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Le dessinateur Blutch a participé à l'album hommage à Lucky Luke, "Les Indomptés", qui sort en librairie.

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Transcription
00:00 Et pour nous accompagner ce matin le plus solitaire des cow-boys, Lucky Luke est de
00:04 retour en librairie sous le crayon de Blotch.
00:07 Bonjour ! Merci d'être au micro de France Inter.
00:10 Vous signez un album Hommage, les Indomptés où Lucky Luke doit renoncer à sa solitude
00:15 pour s'occuper de deux enfants.
00:16 On va y revenir.
00:17 Mais d'abord, l'hommage, comment on empoigne un héros aussi emblématique ? Est-ce que
00:21 ce n'est pas vertigineux ?
00:22 Eh bien, écoutez, quitte à paraître immodeste, je dirais non.
00:25 Parce que je fréquente Lucky Luke depuis bien longtemps.
00:27 Depuis quel âge ?
00:28 Depuis des années, j'étais vraiment tout petit.
00:30 C'est un de mes premiers, on va dire, chocs esthétiques.
00:34 Et depuis ce temps-là, depuis le tout début des années 70, je n'ai jamais arrêté de
00:39 l'interroger.
00:40 Et à travers lui, à travers ce personnage, évidemment, son auteur, son créateur, Maurice
00:47 et ses auteurs, c'est-à-dire Maurice et Goscinny.
00:51 Ça reste une référence de travail pour vous aujourd'hui ?
00:53 Pour moi, Lucky Luke, il se conjugue au présent.
00:57 Toujours.
00:58 J'y reviens constamment.
01:00 Et chaque année, je dois relire encore plus de 10 à 20 albums.
01:04 Avec Hergé et Tintin, je pense que depuis une cinquantaine d'années, ce sont les œuvres
01:12 qui m'accompagnent et qui restent pour une grande part toujours mystérieuses pour moi.
01:18 C'est peut-être pour ça aussi que j'y retourne tout le temps.
01:19 Parce que j'essaye de comprendre comment c'est fait.
01:21 Cet album, Les Indomptés, il est sorti le 1er décembre dernier.
01:24 100 ans, jour pour jour, après la naissance de Maurice.
01:27 Ça tombait bien, mais en même temps, ça met un peu la pression, non ?
01:29 Écoutez, ce jour-là, j'étais à Bruxelles, où une expo était organisée à la Galerie
01:36 Huberti-Brenn pour l'anniversaire de Maurice.
01:38 Il y avait des planches originales exposées.
01:41 Et je peux vous dire que j'ai eu un choc parce que j'ai vu des planches qui sortaient
01:45 des coffres qu'on n'avait jamais vues, des couvertures d'albums.
01:49 Et j'ai réalisé par exemple que pour moi, il avait été plus facile de voir Les Demoiselles
01:54 d'Avignon de Picasso que la couverture de Dalton City.
01:57 Donc oui, c'est vraiment…
02:00 - Pourquoi ce choc esthétique ?
02:02 - C'est dur à dire…
02:05 - Est-ce qu'on peut l'expliquer ?
02:06 - Bah oui, déjà, il y a une vie dans ce dessin.
02:08 C'est une vitalité qui ne se dément pas.
02:15 Et puis c'est la même chose pour RG.
02:18 Ce sont des dessins qui ne se démottent pas, qui ne vieillissent pas.
02:20 Et qui sont toujours recevables par des jeunes lecteurs.
02:24 Il y a vraiment quelque chose de presque diabolique chez eux.
02:28 Parce que le dessin vieillit, il s'use, il se démode.
02:31 Et chez les grands auteurs, non.
02:34 Il reste toujours présent, il reste toujours vivant, palpable.
02:37 Et chez Maurice, c'est vraiment éclatant.
02:41 - Alors on précise que cet album fait partie d'une série d'hommages.
02:44 Il y a ceux de Bonhomme, Boussard, Mahouille, il y a Ralph Koenig qui en a fait un également.
02:49 Il y a une série classique en parallèle qui se poursuit avec Jules au scénario et Hd au dessin.
02:54 Comment on travaille sur un hommage ?
02:55 On parle de redessinage ou de réinterprétation ? Qu'est-ce que vous préférez ?
02:59 - Moi je ne suis pas très à l'aise avec le mot "hommage".
03:01 Parce que je trouve toujours qu'il y a un côté un petit peu "mes hommages madame"
03:05 ou un côté même un peu funèbre, je trouve, dans le mot "hommage".
03:07 Donc c'est vrai que je préfère le mot "réinterprétation".
03:12 C'est un peu ce que nous faisons tous depuis le décès de Maurice en 2001.
03:16 Tous les gens qui s'attaquent au personnage réinterprètent le personnage.
03:19 - C'était quoi le cahier des charges ?
03:23 - Il fallait que je me passe de la cigarette.
03:29 - Ah d'accord.
03:30 Mais sinon il y avait des incourtournables ?
03:35 - Non, non, non.
03:36 À part la cigarette, j'ai été libre de mes mouvements et j'ai pu m'emparer du personnage
03:44 et le faire vivre à peu près comme je le sentais.
03:48 Mais mon but c'était quand même de rester assez proche d'une forme d'orthodoxie,
03:53 d'une forme de classicisme.
03:55 Justement je voulais coller au plus près le travail de Maurice et Goscinny.
04:00 - Oui, il y a des marqueurs forts, il y a les scènes dans le salon, il y a la bagarre,
04:04 vous êtes plongé là-dedans.
04:05 - Oui, il y a les panneaux d'entrée de ville, il y a toute cette mythologie, tous ces motifs
04:11 récurrents qu'on voit dans Luc et Luc.
04:13 Et il y a cette scène de bagarre que je me suis régalé à dessiner.
04:17 Vous savez, j'en dessinais beaucoup quand j'étais enfant.
04:20 À l'âge de 10-12 ans, j'en alignais et d'ailleurs je suis remonté.
04:26 Pour dessiner la scène de bagarre des indomptés, je suis monté au grenier dans mes archives.
04:30 J'ai sorti un dessin similaire que j'ai réalisé genre en 1976 ou 77 et je l'ai recopié.
04:38 C'est-à-dire que j'ai recopié pour cet album dessiné par un canasson de 55 ans,
04:44 j'ai recopié le dessin du môme qu'il a été à 10 ans, j'ai recopié l'enfant
04:50 de 10 ans que j'étais.
04:51 - Il y a des accents aussi dans cet album, pas de rentemplant, pas de dalton ?
04:55 - Non, non, non, les daltons prennent trop de place.
04:58 Ils sont des personnages autoritaires, ils tirent la couverture à eux.
05:01 Je préférais laisser la place à mes enfants par exemple.
05:06 - Justement dans "Les Indomptés", Blotch, vous prenez un virage audacieux, celui d'affubler
05:10 notre cow-boy solitaire, deux gamins, Rose et Casper et leur grand frère Rufus également.
05:16 C'est eux les Indomptés ? C'est eux les sales gosses peut-être ?
05:21 - C'est eux les sales gosses, oui.
05:23 - Pourquoi "Les Indomptés" ? Il vient d'où ce titre ?
05:26 - C'est peut-être une référence westernienne pour les connaisseurs.
05:32 C'est peut-être un film de Kirk Douglas qui s'appelle "Seuls sont les Indomptés".
05:35 C'est un film de 1962 avec Jenna Rollins, un film que j'aime beaucoup.
05:40 Puis peut-être aussi une réminiscence à Nicolas Rey, l'histoire du western.
05:45 Mais on parlait d'hommage tout à l'heure.
05:50 Cet album est peut-être surtout un hommage à mes enfants.
05:54 Vous parlez de sales gosses, mais ces sales gosses ce sont mes enfants.
05:58 C'est la portrait des mes enfants.
05:59 - Ils sont très attachants aussi.
06:00 Il y a Rose qui est super vive, c'est une calamité de jeunes en devenir.
06:03 Et puis il y a Kasper, ce petit garçon qui a les yeux grands ouverts.
06:07 C'est un personnage assez particulier qui s'inspire de votre fils.
06:11 - Oui, j'ai commencé ce projet au départ.
06:14 Je voulais faire un portrait de mon fils cadet, interprété par Kasper dans la bande dessinée.
06:22 C'est un enfant particulier parce qu'il est autiste.
06:27 - Il est toujours à côté de l'action.
06:29 - Et mon fils n'a pas accès au monde.
06:34 Donc je voulais lui donner la parole.
06:36 Ce livre aussi, c'est une manière pour moi de l'amener au monde.
06:42 Et lui qui ne sait ni lire ni écrire, je voulais le mettre en avant, lui donner la parole.
06:48 Et peut-être lui rendre justice, mais aussi justice aux deux autres.
06:54 - C'est un acte militant de dessiner votre fils autiste dans cette BD ?
06:58 - Non, je vous le dis, certainement, oui, peut-être bien.
07:03 Je voulais rendre compte.
07:07 Mais je ne voulais pas ici éviter tout pathos ou tout complaisant autobiographique.
07:16 C'est pour ça que j'ai aussi amené mes enfants vers la comédie, vers la fiction.
07:22 - On saurait beaucoup, c'est tendre et ils sont drôles aussi.
07:25 - Pour moi, c'était important d'amener Casper vers une situation de fiction.
07:32 Alors que les faits décrits sont souvent très proches de la réalité.
07:38 Il y a des répliques qui sortent tout droit du quotidien.
07:41 Et c'est vrai que je tenais à lui donner la parole, à lui et aux autres.
07:46 Et le dernier mot de l'album, le mot fin, c'est lui-même qui l'a écrit.
07:52 Je voulais que Casper ait le dernier mot, alors qu'il ne sait ni lire ni écrire.
07:56 Mais je voulais, on lui a fait un modèle et il a écrit, il s'est vraiment appliqué
08:01 pour écrire le mot fin.
08:02 Donc oui, c'est Luc-et-Luc, mais c'est aussi un livre assez, même très intime.
08:07 - On vous y retrouve et on retrouve vos enfants.
08:10 Merci beaucoup, Bloch c'est déjà terminé.
08:13 Merci d'avoir été notre invité ce matin sur France Inter.
08:15 A lire donc votre hommage à Luc-et-Luc, l'album s'appelle "Les Indomptés".
08:20 C'est publié chez Dargaud.

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