la poésie qui est en train de redevenir,
27:47 j'allais dire entre guillemets à la mode, auprès des 17-18 ans,
27:51 on le doit en partie aussi aux réseaux sociaux,
27:57 car comme le format est court, il correspond tout à fait à cette génération.
28:01 - On va regarder, puisque vous parliez tout à l'heure de la romance
28:05 qui était très à la mode sur BookTok, il y a aussi la dark romance,
28:09 qui est pour le coup un type de romance bien particulier,
28:12 on va essayer de comprendre ce que c'est.
28:13 Mais regardez par exemple une recommandation sur BookTok
28:16 de ce type de livre.
28:17 - Elle couche avec un mec pour lui voler son identité.
28:19 Le mec la retrouve, la séquestre, la fout dans un phare au milieu de l'ancien,
28:22 en plein milieu de requins blancs et devient littéralement son pire cauchemar.
28:26 Parce que j'ai besoin de rajouter quelque chose.
28:28 De la même auteure, Hunting Adeline.
28:30 Adeline toute mimie qui se fait littéralement stalker,
28:33 mais stalker en mode scream, par un mec qu'elle ne connaît absolument pas,
28:37 qui l'appelle, qui la terrorise.
28:39 - Cécile Terwan, voilà un type de littérature qu'on trouve particulièrement
28:44 sur BookTok, la dark romance.
28:47 Il y a même maintenant aujourd'hui un festival, par exemple,
28:51 New Romance à Strasbourg.
28:53 En un mot, qu'est-ce que c'est exactement, par exemple,
28:55 la dark romance dont parle cette jeune TikTokeuse ?
28:58 - En un mot, c'est de la littérature pour les adultes.
29:00 Je pense que c'est vraiment très important de dire ça.
29:03 C'est un type de littérature publiée par des éditeurs
29:06 dans des collections destinées aux adultes
29:08 et qui sont mis en vente dans des rayons bien précis des librairies
29:11 avec toutes sortes de trigger warnings, c'est-à-dire des avertissements.
29:15 Ce livre contient des scènes qui peuvent choquer, etc.
29:18 Mais ça n'est clairement pas pour le rayon jeunesse/ado.
29:22 - Donc c'est problématique que ce soit lu par des trop jeunes ?
29:27 - Ça pose question.
29:28 - Qu'est-ce que ça dit pour vous de Wesset ?
29:30 - Le contenu a toujours existé, il est renouvelé actuellement,
29:33 peut-être par une certaine tendance, et l'intitulé "dark romance",
29:37 là où peut-être ça peut poser question.
29:39 - C'est des relations toxiques, en gros, c'est ça ?
29:40 - C'est des relations toxiques avec éventuellement
29:42 une sexualisation violente et des choses qui sont vraiment
29:46 destinées à des adultes avertis.
29:48 Et évidemment, à partir du moment où on met "interdit aux moins de 18 ans",
29:52 ça attire.
29:53 - C'est-à-dire tous les moins de 18 ans ?
29:54 - Et là, on a les codes de la transgression.
29:56 On reste quand même dans le livre, qui je pense est de toute façon
30:01 beaucoup moins nocif que toutes les images qui sont déversées
30:04 en permanence sur les réseaux et sur tous les écrans.
30:08 On n'est pas dans de la pornographie patente à laquelle, malheureusement,
30:13 les enfants peuvent être exposés dès le plus jeune âge.
30:15 Mais il est clair que c'est une très forte tendance à l'heure actuelle,
30:19 c'est incontestable.
30:20 - Tom, qu'est-ce que ça vous inspire, vous ?
30:22 Ce type de tendance, on le voit, effectivement,
30:24 c'est pas mal de moins de 18 ans aussi qui lisent ce type de livres.
30:28 - Je suis tout à fait d'accord avec Cécile, c'est des livres adultes
30:31 qui, au mieux, devraient arriver de manière avertie
30:35 dans les mains des jeunes lecteurs.
30:37 Je pense qu'il faut être mesuré sur l'inquiétude qu'on a,
30:40 parce qu'il y a aussi beaucoup de jeunes lectrices,
30:42 notamment sur les réseaux comme ça qui les présentent,
30:44 qui en fait sont avertis de ça, ont un regard critique, etc.
30:48 Ce qui va être plus inquiétant, c'est quand en effet,
30:50 on ne peut pas avoir de discussion avec ces jeunes
30:53 où elles ne savent pas forcément ce qu'elles vont avoir entre les mains,
30:57 que là, on peut s'inquiéter.
30:58 Je pense qu'il faut au maximum pouvoir, si on a des jeunes,
31:03 par exemple en médiathèque ou en librairie,
31:05 pouvoir lire ce livre, ne surtout pas interdire,
31:08 parce que de toute façon, ils vont trouver un moyen de le lire,
31:10 mais plutôt proposer autre chose et proposer une discussion,
31:13 si on peut, avec les jeunes lecteurs.
31:15 - Régine Hatchandowski ? - Oui ?
31:17 - Vous vouliez dire quelque chose sur ce type de littérature ?
31:20 - Je voulais dire que c'est très étonnant
31:22 pour en avoir parcouru quelques-uns, pour ne pas mourir idiote.
31:25 Je dois avouer que je me suis posée la question
31:29 de cette dichotomie entre le mouvement #MeToo,
31:33 la libération des femmes,
31:35 la remise en cause de la domination des hommes, etc.,
31:39 et leur toxicité possible.
31:41 Et puis ce goût démesuré...
31:44 - Un peu dans le genre de "Fifty Shades of Grey" ?
31:47 - Oui, pour vraiment un imaginaire d'une certaine manière assez vieillot,
31:50 où l'homme est par excellence l'être dominateur, toxique,
31:55 voire violeur, violent.
31:57 Je me suis dit, on est quand même dans une...
32:00 - Mais moi, je trouve ça très intéressant,
32:02 je pense qu'il faut insister sur ce que disait Tom,
32:04 c'est-à-dire qu'il y a quand même beaucoup de discernement
32:06 chez ces jeunes femmes,
32:08 parce que ce sont majoritairement des jeunes femmes,
32:10 et je pense que ça vient dire la période qu'on est en train de traverser,
32:13 qui est une période de tension et de torsion entre ces modèles,
32:16 et il faudra plus d'une génération pour qu'il n'y ait pas ça.
32:20 Mais on est vraiment à ce moment de la société où...
32:23 - C'est peut-être un moment de catharsis, de fantasme aussi ?
32:27 - Oui, et puis elles sont à la fois encore inscrites
32:29 dans des modèles patriarcaux,
32:31 et déjà un pied dans de nouvelles représentations.
32:34 Et leur lecture atteste de ça,
32:36 et leur lecture atteste de celles qui écrivent,
32:39 parce que la plupart du temps,
32:41 les autrices de ces textes, de dark romances,
32:43 ont le même âge.
32:44 Donc je pense qu'il y a quelque chose qui se passe là,
32:46 qui est un moment,
32:48 mais qu'il ne faut pas là encore condamner
32:50 avec vraiment des espèces de veto d'ayatollah,
32:55 parce que je pense qu'il ne faut pas négliger ces lectrices-là,
32:59 qui en plus lisent autre chose.
33:01 De la même manière que quand on lisait Twilight,
33:04 j'ai vu Wassilya dire "Ah, Twilight, visiblement, ça vous parlait".
33:07 Moi, quand j'ai lu Twilight,
33:09 ça m'a rappelé en tant qu'éditrice ce que je lisais
33:11 quand j'avais 15 ans, et c'était Léo de Hurlevent.
33:14 Je pense qu'il y a vraiment des héritages,
33:16 et qu'il faut penser ça un peu dans une longue durée.
33:21 - Wassilya, vous êtes d'accord là-dessus ?
33:23 Par exemple, ce mode de la dark romance,
33:26 vous avez été perméable, imperméable,
33:29 vous voyez un peu ce que peuvent rechercher
33:31 des jeunes filles de votre âge, par exemple,
33:34 dans ce type d'écriture ?
33:36 - Alors, moi, je comprends,
33:38 mais je pense que ça projette surtout
33:41 la situation émotionnelle des jeunes filles
33:44 qui peuvent lire ça.
33:46 Je pense que c'est des jeunes filles qui se cherchent,
33:49 et comme vous avez très bien dit d'ailleurs,
33:52 elles sont coincées dans un monde patriarcal,
33:56 mais à la fois dans un monde féministe.
33:58 Donc c'est un peu compliqué,
34:00 et je pense que ça projette juste de la réflexion,
34:03 à savoir comment peut-être mieux réfléchir,
34:06 je ne sais pas.
34:08 Mais moi, je ne lis pas du tout de dark romance.
34:12 - En Cannes, vous ne savez pas ?
34:15 - Non, vous n'avez pas eu le temps de lire
34:17 de la dark romance en Cannes cette année.
34:19 - On n'est pas ça dans Cannes non plus d'ailleurs.
34:22 - On a le temps après.
34:24 On va continuer à parler des réseaux sociaux,
34:27 puisque d'ailleurs, c'est sur les réseaux sociaux
34:29 que l'écrivain Nicolas Mathieu a lancé un débat
34:32 au mois de septembre dernier sur Instagram.
34:35 Le prix Goncourt 2018 a critiqué le recours
34:39 aux "sensivity readers", les lecteurs sensibles,
34:43 en bon français, ou plutôt sur le fait
34:45 que ne pas y être favorable aujourd'hui,
34:48 ça serait réactionnaire.
34:50 On va essayer de comprendre bien les termes du débat,
34:53 les termes de cette polémique.
34:55 On va déjà s'intéresser à ce nouveau métier.
34:57 Nous sommes en visio avec une relectrice sensible.
35:00 Julie, Michel, Guylaine, bonjour.
35:03 - Bonjour, Fanny. - Bonjour tout le monde.
35:06 - En un mot déjà, vous êtes relectrice sensible.
35:08 Qu'est-ce que c'est exactement qu'être relectrice sensible ?
35:12 - Relectrice sensible, déjà, c'est assez différent
35:15 des "sensitive readers" dont on parle
35:18 et qui viennent des États-Unis,
35:20 dans le sens où en France, ça reste un métier
35:22 encore un petit peu atypique, assez peu courant.
35:26 D'ailleurs, je ne peux pas vraiment dire
35:27 que ce soit une activité à temps plein,
35:29 pour ce qui me concerne.
35:31 Mais aux États-Unis, c'est vraiment les relectrices
35:33 et les relecteurs sont des acteurs et des actrices
35:35 à temps plein de la chaîne du livre.
35:38 Donc, pour ce qui me concerne, c'est vraiment plus
35:40 une activité à mi-temps.
35:43 Et cette activité, elle recoupe, je dirais, deux volets.
35:46 Il y a d'une part le fait pour les auteurs et les autrices
35:50 de s'assurer de la crédibilité, voire de l'authenticité
35:56 de ce qu'ils et elles écrivent quand ils ne connaissent pas bien
36:00 le sujet ou quand le sujet ne les concerne pas.
36:03 Ça, c'est la première partie.
36:04 Donc, par exemple, on peut être relectrice sensible,
36:06 je vais dire n'importe quoi, mais en santé mentale
36:10 ou même en pâtisserie du moment qu'on s'y connaît
36:12 et que l'auteur ou l'autrice a besoin d'un récit
36:16 qui soit vraiment crédible.
36:17 Vous êtes experte en fait.
36:19 C'est ça, c'est un peu une relecture experte.
36:23 Et vous disiez le deuxième volet, du coup, c'est quoi ?
36:26 Le deuxième volet, qui est plus sujet à polémique
36:30 ces dernières années, c'est une relecture qui vise plus
36:34 à éviter de choquer ou de reproduire des discriminations
36:39 en demandant cette fois l'aide de relectrices ou de relecteurs
36:42 qui sont, elles ou eux-mêmes, concernées par ces discriminations.
36:47 Souvent, ce sont des personnes issues de minorités.
36:50 Donc, moi, dans mon cas, je ne fais vraiment qu'une relecture
36:54 féministe et grossophobe.
36:56 Ça peut être aussi des relectures pour les minorités de genre,
37:00 pour les minorités religieuses, les personnes de couleur.
37:06 Sur Instagram, on dit "racisé", mais les personnes victimes
37:10 de racisme, ça peut être des relecteurs ou relectrices spécialisées
37:14 dans l'orientation sexuelle, une orientation sexuelle ou une autre.
37:18 Donc, c'est plutôt…
37:19 Du coup, lorsque vous tombez par exemple sur une phrase inadéquate
37:23 en termes de féminisme ou de grossophobie vous concernant,
37:26 qu'est-ce que vous faites ?
37:29 En fait, je conseille.
37:31 C'est vraiment… Il faut s'imaginer un document Word
37:34 avec un petit encart commentaire.
37:37 Donc, je fais un commentaire à l'autrice, en l'occurrence,
37:40 parce que moi, je n'ai que des autrices dans mes clientes pour le moment.
37:43 C'est un petit commentaire qui dit "en fait, si tu formules ça comme ça,
37:47 il y a peut-être un petit grossophobe derrière cette phrase,
37:51 donc tu pourrais dire peut-être ça ou ça, ou fais ce que tu veux".
37:54 Ce n'est pas du tout une censure, c'est plutôt un conseil.
37:57 Et dans tous les cas, l'autrice ou l'auteur en fait ce qu'il ou elle veut.
38:00 Si la banlieue trouve le conseil, il ne le suit pas.
38:03 Vous avez des débats comme ça avec les autrices, en l'occurrence ?
38:08 Vous arrivez vraiment à discuter d'un terme ensemble,
38:11 que chacune explique son point de vue ?
38:13 Ou bien souvent, elles sont plutôt d'accord avec vous ?
38:16 Elles vont corriger d'emblée ? Comment ça se passe ?
38:19 En général, elles reçoivent mon point de vue un peu comme une révélation.
38:28 "Ah oui, je n'y avais pas pensé".
38:30 Ça arrive qu'on discute, mais honnêtement, c'est assez rare.
38:34 Ce n'est pas juste un petit commentaire, je l'explique vraiment,
38:37 je rentre dans le détail.
38:39 S'il faut, je sors des théories.
38:41 En général, c'est assez documenté et assez clairement exprimé,
38:45 en tout cas j'ai l'impression, pour que ça leur parle.
38:48 Julie, restez avec nous.
38:51 Cécile Terwann, est-ce que le recours à une relectrice ou à un relecteur sensible,
38:56 c'est aujourd'hui une pratique courante dans le milieu de l'édition française ?
39:00 On a compris que ce n'est pas pareil dans le monde anglo-saxon et français.
39:03 Je ne vais pas pouvoir donner de généralité,
39:07 parce que je ne veux pas m'exprimer au nom de la profession.
39:09 Qu'est-ce que vous faites, vous, alors ?
39:11 Je trouve que ce que décrit Julie dans son activité,
39:14 c'est le travail de l'éditeur.
39:16 C'est vraiment un travail d'éditeur, c'est-à-dire que nous, au sein de mon équipe,
39:19 évidemment, on lit et on corrige tout ce qu'on publie,
39:22 on fait travailler les auteurs et, par ailleurs,
39:26 on fait appel à des préparateurs de copies ou des correcteurs
39:28 qui ont eux-mêmes des connaissances et qui seront capables d'alerter sur tel ou tel point.
39:33 Et on est vraiment assurés d'avoir, a priori, contourné les obstacles.
39:41 Donc, on ne s'est pas trouvé confrontés à des situations qui étaient litigieuses.
39:47 Et quand il nous est arrivé de publier des romans historiques,
39:50 c'est parce qu'on savait que l'auteur avait vraiment bossé sur sa copie.
39:53 Et, en l'occurrence, je ne publie pas de romans qui parleraient de la pâtisserie
39:57 et où la personne en question serait allergique au sucre.
40:01 Ça serait un peu compliqué.
40:03 D'accord. Donc, vous dites finalement la relecture sensible...
40:07 Non, non, je n'ex...
40:08 Pas forcément nécessaire dans votre cas de figure ?
40:11 Non, on ne la pratique pas parce qu'on n'est peut-être pas sur des contenus
40:14 en littérature ados, jeunes, adultes, qui se prêtent à ça.
40:18 Mais on publie des textes avec des personnes queer
40:22 ou des orientations sexuelles variées,
40:25 et où on a vraiment une grande attention à ça.
40:28 Donc, en fait, je pense que l'idée, c'est d'être en alerte
40:31 par rapport aux éventuels biais.
40:33 Et là, l'éditeur, c'est le premier lecteur de l'auteur,
40:37 et c'est lui qui va lui dire, "Attends, moi, là, toi, tu écris ça,
40:40 "mais moi, je lis ça."
40:41 Et on est nombreux à intervenir sur un texte,
40:44 donc, voilà, la zone d'expertise est assez large.
40:47 Tom, vous diriez que la jeunesse est particulièrement sensible
40:50 à tous les biais dont on va parler,
40:52 qu'il y a quand même une dimension générationnelle.
40:54 Oui, je pense que tous ces débats-là,
40:56 ils viennent traduire clairement une lecture aujourd'hui
40:58 des lecteurs ados qui est très moderne là-dessus,
41:01 sur ces questions-là, et qui sont vraiment très attentifs
41:03 et qui veulent qu'on y soit attentif.
41:05 Moi, je trouve que leur lecture sensible, en effet,
41:08 c'est une forme de métier d'éditeur.
41:10 Je pense qu'elle vient pallier un certain manque de diversité
41:13 et du côté des auteurs et des autrices,
41:15 et aussi du côté des maisons d'édition.
41:18 C'est un milieu qui change, mais qui est notamment très blanc,
41:22 moins de personnes, enfin voilà,
41:24 il manque encore clairement de diversité.
41:26 Donc moi, par exemple, dans mes activités d'éditeur,
41:28 je travaille parfois pour d'autres maisons d'édition,
41:31 notamment pour un livre sur les éditions Nathan,
41:34 on a fait appel à une lectrice sensible
41:37 pour les personnages racisés,
41:39 et c'était intéressant parce qu'elle a expliqué plein de choses
41:42 sur comment on pouvait écrire des couleurs de peau,
41:44 les coupes de cheveux,
41:46 quand on ne connaît pas, en fait,
41:48 c'est une manière de se documenter aussi,
41:50 quand on arrive à nos limites.
41:52 Et là-dessus, je trouve que c'est très pertinent
41:55 de pouvoir avoir ce…
41:57 - Il y a tout un débat autour de la relecture sensible,
41:59 c'est la question de…
42:01 Est-ce que ça peut être aussi une entrave
42:03 à la liberté de création, à la liberté d'écriture ?
42:05 Est-ce que vous l'entendez, ce débat-là, aussi ?
42:07 - Alors, je l'entends, mais comme disait notre experte sensible,
42:12 c'est plus souvent du conseil et ensuite des discussions.
42:15 - Oui, ça n'est pas de la censure.
42:17 - Comment ?
42:18 - Ça n'est pas de la censure, c'est de la discussion,
42:20 c'est ce que nous expliquait Julie.
42:22 - C'est beaucoup de bruit pour rien, souvent, je pense,
42:24 c'est grand débat, et à côté, on ne va pas parler
42:26 des vraies censures qui existent.
42:28 Par exemple, aux États-Unis, il y a beaucoup de livres
42:30 qui sont bannis dans les bibliothèques,
42:32 là, pour des questions souvent LGBT,
42:34 de représentation sexuelle, etc.
42:36 En France, il y a eu le cas de ce livre
42:38 aux éditions Thierry Manier, bien trop petit,
42:40 où il y a eu un décret du ministère de l'Intérieur
42:45 pour le faire interdire aux moins de 18 ans.
42:48 Donc, ça, c'est des vrais sujets dont finalement,
42:50 on parle presque, qui font presque moins débat dans les médias
42:53 que ce genre de médias qui existent finalement depuis longtemps.
42:58 - Bien trop petit, on en a pas mal parlé,
43:00 mais oui, vous dites que c'est là qu'il y a plutôt de la censure.
43:04 - Il y a une espèce, j'ai l'impression, presque "terror walk"
43:08 qu'on a eue, notamment, il y a 2-3 ans,
43:10 où on va dire que ça va être du ce côté-là
43:13 qu'on va interdire, qu'on va censurer,
43:15 alors que finalement, il y a une censure aussi
43:17 qui existe de l'autre côté, qui est très forte
43:19 et parfois bien plus prenante.
43:21 - Voici là, ce qui fait pour le coup vraiment débat,
43:23 c'est plutôt le sujet de la réécriture de livres
43:25 qui ont déjà été publiés par le passé.
43:28 On pense bien sûr à "Dix petits nègres" d'Agatha Christie,
43:31 dont on a changé le titre, à certains livres de Roald Dahl,
43:34 qui, en édition, en anglais et pas en français,
43:36 ont modifié le texte.
43:38 Est-ce que vous le comprenez, cela, qu'aujourd'hui,
43:41 en tout cas, dans le monde anglo-saxon notamment,
43:44 on change un certain nombre de livres,
43:46 en estimant qu'aujourd'hui, leurs termes sont trop choquants ?
43:49 - Je comprends et j'entends,
43:52 mais je ne suis pas totalement d'accord.
43:56 Je pense que c'est bien de garder des racines.
43:59 Je sais qu'aujourd'hui, dans un monde
44:02 où on fait très attention à ce qu'on dit, à ce qu'on fait,
44:06 je pense que ce n'est pas bon de censurer des auteurs.
44:09 C'est bon de les conseiller.
44:11 Je trouve que le métier de Julie est très intéressant,
44:14 parce que c'est de la prévention pour les auteurs,
44:17 mais je pense que ce n'est pas bon de censurer.
44:19 - C'est des auteurs qui l'ont généralement choisi.
44:21 C'est quand même une grosse différence.
44:23 - Je pense qu'il y a un message derrière
44:25 qu'on ne comprend pas forcément au premier abord,
44:28 et qu'on a besoin de lire entre les lignes,
44:30 de reconnaître l'histoire de l'auteur.
44:32 C'est important de garder les choix de l'auteur,
44:35 de les comprendre et de les accepter.
44:38 - Julie, exemple canonique, Roald Dahl,
44:41 est-ce que vous auriez réécrit ?
44:43 Ça n'a pas été le choix fait en France, je le reprécise.
44:46 Est-ce que retirer des contenus offensants,
44:49 chez Roald Dahl, c'est faire attention
44:52 à la sensibilité du lecteur d'aujourd'hui,
44:54 ou est-ce que c'est vraiment édulcorer l'auteur
44:57 et un peu en retirer l'esprit ?
45:00 - Je pense que c'est en Grande-Bretagne
45:02 que ça a été fait, et je pense que c'est très britannique.
45:05 Par exemple, ce qui a été fait dans Charlie et la chocolaterie,
45:08 c'est qu'ils ont supprimé le mot "gros" ou "grosse".
45:11 Non, c'était "gros".
45:13 En France, on ne ferait pas ça,
45:15 parce que déjà, le mouvement de lutte
45:17 contre les grossophobies est très différent.
45:19 On assume le fait d'être gros ou grosse.
45:21 Donc, il y a ça qui est différent.
45:23 Et puis, je pense aussi que, comme je disais,
45:25 la relecture sensible, ce n'est vraiment pas de la censure.
45:28 C'est déjà un auteur qui a été édité il y a aussi longtemps,
45:32 sans son avis,
45:34 parce que Roald Dahl avait déjà réécrit le livre.
45:37 Ce n'est pas forcément "Bienvenue, je préférais".
45:39 À la limite, on compare deux versions,
45:41 une version réécrite et une version pas réécrite.
45:44 C'est très différent du cas d'Agatha Christie pour "Ils étaient dix",
45:47 vu que le nouveau titre, c'est "Ils étaient dix".
45:49 Là, en fait, elle avait participé à la réécriture du texte,
45:52 elle avait donné son avis.
45:54 Ce changement de titre, c'est son choix aussi.
45:56 Et ça, je trouve que c'est important.
45:58 C'est juste une question, finalement, de respect de l'auteur et de l'autrice.
46:01 - Réjulie Natchando, c'est intéressant,
46:03 parce que ce qu'on voit, c'est que peut-être,
46:05 il y a presque autant de décisions à prendre
46:07 que de situations particulières.
46:09 Il n'y a pas forcément à dire qu'il faut, je ne sais pas,
46:12 réécrire tous les textes ou pas du tout réécrire.
46:14 - Évidemment.
46:15 - Enfin, voilà, on voit...
46:17 - Je trouve ça assez scandaleux.
46:19 Le travail de Julie est très riche.
46:21 En cela, l'auteur reste maître de ce qu'il écrit.
46:24 Et ça redevient, j'imagine,
46:26 une discussion entre l'éditeur et l'auteur.
46:28 Et de ce point de vue-là, c'est resté...
46:30 - C'est le même métier que vous faites en tant qu'éditeur.
46:32 C'est exactement la même chose, et c'est normal.
46:34 - C'est notre travail quotidien.
46:36 - Alors que réécrire un texte, quand l'auteur est mort
46:39 et a disparu et ne peut pas donner son avis,
46:42 je trouve ça extrêmement choquant, violent.
46:46 C'est nier le métier d'auteur.
46:48 - Il faut quoi ? Il faut avertir ?
46:51 - On peut très bien faire un élément contraire.
46:53 - On peut très bien contextualiser.
46:55 - Ça, pour moi, c'est vraiment important
46:57 dans le cadre de textes historiques.
46:59 On a eu souvent ce débat autour de "La case de l'oncle Tom",
47:03 et Ariadne Becker-Stowe a écrit ça au moment de l'esclavage.
47:07 On ne peut pas retirer le mot nègre ou noir de ce livre.
47:11 Ça n'a pas de sens.
47:12 Mais là où je rejoins complètement Régina Chando,
47:15 c'est que pour moi, le cadre Waldahl,
47:17 là, non seulement on appauvrit le texte,
47:21 mais en plus, on méprise le lecteur.
47:25 C'est-à-dire que ce texte est écrit pour faire rire les enfants
47:29 et pour solliciter leur esprit de dérision,
47:32 leur capacité à entendre le décalage.
47:35 Et je trouve que la littérature jeunesse...
47:37 - On les prend moins intelligents qui ne le sont pas.
47:39 - Et Waldahl, il avait des vrais lecteurs
47:41 et il destinait ses textes aux vrais lecteurs,
47:43 que sont les enfants.
47:44 Et je trouve que faire ce travail-là, c'est vraiment détruire.
47:48 Et là, pour le coup, on n'est plus dans la littérature.
47:50 Là, on est dans de la production
47:52 et là, on est en train de faire le lit
47:54 de tous ceux qui disent que la littérature jeunesse
47:56 n'est pas de la littérature.
47:57 Et je trouve que c'est une mauvaise manière
47:59 de boucler la boucle.
48:00 - Oui, alors que la littérature,
48:02 ça permet avant tout de construire l'esprit critique,
48:04 sans doute, et d'avoir un peu aussi...
48:05 de comprendre, d'avoir de la distance avec ce qu'on lit.
48:09 Justement, on parle de ce qu'on lit.
48:11 Pour conclure, on vous a tous demandé un petit peu
48:13 de donner quelques recommandations de livres.
48:16 Tom, quelle est la vôtre ?
48:18 - Pardon ?
48:19 - En vraiment pas très longtemps.
48:21 - J'ai emmené ce livre "Mille pertuits"
48:23 de Julia Thevenau.
48:24 Là, c'est vraiment...
48:26 On est avec une petite héroïne.
48:28 Au début, elle est petite, mais elle a grandi.
48:30 On va la suivre sur 10 ans, c'est un premier tome.
48:32 Elle s'appelle Horty.
48:33 En fait, elle est sorcière
48:34 et elle doit à tout prix garder le secret.
48:36 Le secret, c'est le fait qu'elle est sorcière
48:38 et que les autres ne doivent pas le savoir.
48:40 Elle a aussi attaché à son nombril,
48:43 parce que ça s'appelle "La sorcière sans nombril",
48:46 son or, qui est un peu ce qui la guide
48:48 toute sa vie.
48:49 Et elle doit au grand jamais,
48:51 ne jamais donner son or à personne.
48:53 Et on sait dès le début
48:54 qu'elle a fait une très grosse bêtise.
48:56 C'est trash, féministe.
48:57 C'est vraiment une réécriture de sorcière 2023.
49:00 - On a très envie de le lire.
49:01 Wassila, quel est votre conseil de lecture ?
49:03 - Alors, j'avais choisi
49:04 "Les chroniques de Bridgerton" à la base,
49:07 mais j'ai changé pour...
49:09 - Parce que non !
49:11 - Désolée, c'est un très bon livre,
49:14 mais j'ai préféré présenter "Riblos"
49:16 de Victor Hugo.
49:17 C'est une pièce de théâtre,
49:19 ce qui est plutôt surprenant
49:20 de la part de Victor Hugo,
49:21 puisqu'on le voit souvent comme un romancé
49:23 au premier abord.
49:24 Et donc, en fait, c'est une pièce de théâtre
49:26 qui va parler d'un valet
49:28 qui va prendre la place de son maître
49:30 pour un court temps au château,
49:32 et qui est secrètement amoureux de la reine.
49:34 Donc, il va avoir une petite relation avec la reine,
49:37 puisque la reine va exactement tomber sous son charme.
49:40 Et puis, voilà, la fin,
49:41 il y a une chute à la fin.
49:43 Donc, il faut le lire pour la connaître jusqu'au bout.
49:45 - Mais c'est de la romance !
49:46 - Voilà, exactement !
49:47 Il y a le petit côté croustillant.
49:49 Vous avez très bien vendu, Victor Hugo.
49:51 - Du coup, je ne lis pas de dark romance,
49:53 moi je lis de la romance...
49:54 Dans "Les Bridgerton",
49:55 je n'ai pas eu l'occasion de le dire,
49:57 mais c'est de la romance,
49:59 comme on la connaît,
50:00 classique, avec un homme charmant
50:02 qui vient pour une princesse.
50:04 C'est très...
50:05 - Voilà, en côté des Bridgerton.
50:07 Et Victor Hugo, la preuve.
50:09 Régine Alchando.
50:10 - Alors, écoutez,
50:11 moi je suis dans le classicisme total aujourd'hui,
50:13 mais moi j'ai choisi "La princesse au petit poids".
50:15 Alors, je pensais qu'il fallait qu'on fasse un choix
50:18 pour des plus petits.
50:19 Visiblement, vous vous attendiez à des choix
50:21 quand vous étiez adulte.
50:22 - Vous avez le droit de...
50:23 - Voilà, "La princesse au petit poids".
50:25 Alors, je trouve qu'en plus,
50:27 aujourd'hui, elle est intéressante.
50:28 Elle est encore plus intéressante
50:29 que quand je l'avais lue enfant,
50:30 puis lue à mes propres enfants.
50:32 Comme vous savez,
50:33 elle est choisie par le prince,
50:36 mais presque encore plus par la mère du prince.
50:39 - Oui.
50:40 - Ce qui dit beaucoup sur la puissance...
50:41 - Elle a la possibilité...
50:42 - La puissance des femmes sur leur fils.
50:43 Donc c'est une question intéressante aujourd'hui.
50:45 Elle est choisie alors qu'elle a
50:48 une trentaine d'épaisseurs de matelas sur elle
50:51 et que la belle-mère,
50:53 la future belle-mère a glissé un petit poids.
50:56 Donc voilà, je ne dirais pas comment ça se termine,
50:58 mais je trouve qu'aujourd'hui,
50:59 c'est un conte à revisiter aussi, à l'aune justement,
51:02 du mouvement féministe, de la place des femmes
51:05 et du fait qu'on accepte la mauvaise humeur d'un homme
51:07 qui ne trouve pas avant la femme de ses rêves.
51:10 - Ce qui a été dit par Francesco,
51:11 il m'avait dit "sort pour les valeurs".
51:12 - Exactement, et j'allais en parler.
51:13 - Cécile Terwan, le mot de la fin, vos conseils lecture.
51:17 - Je ne vais pas présenter un livre,
51:18 je vais présenter une autrice,
51:20 une jeune femme de 23 ans, Clara Hero,
51:23 qui est l'autrice de "Nos plus belles années",
51:25 "L'effet boule de neige"
51:26 et un titre nouveau qu'on publiera en 2024.
51:29 Clara est étudiante en sciences politiques.
51:32 Nous l'avons découverte à travers un concours d'écriture.
51:34 Elle a surpassé tous les autres candidats
51:36 et il faut absolument découvrir sa plume
51:39 qui est à la fois fine et douce,
51:42 acérée quand il faut parce qu'elle dénonce
51:45 dans "Nos plus belles années"
51:46 les violences sexistes et sexuelles,
51:47 mais d'une tendresse absolue dans "L'effet boule de neige"
51:50 qui est une romance à lire sous sa couette à Noël.
51:52 - Merci beaucoup.
51:53 Un bon cadeau de Noël, justement,
51:55 à mettre tout sous les bons sapins.
51:57 Merci à tous les quatre d'être venus sur ce plateau
52:01 et nous on se retrouve très vite
52:03 pour un nouveau numéro d'Avoir 20 ans.
52:05 - Merci.
52:06 ♪ ♪ ♪
52:12 ♪ ♪ ♪
52:18 ...

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