Après la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre, RTL analyse la situation politique avec Jérôme Jaffré, politologue, chercheur associé au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po).
Regardez Le débat du 10 janvier 2024 avec Yves Calvi.
Regardez Le débat du 10 janvier 2024 avec Yves Calvi.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 8h22, bonjour Jérôme Jaffray.
00:08 Bonjour.
00:09 Vous êtes politologue, chercheur associé au Cevipof, le centre de recherche de la vie politique française.
00:13 Merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:14 Notre nouveau Premier ministre s'appelle donc Gabriel Attal, il a 34 ans, il est le plus jeune chef de gouvernement de la Ve République.
00:20 Que vous inspire ce choix Jérôme Jaffray ? Est-ce qu'il vous étonne ?
00:23 Écoutez, c'est le plus jeune Premier ministre chef de gouvernement de toute l'histoire de notre pays en réalité.
00:30 Quand on remonte même au début du 19e siècle, il n'y a pas de précédent d'un Premier ministre si jeune.
00:38 Donc ça déjà c'est évidemment un événement considérable.
00:41 Ce qui est intéressant si vous voulez politiquement, est-ce que ce choix étonne ?
00:45 Oui à certains égards, car c'est une rupture complète des conceptions d'Emmanuel Macron dans sa relation à la notion de Premier ministre.
00:52 D'habitude il cherchait quelqu'un d'inconnu, premièrement, et qui est une parfaite connaissance de l'administration française.
01:00 Voilà, Édouard Philippe venu du Conseil d'État, Jean Castex qui avait de la Cour des Comptes, Madame Borne, ancienne préfète.
01:08 Nous avions donc ces dimensions-là.
01:10 Avec Gabriel Attal c'est autre chose.
01:12 Et le Président de la République ne voulait pas d'un Premier ministre ayant un poids politique, une existence dans l'opinion.
01:20 C'était un inconnu des français qui à chaque fois arrivait.
01:23 Or là c'est l'un des connus les plus célèbres de France.
01:27 En quelques mois, Gabriel Attal était devenu quelqu'un d'extrêmement connu.
01:31 Donc c'est un vrai changement.
01:33 Et puis évidemment il y a l'âge.
01:35 C'est un problème ou pas ?
01:37 Alors en tout cas c'est considéré maintenant comme une vertu.
01:40 Et c'est un renversement inouï.
01:43 Autrefois, et même jusqu'à une date qui n'est pas si éloignée,
01:46 l'expérience était la condition d'accès au poste de Premier ministre.
01:50 C'est ce qu'on appelait autrefois le cursus honorum.
01:53 Le parcours que l'on menait tout au long de sa vie.
01:56 Et il fallait être passé par différentes cases.
01:59 On accédait plutôt vers la cinquantaine au poste de Premier ministre et pas à cet âge-là.
02:03 Mais c'est Emmanuel Macron qui a changé tout ça ?
02:05 Alors ça a changé.
02:07 C'est la notion de carrière politique qui aussi s'est profondément modifiée.
02:10 Il n'y a plus une notion de carrière politique.
02:12 C'est lié à la fois à la fin du cumul des mandats.
02:15 Donc vous ne passez pas par les cases "député-maire dans votre ville" etc.
02:20 Que Pierre Moroy, Jacques Chaban Delmas étaient des premiers ministres qui représentaient tout à fait cela.
02:25 Ça, ça n'existe plus comme dimension.
02:28 Et vous ne faites plus une carrière politique à la mi-terrain.
02:30 Par exemple sur 50 ou 60 ans.
02:32 Ça, ça n'existe plus.
02:34 Donc vous allez, par exemple, Emmanuel Macron, il va faire autre chose à partir de 2027.
02:38 Et sachez qu'en 2027, Emmanuel Macron il aura 47 ans.
02:42 Même pas, 46 ans.
02:44 Donc vous voyez bien qu'on change d'époque.
02:47 Alors c'est une vertu et c'est un risque aussi.
02:50 C'est un risque parce que le premier ministre, il a autorité sur l'ensemble de l'administration.
02:57 Sur les préfets et sur les ministres.
03:00 Et ça, l'autorité sur les ministres, ça va être une des batailles de Gabriel Attal.
03:04 Pourquoi ? Parce qu'une bonne partie d'entre eux ont plus d'expérience ?
03:07 Et surtout, vous voulez eux aussi entrer à Matignon ?
03:09 Tout ceux qui veulent entrer à Matignon, forcément vous avez beaucoup de déçus là-dedans.
03:15 Mais au-delà de ça, si vous voulez, à partir du moment où Gabriel Attal n'a pas au départ ce poids
03:21 pour gérer un gouvernement, qu'il doit le conquérir, il faut lester son gouvernement.
03:26 Qui va avoir lieu.
03:27 Et ce gouvernement qu'il faut lester, ça suppose de garder les grands ministres qui étaient là jusqu'à présent.
03:33 Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, même Sébastien Lecornu.
03:37 Nous sommes dans une situation où ceux-là peuvent lui dire
03:41 "Ce n'est pas toi qui nous a fait prince, même si tu es le premier maintenant."
03:46 Donc, nous nous adressons à Emmanuel Macron et pas à toi pour gérer directement les problèmes.
03:51 J'ai été très surpris qu'on dise qu'Emmanuel Macron, par exemple,
03:54 ait directement discuté avec Gérald Darmanin du fait qu'il resterait au gouvernement,
03:59 la place Beauvau, et que c'était une affaire acquise entre le président et le ministre de l'Intérieur.
04:04 - Ça veut dire que ça ne renforce pas le pouvoir de son premier ministre ?
04:06 - Voilà. Ça suit son premier ministre dans l'affaire.
04:10 Et donc, c'est un des problèmes d'Emmanuel Macron.
04:13 Il ne faut pas qu'il considère Gabriel Attal comme un junior qui est à ses côtés,
04:19 chargé un peu de meilleure communication avec les Français.
04:23 Progrès qui n'est pas impossible à concevoir par rapport à Mme Borne,
04:27 qui, quelles que soient ses très grandes qualités, n'avait pas cela comme spécialité.
04:30 - Alors, Attal ou pas, il reste une réalité qui s'appelle la majorité relative.
04:34 Est-ce que vous le croyez capable de créer des majorités d'idées notre nouveau premier ministre ?
04:39 - Non. Ma réponse est d'une extrême simplicité.
04:43 Non, il n'y aura pas d'élargissement.
04:46 Ce changement de gouvernement n'est pas conçu comme un élargissement.
04:51 C'est plutôt conçu comme la capacité de mener la bataille politique en vue des élections européennes.
04:56 On n'est pas du tout, du tout, dans le schéma de construire...
04:59 Et qui dit bataille politique des Européennes dit affrontement politique.
05:03 Et Gabriel Attal, il va donc avoir cette mission.
05:06 Les choses sont simples.
05:07 Tous les sondages disaient 10 points d'écart entre la liste du Rassemblement National
05:12 et la liste Macroniste pour les Européennes, ce que disent les sondages.
05:15 Si, le 9 juin prochain, l'écart s'est réduit à 5 points,
05:19 c'est contrat rempli pour Gabriel Attal.
05:22 Il a réussi.
05:23 Si l'écart reste de 10 points, on dit que ça n'a pas servi à grand-chose.
05:27 Et pour lui, pour Emmanuel Macron, je suppose,
05:30 le critère du succès, c'est déjà dans cette bataille politique.
05:33 On n'est donc pas dans l'élargissement de la majorité.
05:35 Vous venez de nous dire deux choses tout à fait intéressantes.
05:38 Et apparemment, contrat de victoire.
05:39 Vous nous dites que cette nomination est un événement considérable
05:42 et qu'en fait, il est là pour mener la campagne des élections européennes.
05:45 Alors, comprenez, je réduis votre propos, mais...
05:48 Ça va un petit peu au-delà de la bataille des Européennes.
05:51 Il s'agit au fond de reprendre de l'espace politique.
05:54 La Macronie s'était réduite extraordinairement ces derniers temps
05:59 en termes de sondage de popularité, en termes de capacité électorale
06:03 et en termes de risque de dissolution aussi.
06:06 S'il doit y avoir une dissolution à cause d'une motion de censure votée au Parlement,
06:09 il faut pouvoir affronter les urnes.
06:11 Vous avez besoin d'un leader politique pour mener une campagne.
06:14 C'est une démission manifestement confiée à Gabriel Attal.
06:17 Merci beaucoup.
06:18 [SILENCE]