Chocs du Monde avec Pierre-Antoine Plaquevent - L’Eurasie sous les assauts des globalistes

  • l’année dernière
C’est une région inconnue du monde qui est sans doute sortie de l’attention française et c’est pourtant peut être là que se jouent les destinées du monde. L’Eurasie est un vaste espace intercontinental. Appréhender correctement cet espace et les forces qui y évoluent devient vital, car c’est là que se jouent les destinées du monde. Voici la leçon de Pierre-Antoine Plaquevent, fondateur du think tank Strategika et auteur de l’essai "Société ouverte vs Eurasie".
Comment l’Atlantisme a-t-il façonné depuis près d’un siècle ses ambitions de conquête et de domination, et pourquoi a-t-il ciblé l’Eurasie ? Comment sa perception évolue-t-elle à l’heure actuelle, alors que le monde semble basculer ? Chocs du monde vous livre les clés indispensables pour saisir les crises actuelles.
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00:05 Madame, Mademoiselle, Monsieur, à TVL, l'inquiétude grandit,
00:09 car malgré votre générosité et votre fidélité,
00:12 nous n'avons pas atteint notre objectif financier,
00:15 celui qui assure la pérennité de la chaîne pour 2024.
00:19 Vous le savez, pour défendre vos idées,
00:21 nous ne disposons d'aucune aide ou subvention.
00:24 TVL n'est assurément pas le quotidien d'ultra-gauche libération.
00:28 Je dis cela car chaque année, peut-être à Noël,
00:31 le directeur du quotidien sulfureux reçoit un chèque de 6 708 692 euros.
00:38 C'était le chiffre de 2021.
00:40 C'est le montant de l'aide à ce journal versé par le gouvernement Macron
00:44 avec l'argent de nos impôts.
00:46 Nous payons près de 7 millions d'euros par an
00:48 pour un canard de propagande totalement en soins palliatifs.
00:52 Et pendant ce temps, TVL se bat continuellement.
00:55 C'est son modèle économique pour trouver ses financements pour sa survie.
01:00 Tel est le prix à payer pour la liberté.
01:03 Alors faites un don défiscalisé,
01:05 ce qui permet d'offrir son impôt au projet de son choix.
01:09 La liberté a un prix.
01:11 Financez TVL, maintenant !
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01:47 Bonsoir à tous et bienvenue dans Chocs du Monde,
01:54 le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL.
01:58 L'Eurasie est un vaste espace intercontinental
02:02 et l'appréhender devient aujourd'hui crucial,
02:05 car c'est là que se jouent les destinées du monde.
02:08 C'est ce que nous apprend le géopolitologue Pierre-Antoine Plaguevent dans son dernier essai.
02:12 Pierre-Antoine Plaguevent, bonsoir.
02:14 Vous êtes fondateur du think tank Strategica et l'auteur de plusieurs essais.
02:18 Le dernier en date, celui-ci, Société ouverte contre Eurasie, géopolitique du globalisme.
02:23 Mais avant cela, vous aviez publié Soros et la société ouverte,
02:26 métapolitique du globalisme en 2020 et aussi globalisme et dépopulation.
02:31 Donc merci beaucoup d'avoir répondu présent à l'appel de Chocs du Monde,
02:35 Pierre-Antoine Plaguevent, d'autant plus que vous êtes, semble-t-il,
02:38 assez occupé ces derniers jours puisque votre site, qui n'a pas l'air de plaire à tout le monde,
02:43 a subi une cyberattaque. Vous en êtes-vous sorti, Pierre-Antoine ?
02:47 Nous sommes en train de le réparer.
02:50 Nous soubissions régulièrement des cyberattaques.
02:54 Ça fait partie du métier en quelque sorte,
02:57 mais celle-ci était particulièrement efficace et a endommagé sérieusement notre outil de travail.
03:04 Mais là, a priori, nous arriverons à le remettre en route.
03:08 Donc nous pouvons dire déjà à vos téléspectateurs que,
03:10 quand ils verront cette émission, normalement, ils devraient avoir de nouveau accès au site.
03:14 Fantastique. Alors, rentrons dans le vif du sujet,
03:17 parce que vous, évidemment, vous êtes l'auteur de cet essai "Société ouverte contre Eurasie".
03:22 Je vais vous citer, Pierre-Antoine Plaguevent,
03:24 "Des lignes de fracture apparaissent, comme avant chaque grand conflit mondial".
03:29 Si je vous comprends bien, nous serions au bord du précipice.
03:33 Il y a en effet un certain nombre de conflits à la surface de la planète
03:36 qui prête à penser que le pire serait à venir.
03:40 Mais cela dit, ces conflits en Ukraine, en Palestine, en Arménie, en Azerbaïdjan,
03:46 voire même en Birmanie, semblent à mains égards comme des conflits régionaux.
03:51 Alors, n'avez-vous pas l'impression quelquefois d'exagérer les choses en parlant d'un choc global ?
03:55 Pierre-Antoine Plaguevent.
03:56 En fait, ces conflits régionaux sont tous parties d'un conflit global
04:04 qui a pour enjeu l'arraisonnement et la prise de contrôle
04:09 de ce que le géopolitologue Mackinder appelait l'île mondiale,
04:13 c'est-à-dire cet ensemble tricontinental Europe, Asie et Afrique.
04:18 Voilà, donc, si vous regardez tous les conflits que vous avez cités,
04:22 ils se déroulent tous sur ce que les géopolitologues anglo-saxons appellent le Rimland eurasiatique,
04:28 donc l'ensemble de ces sous-continents à l'échelle eurasiatique
04:34 que sont l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie du Sud-Est.
04:38 Ce sont sur ces parties du monde que se sont déroulés les principaux conflits du XXe siècle
04:44 et notamment, principalement, durant la guerre froide.
04:47 Donc, quand je parle de choc global, c'est en ce sens-là.
04:51 Ce qui empêche, en quelque sorte, le système monde de s'embraser complètement
04:57 comme lors des deux premiers conflits mondiaux,
05:00 c'est, comme lors de la guerre froide, le paramètre de la destruction mutuelle assurée
05:06 de par les possesseurs de l'arme atomique.
05:09 Ce qui fait que les principaux acteurs du choc des puissances
05:14 ne peuvent pas aller au bout de la montée aux extrêmes
05:18 et cela crée une situation où, justement, les conflits se condensent
05:22 à des échelles régionales ou macro-régionales.
05:26 Pour parler de conflits à échelle régionale,
05:29 on a évoqué, bien sûr, des zones plus chaudes que d'autres,
05:33 mais il semblerait aussi que les conflits peuvent prendre des formes atténuées.
05:38 Par exemple, je voudrais, vous évoquez donc l'Eurasie,
05:40 je voudrais zoomer au milieu du continent eurasiatique, par exemple sur le Kazakhstan.
05:44 Le Kazakhstan, qui évidemment n'est pas vraiment dans le champ de vision en France,
05:50 est le théâtre d'une confrontation, me semble-t-il,
05:52 entre ce que vous appelez la société ouverte et les États eurasiatiques.
05:56 Ce pays, évidemment, je viens de le dire, n'a pas beaucoup de sens pour nos contemporains pour l'instant,
06:00 alors je vous propose un petit tour rapide pour discerner les enjeux immédiats
06:05 dans ce pays qui nous servira un peu de cas pratique.
06:07 Pierre-Antoine Plaguen.
06:09 Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Kazakhstan est soumis à de rudes pressions accidentales.
06:14 Ce vaste pays d'Asie centrale, qui partage 7500 kilomètres de frontière avec la Russie,
06:19 se voit reprocher de permettre à Moscou de contourner ces sanctions
06:24 en réexportant vers celle-ci ses marchandises sous embargo.
06:28 Astana s'est vu à son tour menacé de sanctions.
06:31 En octobre, le Kazakhstan a annoncé interdire l'exportation d'une centaine de produits vers la Russie,
06:36 notamment des composants électroniques.
06:39 Le président kazakh Tokayev a annoncé en octobre, sans ambiguïté, qu'il suivrait le régime des sanctions.
06:46 En visite dans le pays en novembre, Macron louait le refus du pays de toute vassalisation,
06:52 visant évidemment là le voisin russe.
06:55 Vladimir Poutine, en novembre, a fustigé les actions de certains pays,
06:59 visant à déstabiliser les pouvoirs en place, la stabilité de la société
07:03 et à faire entrave à nos anciennes et étroites relations commerciales, culturelles et de coopération.
07:08 L'Union européenne ne cache pas son intention de nous évincer de l'Asie centrale et du Caucase du Sud.
07:14 Dénonçait aussi le chef de la diplomatie russe, Sergei Lavrov, le 12 novembre à Astana,
07:19 avant de prévenir "Cela ne marchera pas".
07:28 Pierre-Antoine Plavant, cela peut-il marcher, ces pressions occidentales,
07:33 contre des États d'Eurasie, pour cibler d'autres puissances ?
07:38 La Russie, si, mais celle-là pourrait très bien fonctionner,
07:40 ou être utilisée contre d'autres, je pense évidemment à la Chine.
07:43 On est ici au cœur de ce que les britanniques appelaient au 19ème siècle le "Grand jeu",
07:49 et on est dans la réactualisation du "Grand jeu" eurasiatique au 21ème siècle.
07:54 Un pays comme le Kazakhstan fait penser à la configuration de l'Inde aussi,
07:59 c'est-à-dire c'est un pays qui peut jouer sur ce que les Indiens appellent le "multi-alignement",
08:03 et essayer en quelque sorte de faire monter les enchères entre les deux blocs qui s'affrontent en Eurasie,
08:09 et justement se poser en quelque sorte en interface entre le camp occidental et le camp eurasiatique.
08:17 Ce serait pour vous la manière pour ces États de survivre, enfin coincés entre deux puissances ?
08:23 De survivre ?
08:24 Plutôt que de prendre un parti ou l'autre.
08:26 Oui, de survivre et même en fait de gagner en puissance justement,
08:30 en devenant des acteurs, finalement d'acteurs régionaux ou d'acteurs moyens,
08:35 ils s'imposent comme des interfaces obligatoires pour les puissances principales qui s'affrontent à cette échelle-là.
08:43 Comme par exemple la Turquie ?
08:45 Comme la Turquie, c'est aussi exactement, c'est le jeu que mène Erdogan aussi,
08:49 avec étant dans l'OTAN et en même temps à la fois proche de la Russie.
08:54 Donc tous ces pays ont intérêt à jouer sur ce que les Indiens appellent le "multi-alignement",
09:02 et notamment dans la perspective des nouvelles voies géoéconomiques entre Asie et Europe,
09:08 qui sont un enjeu stratégique que nous allons évidemment évoquer.
09:11 Merci beaucoup de commencer à les mentionner, Pierre-Antoine Plaquevant.
09:14 Je vous cite encore "Contenir mais aussi à terme conquérir et dominer enfin le cœur géopolitique de l'Eurasie
09:20 constitue une préoccupation stratégique de premier ordre pour les globalistes."
09:24 Vous remontez le temps dans votre essai, Pierre-Antoine Plaquevant,
09:27 vous évoquez, vous venez de le faire d'ailleurs, Alford McKinder.
09:30 Alors je vous propose une carte de sa thèse de Heartland,
09:34 agrémentée de celle de l'un de ses héritiers, Spikeman, que vous évoquez aussi dans votre essai.
09:39 Vous citez McKinder, "Qui domine le Heartland, donc en rouge, domine l'île mondiale,
09:44 qui domine l'île mondiale, domine le monde", il a écrit ça en 1919.
09:47 Et puis Spikeman, quelques années plus tard, "Qui contrôle le Rhineland, gouverne l'Eurasie,
09:52 qui gouverne l'Eurasie, contrôle les destinées du monde."
09:56 Quand vous en parlez, Pierre-Antoine Plaquevant, dans votre livre, vous le dites,
09:59 et ça nous saute aux yeux avec ces cartes à l'écran.
10:03 C'est un point très intéressant que vous soulevez encore une fois dans votre essai.
10:07 Avec McKinder et Spikeman, nous assistons à la genèse de l'atlantisme,
10:11 et surtout nous comprenons, avec leurs écrits, paradoxalement,
10:16 puisque nous pensons que ce qu'il écrit "Nouveau Monde",
10:18 enfin l'Amérique et les Anglo-Saxons sont culturellement le centre du monde,
10:22 et bien en fin de compte, quand on voit ces cartes-là, ce n'est pas le cas.
10:24 Le monde Anglo-Saxon est à la périphérie.
10:26 Ils sont périphériques, si justement on voit le monde comme un système monde.
10:30 C'est ce que disait McKinder dès 1904, dans son fameux texte sur le pivot géographique de l'Histoire.
10:36 Il expliquait que finalement les puissances anglo-américaines,
10:42 qui se pensent le centre de l'Histoire mondiale,
10:46 si on prend ça à une échelle plus géographique, en fait, ils sont périphériques.
10:52 Et tout l'enjeu pour ces puissances, ça va être de contrôler, justement,
10:57 ce que McKinder appelait l'île mondiale,
10:59 c'est-à-dire l'ensemble tricontinental, Europe, Asie et Afrique.
11:04 Cette ligne fait partie des fondamentaux géopolitiques de l'atlantisme, en quelque sorte,
11:10 de McKinder à nos jours, à Brzezinski.
11:14 Pourquoi ?
11:16 Pour vous, c'est vraiment la genèse de l'atlantisme ?
11:18 Ah oui, c'est la genèse de l'atlantisme dans la mesure, par exemple,
11:21 si on regarde même les réseaux auxquels appartenait McKinder,
11:24 les milieux dans lesquels il intervenait,
11:26 il a dirigé la London School of Economics,
11:28 qui était vraiment la pouponnière à élites anglo-américaines,
11:33 anglo-britanniques et globalistes depuis le XIXe siècle.
11:37 Des gens comme Soros sont passés par la London School of Economics.
11:41 Il était proche de la société Fabienne.
11:44 La London School of Economics a été fondée par la société Fabienne.
11:47 Donc ce sont tous les réseaux, finalement, de pouvoirs de l'Empire britannique,
11:52 qui après se sont transférés, en quelque sorte,
11:54 par une forme de translation impériale, leur pouvoir vers les États-Unis,
11:58 qui finalement sollicitaient, en quelque sorte, les vues de McKinder,
12:02 qui pouvaient leur donner une explication, en quelque sorte, globale,
12:07 finalement, du champ de bataille dans lequel il devait opérer.
12:12 Et donc l'idée centrale, c'est l'idée du contrôle de l'Eurasie.
12:17 Vous avez cité la célèbre citation de McKinder.
12:21 En fait, il dit d'abord "Qui contrôle l'Europe orientale, contrôle le Heartland eurasiatique.
12:26 Et qui contrôle le Heartland eurasiatique, contrôle l'île mondiale.
12:29 Qui contrôle l'île mondiale, contrôle le monde."
12:32 Donc on voit tout l'enjeu de la guerre en Ukraine.
12:35 C'était celui-ci. C'était de séparer le sous-continent européen du Heartland eurasiatique.
12:44 Est-ce que cela a réussi ?
12:48 On nous le verra dans les quelques mois.
12:51 Vous avez déjà un avis, M. Blotchin.
12:53 Ça a possiblement réussi si la guerre visait principalement l'Europe.
12:58 L'Europe est affaiblie.
13:00 Ça n'a pas réussi à affaiblir la Russie.
13:03 Au contraire, ça l'a renforcée. Mais ça affaiblit l'Europe.
13:05 Le premier concurrent stratégique des États-Unis reste l'Europe.
13:09 Donc là-dessus, je fais partie des gens qui pensent que les États-Unis ne mènent pas des guerres pour les gagner,
13:14 mais pour affaiblir leurs adversaires stratégiques.
13:17 Donc finalement, on n'est pas dans un empire qui cherche à stabiliser des positions et des dominions,
13:23 mais plutôt une hégémonie qui cherche à garder des points de contrôle et à affaiblir,
13:28 à faire saigner en quelque sorte ses adversaires pour rester au-dessus d'eux
13:33 et pour aussi temporiser leurs propres faiblesses stratégiques internes aux États-Unis,
13:37 qui sont parcourues de failles énormes.
13:41 D'accord. Donc un bilan contrasté.
13:43 Selon vous, les États-Unis ont séparé l'Europe occidentale de la Russie,
13:49 mais en même temps, la Russie se rattache avec l'Asie, l'Extrême-Orient asiatique.
13:55 Donc ce serait un match nul, si je me souviens ?
13:58 En tout cas, maintenant, si on regarde bien, je pense que cette ligne de confrontation globale
14:04 se déplace maintenant au Moyen-Orient.
14:06 Elle se déplacera ensuite en Asie du Sud-Est.
14:09 Et là, ce sera peut-être encore plus sérieux. Et là, les Chinois, les stratégistes chinois
14:14 se préparent depuis des années à une confrontation directe dans ce théâtre d'opérations.
14:19 Donc en fait, pour moi, c'est une guerre mondiale, mais c'est en quelque sorte la quatrième guerre mondiale.
14:27 Après la guerre froide, qui était la troisième, c'est la quatrième guerre mondiale,
14:31 mais hybride si on veut, et qui ne peut pas aller à son terme,
14:36 puisque l'échange nucléaire l'en empêche.
14:40 On peut même lire cela, à un siècle de distance, comme une seule guerre mondiale, en quatre parties,
14:45 depuis exactement le déclenchement de la première guerre mondiale,
14:49 qui avait déjà en partie les mêmes raisons structurelles,
14:53 avec l'élaboration par l'Allemagne, par les Allemands, par le Reich,
14:59 du Bagdad-Ban, qui devait lier Bagdad, Constantinople et Berlin.
15:05 Une forme de voie géoéconomique, qui allait relier certains des principaux territoires du Rhineland,
15:15 et c'est ce qu'ont toujours voulu éviter les anglo-américains.
15:20 Et là, on est dans la même configuration, avec les nouvelles routes de la soie,
15:23 qui sont un petit peu une sorte de super Bagdad-Ban, à l'échelle, là, vraiment presque mondiale,
15:28 puisque ça touche même l'Afrique et même une partie de l'Amérique du Sud.
15:31 – Alors, si l'on devait mesurer le rapport de force, on a évoqué un quasi-match nul,
15:35 enfin pour l'instant, les choses sont en train de se dessiner,
15:39 si l'on devait mesurer le rapport de force entre les globalistes,
15:42 ou en tout cas l'Empire anglo-saxon, et ces États d'Eurasie qui s'opposent à eux,
15:46 quelles seraient selon vous les forces et les faiblesses de chaque camp ?
15:51 – Alors, la force du camp occidental, c'est au départ les innovations technologiques.
16:00 Et notamment Internet, par exemple, qui a été élaboré par les Américains,
16:06 puis étendu au monde entier.
16:08 Les stratégistes chinois, notamment Cao Liang,
16:11 qui était l'auteur de… un des deux auteurs du manuel "La guerre hors limite",
16:18 qui avait été publié à la fin du XXe siècle,
16:21 récemment expliquaient que finalement, Internet pouvait être la faiblesse stratégique des États-Unis,
16:28 qui ont créé un outil qui permet à tous les acteurs du choc des puissances de s'en emparer,
16:34 et de contrecarrer l'hégémonie américaine par la cyber-guerre,
16:43 et aussi par contourner les sanctions économiques classiques,
16:47 comme on le voit avec la Russie, par le biais des cryptomonnaies,
16:50 par le biais du Darknet, et autres.
16:53 En fait, Internet finalement est en train, en quelque sorte,
16:56 selon certains stratégistes chinois, de se retourner contre ses créateurs.
17:00 Donc la force de l'Occident, ce sont ses innovations,
17:03 la force de l'Occident, c'est pour ça que je parle de société ouverte contre Razzie,
17:07 c'est finalement son capitalisme, son libéralisme, c'était ça sa force,
17:12 et que l'Occident a essayé d'étendre au monde entier.
17:16 Sa faiblesse, et donc la force du système, on pourrait dire des puissances eurasiatiques,
17:21 finalement, les Russes parlent maintenant d'Occident politique,
17:24 on pourrait parler d'Orient politique, en quelque sorte,
17:26 la force de l'Orient politique, si on veut, c'est que l'État,
17:29 dans les systèmes par exemple russes, chinois, mais même si on voit turcs, indiens,
17:33 vous parlez du Kazakhstan aussi, c'est que l'État est toujours,
17:36 comme le souhaitent les souverainistes français, un État stratège,
17:39 c'est-à-dire qu'il est au centre du processus de décision.
17:43 En Occident, on ne sait plus qui décide, finalement.
17:47 – Tout est diffus.
17:48 – Tout est diffus, tout est dissous, tout est liquide justement,
17:51 tout est la société ouverte.
17:53 Dans les systèmes plus eurasiatiques, on sait qui décide,
17:56 que les décisions soient bonnes ou mauvaises,
17:58 il y a une verticalité de la prise de décision,
18:02 et l'État est toujours au centre des orientations de société.
18:08 Donc ça c'est la force du système eurasiatique, en quelque sorte.
18:12 Ça peut être une faiblesse par rapport justement à une économie de marché,
18:17 ou dans une phase de croissance économique,
18:20 mais dans une phase de rétraction économique,
18:22 de difficulté d'accès aux ressources stratégiques,
18:25 cela va devenir une force.
18:27 Et je pense qu'en retour, c'est ce que je montre dans mon livre,
18:30 avant chaque guerre mondiale, il y a une crispation de l'Occident,
18:33 qui finalement commence à sortir, sort du libéralisme,
18:37 et est obligé finalement de se calquer sur ses rivaux stratégiques autoritaires.
18:42 – Et là vous voyez ça advenir.
18:44 – C'est ce qui est déjà en train de se passer.
18:46 D'abord sur les périphéries de l'Occident politique,
18:50 on voit qu'en interne, l'Occident se veut libéral,
18:53 il promeut le wokisme, toute la déconstruction,
18:58 mais sur ses marches finalement, face à ses rivaux stratégiques,
19:02 là il déploie un nationalisme même exacerbé.
19:06 On l'a vu en Ukraine, on l'a vu avec les alliés conservateurs de l'Occident,
19:11 même en Pologne.
19:12 On le voit maintenant avec aussi Mélanie en Italie,
19:17 même en Israël, donc on voit une forme de nationalisme,
19:24 qui là pour le coup peut apparaître comme régional,
19:27 mais qui en fait correspond à une défense de l'Occident sur sa périphérie,
19:34 et sur des zones qu'il ne peut pas se permettre de perdre,
19:37 face justement à l'Orient politique ou l'Eurasie politique,
19:42 face à ses rivaux stratégiques.
19:43 – Alors c'est très intéressant ce que vous avez dit sur la force
19:45 qui est aussi potentiellement une faiblesse des États d'Eurasie,
19:48 c'est leur structure étatique.
19:50 Si on vous suit bien, les Anglo-Saxons, puissance de la Socratique,
19:55 veulent diviser l'espace eurasiatique en États vassaux.
20:00 Mais dans ce cas, s'y prennent-ils bien de vouloir diviser en États vassaux,
20:05 la force de ces puissances eurasiatiques, c'est justement l'État.
20:09 Est-ce qu'ils ne devraient pas aller plus loin ?
20:10 Est-ce qu'ils peuvent aller plus loin pour détruire la structure étatique ?
20:13 – Ils ont essayé, si on regarde la séquence depuis 1991,
20:17 la fin du bloc soviétique, immédiatement l'ancien monde soviétique
20:24 a été plongé dans une thérapie libérale de choc,
20:28 avec justement l'intervention massive de gens comme Soros,
20:30 qui écrivait à cette époque un livre intéressant qui s'appelait
20:33 "Opening the Soviet System", donc "Ouvrir le système soviétique",
20:37 et donc comment ces réseaux-là s'activaient.
20:39 D'ailleurs la fondation Soros est très active au Kazakhstan,
20:42 dans toute l'Asie centrale, et le but était finalement
20:46 de retourner les sociétés civiles, qui étaient elles avides d'innovation,
20:51 de liberté économique, contre les États ou les restes de puissance.
20:56 Finalement, la puissance politique, c'est toujours l'État, en dernière analyse.
21:01 C'est aussi ça la distinction que je fais dans mon ouvrage,
21:04 entre le paradigme globaliste des relations internationales
21:08 et le paradigme réaliste des relations internationales.
21:11 Pour les globalistes, l'idée était d'arriver à une forme d'autorité mondiale
21:18 qui viendrait supplanter les États-nations, afin de lisser,
21:23 puis de supprimer le choc des puissances entre États-nations.
21:28 Pour les réalistes, non, les États-nations, ou les États,
21:31 issus de la continuité de la légitimité historique,
21:34 restent l'acteur central du système de relations internationales.
21:38 Et je pense qu'on va revenir de plus en plus à cela, au paradigme réaliste.
21:43 Et l'Occident va devoir lui aussi, et il revient déjà à ce paradigme-là,
21:49 malgré, mais il va devoir, en fait, le paradoxe de l'Occident,
21:53 il va devoir maintenir son espèce de narration ouverte, justement, libérale, démocratique,
21:59 puisque c'est ce qui fait finalement sa spécificité dans le système des relations internationales,
22:03 tout en étant de plus en plus réaliste.
22:07 Mais cela va créer une situation, quelque sorte qui pourrait être interprétée,
22:12 et qui l'est déjà, comme de l'hypocrisie, par les acteurs extérieurs à l'Occident.
22:17 Donc, à terme, ça ne sera pas viable éternellement, je pense.
22:21 Vous dites aussi, je vous cite encore,
22:23 "Le globalisme politique bute désormais sur l'intégration cosmopolitique au cœur de l'Eurasie",
22:28 constituée donc par le binôme Chine-Russie.
22:31 Voici une autre carte, celle de quatre voies commerciales,
22:35 dont les voies commerciales pilotées par Moscou et par Pékin, en bleu, en jaune,
22:41 le corridor Nord-Sud qui va donc de Saint-Pétersbourg, même de Mourmansk, jusqu'à Mumbai,
22:46 et puis évidemment quelques tracés des routes de la soie chinoise,
22:50 et de plus que nous pourrons en rajouter,
22:52 mais en tout cas celui qui relie directement avec l'Europe occidentale.
22:56 Est-ce cela la force actuelle du binôme sino-russe ?
23:01 C'est cela, et on voit d'ailleurs la centralité du Kazakhstan, de nouveau sur cette carte,
23:06 et on voit aussi, chose intéressante, le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe, IMEC,
23:13 qui finalement a été, les accords de l'IMEC ont été signés récemment.
23:19 Si je ne m'abuse, en parallèle du dernier G20,
23:27 et je crois bien un mois avant l'actuelle guerre au Moyen-Orient entre Israël et Gaza.
23:35 Pourquoi je parle de ça ? Parce que finalement cette tentative d'IMEC
23:41 est une volonté de contourner en quelque sorte les routes de la soie chinoise,
23:47 en s'appuyant sur l'Inde.
23:49 Il y a aussi une autre initiative qui est le Global Gateway,
23:52 mis en place par l'Union Européenne, avec directement avec le Kazakhstan.
23:55 Là on voit une volonté justement de l'Europe d'essayer de se dégager des nouvelles routes de la soie.
24:03 Et on voit que l'IMEC aboutit sur le port d'Haïfa,
24:10 ce qui est intéressant de voir en quoi le port d'Haïfa était un enjeu stratégique entre Chine et Inde.
24:16 Les Chinois ont investi massivement dans le port d'Haïfa.
24:20 Et récemment un consortium indien a racheté quasiment tout le port d'Haïfa,
24:29 justement par rapport à la perspective de ce corridor IMEC.
24:32 Et en fait les Américains ont plus ou moins réussi, je pense maintenant,
24:38 notamment avec la guerre, à découpler la position d'Israël
24:42 qui se voulait en quelque sorte intermédiaire entre l'axe sino-russe et l'Occident, y compris en Ukraine.
24:48 Ce n'est qu'à partir de 2022 qu'on a commencé à voir l'Israël s'impliquer dans la fourniture d'armes plus massives à l'Ukraine.
24:56 Ce que vous dites là c'est que les États-Unis avaient un intérêt, ou en tout cas un intérêt objectif.
25:02 Ils ne l'ont peut-être pas cherché, mais en tout cas auront cet intérêt-là avec l'éclatement de la guerre en Palestine.
25:07 Comme ils ont un intérêt avec l'éclatement de la guerre en Ukraine.
25:10 Et comme en Ukraine, ils vont ensuite pouvoir se présenter dans quelques mois
25:16 comme des arbitres, comme peut-être des arbitres qui diront maintenant
25:20 "ça suffit, le sang a s'écouler", comme ils sont en train de faire avec Zelensky.
25:24 Peut-être que Netanyahou sera le prochain Zelensky dans quelques mois, après avoir été porté au nu.
25:31 Parce que si on a une lecture justement vraiment géoéconomique, géopolitique,
25:35 on voit clairement la guerre en Ukraine, le but c'était de séparer l'Union Européenne de la Russie.
25:44 La guerre au Moyen-Orient, c'est maintenant de semer le chaos dans cette zone
25:49 dans laquelle les Russes et Chinois essayaient de maintenir un équilibre des puissances
25:56 entre des ennemis régionaux.
25:59 C'est-à-dire que les Chinois et les Russes arrivaient à la fois à traiter avec l'Iran ou avec Israël.
26:04 Finalement ils commençaient à maintenir un arbitrage et à pacifier,
26:10 ils avaient la possibilité de pacifier la zone.
26:14 Et là on voit, la théorie que je vous disais, que vous explosez tout à l'heure,
26:17 c'est que les Américains finalement ont plus intérêt au chaos qu'à la pacification, au chaos contrôlé.
26:24 – Vous avez évoqué un peu plus tôt dans notre discussion
26:27 la possibilité de l'essor d'un nouveau champ de bataille.
26:30 J'aurais pensé plutôt que vous aiguillez vers l'Asie centrale, le Kazakhstan, etc.
26:34 mais vous avez l'air plutôt de penser à une zone un peu plus orientale.
26:38 – Je pense à ça parce que par exemple, on voit l'importance de la Birmanie
26:44 dans laquelle les réseaux Soros ont été massivement implantés,
26:49 de laquelle ils ont été chassés par le coup d'État de la jeune militaire il y a deux ans.
26:55 Et là récemment, maintenant, la rébellion anti-militaire appuyée par l'Occident gagne aussi du terrain.
27:03 Donc par exemple, ça c'est un enjeu stratégique.
27:06 Avec là aussi, comme au Moyen-Orient, comme à Gaza, au large de la Birmanie,
27:11 des champs gaziers ou pétroliers stratégiques.
27:15 Aussi l'enjeu de la production de stupéfiants et du trafic de stupéfiants.
27:20 En fait, tout cela recoupe finalement les fondamentaux géopolitiques
27:25 de la guerre entre thalassocratie et tellurocratie même au XIXe siècle,
27:30 puisqu'on avait déjà le grand jeu arasiatique,
27:32 les guerres de l'opium entre Chine et Angleterre sur les mêmes territoires, en Birmanie.
27:40 Donc on est toujours dans les mêmes…
27:43 Si vous voulez, la société, le monde change de culture ou de forme,
27:48 mais les fondamentaux géopolitiques restent là.
27:51 Ils sont intangibles en quelque sorte, comme la géographie.
27:54 – Il y a l'OTAN aussi qui lorgne vers le Pacifique,
27:57 l'OTAN a fustigé l'impérialisme, je cite, chinois.
28:01 Pékin l'a d'ailleurs très très mal pris.
28:03 Vous dites que la Chine veut éviter la confrontation directe.
28:06 Pourtant, la Chine lorgne sur un certain nombre d'îles en mer, dite de Chine aussi.
28:12 Donc est-elle si pacifique que ça, Pierre-Antoine Plaquevant ?
28:16 – La Chine a une approche déjà, dans son fondement même stratégique,
28:19 qui est différente de l'Occident,
28:21 puisque même ses classiques de l'art de la guerre expliquent qu'il vaut mieux…
28:28 enfin comment dire, finalement la confrontation,
28:30 elle a vraiment le dernier recours et qui est très risqué.
28:34 Donc il vaut mieux gagner la guerre en amont, en quelque sorte,
28:36 en épuisant l'adversaire. – Sans avoir livré bataille.
28:39 – Sans avoir livré bataille.
28:41 C'est en quelque sorte ce qui se passe…
28:44 c'est pour ça qu'on voit aussi la position diplomatique
28:46 où finalement la Chine laisse en quelque sorte la Russie aller en avant.
28:50 Elle a laissé agir en Syrie, en Ukraine,
28:54 et puis derrière elle va utiliser des voies plus diplomatiques ou économiques
28:57 et toujours essayer de se positionner entre les deux blocs.
29:02 Mais elle a des velléités, effectivement, de… comment dire…
29:07 là on ne pourrait pas forcément dire d'hégémonie,
29:10 mais elle a l'intention de devenir le centre du système monde à l'échelle 2049
29:15 pour un siècle de la fondation de la République populaire chinoise.
29:19 – Et vous y croyez à cette hypothèse-là ?
29:21 – Je vous demande en fait, si là nous sommes face à un match nul,
29:25 le match va-t-il être gagné à un moment ou à un autre par l'une des deux parties ?
29:30 – Alors on est dans une forme quasiment un peu de dialectique hégélienne,
29:35 thèse, antithèse, synthèse, quelle sera la…
29:38 la thèse finalement c'est l'Occident, le mondialisme,
29:41 l'antithèse c'est l'Eurasie politique en quelque sorte,
29:45 puis quelle sera la synthèse qui va aboutir de cette confrontation ?
29:49 C'est difficile à dire, on pourrait penser,
29:52 il y a quelques mois j'aurais pu penser que…
29:54 enfin par exemple si on regarde en Ukraine, on peut penser que oui, la Russie a gagné,
29:59 mais si on prend ça à une échelle plus globale,
30:01 l'Occident a encore de sérieuses ressources
30:04 et peut se reconfigurer intérieurement ou en tout cas dans certaines parties
30:09 pour justement livrer cette bataille.
30:12 On voit, tout est lié dans cette lecture géopolitique,
30:15 si on voit par exemple ce qui se passe en Argentine,
30:17 quel est le programme du candidat qui a pris le pouvoir ?
30:22 La redollarisation, de chasser finalement l'influence des partis plutôt…
30:31 comment dire… latino, plutôt proche de la Russie ou de la Chine,
30:35 et en fait c'est une reprise en main du département d'état américain
30:40 par une forme de populisme dirigé.
30:42 On va avoir des scénarios de ce type-là, des tentatives de ce type-là
30:47 dans les territoires stratégiques que l'Occident ne peut pas se permettre de perdre,
30:53 ce qui était déjà le cas en Ukraine.
30:55 Comme je vous disais, en Ukraine, là, le nationalisme exacerbé a été autorisé
30:59 parce qu'il fallait à ce moment-là…
31:01 et c'est toujours ce nationalisme, on va dire, dirigé et recomposé,
31:05 on pourrait dire symbiotique presque.
31:07 Le nationalisme autorisé en Ukraine, c'était contre la Russie.
31:12 Il fallait débarrasser le nationalisme de ses éléments antimondialistes
31:15 et les focaliser sur la Russie.
31:18 Et on aura, je pense, des configurations de ce type-là.
31:21 Est-ce que ça va fonctionner ?
31:22 Parce que c'est quand même un jeu qui est dangereux,
31:24 parce que quand vous réactivez en quelque sorte le nationalisme,
31:27 et après en interne, vous changez aussi la structure de votre société.
31:32 Ce qui est sûr, et peut-être que ce qui est en train de se passer même en France
31:35 avec les débats autour de l'immigration et autres,
31:37 c'est que le logiciel de l'Occident, de l'Occident politique,
31:40 va devoir changer pour livrer cette confrontation globale au sein du système mondial.
31:48 Le logiciel de l'Occident politique va devoir changer.
31:51 Ce sera le mot de la fin, Pierre-Antoine Plaquevant.
31:53 Merci beaucoup d'avoir répondu présent à l'appel de Chocs du Monde.
31:57 Merci beaucoup d'avoir suivi cette émission.
31:59 Surtout, surtout, n'oubliez pas de commenter et de partager cette vidéo,
32:03 cette émission de Chocs du Monde, l'émission des crises
32:07 et de la prospective internationale de TVL.
32:10 Merci à tous et puis surtout, Joyeux Noël !
32:12 [Musique]

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