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L'invitée du 8h20 de Marion L'Hour et Ali Baddou est Sophie Galabru, agrégée, docteur en philosophie, autrice de “Faire famille, une philosophie des liens” aux éditions Allary.


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Transcription
00:00 Invité du Grand Entretien avec Marion Lourdes, nous avons le plaisir de recevoir ce matin
00:04 une philosophe qui publie un livre passionnant sur la famille.
00:08 La famille qui est un lieu par essence sous tension, un lieu de contradiction, un lieu
00:14 où se croisent à la fois la protection et la liberté, un lieu où l'on transmet mais
00:19 où l'on se sépare également.
00:21 Un livre passionnant qui mobilise l'histoire, l'économie, l'amour, le droit mais aussi
00:27 le cinéma puisqu'on croise Spielberg, Coppola, à côté de Pascal, Nietzsche, François
00:34 Sagan ou Simone de Beauvoir.
00:35 Posez vos questions chers auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:43 Inter.
00:44 N'hésitez pas à nous dire si pour vous c'est « Famille je vous aime » ou si c'est
00:48 « Famille je vous hais ».
00:49 Bonjour Sophie Galabru.
00:50 Bonjour.
00:51 « Faire famille », c'est donc le titre de ce livre que vous publiez chez Alary Éditions.
00:57 Le sous-titre, il est important, c'est « Une philosophie des liens ». Vous êtes
01:02 philosophe, vous enseignez la philosophie et vous venez de publier cet essai absolument
01:07 passionnant.
01:08 Avant d'y entrer, on a tous maintenant Noël en tête, c'est le moment par excellence
01:13 Sophie Galabru où les familles se retrouvent.
01:16 Certains l'attendent avec impatience, d'autres redoutent, détestent ce moment.
01:21 Qu'est-ce qui se joue pour les familles à Noël ? Pourquoi est-ce que c'est un
01:26 moment de cristallisation de quelque chose, un je-ne-sais-quoi ?
01:30 Oui, c'est vrai que c'est la fête de famille par excellence.
01:33 Et c'est vrai que ça cristallise à la fois les espoirs qu'il y ait un moment
01:37 de paix, de convivialité, de joie.
01:39 Mais aussi parfois, pour beaucoup de gens, l'écart avec ce rêve et le vécu réel
01:44 parce que la famille est aussi traversée de tensions, de non-dits.
01:48 Et on ne se retrouve pas toujours dans ces fêtes accueillies pour soi, mais plutôt
01:53 pour le rôle qu'on doit jouer dans cette fête, dans ce scénario de la joie.
01:57 Et ça peut créer effectivement des tensions énormes.
02:00 Et d'ailleurs, c'est la matière de scénarios tragiquomiques.
02:04 Celui de Festin, ça ne se passait pas à Noël, mais en l'occurrence c'était
02:08 au cours d'un anniversaire de 60 ans.
02:10 Mais un conte de Noël, de dépléchants, la bûche… C'est un ressort tragiquomique.
02:14 L'espoir et la réalité.
02:16 Et puis, il y a aussi une donnée anthropologique qui traverse beaucoup de gens.
02:19 C'est le fait que quand on fonde une famille, on est amené à voir ses enfants grandir.
02:24 Et que ces enfants-là vont peut-être fonder eux-mêmes une alliance, une famille.
02:28 Et chez qui on va ? Et Noël, c'est aussi un exercice de négociation entre eux.
02:32 Est-ce qu'on va chez ses parents ? Les parents de son conjoint ? Les siens ? Et comment
02:37 on va négocier avec ça ? Et ça se prépare parfois longtemps à l'avance.
02:40 Mais de manière générale, je pense que cette fête-là, pour qu'elle se passe comme
02:45 on le souhaiterait, demande de se préparer et d'entretenir des véritables conversations
02:50 avec les siens.
02:51 Mais ce qu'il y a de réconfortant, c'est qu'on vit tous massivement le même problème
02:55 au même moment avec Noël.
02:56 - Alors il y a Noël et il y a effectivement toutes les retrouvailles familiales, à l'épargner
03:00 des anniversaires, qui peuvent être source de frustration.
03:03 Parce que c'est ça que vous dites, c'est qu'il y a un contraste peut-être trop grand
03:06 entre l'idée de famille et sa réalité.
03:08 - Oui, c'est le propre de la réunion de famille.
03:10 C'est qu'on attend, on espère parfois de sa famille qu'elle soit réconfortante, qu'elle
03:15 soit un refuge, une zone de véritable intimité.
03:19 C'est à la fois peut-être en effet une image, une idéalisation, mais c'est aussi
03:24 un espoir, une attente qu'on peut comprendre.
03:26 Puisque la famille contemporaine est censée en effet accueillir des enfants à des missions,
03:32 à des devoirs comme la sécurité, l'affection.
03:35 Et on attend, on aspire à être accueilli pour ce que l'on est dans une famille.
03:41 C'est vrai.
03:42 Donc c'est pas complètement une mystification, c'est un espoir légitime, mais qui n'est
03:45 pas toujours exaucé.
03:46 - On va en parler parce qu'on n'a pas besoin de s'aimer d'ailleurs pour être tenu
03:50 à ses obligations.
03:51 Mais on va repartir du titre, Sophie Galabru.
03:54 « Faire famille », c'est le titre de l'essai.
03:56 Et l'expression elle sonne bizarrement.
03:59 On dit « être en famille », on dit « se retrouver en famille », on dit jamais « faire
04:03 famille ».
04:04 Qu'est-ce que ça veut dire ?
04:05 Vous écrivez que « faire famille », ça met l'accent sur cette vérité selon laquelle
04:09 la famille n'est pas un mouvement naturel, spontané de réunion, mais un exercice de
04:15 composition.
04:16 Ça demande un effort, des actes.
04:18 - Oui, c'est vrai qu'être en famille, ça peut être d'ailleurs plus joli que
04:22 « faire famille ».
04:23 Mais c'est une expression sociologique néanmoins importante et intéressante qui met l'accent
04:27 sur une thèse qui a déjà été démontrée par nombreux anthropologues et sociologues.
04:33 Il ne suffit pas de faire des enfants, d'en accueillir, pour être une famille.
04:38 Parce que c'est un exercice difficile qui demande d'avoir des ressources.
04:44 Parce que ce n'est pas évident de donner, de donner de manière assez inconditionnelle
04:48 à des enfants, d'être à la hauteur de ses devoirs et de ses responsabilités.
04:52 Et surtout, c'est un exercice également de cohabitation, de partage d'intimité.
04:56 C'est particulier.
04:57 On fait ça peut-être en moyenne 15-20 ans.
04:59 Et ça suppose de la vigilance, de la compréhension, beaucoup d'écoute et de savoir s'adapter
05:06 et se transformer, d'évoluer au fur et à mesure des grands événements comme les
05:10 naissances, les départs aussi, les deuils, les décès.
05:13 Et de faire face aussi aux libertés individuelles de ceux et celles avec qui on vit.
05:17 - Avant de parler de libertés d'ailleurs, j'aimerais juste signaler que vous parlez
05:20 de vous-même.
05:21 C'est un exercice de philosophie appliqué à la famille.
05:24 Mais vous dites que la famille c'est aussi le lieu des séparations et que vous avez
05:28 commencé à écrire ce livre alors que votre grand-mère, Annette, était en train de disparaître.
05:33 Vous posiez la question "que restera-t-il de nous ?" La famille est constamment mise
05:38 à l'épreuve.
05:39 Et vous dites que pour vous, le moment de la disparition pressentie d'un ancien, grand-parent,
05:44 un parent, c'est un moment paradoxalement de haute union familiale.
05:49 - Oui, c'est-à-dire que le moment quand on voit quelqu'un s'en aller partir parce
05:54 que cette personne est très malade et en train de disparaître, c'est un moment de
05:59 communion, le plus souvent familiale, puisqu'on vient dire au revoir et on va se regarder
06:05 et se demander ce qui va rester de nous sans la personne fondatrice de la famille que nous
06:11 sommes.
06:12 Est-ce que nous allons réussir à perpétuer ce projet familial qu'avaient pour nous nos
06:16 ancêtres ? Pas forcément d'ailleurs.
06:18 - Sophie Gallabreux, quand vous dites que la famille c'est un exercice de composition,
06:22 on a l'impression presque qu'il y a un écho avec l'historien Ernest Renan, quand il parlait
06:26 de la nation au XIXe siècle, il disait "c'est un plébiscite de tous les jours".
06:29 Est-ce que la nation c'est une famille ? La famille c'est une nation ?
06:32 - Alors non, je ne serais pas pour exporter le terme de famille à d'autres sphères.
06:37 On en reparlera peut-être.
06:38 Ni la sphère amicale, entreprenariale, ni politique.
06:41 Je ne le pense pas du tout parce que, encore une fois, ce qui caractérise la famille,
06:45 c'est une institution sociopolitique avec des droits et des devoirs très précis et
06:49 qui prend en charge des êtres vulnérables. Ce n'est pas exactement le cas des autres
06:53 groupes dont on parle.
06:54 - Le code civil est un élément aussi important que l'amour pour comprendre comment fonctionne
07:00 une famille.
07:01 La question du sang.
07:03 On a très souvent l'impression que la famille c'est l'obsession du sang.
07:07 Il y a un fantasme sur les alliances légitimes, illégitimes.
07:13 On ancre la famille dans la rhétorique du corps.
07:17 Pourtant, toute famille est adoptée selon vous.
07:21 Qu'est-ce que ça veut dire ?
07:22 - Je me suis posé deux questions.
07:24 Est-ce qu'une famille se définit par ce lien objectif qu'est le sang ? Le partage
07:29 génétique ?
07:30 Évidemment non.
07:31 D'ailleurs, les gens qui ont été adoptés ou qui adoptent le savent très bien.
07:34 On peut se hisser aux responsabilités de parents, prendre soin des autres sans être
07:43 lié par le sang.
07:45 Mais même ceux qui sont liés par le sang, c'est une thèse que j'avance, sont à
07:50 un moment donné de leur vie, surtout quand on franchit la majorité et qu'on devient
07:53 adulte, sont régulièrement appelés à renouveler l'adhésion qu'ils ont envers
07:58 leur famille.
07:59 Parce qu'on n'est plus obligé de passer un certain moment de subir sa famille.
08:02 On peut choisir de fréquenter les siens.
08:04 À ce moment-là, il y a une forme d'adhésion ou d'adoption des siens, même liée par
08:09 le sang.
08:10 - Si le sang n'est pas si important, ça veut dire que la gestation pour autrui et
08:14 toutes les formes de procréation qui sont un peu différentes de celles originelles,
08:20 si j'ose dire, ne changent pas la notion de famille ?
08:23 - Je pense qu'il y a des réflexions à mener sur le fait de confier à d'autres,
08:28 et notamment à d'autres femmes, la gestation dans leur corps d'un être dont elles vont
08:32 être séparées par des contrats.
08:34 Je pense que c'est un sujet de réflexion qui est très lourd, qui peut en plus engager
08:38 des questions politiques, sociopolitiques, de justice, parce que ce sont souvent des
08:41 femmes très précaires.
08:42 Donc moi, je ne m'avancerais pas sur ce terrain.
08:44 Mais en revanche, je pense qu'en effet, l'acte d'adoption est un acte magnifique,
08:48 un acte politique, et qui d'ailleurs est souvent freiné administrativement.
08:52 Après, il y a des raisons.
08:53 Il y a des protections évidentes de l'enfant qu'on ne peut pas confier spontanément
08:56 à toute personne qui en demande un.
08:58 Mais néanmoins, on constate encore, selon les spécialistes et les experts, des freinages
09:02 administratifs qu'on peut questionner.
09:04 Il y a peut-être moins de freinages pour la procréation médicalement assistée.
09:08 Et moi, je questionne cette facilitation à géométrie variable, parce que l'acte
09:13 d'adoption est essentiel.
09:15 Et il y a mille et une manières de faire famille, et ça, l'anthropologie l'a montré,
09:19 et vous le racontez très bien.
09:20 Ce qui est assez passionnant, c'est qu'on a l'impression que la famille, c'est
09:22 ce qu'on a de plus intime, c'est l'espace fermé, protégé, où on est entre soi.
09:26 Et pourtant, vous montrez que c'est une expérience politique, économique, sociale.
09:31 On n'a pas forcément besoin de s'aimer pour faire famille.
09:34 Il y a le droit, le code civil.
09:36 Ce n'est pas naturellement qu'on se porte assistance, mais on y est obligé par le droit.
09:42 C'est traversé par l'économie.
09:44 Vous citez cette phrase d'Engels, l'ami et le partenaire en écriture de Marx.
09:50 « Dans la famille, l'homme est le bourgeois, la femme joue le rôle du prolétariat ». Autrement
09:54 dit, l'homme, c'est celui qui possède, la femme, c'est celle qui n'a rien.
09:57 Alors, c'est sans doute en train de changer, mais ça montre l'importance de l'argent,
10:01 par exemple, dans l'institution familiale.
10:04 Évidemment, c'est vrai qu'on peut penser que la famille est une sorte d'abri ou de
10:07 refuge, complètement en dehors de la question politique.
10:10 D'ailleurs, les gens, peut-être, fantasment leur famille comme ce qui peut enfin les mettre
10:14 à l'écart de cela.
10:15 On dit souvent de ne pas parler de politique à table.
10:18 Et en fait, c'est un leurre et là, pour le coup, une mystification.
10:22 Parce que la famille est en fait un groupement social et juridique.
10:27 Alors, ce n'est pas comme une entreprise.
10:29 La famille n'est pas douée d'une personnalité morale, d'ailleurs.
10:32 C'est intéressant, les législateurs ne considèrent pas qu'une famille a absolument les mêmes
10:36 intérêts.
10:37 Et d'ailleurs, vous récusez l'idée qu'une entreprise soit une famille.
10:40 Le discours des managers contemporains qui disent "oui, nous sommes une famille, alors
10:45 parce que nous travaillons dans la même entreprise".
10:47 C'est au fond une mystification ?
10:49 Oui, en tout cas, c'est une technique.
10:51 Alors, pas forcément consciente ou inconsciente, mais ça peut être une technique et une stratégie
10:55 pour fédérer, apporter de la cohésion, de la convivialité, voire de la joie forcée
11:00 pour augmenter les performances des uns et des autres.
11:03 Ou créer des liens affectifs qui créent des loyautés plus fortes que les simples
11:07 intérêts entreprenarios et salariaux.
11:09 Mais c'est assez fallacieux et erroné de faire ça.
11:13 Parce que c'est faire croire aux personnes qu'elles sont liées par de tels liens.
11:17 Alors qu'on peut avoir des liens parfois amicaux qui se développent, mais pas des
11:21 liens familiaux dans une entreprise où on ne travaille pas avec ses proches.
11:25 La famille, c'est politique aussi parce qu'il y a des rapports de pouvoir au sein
11:27 d'une famille.
11:28 Dans ce cadre, qu'est-ce que vous nous dites de l'éducation bienveillante ? Celle
11:32 qui invite les parents à se mettre à la place des enfants pour mieux les comprendre,
11:36 du coup à ne pas trop les punir, à ne pas faire acte d'autorité en réalité ?
11:38 Il y a deux choses à dire.
11:40 C'est-à-dire qu'en effet, l'autorité parentale qui d'ailleurs est déléguée
11:43 par l'État et qu'on peut se voir retirer, c'est une preuve de plus que la famille
11:47 c'est quand même un groupement juridique.
11:49 Mais oui, on peut avoir de l'autorité sur son enfant, mais il ne s'agit pas là de
11:54 le dominer ou d'en abuser.
11:55 Parce que c'est vrai qu'on est dans une position spéciale quand on est parent qui
11:59 est convoqué au monde un être mineur sans son consentement et qui n'aura pas de liberté
12:04 et dont on a la charge.
12:05 Et donc la tentation d'abus de pouvoir peut être là.
12:07 Mais par contre, l'autorité pour être ce que j'appelle un guide spirituel, c'est-à-dire
12:11 apprendre à ses enfants la limite, le rapport à la réalité, de gérer la frustration,
12:17 de comprendre aussi ce qu'est l'autre, l'altérité qui vous résiste, c'est fondamental
12:21 pour apprendre à son enfant à vivre.
12:22 Donc il faut dire non, on peut dire non ?
12:24 Il faut absolument dire non et il faut aussi apprendre à décrypter le monde qui nous
12:27 entoure en faisant des propositions.
12:29 Ça ne veut pas dire imposer une vision, mais essayer de donner des outils pour décrypter
12:32 le monde et la société dans laquelle on vit.
12:34 Et vous citez d'ailleurs Elietta Bécassis, et vous citez cette situation où paradoxalement
12:38 en fait ce sont les enfants qui éduquent les parents, plus que l'inverse, je le dis
12:44 de manière un peu rapide.
12:46 La famille, elle est inséparable d'un héritage.
12:48 Il y a beaucoup de questions d'auditeurs qu'on va rejoindre dans un instant au standard
12:52 Sophie Bagalabru.
12:53 En l'occurrence, vous-même, vous le dites, vous avez hérité d'un nom immensément
12:57 célèbre, celui de Michel Galabru, que tous les Français connaissent.
13:02 Et quand vous étiez enfant à l'école, on vous a toujours assigné à cette identité
13:07 de petite-fille d'œuf.
13:09 Comment est-ce que vous vous en êtes démarquée ?
13:11 C'est toujours le cas aujourd'hui.
13:15 On m'assimile toujours à mon grand-père.
13:17 Mais sauf que la différence c'est qu'aujourd'hui, adulte, j'en suis assez heureuse.
13:23 Alors que quand on est enfant, on peut être embarrassé de ne pas savoir quoi faire de
13:26 ça.
13:27 Mais la démarcation s'est faite très vite.
13:30 J'ai très vite compris, surtout adolescente, qu'il fallait essayer d'avoir un prénom,
13:34 de ne pas forcément suivre la même voie.
13:36 Peut-être c'est pour ça que j'ai souhaité faire des études les plus longues possibles
13:40 pour justifier peut-être ma capacité de travail et ma vie propre.
13:45 Sophie Gallabru, on va justement filer au Standard Inter.
13:49 Bonjour Céline !
13:50 Bonjour tout le monde !
13:52 Bonjour Céline, vous avez moins une question qu'un témoignage à nous partager.
13:58 Moi je suis la petite dernière.
14:00 J'ai deux grandes sœurs qui ont une dizaine d'années plus que moi.
14:04 Et donc j'ai souvent, enfin longtemps, été vraiment la petite dernière, la petite gâtée.
14:10 Les places ont légèrement changé quand mon papa est décédé.
14:15 Il a fallu attendre d'avoir à peu près 47 ans avant de vraiment trouver ma place,
14:23 notamment lors de fêtes de famille.
14:25 C'était très compliqué pour moi.
14:27 J'étais extrêmement pressée de retrouver tout le monde et de faire la fête.
14:33 Mais ça cristallisait effectivement, c'est ce que disait Madame tout à l'heure.
14:36 Ça créait des tensions.
14:38 Et du coup, je redevenais éternellement la petite dernière qui embête tout le monde,
14:42 qui fait trop de bruit.
14:43 Parce que c'était trop de bonheur qui provoquait une tension extrême.
14:48 Et j'en finissais par être malheureuse de cette fête de famille.
14:51 Mais aujourd'hui, ça va mieux.
14:54 C'est mon socle et j'ai tellement de chance d'avoir été choisie par cette famille
14:57 merveilleuse et aimante.
14:58 Céline, merci pour votre témoignage.
15:02 Sophie Gallabru, c'est passionnant ce qu'elle disait Céline justement.
15:05 Elle utilise le mot de choix.
15:06 Ce qui est intéressant, c'est qu'elle montre aussi que pendant des années, près
15:09 de 40 ans, on est assigné parfois un rôle par sa fratrie.
15:12 Au départ par ses parents.
15:13 Et la fratrie peut perpétuer le scénario et le rôle attribué.
15:17 Et on souffre de ces positions rigides, figées.
15:20 Et c'est ce qui d'ailleurs ne permet pas à une famille toujours de perdurer avec bonheur.
15:24 C'est la fixation sur des rôles et des scénarios.
15:27 Et la fermeture sur soi.
15:28 Et sur ses rapports de pouvoir.
15:31 Et d'ailleurs, il y a plusieurs auditeurs, Brigitte, Gilles, qui vous disent qu'il y
15:37 a les familles qui libèrent et celles qui asservissent.
15:40 Et dans le cas de Gilles, j'ai grandi le jour où j'ai quitté ma famille.
15:44 Quant à Brigitte, elle prononce ces deux mots avec un point d'exclamation.
15:49 « Je fuis ». C'est assez intéressant puisque le moment familial par excellence
15:54 approche avec les fêtes.
15:55 Mais la famille, c'est aussi un espace qu'on peut avoir envie de rejeter.
16:01 On ne va pas citer Gilles, mais famille, je vous hais.
16:04 Vous avez trouvé une manière un peu intéressante de twister ça ? Expliquez-nous.
16:09 Bien sûr, évidemment, il y a des gens qui ont envie de fuir leur famille, mais pas forcément.
16:13 Et d'ailleurs, c'est un peu important de le dire, pas forcément.
16:16 Ça ne vient pas de nulle part.
16:17 C'est aussi des gens qui ont tenté à plusieurs reprises de ressouder un lien, de se réconcilier
16:24 ou de faire part de leurs attentes.
16:26 Et voyant l'impossibilité de parler, d'avoir une place, d'être accueilli, ils finissent
16:31 par fuir et romprent.
16:32 Et la rupture familiale est pourtant une chose très difficile à faire, très mal perçue
16:36 encore par la société.
16:37 C'est tabou.
16:38 Non, je disais des gens qui peuvent être amenés à fuir leur famille, c'est ceux
16:43 qui sont victimes de violences au sein de leur famille.
16:45 Parce que la famille qui est censée, sur le papier, nous protéger contre les violences,
16:49 c'est parfois le lieu de la violence.
16:50 On pense aux 120 000 enfants victimes d'inceste.
16:53 On pense au livre de Camille Kouchner, « La famille agrandie ».
16:56 Qu'est-ce que ces familles ont de spécial ?
17:01 Est-ce que c'est des familles dysfonctionnelles ?
17:03 Est-ce que ça fait partie de la famille le lieu d'exercice de la violence aussi ?
17:06 Bien sûr, la famille peut être traversée de violences à divers degrés.
17:10 La famille prétend être un lieu d'amour.
17:16 Et l'amour n'est jamais séparable, on le sait en psychanalyse, de la haine.
17:21 C'est-à-dire du besoin, non pas de détruire ceux qu'on aime ou qui veulent vous aimer,
17:24 mais le besoin parfois de les mettre à distance, de les rejeter, surtout s'ils ont l'air
17:29 d'attaquer notre territoire psychique.
17:31 Mais il arrive aussi que, ça c'est de la violence, on va dire, c'est de l'ambivalence
17:36 plutôt.
17:37 Et une forme d'agressivité qui circule absolument naturellement dans un groupe familial.
17:41 Par contre, la violence dont on parle, l'inceste, les coups, la brutalité physique, effectivement
17:47 l'inceste, est parce que dans ces groupements familiaux, l'amour est complètement dissimulé,
17:52 voire dissous, par les rapports de force, l'abus de pouvoir, la domination, souvent
17:57 qui est en fait...
17:58 Et la culture du secret ?
17:59 Oui, où c'est aussi l'héritage de la famille patriarcale.
18:02 C'est-à-dire que majoritairement, en tout cas selon nos statistiques, il s'agit de
18:05 violences commises par des hommes, c'est violence sexuelle, et c'est un résidu de
18:09 la famille patriarcale dans lequel le paterfamilial a tout pouvoir, y compris sur le corps des
18:13 femmes et des enfants, et donc c'est le résultat de cela.
18:16 Il y a beaucoup de références au cinéma, justement, dans votre livre, et alors il
18:21 y a évidemment une scène absolument mythique du parrain de Francis Ford Coppola, parrain
18:26 de...
18:27 Et quand on demandait à Coppola de raconter le parrain, il disait au fond que c'était
18:31 l'histoire d'une famille américaine, et vous, vous arrêtez sur une scène culte, le
18:36 meurtre du grand frère par Michael Corleone, quand il fait tuer Fredo, qu'il a trahi, Michael
18:43 Corleone le fait assassiner de sang-froid, c'est une scène absolument culte du cinéma,
18:48 qu'est-ce qu'elle raconte Sophie Galabrieu ?
18:50 La morale familialiste, c'est-à-dire que si les intérêts de la famille et du groupe
18:54 sont perturbés parce que l'un d'entre eux veut les dénoncer ou veut s'écarter, on
18:58 est capable de tuer symboliquement ou physiquement, au sens propre, quelqu'un de sa famille,
19:04 mais au nom même de la famille, et ça c'est la morale familialiste, c'est la prévalence,
19:09 la primauté du groupe sur les individus et même sur toute morale parfois, ou toute l'égalité.
19:13 Dans votre livre, vous donnez presque des conseils, une sorte de mode d'emploi aussi de la famille,
19:18 alors c'est quoi les grandes lignes à retenir des conseils ? Est-ce que c'est une psychanalyse
19:22 pour tout le monde ?
19:23 Non, pas forcément, mais disons qu'il faut sans doute prendre conscience que faire famille,
19:29 la famille, est une mission sociale et politique extrêmement importante, et d'ailleurs tout
19:34 le monde ne s'en sent pas capable, mesurant les responsabilités, le don de soi que ça
19:38 suppose, et puis la réflexion constante.
19:40 Et donc je crois qu'il faut prendre ça au sérieux et ne pas s'infliger cette mission
19:46 de la parentalité si on ne s'en sent pas capable et qu'on a envie de mener une autre
19:49 vie.
19:50 Ça ne veut pas dire qu'on ne se liera pas avec des gens, qu'on sera absolument replié
19:52 sur soi.
19:53 Je pense que de prendre conscience de ça, c'est fondamental.
19:55 On voulait quand même terminer sur une douche un peu plus joyeuse, Sophie Galabru.
20:04 Est-ce que la famille sera toujours la base des sociétés ? C'est une citation de Balzac
20:08 qu'on trouve en exergue d'un chapitre de votre livre.
20:11 Moi je pense qu'il est difficile de penser que… Parce que l'attachement est à mon
20:16 avis naturel, donc l'envie de s'attacher à des aides, d'en prendre soin et parfois
20:20 de vivre ensemble, à mon avis, perdura.
20:22 Je ne suis pas sûre qu'on puisse mettre fin à la famille, mais elle aura de multiples
20:26 visages.
20:27 Oui, parce qu'elle est plastique, et donc il y a mille et une manières de faire famille.
20:31 Je recommande très chaleureusement de lire cet essai "Une philosophie des liens".
20:35 C'est donc le sous-titre.
20:37 Sophie Galabru, merci d'avoir été notre invitée.
20:39 Le livre est publié chez Alarié Éditions.
20:42 On le recommande chaleureusement.

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