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Au nom du tout libéralisme, l'Union européenne veut supprimer la règle de protection (géoblocage) qui permet aux producteurs de films de chaque pays de faire appel à de multiples sources de financement, qui garantit l'indépendance des réalisateurs, et permet de refléter la diversité culturelle de l'Europe.

Si ce dispositif disparait, le financement du cinéma européen est en danger, et ce sont les grandes plateformes américaines qui décideront du contenu des films.

Explications avec la réalisatrice Nathalie Marchak, co-présidente de la société civile des Auteurs Réalisateurs et Producteurs, et Emmanuel Maurel, député européen ( La Gauche ). Un débat animé par Jean-Jacques Regibier, journaliste.

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Transcription
00:00 Bonjour et bienvenue au Parlement européen de Strasbourg.
00:03 Le cinéma est-il européen ?
00:05 Est-il menacé dans son modèle économique ?
00:08 L'Union européenne envisage de supprimer ce qu'on appelle le géoblocage.
00:12 Alors on va voir tout à l'heure de quoi il s'agit exactement.
00:14 Géoblocage des œuvres audiovisuelles.
00:17 Et il faut voir ce que va devenir, c'est la clé à l'heure actuelle,
00:20 de la protection du cinéma européen.
00:22 On en parle avec vous, Nathalie Marchak.
00:24 Vous êtes en direct avec nous de Paris,
00:26 mais vous êtes avec nous sur le plateau de l'humanité.
00:28 Bonjour et merci d'être sur ce plateau.
00:31 Et puis Emmanuel Morel, habitué du plateau de l'humanité,
00:34 vous êtes, je rappelle, Emmanuel, député européen du groupe La Gauche.
00:38 Alors on va essayer de réexpliquer,
00:40 pour comprendre ce qu'on va dire après,
00:41 on va essayer de réexpliquer comment fonctionne un peu l'économie du cinéma.
00:45 On le sait en gros, mais pas si précisément que ça.
00:47 J'allais dire, vous Nathalie Marchak, quand vous faites un film,
00:51 qui finance ? Comment ça se passe ?
00:53 Essayez de nous expliquer en quelques mots,
00:54 peut-être sans entrer dans les détails, mais qui finance en réalité ?
00:57 Comment vous pouvez vous faire un film, réaliser un film ?
01:01 Alors très simplement, en fait, notre système repose sur le fait
01:04 qu'il y a une diversité de financements.
01:06 C'est-à-dire que quand on essaie de financer un film,
01:08 on va aller voir un distributeur,
01:10 on va aller voir des chaînes qui vont préacheter le film,
01:13 que ce soit des chaînes privées, des chaînes publiques.
01:15 Et puis on va aussi essayer de le vendre,
01:17 notamment à l'international, sur des territoires.
01:20 Pour vous donner un exemple, Radomira Elianou,
01:23 qui a fait des films, je pense que vous connaissez,
01:25 que ce soit le concert Ravi de Vian, qui est aussi vice-président de l'ARP,
01:28 comme moi, donner un exemple de lui.
01:30 - Excusez-moi, vous êtes vice-présidence de l'ARP,
01:33 qui est la société coprésidente, société civile des auteurs,
01:37 réalisateurs et producteurs. Pardon.
01:40 - Voilà, je vous en prie.
01:41 Et donc lui, par exemple, donnait cet exemple que 15 à 20% de ses films
01:45 étaient financés par les ventes internationales,
01:47 c'est-à-dire que des pays vont préacheter le film
01:52 pour qu'il soit montré dans ce pays.
01:54 Donc évidemment, la répartition des territoires
01:57 par rapport au financement est essentielle,
01:59 puisque s'il n'y a plus ça, on ne peut plus financer un film
02:02 avec autant de partenaires, on ne peut plus le financer.
02:05 Il y a une grande partie du financement des films qui s'écroulerait.
02:08 - D'accord. Emmanuel Morel, j'allais dire,
02:10 prenons un pays comme la France,
02:11 c'est quoi l'économie du cinéma à l'heure actuelle ?
02:13 Ça représente quoi, en gros ?
02:14 - Peut-être qu'il faudrait quand même expliquer d'abord,
02:17 si vous le permettez, en une minute...
02:19 - Le public privé, peut-être ?
02:21 - Non, mais pourquoi cette question du géoblocage
02:25 est devenue centrale dans le débat européen ?
02:28 Il y a quelques années, au nom du marché unique,
02:32 les parlementaires, les institutions ont décidé
02:34 qu'il ne fallait pas refaire le marché unique.
02:37 En gros, n'importe quel citoyen pouvait avoir accès
02:40 à des biens et des services d'autres pays.
02:42 - Partout.
02:43 - Ça, c'est l'idéologie traditionnelle...
02:45 - Libérale, on va dire.
02:46 - ...que vous connaissez.
02:48 De fait qu'aujourd'hui, si vous voulez acheter
02:50 une machine à café au Portugal, vous pouvez le faire
02:54 sans qu'il y ait de barrière soit douanière, soit territoriale.
02:59 Mais il y avait des exceptions.
03:00 Et parmi ces exceptions, il y avait notamment toutes les oeuvres
03:04 qui étaient assujetties au droit d'auteur,
03:05 c'est-à-dire derrière lesquelles il y avait des créateurs.
03:08 Et pourquoi on s'était battu déjà à l'époque
03:10 pour que les oeuvres, notamment audiovisuelles,
03:12 mais pas seulement de création, soient géobloquées ?
03:15 C'est parce que, comme ça a été très bien dit
03:17 par Madame Marchak à l'instant, l'économie de la production
03:20 audiovisuelle et du cinéma, elle repose sur la territorialisation.
03:24 Sinon, évidemment, c'est d'ailleurs...
03:26 - Repose sur la territorialisation, ça veut dire que...
03:31 - C'est-à-dire que si je suis un producteur,
03:33 je vais prendre des risques pour accompagner un auteur
03:36 et un créateur, des risques financiers parfois très importants.
03:39 Et donc, par définition, je veux quand même un minimum
03:42 de retour sur investissement.
03:43 Ce retour sur investissement, c'est quoi ?
03:45 C'est soit je le vends à l'étranger et on va me payer des droits,
03:49 et puis surtout, il y a ce qu'on appelle la chronologie des médias.
03:51 Le film, s'il sort en salle, il ne pourra sortir après à la télé,
03:56 notamment, prenons un exemple Canal+, six mois après,
03:59 et puis seulement encore six mois après
04:01 dans une télévision publique, etc.
04:04 Pourquoi ? Ça permet de financer dans le temps
04:08 le montant parfois très important que vous avez mis pour produire un film.
04:12 Or, aujourd'hui, c'est quoi le débat ?
04:14 C'est qu'on a la conjonction de deux courants idéologiques
04:17 complètement différents.
04:18 D'un côté, il y a les libéraux, on va dire,
04:20 qui considèrent que la culture est une marchandise comme une autre,
04:23 et qu'en aucun cas, il faut mettre des entraves
04:26 à la circulation du bien culturel.
04:28 De l'autre, et c'est là que c'est encore plus spectaculaire,
04:31 vous avez, on va dire, les libertaires,
04:33 qui considèrent que tout doit être gratuit,
04:35 et surtout, qui sont vraiment dans quelque chose qui est très à la mode,
04:38 c'est l'instantanéité.
04:40 C'est tout, tout de suite.
04:41 Si un Français a accès à cette œuvre, je veux y avoir accès,
04:44 tout de suite, et de surcroît, gratuitement.
04:46 Et nous, qui sommes les défenseurs des droits d'auteur,
04:49 et d'ailleurs, nos opposants disent "mais oui, ça c'est le vieux monde".
04:52 Ben non, la condition de l'exception culturelle,
04:55 la diversité culturelle, c'est précisément
04:58 d'être en capacité de protéger les auteurs et les acteurs.
05:00 – On va revenir sur cette question du géoblocage central,
05:04 on le disait au début, et démonter cette mécanique,
05:07 effectivement, avec vous, avec vous également, Nathalie,
05:09 mais on va dire aussi que ce n'est pas que une question,
05:11 vous le disiez, ce n'est pas simplement une question économique,
05:14 c'est aussi une question culturelle, il y a une diversité
05:17 qu'on a besoin de faire valoir à l'heure actuelle,
05:20 chaque pays en Europe, on sait quelle est l'importance,
05:23 quand on parle de cinéma, même si on parle du cinéma ancien,
05:26 on parle du cinéma italien, on parle de la nouvelle vague,
05:29 on parle du cinéma espagnol à l'époque de la Movida, etc.
05:33 du rôle qu'ont joué tous ces cinémas dans la culture du pays,
05:37 dans les événements du pays, dans la politique du pays,
05:39 dans ce qui s'y passait à ce moment-là,
05:41 qui est aussi la question fondamentale, Nathalie Marchalc.
05:45 Oui, et je voudrais rappeler, pour rebondir sur ce qu'a dit Emmanuel,
05:48 sur le fait que l'exception culturelle en Europe
05:51 a permis de protéger notre cinéma.
05:53 C'est un sujet qui est d'ailleurs né à l'ARP et qu'on a défendu.
05:58 La culture n'est pas un produit comme un autre,
06:01 et je pense que c'est essentiel de le rappeler.
06:03 Et puis c'est essentiel de le rappeler aussi, en fait,
06:04 je vous avoue que nous, on a été très surpris,
06:06 toutes les organisations professionnelles
06:08 sont aujourd'hui rassemblées sur ce sujet,
06:11 on a été très surpris que le géoblocage soit remis en question.
06:14 L'exception pour la culture, pourquoi ?
06:16 Parce que ça concerne très peu de gens.
06:18 C'est-à-dire qu'en fait, ceux qui voient aujourd'hui un problème,
06:21 c'est 3% des a priori gens concernés.
06:26 C'est-à-dire que c'est 3% qui représentent les expatriés de long terme
06:30 et les minorités linguistiques.
06:32 Il y a 97% des spectateurs qui a priori n'y voient aucun problème,
06:39 que ça ne concerne pas.
06:40 Et encore, ces 3%, il faut rappeler qu'il y a une directive
06:44 qui permet la portabilité des abonnements.
06:46 Donc en réalité, c'est très étrange.
06:47 C'est-à-dire que c'est en termes d'accès,
06:49 c'est-à-dire que nous, on s'intéresse aussi en tant que cinéaste,
06:52 si vous voulez, à l'accès de nos oeuvres par le public,
06:54 c'est même essentiel.
06:55 On veut que nos films soient vus.
06:56 Donc si c'était pour que nos films soient plus vus,
06:58 on devrait théoriquement soutenir a priori
07:01 cette suppression du géoblocage.
07:03 Mais ce n'est pas le cas.
07:04 Ce n'est pas pour que nos oeuvres soient plus vues.
07:07 C'est la suppression du géoblocage,
07:08 c'est mettre en péril tout le système de financement
07:11 des films européens et des oeuvres audiovisuelles,
07:13 sans derrière que ça serve vraiment le spectateur.
07:16 Donc on se dit qu'effectivement, c'est une question presque philosophique
07:20 de pourquoi est-ce qu'on veut aujourd'hui traiter la culture
07:23 soit comme un bien comme un autre,
07:24 soit un bien pour lequel on n'aurait pas à payer.
07:26 Et dans ces cas-là, si on ne le paye pas, qui va créer ?
07:30 Reprenons peut-être un peu plus en détail,
07:32 enfin non, vous l'avez dit,
07:33 mais on va en reparler de cette remise en question du géoblocage.
07:37 Si le géoblocage disparaissait,
07:40 qu'est-ce que ça impliquerait directement comme conséquence ?
07:43 Là, on parle des conséquences économiques.
07:45 Oui, alors d'abord, là où Nathalie Marchak a totalement raison,
07:48 c'est que cette demande pour revenir sur l'exemption culturelle,
07:54 c'est une demande formulée par un tout petit nombre de personnes.
07:57 Et moi, j'irai même plus loin.
07:58 On va dire franchement, c'est la bulle bruxelloise qui se plaint
08:02 parce que monsieur ou madame n'a pas accès à sa série locale
08:05 quand il est à Bruxelles.
08:07 Mais ce n'est pas du tout une demande populaire
08:10 où les gens diraient "oh là là, c'est insupportable,
08:12 je n'ai pas accès au feuilleton de chèque auquel j'ai envie d'accéder".
08:17 Ça, c'est la première chose.
08:18 La deuxième chose, la conséquence économique.
08:20 Pas oublier que le cinéma en France, par exemple,
08:23 c'est évidemment la culture et ça participe au rayonnement de la France,
08:26 mais enfin c'est aussi un secteur économique très important.
08:29 C'est plus de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
08:32 - Et les emplois derrière ?
08:34 - 170 millions à l'exportation, 25 000 emplois.
08:37 Donc là, on parle quand même d'un...
08:38 Et en termes, pour l'image de la France et les devises, c'est très important.
08:44 Or, qu'est-ce qui va se passer si on supprime le géoblocage ?
08:46 Il y a plein de producteurs qui ne vont pas prendre le risque.
08:50 Ils vont dire "moi, je m'excuse, mais pour moi, c'est trop risqué
08:54 de faire un investissement d'un coup et puis plus rien après,
08:57 puisqu'il n'y aura plus de droits".
08:59 Et qui ça va avantager ?
09:00 Parce que c'est ça dont on ne parle jamais, c'est les plateformes.
09:03 Les seules qui sont capables de dire "je finance un produit européen
09:06 qu'on va voir dans tous les pays au même moment", c'est quoi ?
09:09 C'est Netflix, c'est Apple, c'est Amazon.
09:13 Mais c'est certainement pas le producteur indépendant
09:16 qui prend des risques pour financer des films exceptionnels,
09:20 quand bien même il serait, dans un premier temps,
09:23 totalement territorialisé.
09:24 Parce que vous faisiez allusion tout à l'heure à "La Nouvelle Vague", par exemple.
09:28 Il n'y a rien de plus français, d'une certaine façon, qu'à bout de souffle.
09:32 Quand à bout de souffle est produit, je m'excuse, mais ça se passe à Paris.
09:36 Et pourtant, c'est totalement universel.
09:38 Mais c'est ça, justement, la chance, la singularité
09:42 de la production de visuels européenne, c'est qu'à partir d'un film
09:46 complètement ancré dans un territoire et dans une culture locale,
09:49 tout d'un coup, on s'adresse à tout le monde.
09:53 Et c'est ça que moi je veux préserver. Pourquoi ?
09:54 Parce que le risque, au-delà du risque économique,
09:57 c'est l'uniformisation de la production.
09:59 Si c'est que Netflix et que Amazon qui produit,
10:02 y compris des séries ou des films européens,
10:04 ça va correspondre à un cahier des charges
10:07 qui va totalement l'encontre de notre combat pour la diversité.
10:11 Donc là, ce qui se joue, alors heureusement,
10:13 le vote qui va avoir lieu au Parlement,
10:15 c'est un vote sur un rapport d'initiative.
10:17 On va en parler tout à l'heure à la fin de Manip,
10:19 j'allais dire, au sein de l'Union européenne.
10:22 Exactement, mais vraiment, j'insiste sur le fait que la condition
10:26 d'une exception culturelle, d'une diversité culturelle
10:29 dans l'Union européenne, c'est justement de soutenir
10:32 les producteurs indépendants qui prennent des risques.
10:34 C'est ça.
10:35 Les producteurs, les exploitants, les diffuseurs,
10:39 parce que ce que je veux rappeler, c'est que vous parlez effectivement,
10:41 enfin, les cinémas aujourd'hui, le réseau de cinéma qui existe,
10:45 les exploitants, si à un moment donné,
10:47 ils savent que le film va être diffusé sur des plateformes,
10:50 ils ne vont plus prendre le risque non plus de l'exploiter dans leur cinéma.
10:53 Et donc, c'est tout le réseau de salles aussi qui risque de s'effondrer.
10:57 C'est-à-dire qu'on parle vraiment, effectivement, d'un risque
11:00 de n'avoir plus que des plateformes extra-européennes,
11:03 américaines, comme l'a très bien dit Emmanuel,
11:06 qui va être dans un rapport de force brutal par rapport aux créateurs
11:10 et qui va diffuser un contenu qui est soi-disant uniforme,
11:13 parce qu'effectivement, ce seront les seuls qui auront les moyens aussi
11:16 de diffuser en même temps, d'acheter les droits monde
11:19 et de faire les sous-titres pour tous les pays, etc.
11:21 Parce qu'il faut savoir aussi que ça coûte très cher.
11:23 C'est-à-dire que demander à un producteur, à un petit distributeur,
11:27 de sous-titrer le film ou de le doubler pour certains pays,
11:31 pour toute l'Europe, c'est un coût qui est énorme.
11:34 D'ailleurs, tous les films ne sortent pas dans tous les pays.
11:37 Voilà, ils sont achetés en fonction des territoires, etc.
11:40 Et si, encore une fois, l'objectif, c'était de mieux diffuser les films européens,
11:45 on en serait ravis.
11:46 Bon ben voilà, nous, ça fait longtemps qu'on soutient aussi un projet
11:48 de plateforme européenne pour diffuser les films européens.
11:51 Donc des solutions pour avoir accès, il y en a.
11:53 Ce n'est pas la suppression du chèque-coquage.
11:55 - Est-ce que, dans le milieu des réalisateurs et des producteurs,
11:59 cette question qu'on est en train de soulever ici est sensible, est connue ?
12:04 Ou est-ce que... Qu'est-ce que vous entendez dire autour de vous ?
12:08 - Ah ben là, il y a eu une levée de bouclier, mais encore une fois,
12:10 de toutes les organisations professionnelles.
12:13 Il y a eu énormément de cinéastes qui se sont même déplacés.
12:16 À Bruxelles, on a organisé, avec Emmanuel Morel et Geoffroy Didier,
12:20 une conférence avec d'autres parlementaires.
12:23 On a évidemment Costa Gavras qui s'est exprimé,
12:25 Radonji Raileanu, on a Ruben Oztloun, Agnieszka Hollande,
12:30 Cédric Lapiche, Daniel Eloukety.
12:35 Enfin, on a beaucoup, beaucoup de cinéastes européens aujourd'hui qui s'inquiètent.
12:39 Et pas que, toutes les organisations professionnelles.
12:42 Enfin, je pense qu'on n'a jamais rencontré un tel, d'ailleurs,
12:45 une telle unanimité dans notre secteur pour dire que ce serait vraiment,
12:50 absolument catastrophique, en fait, de supprimer le géoblocage.
12:54 - Et que, comme vous le dites tous les deux, et que ce serait un nivellement,
12:58 c'est-à-dire que l'argument, c'est pas on va faire sauter quelque chose
13:02 parce qu'il y a des petits privilèges nationaux, etc., des protections, etc.
13:07 C'est le contraire, c'est exactement le contraire.
13:09 C'est-à-dire que ce qu'on protège, c'est la qualité, là.
13:12 - Alors, on protège la qualité, on protège la diversité,
13:15 on protège justement l'accès du spectateur à une offre variée.
13:18 On protège les prix aussi pour les spectateurs,
13:20 parce que s'il y avait évidemment des monopoles de plateformes américaines
13:24 qu'on avait droit à tous les films, je pense qu'elles augmenteraient leurs prix.
13:27 Alors, ce serait logique, sur le plan, on va dire, de marché pur.
13:31 Donc, ça veut dire que les prix risqueraient de s'envoler.
13:34 - On protège un secteur économique, puisque, vous l'avez rappelé tout à l'heure,
13:38 le cinéma et l'audiovisuel, c'est un secteur économique qui est énorme.
13:42 Sur le court terme, pour vous dire juste quelques chiffres,
13:45 le secteur audiovisuel perdrait environ 8,2 milliards d'euros par an,
13:49 les spectateurs, eux, 9,3 milliards d'euros par an.
13:53 Et sur le long terme, les producteurs européens perdraient 3,6 milliards d'euros par an
13:58 et les spectateurs, environ 4,5 milliards d'euros par an.
14:01 Donc, en fait, ça noierait notre secteur.
14:05 Et vous parliez, j'ai envie de dire, en tant que cinéaste,
14:07 vous parliez effectivement du cinéma italien, etc.
14:10 On a vu ce que des mauvaises décisions ont provoqué hier, justement,
14:17 sur le cinéma italien qui, à une époque, était florissant,
14:20 qui avait des cinéastes époustouflants,
14:22 et qui aujourd'hui, malgré tout, n'a pas une production extrêmement large.
14:26 Contrairement à la France, on a protégé le secteur
14:30 et on voit effectivement qu'on a aujourd'hui un vrai soft power des productions françaises.
14:35 On a encore un Atomée d'une Chute qui vient de gagner tous les prix.
14:38 Donc, c'est extrêmement important de comprendre comment ça fonctionne
14:44 et de se dire que c'est un secteur économique déterminant
14:48 et que c'est déterminant de le protéger aussi
14:50 pour que le spectateur ait accès à des films variés et à des prix contrôlés.
14:57 – Et Manuel Morel, vous avez commencé à en parler tout à l'heure,
15:00 où est-ce qu'on en est de la mécanique européenne
15:04 par rapport à cette proposition de remise en question du géoblocage ?
15:08 Est-ce que ça va être long, c'est complexe, mais c'est en route ?
15:12 – Ah oui, il y a un rapport d'initiative d'un certain nombre de collègues
15:15 qui sont membres de la commission du marché intérieur.
15:18 Donc eux, ils sont sur une ligne qui est très claire,
15:19 qui est de dire "c'est un marché, donc pas d'exception, pas d'entrave".
15:24 Ils soumettent un texte demain en plénière, c'est un rapport d'initiative.
15:29 Et en gros, eux, même s'ils ne le formulent pas exactement comme ça,
15:32 l'idée c'est qu'en 2025, on généralise la fin du géoblocage à tous les secteurs.
15:38 En gros, c'est ça.
15:40 Alors, on est un certain nombre de députés, et Nathalie l'a très bien dit,
15:43 là pour le coup, ce sont des combats transpartisans.
15:46 Moi, je suis main dans la main avec Geoffroy Didier, qui est quand même un élu de LR.
15:51 Et puis, heureusement, il y a parmi quasiment tous les groupes politiques,
15:55 sauf les Verts, des élus qui se mobilisent.
16:01 De toute façon, après le vote de demain, donc nous, on soumet des amendements,
16:05 mais quand bien même on n'arriverait pas à emporter ce vote,
16:08 heureusement, il va y avoir d'autres débats.
16:11 C'est qu'un rapport d'initiative, il y a la position du Conseil,
16:13 et là, j'espère que la France ne cèdera pas, et j'ai envie de dire ne cèdera jamais,
16:16 sur quelque chose qui fait... Enfin, c'est vraiment une de ses marques de fabrique.
16:20 Et puis, il y aura d'autres négociations.
16:22 Mais ce qui est important, et c'est pour ça qu'on mobilise dès aujourd'hui,
16:25 c'est qu'il ne faudrait pas que s'installe cette petite musique
16:28 selon laquelle la culture, l'audiovisuel, tout ça, c'est une marchandise comme une autre.
16:33 Ben non, nous, on considère... Alors franchement, surtout venant de gens
16:36 qui passent leur temps par ailleurs à exalter l'autonomie stratégique européenne.
16:41 S'ils veulent vraiment l'autonomie stratégique européenne, qu'ils en fassent la preuve.
16:45 Parce qu'aller à l'encontre de la position qu'on défend,
16:48 en réalité, c'est quand même l'alignement sur les Américains, une fois de plus.
16:52 Avec les risques que ça fait courir à l'identité européenne.
16:55 C'est la raison pour laquelle on se mobilise fortement,
16:58 et Nathalie a eu raison de le dire, il y avait comme à Bruxelles il y a deux semaines,
17:02 tous les réalisateurs venant de pays très divers.
17:05 - C'est la question que je voulais vous poser, oui.
17:06 - Et ça, c'est très important.
17:08 Là, on fait un travail de bouton de guêpe pour essayer de convaincre les uns et les autres,
17:12 même ceux dont le secteur cinématographique a été quand même largement dégradé,
17:16 qu'il en va de l'identité culturelle européenne.
17:18 Mais ce n'est pas forcément toujours facile. Pourquoi ?
17:22 Parce que d'abord, il y a les collègues qui sont sensibles à l'ère du temps.
17:25 "Ah bah oui, mais moi, je veux avoir accès à tout tout de suite", ce que je disais tout à l'heure.
17:29 Et puis, il y a ceux qui ne mesurent pas le risque pour la culture,
17:33 parce que c'est quelque chose qui est un peu lointain pour eux.
17:36 On essaye d'enfoncer des coins tant qu'on peut, et ce genre d'émission y contribue.
17:41 - Merci. Nathalie Marchak, vous le dites, il y a les professionnels.
17:45 Emmanuel Morel le disait il y a quelques secondes.
17:47 Il y a aussi les élus, effectivement, notamment les élus européens,
17:49 mais aussi les élus nationaux, évidemment, qui ont été un moment donné.
17:53 Qu'est-ce qu'il pourrait y avoir, j'allais dire, du côté de tout le monde, du côté des spectateurs ?
17:56 Est-ce que vous avez parlé de cette question-là ?
17:58 Est-ce que vous voyez la manière, autrement, quand on parlait, on en parle là, bien sûr,
18:01 mais est-ce qu'il y a des moyens de mobiliser un public autour de cette question-là ?
18:08 - Ce qui est très compliqué... - Est-ce que vous avez entendu quelque chose ?
18:09 Oui, c'est ça, la question.
18:10 - Oui, ce qui est très compliqué, si vous voulez, c'est qu'on se rend compte
18:15 que les gens comprennent mal comment fonctionne, effectivement, le financement des films.
18:19 Et du coup, je voudrais pouvoir le dire de façon extrêmement simple.
18:24 Si j'ai un jour une idée et que je me retrouve face à une personne qui me dit
18:29 "Pour que tu fasses ton idée, je vais te donner l'argent."
18:31 Si je suis face à une seule personne, il y a un rapport de force qui s'installe.
18:35 Celui qui a l'argent va forcément, à un moment donné,
18:37 vouloir peut-être modeler mon idée à son envie.
18:41 Si par contre, je suis face à 10 personnes qui ont de l'argent,
18:44 et que je raconte mon idée, ces 10 personnes ne seront peut-être pas d'accord entre elles,
18:48 moi, en tant que créatrice, je retrouve la capacité de convaincre chaque personne, etc.
18:54 Et donc, ça me donne plus de liberté.
18:56 Donc, nous avons créé un système en France qui crée ça.
18:59 C'est-à-dire qu'on a une diversité de partenaires financiers
19:04 entre les chaînes de télé, entre les acheteurs internationaux,
19:07 entre les distributeurs, etc.
19:09 Si on supprime ce système, en notamment supprimant une grosse partie de ça,
19:15 les territoires, l'exclusivité, la territorialité, etc.,
19:19 le système s'effondre et effectivement, les créateurs vont se retrouver face à un interlocuteur,
19:23 et probablement des plateformes, qui vont dire "Ok, d'accord, je donne ton argent, mais fais ce que je te dis."
19:27 Et donc, c'est là qu'on porte atteinte à véritablement,
19:31 qu'on met en danger la culture profondément, à un moment,
19:34 ou pardon de le souligner, mais je pense qu'on le voit tous,
19:37 il se passe beaucoup de choses dans le monde extrêmement inquiétantes,
19:39 une montée des totalitarismes, une montée des extrémismes, etc.
19:43 Et la culture a toujours été un rempart très important.
19:46 Je ne vais pas citer "Fahrenheit 451",
19:49 où on se met toujours à commencer par voler les livres.
19:51 C'est-à-dire, c'est le moment, plus que jamais, justement, d'offrir un rempart à la culture.
19:56 Et donc, c'est vrai qu'on aimerait pouvoir l'expliquer au public
19:59 qui ne se rend pas compte de ce qui se passe,
20:00 qui ne se rend pas compte de comment ça fonctionne.
20:03 Voilà, on aimerait leur dire aussi, attention,
20:06 que si vous, vous vous remettez dans les mains de géants,
20:09 eh bien vous aussi, vous allez payer plus cher.
20:10 Vous aussi, vous n'aurez plus la liberté de choisir ou d'être surpris.
20:15 C'est à la fois, c'est notre imaginaire européen,
20:17 c'est notre capacité à créer, c'est notre singularité.
20:19 C'est tout ça qui peut être en danger,
20:22 voilà, par cette simple idée de logique de marché.
20:25 - Monsieur, la multiplicité des écritures cinématographiques,
20:28 des thèmes, des thématiques, etc.
20:31 dans un continent qui a une gamme infinie, j'allais dire,
20:36 de nuances, de poésie, de problèmes, d'histoire, de politique actuelle, etc.
20:41 C'est ça qui est important.
20:42 On n'est pas mono, effectivement, ce que vous êtes en train de dire.
20:45 Demain, vous aurez un patron, quoi, si ça passe,
20:47 qui vous dira, voilà, on donne l'argent, mais vous faites ça, quoi.
20:50 - Et je voudrais rappeler aussi, malgré tout,
20:52 parce qu'il y a plein de gens qui regardent Netflix,
20:54 c'est super Netflix, il y a des trucs super, etc.
20:56 Ce n'est pas une critique, mais qu'ils disent,
20:57 ah mais oui, mais justement, sur Netflix, je découvre la Casa del Papel,
21:02 je découvre des séries coréennes, etc.
21:06 Mais il faut bien comprendre que Netflix, souvent,
21:08 elle a acheté ces séries qui ont été fabriquées
21:10 par des producteurs locaux indépendants.
21:13 Et après, elles les ont achetées et effectivement, elles les ont diffusées.
21:16 Mais ces séries n'auraient peut-être pas existées
21:19 s'il n'y avait pas eu un petit producteur indépendant local
21:22 qui s'était engagé et qui avait pris des risques.
21:25 Et donc, si on supprime le géoblocage,
21:27 on supprime potentiellement ces créations-là.
21:30 Voilà.
21:31 Donc...
21:33 – Juste un mot pour clôturer un petit peu, Madame Morel.
21:37 Donc, vous l'avez dit, demain, rapport d'initiative et ça va continuer,
21:41 mais c'est quand même assez urgent, cette histoire.
21:44 – Oui, parce que ceux qui veulent supprimer le géoblocage
21:47 pour les œuvres audiovisuelles et culturelles,
21:49 ils se mettent comme objectif 2025.
21:52 Or 2025, en réalité, c'est demain.
21:54 Donc, c'est pour ça que la mobilisation qu'on est en train de construire,
21:58 elle est décisive dès maintenant.
22:00 Mais en tout cas, ce que je peux vous dire,
22:02 c'est que quel que soit le résultat des votes,
22:05 il y a une détermination quand même pleine et entière
22:07 d'un grand nombre de parlementaires, de professionnels,
22:10 et j'en doute pas de spectateurs, parce qu'en réalité,
22:14 prenons la vitalité du cinéma français,
22:16 qui est quand même une extrême vitalité et aussi une extrême diversité.
22:21 Dans les films vus cette année, il y en a plus de 40% qui sont français,
22:24 en France.
22:25 Pourquoi ?
22:26 Parce qu'à un moment, on a mis en place un système
22:28 que les gens approuvent, qui consiste à dire,
22:31 il y a ce qu'expliquait très bien Nathalie,
22:33 puis il y a aussi l'État, les régions,
22:37 quelques fois même les conseils départementaux,
22:38 qui participent au financement.
22:40 - Ils participent à une aventure.
22:41 - Parce qu'il y a cette idée,
22:43 et une idée qu'on doit défendre absolument,
22:46 que la culture, ça n'est pas un produit comme un autre,
22:49 ça n'est pas une marchandise.
22:50 Il y a des gens en face de nous qui pensent le contraire,
22:52 on va essayer de démontrer que ce n'est pas le cas.
22:53 - Merci beaucoup à vous, Nathalie Marchak, merci beaucoup.
22:58 Et puis, on continuera de suivre avec vous, bien sûr,
23:00 cette aventure, parce qu'il ne faut pas perdre trop de temps là, tout de suite.
23:04 Merci à vous. Merci à vous également, Emmanuel Morel.
23:06 Et à la prochaine, pour suivre l'affaire.
23:09 Et vive le cinéma. Merci à vous. Au revoir.
23:12 - Merci. Au revoir.
23:13 [Générique]
23:16 [Sonnerie de fin]

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