la disparue de Hahicar livre audio
je vous propose la disparue de Hahicar
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00:00 Aïkar, la disparition
00:09 Nicole Dubois disparut un jour de mai 1980, quelques semaines avant les épreuves du Bac.
00:20 Cela nous surprit tous, mais à la veille de nos examens nous étions trop occupés
00:26 pour penser à Nicole. Quelques mois plus tôt, cette disparition aurait fait la une
00:33 de la gazette du lycée, car il ne suffisait pas à Nicole d'être une excellente élève,
00:38 c'était aussi la plus belle fille du lycée, une beauté à couper le souffle.
00:44 Je me souviens encore du premier jour où je la vis. C'était en septembre 1976, le
00:53 jour de la rentrée des classes. Elle venait de chez Scythes, moi de Saint-Jean-de-Bret.
01:00 Ma mère m'avait offert une mobilette pour le BEPC, une Peugeot 103. J'étais très
01:07 fier de l'étreiner pour ce premier jour de lycée. J'avais environ quatre kilomètres
01:13 à parcourir pour me rendre au lycée Jean Zay d'Orléans. À l'époque, tous les
01:19 jeunes qui poursuivaient des études convergeaient vers un des lycées situés sur le pourtour
01:24 du parc Pasteur. Je me rappelle encore qu'elle portait un jean moulant et un chemisier. De
01:32 corps, elle était bien foutue, comme on disait à l'époque, sans cependant être un canon.
01:37 Sa beauté, c'était son visage, un visage de star hollywoodienne. Elle avait les cheveux
01:45 noirs, très noirs, et les yeux bleus, d'un bleu intense. La première fois où elle me
01:51 regarda, je devins cramoisie. Par la suite, je devins excellent en mathématiques pour
01:57 être sûr qu'elle s'adresserait à moi pour les problèmes les plus complexes. Mais
02:03 la concurrence était rude, car il y avait Alain Thévenot, un futur diplômé de l'école
02:09 des mines de Paris. De la seconde à la terminale, je la vis s'épanouir.
02:15 Devenir toujours plus belle. La jeune écolière timide que j'avais connue en seconde osait
02:22 maintenant des robes magnifiques et des chapeaux assortis. Je la revois encore s'asseoir sur
02:28 le grand banc de la cour, dans une magnifique robe blanche à fleurs rouges, assortie d'un
02:35 chapeau à large bord. Quel garçon oserait s'asseoir à côté d'elle sur le banc ? Nous
02:41 nous en rêvions tous, mais il fallait beaucoup de courage, car tous la regardaient. Généralement,
02:48 une de ses copines la rejoignait. Même les professeurs étaient sous le charme.
02:54 Je me rappelle un jour du professeur de physique, lancé dans une démonstration complexe, s'exclamant
03:01 tout à coup en tapant sur le bureau « J'espère que ça va marcher, je touche du bois ! »
03:06 À ce moment, Nicole leva les yeux et le regarda. Il devint aussi rouge qu'une tomate et se
03:15 confondit en excuses. Nicole savait bien que le jeu de mots était involontaire et ne lui
03:22 en voulut pas du tout. Quelquefois un garçon venait la chercher en moto à la sortie du
03:28 lycée. Nous supposions que c'était son petit ami, bien que nous ne les ayons jamais
03:34 vus s'embrasser. Il était plus âgé qu'elle et personne ne le connaissait.
03:39 En y réfléchissant maintenant, bien des années plus tard, je me rends compte qu'au
03:45 fond nous ne savions pas grand-chose d'elle. Nous adorions son image, mais ne la connaissions
03:51 pas vraiment. Il faut dire que c'était une élève studieuse qui ne s'éternisait
03:56 jamais au lycée après les cours. Des bruits couraient que ses parents étaient sévères
04:03 et qu'elle n'était pas libre de sortir comme elle l'aurait voulu. Mais bon, les
04:08 miens aussi étaient sévères et il fallait bien faire avec.
04:11 Nous appartenions à une génération post-soixante-huitardes qui réclamait les acquis de mai soixante-huit,
04:20 mais dont les parents étaient pour la plupart trop vieux pour avoir fait mai soixante-huit.
04:25 Ce n'était donc pas toujours simple. Quelques semaines avant sa disparition, alors que nous
04:33 cherchions un coin tranquille pour pique-niquer sur les bords de la Loire, je l'aperçus
04:38 dans une magnifique salopette verte. Toutes les couleurs lui allaient à ravir. Elle tourna
04:45 la tête dans notre direction, mais je ne crois pas qu'elle me vit.
04:49 Ma petite sœur s'exclama. « Maman, ces déguines, je les ai vus s'embrasser.
04:55 — Où t'as appris ce mot-là ? répondit mon père.
05:01 — Ben, j'ai quand même douze ans, je ne suis plus à la maternelle, répliqua ma sœur.
05:06 — Allez, roule, ajouta ma mère, on ne va pas pique-niquer ici. »
05:12 Ma petite sœur avait raison. Moi aussi je les avais vus s'embrasser. J'avais aussi
05:22 entendu ma sœur faire « Pouah, c'est dégueulasse ! » Pour toutes ces raisons, je m'abstins
05:28 de dire que je la connaissais. Au lycée non plus, je ne dis rien.
05:32 Quelques semaines après le bac, alors que nous fêtions nos diplômes dans un troquet
05:40 d'Orléans, nous parlâmes de Nicole. Une de ses amies prétendit qu'elle avait fugué
05:46 avec son petit ami à Paris et qu'elle passerait son bac en septembre. Cela me surprit, mais
05:53 je ne dis rien. Un autre élève prit la parole pour dire qu'il fallait une excuse valable
05:59 pour être autorisé à le passer à la session de septembre. Un professeur qui s'était
06:07 joint à nous confirma que, sans raison majeure et justifiée, elle n'aurait pas l'accord
06:12 du rectorat pour le passer à la session de remplacement. D'autres voix s'élevèrent
06:19 pour dire qu'elle avait eu le trac, que les examens, ce n'était vraiment pas son
06:23 truc et que, depuis Pâques, elle s'était pas mal relâchée. Elle ne s'était pas
06:30 sentie prête. Nous nous quittâmes finalement sur une note
06:36 positive en nous accordant sur l'opinion de Gervais, le patron du troquet.
06:41 — Allez, c'est pas la peine de vous en faire. Elle reviendra bientôt. Et puis, pour
06:48 le bac, vous n'avez pas à vous inquiéter. Avec ses atouts, elle trouvera facilement
06:53 un médecin pour lui faire un certificat. Quelques jours plus tard, je partis en vacances
07:01 avec un ami pour un grand tour de l'Italie. Je découvris Florence, Venise, Rome et quantité
07:10 d'autres villes. Je découvris la peinture du Tintoré, celle de Véronèse et de bien
07:16 d'autres. Je découvris les sculptures de Michel-Ange et le plafond de la Sixtine.
07:22 Je vis le Jugement dernier et les fresques de Raphaël. En un mot, je découvris l'art.
07:30 Je dois bien avouer que devant tant de splendeur, j'en avais un peu oublié Nicole et ceux,
07:38 d'autant plus que mon ami avait passé un bac technique et ne la connaissait pas.
07:42 Les vacances furent à peine achevées que je montai sur Paris à la recherche d'une
07:49 chambre d'étudiants à un prix raisonnable. On m'avait prévenu qu'il me faudrait en
07:55 visiter beaucoup, que c'était un vrai parcours du combattant. Je mis presque un mois à trouver
08:02 une chambre. Le propriétaire me fit cadeau d'un mois de loyer en échange de menus travaux
08:08 de réflexion qui m'occupèrent jusqu'au début des cours. Je n'avais pas la moindre
08:13 nouvelle de Nicole. Peu après la rentrée, un ancien condisciple
08:21 m'informa que Nicole avait passé son bac en septembre et qu'elle était maintenant
08:25 en prépa-médecine. Cela ne m'étonna pas vraiment, car je me rappelais de l'avoir
08:31 entendu dire qu'elle aimerait bien être médecin et travailler pour une ONG comme
08:36 Médecins sans frontières ou Médecins du monde qui venait tout juste d'être créé.
08:40 Un après-midi où le prof était absent, je me rendis dans le sixième arrondissement,
08:49 rue de l'école de médecine. On voulut bien me renseigner, mais la personne de l'intendance
08:55 ne trouva pas son nom sur les registres. J'essayais d'autres facultés sans plus de succès.
09:01 Je n'eus pas d'autres nouvelles avant les fêtes de fin d'année. Il faut dire que
09:07 les relations avec mon père n'étaient pas simples et que je faisais tout pour l'éviter.
09:13 Un ami me confirma qu'elle était bien en première année de médecine et que c'était
09:19 très dur, beaucoup ne passant pas en deuxième année. Je lui demandais s'il savait au juste
09:27 dans quel établissement elle était. Il n'en savait rien et ne savait au fond pas
09:33 grand-chose de plus que moi, puisque c'est de ma bouche qu'il apprit qu'elle n'était
09:37 pas sur Paris. Quelques coups de téléphone à des copains ne m'apprirent rien de plus,
09:45 ou plutôt m'étonnèrent, car la plupart me dirent qu'elle était étudiante en médecine
09:50 à Paris. Après tout, je m'étais peut-être mal renseignée.
09:56 À la fin de l'année scolaire, quelques anciens élèves du lycée Jeanzet se rendirent
10:03 à chez si pour avoir des nouvelles sûres. Le père de Nicole les fit entrer, leur offrit
10:10 à boire, avant de leur dire qu'elle avait abandonné ses études de médecine pour aller
10:15 tenter sa chance à Hollywood. Un producteur l'avait repéré alors qu'elle jouait dans
10:21 une pièce à la Cité internationale universitaire de Paris. Quelle déception pour moi qui ne
10:28 l'avais pas su, j'aurais été la voir tous les soirs.
10:31 Peu de temps après, je visitais la Cité internationale. J'eus un véritable coup de
10:40 foudre pour cet endroit où toutes les architectures du monde semblaient s'être données rendez-vous.
10:46 Quel plaisir d'étudier en un tel lieu. Je me rendis au théâtre de la Cité où un
10:54 étudiant me remit le programme de l'année passée. Je m'assis sur un banc et commençais
11:00 à le lire minutieusement, explorant attentivement la distribution de chaque pièce.
11:05 Au bout d'une demi-heure, j'en étais sûr, Nicole ne figurait nulle part. Joachim, l'étudiant
11:16 qui m'avait donné le programme, ne fut pas étonné et me dit que nombreux étaient ceux
11:20 qui choisissaient un nom de scène. « Me voilà bien avancé, lui dis-je. »
11:26 Je lui dis que Nicole ressemblait un peu à Nathalie Wood et qu'elle pouvait avoir le
11:32 regard de braise de Jennifer Jones dans Duel au soleil. Il éclata de rire et me dit « Alors
11:38 là, je peux vous garantir qu'elle n'a pas joué ici parce que je m'en souviendrai. »
11:42 J'affichais une mine déçue et il ajouta « Non, je blague. Je n'ai vu que quelques
11:50 pièces et puis je ne suis arrivé qu'en cours d'année. Je suis vraiment désolé
11:55 de ne pas pouvoir vous aider davantage. » Je tentais ma chance auprès de quelques personnes
12:02 qui se trouvaient là, mais n'obtins rien de plus. Je pris un café à un distributeur
12:08 de boissons et sortis dans le parc. Je m'arrêtais devant la maison du Brésil, édifiée par
12:16 Lucio Costa et le Corbusier, puis devant la maison du Japon. J'avais remarqué sur le
12:23 programme une pièce de Kabuki jouée par des étudiants japonais. Quelque chose me
12:29 gênait. Je n'arrivais pas à m'imaginer Nicole jouer sur une telle scène. Je la savais
12:36 timide, très timide même, dès qu'il s'agissait de parler devant un public. Elle
12:42 n'aimait pas le prof de maths qui l'envoyait au tableau dès qu'elle arborait de nouveaux
12:46 habits. Lui aimait jouer les vieux donjons inoffensifs et se régaler des courbures de
12:53 son corps pendant qu'elle dessinait à la craie les courbes d'équations mathématiques.
12:58 Je voulais en avoir le cœur net et appelai une de ses anciennes amies pour l'entretenir
13:06 de cette soudaine passion pour le théâtre. Elle leva mes doutes en me disant que Nicole
13:13 souhaitait depuis longtemps faire du théâtre, qu'une amie à elle avait justement réussi
13:18 à vaincre sa timidité en montant sur les planches et qu'elle espérait insemblables
13:23 résultats. Des mois passèrent et bientôt des années. Je me mariais et eus deux enfants.
13:33 De temps à autre, je regardais sur Internet si je ne voyais pas une Nicole Dubois. Je
13:41 tapais "Nicole Dubois, médecin" et lancai la recherche. Un ancien camarade de promotion
13:49 qui un jour me vit faire s'exclama "mais t'es idiot, tu ne la trouveras jamais en
13:55 tapant son nom de jeune fille, tu n'as aucune chance". Je ne répondis rien et le laissai
14:02 croire que j'étais bien stupide. Il doit d'ailleurs toujours le croire. Mais à aucun
14:11 moment je n'eus envie de lui révéler ce que je savais, à aucun moment je n'eus envie
14:16 de lui donner les raisons qui me poussaient à croire qu'elle portait toujours son nom
14:20 de jeune fille. Les premières années qui suivirent sa disparition, j'aimais aller
14:29 au cinéma voir les films américains qui sortaient. C'était sans doute bien naïf
14:34 de ma part, mais j'avais toujours gardé au cœur l'espoir de la voir apparaître
14:39 sur l'écran. Je l'imaginai en matahari des temps modernes, séduisant de hauts responsables
14:47 américains pour le compte des soviétiques, ou dans un rôle aussi beau que celui que
14:52 David Lean offrit à Julie Christie dans le docteur J.Vago. Avec du recul, je me rends
14:59 compte que j'étais quand même bien naïf de croire qu'elle avait une chance de devenir
15:03 une star hollywoodienne. Toutefois, je me rappelle très bien l'événement qui m'avait
15:10 fait croire en ses chances. Je me trouvais à Berlin, chez un ami, et nous regardions
15:17 à la télévision les Jeux Olympiques de Séoul en 1988. C'est alors que je vis paraître
15:24 à l'écran ma petite voisine, Karine Boucher, qui n'avait que seize ans. Je n'en revenais
15:30 pas. Ma petite voisine aux Jeux Olympiques et dans une discipline on ne peut plus difficile,
15:35 la gymnastique. Je la regardais, ébahie, exécuter son numéro à la poutre. Hier encore,
15:45 je la voyais aller à l'école en faisant la roue, puis grimper à l'intérieur du
15:50 tronc creux du gros arbre mort et sauter d'en haut. Cela m'avait toujours amusé de la
15:57 voir aller à l'école en faisant la roue, mais d'ici là, imaginez qu'elle irait un
16:01 jour aux Jeux Olympiques. Vous comprendrez aisément, je pense, qu'après cet événement,
16:09 il n'y eut plus dans ma tête le moindre obstacle capable d'empêcher Nicole d'apparaître
16:14 en star de cinéma.
16:15 Malheureusement, la vérité n'était pas là où on le croyait. Nos belles illusions
16:27 s'effondrèrent en juillet 2015. Mon père me téléphona un soir pendant la canicule.
16:34 Ils avaient de la chance, fenêtres et volets fermés, il n'avait que vingt-cinq degrés
16:41 Celsius, alors qu'à Paris, même en fermant tout, la température intérieure avoisinait
16:47 les trente degrés. J'avais acheté un brumisateur confiant la publicité qui promettait une
16:54 baisse de température de six degrés, mais le thermomètre ne descendit jamais en dessous
16:59 de vingt-neuf.
17:00 À un moment, mon père me demanda si j'avais connu Nicole Dubois qui avait le même âge
17:08 que moi et avait été en cours au lycée Janzet.
17:13 — Bien sûr que je l'ai connu, nous étions dans la même classe.
17:17 — Eh bien, ils viennent de retrouver son corps.
17:23 — Quoi ? m'exclamai-je.
17:25 Elle était enterrée sous une dalle de béton qui servait de terrasse. Les nouveaux propriétaires
17:33 l'ont cassée pour creuser une piscine, et c'est là qu'ils ont fait la macabre
17:36 découverte. La police a très vite retrouvé les anciens propriétaires et le père a tout
17:42 avoué. C'est lui qui aurait tué sa fille sans le faire exprès. Il se serait mis en
17:49 colère après avoir découvert qu'elle était lesbienne et l'aurait frappée. En tombant,
17:55 sa nuque aurait heurté le coin d'un meuble et elle serait morte sur le coup.
17:59 J'entendis ma mère parler. — Tu te rends compte ? Ils avaient raconté à tout le monde
18:07 qu'elle vivait aux États-Unis alors qu'elle était là, sous la terrasse, juste à côté
18:12 d'eux. Mon père m'entendit pleurer.
18:17 Ma mère me dit. — Pourquoi tu pleures ? Tu la connaissais ?
18:23 — Oui, maman, je la connaissais.
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