Xerfi Canal a reçu Vincent Calvez, professeur à l’ESSCA et Directeur de l'Institut des Entreprises familiales, pour parler de la pensée collective.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonjour Vincent Kelvez.
00:10 Jean-Philippe Denis, bonjour.
00:12 Vincent Kelvez, vous êtes professeur à l'ESCA.
00:14 Vous êtes directeur de l'Institut des entreprises familiales.
00:18 Vincent Kelvez, le management en archipel, tome 2, réussite, tension et paradoxe dans
00:23 les organisations.
00:24 Après un tome 1 dont le sous-titre était extraordinaire, je le recherche, crise, tabou
00:34 et non-dit.
00:35 Management en archipel.
00:37 Vincent Kelvez, le tome 1 c'était 2007.
00:40 Exactement, pas de tabou entre nous alors.
00:41 Non, pas de tabou.
00:42 Oui, c'était en 2007 et puis le troisième est aussi en préparation.
00:48 Maintenant, pourquoi ce titre ? Le titre c'est un peu un écho à un poète qui avait
00:54 écrit « La parole en archipel » René Char, que j'aime beaucoup.
00:58 Et je me suis dit finalement, le management c'est plein de petits îlots, de hauts fonds,
01:03 de territoires à découvrir et à l'aide des incidents critiques qui sont dans le fond
01:07 des petites histoires toutes simples mais réelles et avec un fort impact.
01:12 On propose ces moments de réflexion aux étudiantes et aux étudiants pour leur faire mieux connaître
01:20 finalement ces organisations qui sont complexes et également, je dirais, qui ne sont pas
01:28 abordées suffisamment dans leur côté plus, j'ose pas dire sombre, mais quand même
01:35 un petit peu.
01:36 Crise, tabou et non-dit.
01:37 Les tabous, on n'en parle pas, les non-dits non plus, donc notre travail de professeur,
01:42 je le conçois comme un travail aussi d'élucidation, d'honnêteté et donc accueillir toute la
01:48 complexité de ces organisations et proposer ça, je dirais pas en pâture aux étudiants,
01:53 mais pour leur plus grand bonheur, pour le bonheur de la discussion.
01:55 Vous étudiez des situations de gestion au sens de Jacques Girin.
01:59 Exactement, ça a été mon directeur de thèse durant une partie de ma thèse.
02:02 Au centre de recherche en gestion de l'école polytechnique.
02:04 Alors, c'est passionnant, ces fameux incidents critiques, et vous filez montagne, vous dites
02:13 enseigner ce n'est pas remplir un vase, c'est allumer un feu.
02:15 Et donc vous allumez des feux avec les incidents critiques.
02:19 C'est vrai que c'est plus facile de remplir un vase pour certains profs, c'est-à-dire
02:23 le powerpoint est là, on clique et surtout on parle.
02:28 Le principe de l'incident critique, c'est s'effacer en tant que professeur un petit
02:32 peu, donner la parole aux étudiants et surtout je dirais créer ce climat, créer ce contexte
02:39 et ne pas les juger.
02:40 Si les étudiants savent qu'ils sont jugés, eh bien ils vont parler en fonction de ce
02:46 qu'ils pensent, que le professeur attend, donner la bonne réponse.
02:49 Moi, je ne veux pas des bons élèves, je veux qu'ils soient eux-mêmes et qu'ils donnent
02:54 vraiment le fond de leur pensée sur des situations des fois extraordinairement complexes qui
02:59 donnent du fil à retordre finalement aux managers.
03:02 Parce que des fois, c'est les managers qui me les confient ou qui m'en écrivent.
03:07 Donc, si vous voulez, je pourrais vous en donner un seul ou deux.
03:13 Donc, voilà, politique d'inclusion dans une grande entreprise mondialisée, des emplois
03:20 sont réservés en priorité à trois catégories de personnel, des militaires sortis du rang,
03:26 sans diplôme, des chômeurs de longue durée et des anciens détenus.
03:29 Et un ancien détenu est embauché, tout se passe très bien, bonne intégration, bon
03:37 esprit d'équipe, jusqu'à un soir où dans un pub, on lui demande « et toi, pourquoi
03:43 tu as fait de la prison ? » et il dit « pour viol ».
03:45 Traîné de poudre dans l'entreprise, plus personne ne veut travailler avec lui et on
03:50 demande au directeur du site de le licencier.
03:53 Et le directeur du site dit « je n'ai aucune raison, il vous a dit la vérité, il a purgé
03:57 sa peine, il fait du bon travail, il a un bon esprit d'équipe, je n'ai aucune raison
04:01 de le licencier ». Et le ton monte, le cas s'arrête et on demande aux étudiants « que
04:06 faire ? ». Et là, évidemment, nous avons affaire à leur affect, leur prise de position,
04:12 leur valeur et c'est là-dessus que le professeur doit travailler, non pas pour leur dire « tu
04:17 as raison, tu as tort », mais pour leur montrer finalement, quand on aborde après la conclusion
04:21 de l'incident, où on apprend que l'employé a été licencié, là où on travaille après
04:28 sur finalement c'est quoi l'inclusion ? Comment se construit une politique de diversité ? Comment
04:33 on informe les gens qui vivront avec ces personnalités différentes ?
04:38 Donc le travail du prof, vous voyez, c'est essayer de ne pas être en retard d'une guerre
04:43 et de répéter la même chose.
04:45 On peut répéter des choses, il y a des théories qui tiennent toujours la route 10, 20, 30,
04:49 50 ou 100 ans.
04:50 Mais je ne veux pas être trop en retard par rapport à tous ces incidents critiques, ces
04:54 situations ambivalentes qui font le sel de la pratique du manager, mais auxquelles nous
05:01 devons préparer nos étudiants.
05:03 Donc je les recueille avec plaisir, on m'en écrit, j'écoute des managers me parler des
05:08 difficultés, des beautés de leur métier.
05:10 Et des fois je me dis « tu sais quoi, il faudrait qu'on écrive un cas là-dessus ».
05:13 Et on rigole ensemble, et donc on écrit.
05:15 Voilà à peu près ce qui guide ce plaisir d'enseigner, ce plaisir d'enseigner qui
05:22 doit être aussi nourri.
05:24 Ça fait plus de 30 ans que j'enseigne, j'ai commencé à HEC Montréal, et puis je pense
05:28 que le plaisir peut être communicatif parce que finalement les étudiants réagissent,
05:34 ce sont des éponges aussi.
05:35 S'ils voient que le professeur a une envie, un intérêt sincère à les inviter, c'est
05:40 une invitation au débat, et ils vont entrer dans la danse si j'ose dire.
05:45 Et puis cette émotion que l'on peut ressentir à la fois à la lecture d'un incident, ou
05:51 en le rédigeant, ou en l'animant, finalement cette émotion je dirais bienveillante peut
05:58 les accompagner et peut générer les leurs.
06:01 Des incidents singuliers, des réflexions générales aussi et notamment autour de l'éthique.
06:08 Le management en archipel, tome 2, réussite, tension et paradoxe dans les organisations,
06:13 édition EMS.
06:14 Merci Vincent Calves.
06:15 Merci, merci Jean-Philippe.
06:17 [Musique]
06:23 [SILENCE]