• il y a 10 mois
Physionomie de l’acteur·ice en avatar vidéoludique. Cours de cinéma par Guillaume Grandjean, universitaire et critique vidéoludique.

Ces dernières années ont vu fleurir l’incursion des corps d’acteur·ices dans le monde des avatars de jeu vidéo : quels sont les enjeux de cette intrusion transmédiatique pour le design et l’expérience de jeu ?

Dans le cadre de la programmation Acteurs, Actrices & Avatars.

https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/acteurs-actrices-avatars

---

Le Forum des images : au centre de Paris, bat le cœur du 7e art !
Rencontres exceptionnelles, cours de cinéma et conférences, festivals… un concentré du meilleur de ce qui se passe toute l’année au Forum des images.

Toute la programmation : http://www.forumdesimages.fr/
@forumdesimages et #forumdesimages
Transcription
00:00:00 J'en profite pour remercier toute l'équipe du Forum des images de m'avoir réinvité,
00:00:15 aussi bien les programmatrices que l'équipe technique qui s'occupe de la captation.
00:00:18 Merci beaucoup.
00:00:19 Et merci à vous tous et toutes d'être venus ce soir pour réfléchir avec moi à cette
00:00:24 question, à cette épineuse question, et comme Muriel l'a rappelé, dont je ne suis pas
00:00:30 directement spécialiste.
00:00:31 Donc évidemment j'ai fait ma thèse sur le jeu vidéo, mais ma thèse portait sur la
00:00:35 construction des espaces navigables dans le jeu vidéo et en particulier dans la série
00:00:39 Zelda, série qui n'est pas spécialement connue pour l'incursion d'acteurs ou d'actrices
00:00:46 en son sein.
00:00:47 Donc je suis un peu sorti de mes sentiers battus, mais j'ai pris beaucoup de plaisir
00:00:52 à travailler sur cette présentation.
00:00:54 J'ai appris beaucoup de choses, j'espère que vous en apprendrez aussi quelques-unes
00:00:57 ce soir, et surtout j'ai très hâte de la discussion qui suivra la présentation parce
00:01:02 que j'ai envie d'avoir vos impressions, vos réflexions, vos retours d'expérience,
00:01:06 aussi vous qui êtes peut-être joueurs et joueuses de jeux vidéo.
00:01:10 Donc, à défaut de Kenny Reeves, j'ai quand même affiché son portrait ici sur ma première
00:01:18 slide, et on va rentrer de plein pied dans cette question des incursions, des intégrations
00:01:26 d'acteurs et d'actrices dans le jeu vidéo.
00:01:29 Je vais vous parler un petit peu de mon processus et du plan que l'on va suivre ce soir.
00:01:36 Effectivement, la première chose à laquelle on pense quand on pense incursion, intégration
00:01:41 d'acteurs et d'actrices dans le jeu vidéo, c'est à ça.
00:01:44 Enfin, je pense.
00:01:45 C'est la première chose à laquelle on pense aujourd'hui en 2024, c'est-à-dire la performance
00:01:50 capture, la motion capture, etc.
00:01:52 Mais moi, je vais essayer de prendre un petit peu par surprise cette question et de procéder
00:01:58 à un petit travail d'archéologie des techniques pour montrer qu'en réalité, l'intégration
00:02:03 des acteurs et actrices de cinéma dans le jeu vidéo a pris des formes très variées,
00:02:10 très diverses dans l'histoire du médium et que cela ne commence pas avec la performance
00:02:17 capture.
00:02:18 Loin de là, on va remonter loin dans le temps et ça va nous permettre de nous poser des
00:02:23 questions sur qu'est-ce qu'un acteur, qu'est-ce qu'une actrice, qu'est-ce qu'un avatar et
00:02:31 quelles sont les techniques mobilisées pour les faire advenir dans le monde du jeu vidéo.
00:02:35 On va commencer par un petit temps historique, disons, de ce que j'ai appelé archéologie
00:02:39 des techniques et on va se pencher ensuite sur non seulement les raisons qui poussent
00:02:45 les studios de jeux vidéo à intégrer des acteurs et des actrices à leur jeu.
00:02:50 Il y en a certaines que vous pouvez anticiper facilement, mais on va essayer de complexifier
00:02:56 la question.
00:02:57 Et puis aussi l'impact que cette intégration a sur le jeu vidéo à divers degrés, aussi
00:03:05 bien un impact sur les mécaniques de jeu, s'il y en a, et c'est pas évident, on va
00:03:11 voir, impact bien entendu sur l'économie du jeu vidéo et sur l'industrie dans son
00:03:16 ensemble et puis aussi impact sur l'expérience de jeu.
00:03:19 Mais on verra ça dans un deuxième temps.
00:03:22 Donc tout d'abord, une petite étape historique d'archéologie des techniques que j'ai découpée
00:03:29 elle-même en trois moments avec des titres un peu paradoxaux, un peu provocateurs, mais
00:03:34 j'espère que ça va s'éclairer au fur et à mesure.
00:03:37 On va voir d'abord les images, ce que j'ai appelé les images sans corps, ensuite les
00:03:42 corps sans images et ensuite les corps et images.
00:03:45 On va essayer de réconcilier nos deux pôles au terme de ce premier moment.
00:03:50 Mais avant toute chose, et attachez vos ceintures, j'espère que vous êtes bien installés,
00:03:54 je vais vous présenter en avant-première la première incursion, la première apparition
00:04:01 d'un acteur, d'une actrice de cinéma dans un jeu vidéo.
00:04:04 J'espère que vous êtes prêts, le jeu est évidemment de reconnaître de qui il s'agit.
00:04:07 3, 2, 1, c'est parti.
00:04:09 Donc évidemment c'est très clair, il s'agissait évidemment de Bruce Boxleitner, en l'occurrence
00:04:19 l'acteur qui joue le personnage d'Alan Bradley dans le film Tron de 1982.
00:04:27 Alan Bradley qui, je le rappelle, dans le film, a lui-même un avatar à l'intérieur
00:04:33 du monde numérique de la fiction qui porte le nom du film, en l'occurrence Tron.
00:04:40 Ici l'image que je vous ai sortie, il s'agit d'une capture d'écran du jeu adapté du
00:04:49 film, Tron Deadly Discs, développé et publié par Mattel, qui à l'époque avait sa propre
00:04:55 console de jeu, la Mattel Intellivision.
00:04:57 Donc on est en 1982, la même année que la sortie du film de Disney et vous allez me
00:05:04 dire, et vous aurez raison, mais Guillaume, tu triches.
00:05:08 Puisque là, ce que l'on voit à l'écran, ce n'est certainement pas l'acteur, ce n'est
00:05:12 certainement pas Bruce Boxleitner, c'est évidemment le personnage qu'il incarne dans
00:05:18 le film, qui a été bon en mal en reproduit dans le moteur du jeu.
00:05:24 Donc effectivement il s'agit du petit personnage orange là.
00:05:27 Alors un petit mot sur ce jeu, de quoi il s'agit ? Je ne sais pas si il y en a parmi
00:05:31 vous qui ont eu la chance de jouer à Tron Deadly Discs ? Oui, je m'en doutais.
00:05:37 Moi non plus, je ne l'ai pas joué évidemment.
00:05:40 De quoi il s'agit ? Il s'agit d'un jeu qui est extrapolé d'une très brève séquence
00:05:47 du film, durant laquelle, si vous vous souvenez, des personnages jouent à un espèce de sport
00:05:53 on va dire, qui consiste à lancer des disques de lumière les uns sur les autres, pour faire
00:06:01 disparaître en quelque sorte ces adversaires.
00:06:04 Et donc le jeu consiste en ça, vous incarnez un petit personnage qui, armé de son disque,
00:06:09 c'est le petit pixel jaune qu'il a dans la main, doit viser ses adversaires, c'est
00:06:13 les petits personnages en bleu clair que vous voyez au milieu de l'écran, pour les éliminer.
00:06:17 Et le jeu ne consiste qu'en ça.
00:06:20 Alors il est relativement élaboré en réalité pour l'époque, le disque vous revient dans
00:06:24 la main, il agit un peu comme un boomerang, les ennemis sont de plus en plus coriaces,
00:06:29 il y a de l'intelligence artificielle, etc.
00:06:30 C'est au-dessus de la moyenne de ce à quoi on pouvait jouer sur la Mateline Télévision
00:06:36 à l'époque.
00:06:37 Mais l'objection demeure, il ne s'agit pas ici de l'acteur, il s'agit évidemment
00:06:43 de son personnage.
00:06:44 Le problème, c'est que le jeu lui-même entretient la confusion sur le statut de
00:06:52 ce corps virtuel d'une dizaine de pixels qu'il représente.
00:06:59 En effet, je vais vous montrer une petite image de la jaquette du jeu, c'est clairement
00:07:07 Bruce Boxleitner qui est dessiné sur la jaquette du jeu, enfin je crois.
00:07:11 On pourrait mettre ça sur le compte de ses représentations génériques d'homme blanc
00:07:15 de 35 ans, mais en même temps vous avez un autre personnage en bas dans son armure rouge
00:07:20 qui lui a des traits beaucoup plus marqués et qui ne ressemble absolument pas à l'acteur
00:07:25 en question.
00:07:26 Donc la jaquette du jeu entretient elle-même la confusion, à savoir est-ce que c'est
00:07:30 le personnage, est-ce que c'est simplement le personnage de Tron, d'Alan Bradley,
00:07:35 ou est-ce que c'est véritablement l'acteur ? Et tout ça, ça nous ramène…
00:07:38 ça nous… ça nous… ça… comment dire… contribue à nous poser plein de questions.
00:07:43 Qu'est-ce que ça veut dire exactement, intégrer un acteur ou une actrice dans un
00:07:48 jeu vidéo ? Alors j'ai épluché le manuel du jeu pour voir s'il était quelque part
00:07:53 fait mention de Bruce Boxleitner, la réponse est non.
00:07:56 D'ailleurs je pense très sincèrement que Bruce Boxleitner n'avait aucune idée que
00:08:02 ce jeu existe.
00:08:03 Néanmoins c'est un jeu officiel, comment dire, licencié par Disney, vous avez la
00:08:09 petite mention tout en bas à gauche de la jaquette qui dit que ce jeu est basé sur
00:08:13 le film de Disney, qui détient les droits à l'image de l'acteur et qui l'a mis
00:08:19 à disposition des équipes de Mattel.
00:08:23 Donc à partir de quand est-ce qu'on détermine qu'un acteur ou une actrice apparaît dans
00:08:28 un jeu vidéo ? À partir de quand ces apparitions-là comptent pour notre propos ? Est-ce qu'il
00:08:32 faut que l'acteur soit conscient de son apparition dans le jeu ? Ça me semble être la moindre
00:08:37 des choses mais en réalité pourquoi ? Est-ce qu'il faut que l'acteur ait activement
00:08:42 participé au développement du jeu, qu'il se soit investi dans le développement, qu'il
00:08:47 ait fourni une performance spécifique qui donnerait lieu à son intégration dans le
00:08:52 jeu vidéo ? Là aussi j'ai envie de dire pourquoi.
00:08:56 Est-ce qu'il faut que le jeu vidéo se fonde sur une performance antérieure de l'acteur
00:09:01 dont il reprendrait des marqueurs, des images ou d'autres éléments ? Éventuellement
00:09:08 mais cette pratique-là que vous avez sur la jaquette du jeu qui consiste à entretenir
00:09:12 la confusion entre est-ce que c'est l'acteur et est-ce que c'est le personnage, le problème
00:09:16 c'est qu'elle était extrêmement fréquente à l'époque.
00:09:18 Et je vais vous montrer une autre jaquette de jeux vidéo de l'époque, qui est plus
00:09:21 connue ça pour le coup, je pense qu'il y en a certains et certains d'entre vous qui
00:09:24 l'ont déjà croisée, c'est la jaquette du jeu Contra, développée par Konami, qui
00:09:30 est un petit peu plus récent, qui est parue en 1987 sur NES, sur laquelle on reconnaît
00:09:35 clairement, là pour le coup, deux acteurs, Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone.
00:09:41 Pourtant, il y en a peut-être parmi vous qui le savent, mais le jeu Contra n'adapte
00:09:47 aucun film existant, c'est-à-dire qu'il n'y a aucun film en 1987 qui s'appellerait
00:09:52 Contra ou même n'importe quoi d'autre et qui mettrait en scène les deux acteurs,
00:09:59 Arnold Schwarzenegger et Stallone.
00:10:01 Donc là c'est encore plus pervers, c'est-à-dire que le jeu intègre des acteurs à partir
00:10:08 d'un film qui n'existe pas, qui l'invente de toutes pièces, mais néanmoins les acteurs
00:10:14 sont là.
00:10:15 Ce qui m'intéresse dans cet exemple là, bon déjà c'est pour montrer que la question
00:10:19 est plus compliquée qu'elle n'y paraît, ensuite qu'elle est plus ancienne qu'elle
00:10:23 n'y paraît et enfin que déjà on voit apparaître une première technique d'intégration
00:10:32 des acteurs et actrices dans le jeu vidéo.
00:10:35 Et cette technique, je reviens à mon premier écran, elle consiste simplement dans la
00:10:41 recréation de modèles, en l'occurrence ici en deux dimensions, sous leur forme la
00:10:47 plus rudimentaire qui soit, mais ça peut être de modèles éventuellement en trois
00:10:50 dimensions, qui adoptent l'apparence, plus ou moins, de l'acteur en question.
00:10:57 C'est-à-dire qu'on va construire numériquement un avatar, qui va adopter les traits physiques,
00:11:03 qui va présenter une ressemblance physique quelconque avec l'acteur qu'on essaie de
00:11:09 représenter.
00:11:10 Mais donc c'est une création de toutes pièces.
00:11:11 Cette technique là, c'est une technique qui a été énormément utilisée dans le
00:11:19 jeu vidéo des années 80, dans le jeu vidéo des années 90, lorsqu'il s'agissait de
00:11:22 faire apparaître des acteurs et des actrices à l'écran.
00:11:24 Je vous donne un autre exemple, alors là pour le coup complètement pris au hasard,
00:11:28 mais qui va me permettre de développer quelques petits points intéressants, qui est le jeu
00:11:32 Wayne's World, développé par Grey Matter en 1993.
00:11:38 Là je crois que c'est la version Megadrive, il me semble, qui reproduit dans ses personnages
00:11:46 ce qu'on appelle les sprites, les petits modèles en deux dimensions qui font office
00:11:52 de personnages, qui reproduit explicitement l'apparence des deux acteurs du film dont
00:11:59 le jeu est adapté, en l'occurrence Wayne's World, de Penelope Spheris, paru un an plus
00:12:05 tôt en 92, donc on reconnaît très clairement à l'image les traits physiques des acteurs
00:12:10 Mike Myers et Dana Carvey.
00:12:13 Ici le procédé de recréation est encore plus visible, parce que la technique utilisée
00:12:19 c'est littéralement la caricature.
00:12:21 Là vous voyez le visage des deux acteurs, et redessinés, leurs traits sont exagérés,
00:12:32 comme on le ferait dans une caricature, ils ont des têtes disproportionnées par rapport
00:12:35 à leur corps, et donc ils sont recréés sous la forme de sprites en deux dimensions
00:12:41 pour être intégrés au jeu.
00:12:42 Donc là on a un exemple qui est parfaitement légitime, puisque le jeu est adapté du
00:12:49 film, les acteurs sont parfaitement reconnaissables, identifiables, et là je suppose que Mike
00:12:56 Myers et Dana Carvey sont au courant qu'il a existé un jeu qui les représente.
00:13:01 Donc première technique, la recréation de toute pièce de modèle en deux dimensions
00:13:06 ou en trois dimensions.
00:13:07 Rapidement, les studios de développement vont se rendre compte, vont passer à la
00:13:15 vitesse supérieure, et vont se rendre compte qu'il est possible d'intégrer au moteur
00:13:21 du jeu des images en prise de vue réelle, après les avoir passées à la moulinette
00:13:31 de la digitalisation.
00:13:33 Le premier jeu apparemment à intégrer des images réelles digitalisées, il s'agit
00:13:43 du jeu Journey, alors rien à voir avec le fleuron du jeu indépendant des années 2010,
00:13:50 pas du tout, il s'agit d'un jeu d'arcade publié par Midway Games en 1983, et alors
00:13:56 c'est pas forcément très facile à voir, si là on le voit un peu mieux sur le grand
00:14:00 écran, mais donc vous voyez, vous avez ces cinq petites têtes qui sont en réalité
00:14:06 des photos, en noir et blanc, qui ont été ultra compressées, digitalisées, pour être
00:14:13 intégrées au sein d'un environnement numérique, donc une espèce de background en 3D.
00:14:18 Alors le jeu consiste en quoi ? C'est une espèce de jeu de puzzle, vous contrôlez
00:14:23 les petits personnages à travers des niveaux pour récupérer des petits objets, puis revenir
00:14:28 à votre point de départ, bon bref.
00:14:31 Et donc il met en scène, enfin il met en scène, oui, il met en scène les membres
00:14:35 du groupe Journey, qui était un groupe de métal des années 80, bon voilà.
00:14:41 Alors vous allez me dire "les membres du groupe Journey ne sont pas des acteurs, pour
00:14:44 en parler, hein, bon, soit", mais les studios de jeux vidéo vont s'emparer de cette technique,
00:14:50 de cette technologie, de l'image digitalisée, pour produire des représentations, des incarnations
00:14:58 les plus proches possibles de l'image réelle et de l'image cinématographique des acteurs
00:15:05 et des actrices qu'ils veulent intégrer.
00:15:06 Par exemple là on va faire un petit saut dans le temps de 10 ans, et vous allez voir
00:15:10 à quel point tout de suite la technologie a évolué.
00:15:14 Là par exemple, on est dans le jeu, encore un jeu d'arcade, Terminator 2 Judgement Day,
00:15:22 développé par Midway en 91, qui est directement adapté du film de Cameron de 1991, et donc
00:15:29 là vous voyez au premier plan, alors c'est un rail shooter, c'est à dire un jeu dans
00:15:32 lequel vous aviez un pistolet en plastique et vous deviez tirer sur l'écran pour éliminer
00:15:35 les ennemis qui apparaissaient devant vous, et donc là vous voyez sur l'écran de jeu,
00:15:40 vous avez la photo, en quelque sorte, de l'acteur Robert Patrick, directement, alors pas directement,
00:15:47 extraite du jeu, parce qu'en réalité on lui a demandé de refaire une petite séance
00:15:52 photo pour l'occasion, mais c'est la même technique que celle du jeu précédent, à
00:15:58 savoir The Journey, c'est à dire qu'il s'agit de photographie digitalisée, alors là, dans
00:16:03 mon souvenir du jeu d'arcade, on a quelques photos avec différentes poses qui se succèdent
00:16:08 pour donner une illusion de mouvement, mais il s'agit ici strictement de la même technique.
00:16:13 On voit apparaître ici un premier fil rouge, qui est évident, mais en même temps c'est
00:16:21 bien de le mettre en évidence parce qu'on va en reparler, qui tient aux stratégies
00:16:29 de transmédialité.
00:16:31 Évidemment, beaucoup d'exemples que je vais mobiliser ce soir, mais pas que, concernent
00:16:37 des jeux vidéo qui sont eux-mêmes adaptés de films, ou oui, principalement de films
00:16:44 de cinéma, et qui donc se servent de l'image des acteurs et des actrices pour renforcer
00:16:53 la parenté entre les deux oeuvres, et puis convaincre ceux qui ont aimé le film de se
00:16:59 jeter sur le jeu et de l'acheter.
00:17:02 On va continuer, et je vais vous montrer cette fois-ci une petite vidéo d'un jeu beaucoup
00:17:10 plus connu, qui me semble être un cas d'école particulièrement intéressant, parce qu'il
00:17:15 mélange plusieurs techniques qu'on a évoquées précédemment, et d'une façon particulièrement
00:17:20 originale, particulièrement retorse.
00:17:23 Donc je vais lancer la petite vidéo et je me taire.
00:17:25 *Générique*.
00:17:32 Alors, on va commencer par un petit exemple.
00:17:59 *Générique*.
00:18:28 Donc vous l'aurez reconnu, pour ceux et celles qui y ont joué, il s'agit évidemment
00:18:56 de GoldenEye 007, du studio Rare, paru sur Nintendo 64 en 1997, qui, comme dans les exemples
00:19:06 précédents, accompagne la sortie du film GoldenEye, donc de la série James Bond, bien
00:19:12 sûr.
00:19:13 Et vous avez vu apparaître à l'écran ces personnages en trois dimensions, avec leur
00:19:21 visage bizarre, et vous vous demandez un peu, probablement, quelle est cette diablerie,
00:19:26 et je vais expliquer un petit peu, parce que ça mobilise des techniques qui sont intéressantes.
00:19:30 Ce que les développeurs de GoldenEye ont fait, c'était pas forcément les premiers
00:19:34 à le faire, mais c'est sans doute l'exemple le plus célèbre, c'est qu'ils ont eux aussi
00:19:40 récupéré des images réelles, des photographies digitalisées, qu'ils ont digitalisées,
00:19:46 des photographies souvent tirées du film original, qu'ils ont étalées et qu'ils
00:19:53 ont ensuite enveloppées, comme une sorte de papier cadeau, sur des modèles 3D, sur
00:19:59 des visages lisses, qui ne présentaient aucun trait distinctif, pour leur donner cette apparence
00:20:08 qui est à la fois un peu dérangeante, on a l'impression effectivement de reconnaître
00:20:14 des personnes réelles, des acteurs, on a vaguement l'impression de voir Pierce Brosnan,
00:20:19 on a vaguement l'impression de voir Sean Beam, etc.
00:20:22 Mais avec cette espèce de surcompression de l'image imposée par les supports de l'époque,
00:20:31 parce que les cartouches de 1964 étaient très chiches en mémoire, et donc ils leur
00:20:39 donnent cet aspect un petit peu distordu, un petit peu déformé.
00:20:43 Là je vous ai mis deux images, la première tirée de la petite vidéo que je vous ai
00:20:48 montrée, qui est une sorte de générique qui se déclenche à la fin du jeu, je crois,
00:20:55 et une autre capture qui est prise du jeu lui-même, en l'occurrence de la première
00:21:00 mission, et vous remarquez quelque chose immédiatement, c'est qu'il s'agit de la même personne,
00:21:04 visiblement.
00:21:05 Il s'agit de la même photo qui a été digitalisée, enveloppée sur deux corps différents, un
00:21:12 soldat de l'armée russe en haut, et puis une sorte d'œuf scientifique en bas, et
00:21:17 ça nous met sur une autre piste, qui est qu'on se rend bien compte ici qu'on a affaire
00:21:24 à ce que j'ai appelé une sorte d'ontologie de l'interchangeabilité, qui est que le
00:21:29 problème du jeu vidéo est évidemment que vous avez beaucoup de personnages qui vont
00:21:35 remplir des fonctions diverses, et en réalité, comme cette technique le montre, ce que vous
00:21:42 leur enveloppez sur la tête ne fait pas grande différence.
00:21:46 En l'occurrence ici, que cette personne avec son bouc soit un soldat russe ou un scientifique,
00:21:55 le lien avec son existence réelle n'a pas d'importance, c'est une image qui est parfaitement
00:22:02 interchangeable.
00:22:03 Et ça bien sûr, ça pose un problème, parce qu'en réalité, normalement, l'intérêt
00:22:10 d'un acteur ou d'une actrice célèbre, c'est justement d'être une icône, c'est
00:22:14 d'être un individu, un sur-individu en quelque sorte.
00:22:18 A partir du moment où on peut le calquer, le développer sur à peu près ce qu'on
00:22:24 veut, il y a une sorte de conflit qui s'opère.
00:22:27 Alors vous allez peut-être me demander qui est cette personne, et bien en fait il s'agit
00:22:32 d'un des développeurs du jeu, David Dawke, qui était un des développeurs de Golden
00:22:36 Eye 007.
00:22:37 Et la personne qui s'occupait justement de la digitalisation des images et de la création
00:22:44 des personnages explique en interview qu'une fois qu'ils ont récupéré les photos de
00:22:50 Pierce Brosnan, Sean Beam, etc. et des autres acteurs et actrices du film, il leur restait
00:22:55 une armée de personnages à habiller pour lesquels il n'avait aucune image disponible.
00:23:01 Et on est en 97, il n'y a pas de banque d'images, il n'y a pas internet, etc.
00:23:04 Donc qu'est-ce qu'ils ont fait ? Ils ont photographié tous ceux qui passaient dans
00:23:07 les studios, donc vous avez toute l'équipe de développement, vous avez les compagnons,
00:23:11 les compagnes des membres du studio, les enfants qui passaient par là, etc. qu'on a ensuite
00:23:16 mappé sur des modèles en trois dimensions.
00:23:19 Donc David Dawke n'est pas un acteur à proprement parler, quoique, on ne sait pas, mais en tout
00:23:24 cas il se retrouve, son visage se retrouve dans le jeu Golden Eye au même titre que
00:23:30 Pierce Brosnan et les autres.
00:23:32 Ce qui est intéressant avec Golden Eye 007, cette anecdote là elle est relativement connue,
00:23:37 mais ce qui est intéressant avec ce jeu c'est que ça va me permettre aussi de produire
00:23:40 une transition avec notre prochaine étape, parce que, et ça c'est quelque chose d'un
00:23:45 peu moins connu, mais Golden Eye utilise également une version archaïque du processus de motion
00:23:54 capture.
00:23:55 C'est peut-être pas quelque chose qui est évident lorsque l'on joue au jeu, mais en
00:24:00 réalité les animations des corps des personnages, alors cette fois-ci non jouables, et en particulier
00:24:07 des ennemis, sont basées sur des données extraites de séances de motion capture.
00:24:16 Là vous avez une photo d'une actrice qui est en combinaison et qui a réalisé des
00:24:23 mouvements dont les données ont été récupérées pour les animations des ennemis.
00:24:27 Alors de quelles animations on parle ? On parle des animations lorsque vous tirez sur
00:24:31 un soldat par exemple, si vous lui tirez dans le bras il va se tenir le bras, si vous lui
00:24:35 tirez dans le ventre il va se plier en deux, si vous le tuez il va tomber de façon très
00:24:41 théâtrale, et tout ça a été fait a priori à partir de données extraites de la performance
00:24:45 capture.
00:24:46 Ce qui est intéressant avec cette combinaison là que vous voyez à l'écran, c'est qu'il
00:24:52 s'agit d'une technique un peu archaïque puisque c'était une motion capture qui était
00:25:00 réalisée à partir de capteurs électromagnétiques.
00:25:04 C'est à dire qu'en fait tous les câbles qui sont branchés à sa combinaison sont
00:25:09 branchés aussi à une machine qui récupère les données en temps réel, donc les variations
00:25:15 de courant pour en déduire des positions et des mouvements.
00:25:17 Donc on n'est pas encore dans la motion capture à base de capteurs lumineux qui sont enregistrés
00:25:25 par caméra numérique, mais dans une version plus ancienne et qui notamment forçait la
00:25:32 comédienne dans l'occurrence ici à rester très très statique en réalité, ce qui est
00:25:37 paradoxal, mais elle ne pouvait pas trop bouger, elle ne pouvait pas trop se déplacer dans
00:25:41 l'espace.
00:25:42 Il s'agissait d'animations qui devaient être un mètre cube si vous voulez, parce
00:25:48 que sinon elle arrachait les câbles derrière elle et ça ne fonctionnait pas.
00:25:52 Ce qui est intéressant avec cet exemple là, c'est que déjà on se rend compte de quelque
00:26:00 chose, c'est qu'on a en quelque sorte des acteurs et des actrices de tête, c'est à
00:26:05 dire Pierce Brosnan etc, desquels on récupère l'image du visage pour la coller sur des
00:26:12 modèles en trois dimensions, et on a des acteurs de corps qui eux, dont les spécificités
00:26:19 visuelles, l'apparence etc, ne vont pas être intégrés visuellement au jeu, mais
00:26:24 uniquement les mouvements, uniquement la corporealité.
00:26:27 Et donc ce qui veut dire qu'il y a certains, là je vous parlais de personnages non joueurs,
00:26:33 de soldats au hasard qu'on élimine au cours des missions, mais ce qui veut dire aussi
00:26:39 qu'il y a certains cas, notamment lorsque vous affrontez des personnages principaux
00:26:43 du jeu, ou vous affrontez des ennemis qui ont la tête en image digitalisée d'un acteur
00:26:53 célèbre, réel, mais qui ont le corps dont les animations, les mouvements ont été enregistrés
00:26:58 à partir de quelqu'un d'autre.
00:27:00 Donc on a une espèce d'ontologie hybride dans ces individus vidéoludiques, ils sont
00:27:07 littéralement le fruit de la rencontre de deux corps distincts qui viennent s'assembler
00:27:13 pour fournir une seule et unique ontologie.
00:27:19 Donc je vais m'arrêter là pour la question de ce que j'ai appelé les images sans corps,
00:27:24 même si vous voyez qu'ici on est du coup à la limite, puisqu'il y a bien un corps,
00:27:28 le seul problème c'est qu'en réalité il n'appartient pas à la bonne personne.
00:27:31 On va transitionner vers un autre point important qui est la question des corps sans images.
00:27:37 Et la question des corps sans images, évidemment c'est quoi, et malheureusement je ne vais
00:27:41 pas forcément pouvoir m'étendre trop sur le sujet, on va juste l'évoquer parce
00:27:45 qu'il me semblait que c'était quand même important, c'est tout ce qui concerne le
00:27:50 doublage, ce qu'on appelle le voice acting, puisque vous avez littéralement une performance
00:27:54 corporelle qui est faite, qui est jouée, le seul chose c'est qu'elle est intégrée
00:28:00 à l'intérieur d'un jeu dans lequel l'apparence de la personne n'apparaît à aucun moment.
00:28:07 Je vais vous montrer le premier jeu vidéo à intégrer de la synthèse vocale, il s'agit
00:28:16 d'un jeu d'arcade qui s'appelle Stratovox de 1980, développé par Sun Electronics,
00:28:23 et là aussi il va falloir être très très attentif, je vous mets au défi d'essayer
00:28:28 de me restituer ce que raconte la voix dans cet extrait, donc c'est parti.
00:28:33 Alors c'est deux des trois lignes vocales qui sont présentes dans le jeu, la première
00:29:00 je crois que c'est "Help me", on peut la réécouter.
00:29:04 La deuxième honnêtement j'ai aucune idée, je crois entendre "under attack" peut-être,
00:29:19 "we're under attack", quelque chose comme ça, je ne suis pas tout à fait sûr, mais
00:29:23 il s'agit ici de la première exemple de synthèse vocale utilisée dans le jeu vidéo.
00:29:29 Je vous ai mis à côté la couverture d'un autre jeu, un tout petit peu plus récent,
00:29:35 Space Spartans de Mattel, 1982, toujours pour l'intellivision d'ailleurs, je vous l'ai
00:29:43 mis parce que je trouvais l'argument de vente sur la jaquette amusant, "it talks",
00:29:48 c'est le premier jeu qui parle.
00:29:49 Bon, et donc ici on a, alors c'est pas le cas dans la synthèse vocale, puisque la synthèse
00:29:56 vocale, son principe c'est qu'il s'agit d'une voix qui est entièrement créée par
00:29:59 ordinateur, mais dans Space Spartans il s'agit bel et bien de voix digitalisées, donc même
00:30:04 principe que l'image digitalisée, il s'agit d'un fichier audio qui a été surcompressé
00:30:08 et transformé en données numériques pour apparaître à l'intérieur du jeu.
00:30:13 Bon, évidemment cette technologie là, elle va énormément s'améliorer et se perfectionner
00:30:19 dans l'histoire de l'industrie vidéoludique, et elle va atteindre, disons, la forme qu'on
00:30:27 connaît avec l'essor du support CD, puisque avec la généralisation du CD-ROM, là il
00:30:35 s'agit, le premier jeu d'arcade, le deuxième à l'écran c'est cartouches, mais lorsque
00:30:40 le CD-ROM apparaît, et bien évidemment on a beaucoup plus d'espace de stockage, il
00:30:43 est beaucoup plus facile de stocker de la vidéo, de l'audio, etc.
00:30:49 Un des jeux qui a le plus marqué les esprits dans les années 1980 pour la qualité de
00:30:55 son doublage, c'est le jeu Dragon's Lair, qui est d'abord sorti sur bande d'arcade,
00:31:02 développé par Cinématronics en 1983, et qui était sur un support qui s'appelait
00:31:08 le LaserDisc, qui était une espèce de gros CD, et ce qui est intéressant avec l'exemple
00:31:13 de Dragon's Lair, alors là pour le coup vous avez des vraies voix, vous avez des voix
00:31:16 qui ressemblent tout à fait à des voix comme on trouverait dans le dessin animé ou le
00:31:21 cinéma d'animation, qui est l'inspiration principale du jeu.
00:31:23 Là vous avez un poster promotionnel pour le jeu de l'époque, qui mentionne le LaserDisc,
00:31:29 et ce qui est intéressant avec l'exemple de Dragon's Lair, c'est que ce sont les développeurs
00:31:33 du jeu, et les développeuses du jeu eux-mêmes, qui ont enregistré les voix des personnages,
00:31:38 pour économiser les coûts de production.
00:31:39 A une époque où le voice acting, le doublage pour le jeu vidéo, était une pratique qui
00:31:45 était relativement peu répandue et qui pouvait être chère pour les petits studios, donc
00:31:50 les voix qu'on entend, il s'agit, pour certaines d'entre elles, pas toutes, mais il s'agit
00:31:55 des voix des développeurs et développeuses du jeu, exactement de la même façon que
00:31:58 les visages de GoldenEye sont récupérés des membres du studio de développement.
00:32:04 Évidemment depuis, la technologie a énormément évolué, là je vous ai mis une petite vignette
00:32:11 d'une session d'enregistrement studio de l'acteur J.K.
00:32:14 Simmons, qui interprète le personnage de Keith Rictorne dans un jeu tout récent, Baldur's
00:32:21 Gate 3.
00:32:22 Ce qui est intéressant ici, c'est que le doublage a été confié cette fois-ci à
00:32:27 un acteur professionnel, néanmoins, le cas de J.K.
00:32:33 Simmons est intéressant parce qu'ici il s'agit uniquement d'une performance vocale, alors
00:32:38 que vous allez voir, pour les autres personnages du même jeu, qui ne sont pas doublés par
00:32:45 des acteurs hollywoodiens, mais par des comédiens et des comédiennes de doublage, et bien eux
00:32:50 se sont fadés, en plus du doublage vocal, de la performance capture.
00:32:53 C'est-à-dire qu'ils ont été habillés dans des combinaisons avec les diodes, etc.
00:32:59 Donc c'est intéressant cette différence de traitement aussi.
00:33:02 L'acteur hollywoodien ne vient au studio que pour enregistrer sa voix, et ensuite les
00:33:06 animations, encore une fois, vont être confiées à un autre comédien pour la motion capture,
00:33:13 mais dont l'identité va rester dans l'ombre, alors que les autres comédiens et comédiennes
00:33:17 du jeu, qui sont spécialisés dans le jeu vidéo, eux vont faire tout le package.
00:33:22 Moi y'a quelque chose qui m'a...
00:33:24 J'ai pas forcément grand chose à dire sur le doublage vocal, mais y'a quelque chose
00:33:28 d'intéressant dans la réflexion que je me suis faite, c'est que j'ai l'impression que
00:33:31 c'est un aspect de l'incorporation du corps des acteurs et des actrices dans le jeu vidéo,
00:33:39 qui a été longtemps sous-estimé.
00:33:41 J'ai l'impression, c'est ce que je me suis dit en préparant cette conférence, parce
00:33:45 que j'ai dit, voilà, c'est le support CD qui vient donner la possibilité aux développeurs
00:33:50 et développeuses d'intégrer des fichiers audio en plus grand nombre, en meilleure qualité,
00:33:54 etc.
00:33:55 Pourtant, si on prend une série de jeux qui pourtant a bénéficié énormément de l'intégration
00:34:01 de doublages au cours de son histoire, qui est par exemple la série Final Fantasy, vous
00:34:06 avez le premier épisode qui sort en 1997 sur CD-ROM, pour la Playstation, pas de doublage
00:34:12 vocal, vous avez l'épisode 8 qui sort en 1999, toujours sur le même support, pas de
00:34:17 doublage vocal, l'épisode 9 qui sort en 2000, toujours pas de doublage, et enfin, le doublage,
00:34:22 un vrai doublage assuré par des comédiens et des comédiennes de doublage, arrive dans
00:34:27 Final Fantasy X, qui sort en 2001 sur Playstation 2.
00:34:30 Alors, on passe du CD-ROM au DVD, c'est probablement la raison, du coup l'espace de stockage grandit
00:34:35 encore, donc on va accorder plus de place, on va allouer plus de place aux fichiers audio
00:34:43 du doublage, mais ce qui est étrange pour moi, c'est que si on regarde Final Fantasy
00:34:48 X, tout le jeu vidéo moderne est déjà là, vous avez des environnements en 3 dimensions,
00:34:54 vous avez des scènes cinématiques, vous avez de la musique instrumentale, tout est
00:34:59 déjà là, sauf le doublage.
00:35:01 Le doublage arrive très tardivement, probablement pour des questions de coût, de stockage,
00:35:07 et aussi peut-être parce que les développeuses ne voyaient pas forcément l'intérêt d'intégrer
00:35:14 du doublage à leur jeu, alors que pourtant, dans des jeux de rôle en particulier, ça
00:35:21 permet d'incarner et de donner beaucoup d'épaisseur au personnage.
00:35:26 On va laisser de côté la question du doublage vocal, et on va maintenant aller s'intéresser
00:35:32 aux premières incursions du corps, à proprement parler, dans les jeux vidéo.
00:35:38 On va faire un petit retour dans le temps, on va revenir en 1984, avec un exemple intéressant,
00:35:43 et là, je vais laisser jouer la vidéo également.
00:35:46 [Bruit d'un sonnetteur qui s'éclaire]
00:36:15 [Bruit d'un sonnetteur qui s'éclaire]
00:36:44 Vous venez de voir des images qui ont servi à la conception d'un jeu qui s'appelle Karateka,
00:36:49 qui a été développé un petit peu avant, puisqu'on voit des images qui datent de 1983,
00:36:55 mais qui a été publié en 1984, et réalisé par un célèbre concepteur de jeux vidéo
00:37:01 qui s'appelle Jordan Mechner, qui est notamment connu pour avoir créé la série de jeux Prince of Persia,
00:37:08 qu'on cite très souvent comme étant la première série de jeux à utiliser
00:37:13 la technique que vous venez de voir, c'est-à-dire la rotoscopie,
00:37:16 que vous connaissez peut-être si vous vous intéressez à l'animation, etc.
00:37:20 En réalité, Prince of Persia n'est pas le premier jeu à utiliser la rotoscopie,
00:37:23 c'est Karateka, qui paraît quelques années plus tard, du même développeur.
00:37:28 Dans les images que vous avez vues, et le processus de production est décomposé ici
00:37:33 sur les trois images que je vous ai données, la technique est simple,
00:37:36 on filme une personne en prise de vue réelle, donc en l'occurrence ici,
00:37:41 le père de Jordan Mechner habillé avec un kimono, on récupère ensuite la vidéo,
00:37:49 on redessine par-dessus, image par image, et ensuite on remplit le dessin,
00:37:56 le contour du dessin de pixels, pour produire une animation qui se rapproche
00:38:01 le plus possible d'une animation réelle.
00:38:05 Alors, Jordan Mechner n'a pas inventé la rotoscopie, évidemment,
00:38:09 le cinéma d'animation utilise la rotoscopie depuis très longtemps,
00:38:12 Disney utilise la rotoscopie depuis les années 60-70, etc.
00:38:18 Mais c'est le premier exemple de cette technique utilisée dans le jeu vidéo.
00:38:24 Et ce qui est intéressant ici, c'est que, la question c'est,
00:38:28 est-ce que le père de Jordan Mechner est un acteur ?
00:38:31 Je n'en sais rien, ça dépend ce qu'on entend par acteur,
00:38:33 c'est certainement pas un acteur professionnel, au sens de la sociologie des carrières,
00:38:36 il n'a pas sa fiche sur IMDB, mais ceci dit, ça reste un être humain
00:38:40 qu'on a placé devant une caméra et à qui on a demandé de jouer un rôle,
00:38:43 en l'occurrence ici, d'un karatéka, et qui n'était pas du tout, ça se voit.
00:38:48 Donc, qu'est-ce qu'on entend exactement par acteur ou actrice ?
00:38:53 Il faut distinguer cette notion-là du concept d'acteur de cinéma,
00:38:59 ou de célébrité, etc. Mais en l'occurrence ici, vous avez une technique intéressante
00:39:04 d'intégration, non pas seulement de l'image de la personne,
00:39:09 mais de sa corporealité, de son mouvement.
00:39:13 Alors, karatéka a eu une influence énorme sur les développeurs et les développeuses
00:39:17 de jeux vidéo au milieu des années 80, ça a été une claque, vraiment, pour eux,
00:39:22 parce que c'était un des premiers jeux dans lequel l'animation paraissait si naturelle,
00:39:27 même si vous voyez apparaître quelque chose qui déjà...
00:39:30 Vous voyez déjà apparaître quelque chose sur laquelle on reviendra plus tard,
00:39:34 qui est que ce qu'on gagne en réalisme, je dirais, on le perd aussi en fluidité,
00:39:43 clairement, c'est-à-dire qu'il y a une espèce de lourdeur du personnage de jeu vidéo,
00:39:50 qui se développe très lentement, frame par frame...
00:39:54 Et on va y revenir, ça, parce que c'est un point important qu'on va retrouver
00:40:00 même dans des jeux plus récents.
00:40:04 Une autre technique qui est utilisée à l'époque, et qu'on va retrouver à partir
00:40:12 de ce dont on a déjà parlé, c'est, encore une fois, l'image digitalisée,
00:40:17 mais cette fois-ci récupérée à partir de fichiers vidéo.
00:40:21 Là, par exemple, vous avez à gauche une petite séquence des sessions de filmage
00:40:32 qui ont précédé la production du jeu Mortal Kombat, développé par Midway Game
00:40:38 en 1992, dans lesquelles vous avez cet acteur qui s'appelle Osung Pak,
00:40:43 qui est un acteur sud-coréen, qui réalise un mouvement,
00:40:48 qui était aussi artiste martial, et donc le fichier vidéo va être récupéré,
00:40:54 il va être également décomposé image par image, et ensuite intégré devant
00:41:00 un fond numérique, pour donner l'illusion de mouvement, et pour le faire réagir
00:41:06 au contrôle du joueur ou de la joueuse.
00:41:08 On dit souvent que Mortal Kombat est un des premiers jeux à utiliser la motion capture,
00:41:12 du coup, non, pas du tout, absolument pas, c'est pas du tout de la motion capture,
00:41:15 on sait bien que l'acteur ici n'a pas de combinaison, il a rien du tout.
00:41:19 Donc il s'agit simplement d'une image digitalisée qui a ensuite été intégrée
00:41:23 à un système de jeu, et donc c'est plus de la rotoscopie,
00:41:29 mais c'est pas encore de la motion capture.
00:41:32 Et là encore, même question, Osung Pak est-il un acteur ?
00:41:36 Et là pour le coup, la réponse est oui, là y'a pas d'ambiguïté,
00:41:39 parce que je vous ai mis un poster promotionnel de Mortal Kombat à gauche,
00:41:43 où nous présente Osung Pak comme étant le personnage qui a joué
00:41:49 dans les séances de production le rôle du personnage fictif de Liu Kang,
00:41:54 dans la fiction de Mortal Kombat, mais il se trouve que Osung Pak est un acteur
00:41:57 sud-coréen, qui a une carrière tout à fait respectable, là vous le voyez,
00:42:00 combattre Jackie Chan, dans le film Drunken Master 2 de 1994,
00:42:06 donc là pour le coup, il s'agit vraiment d'un acteur, même s'il s'agit pas forcément
00:42:12 d'une célébrité. Ce qui est intéressant aussi, sur la question des itinéraires
00:42:19 de carrière des acteurs et des actrices qui apparaissent ou qui jouent
00:42:23 dans le jeu vidéo. On va y revenir un petit peu plus tard,
00:42:26 mais ça n'a pas toujours été le même type d'acteur ou le même type d'actrice
00:42:31 qui apparaissent, à apparaître dans les jeux vidéo au fil du temps.
00:42:36 L'étape suivante, si on arrive à intégrer des successions d'images
00:42:41 en prise de vue réelle digitalisées pour donner l'illusion de mouvement,
00:42:44 il ne reste plus qu'une chose à faire à partir de là, c'est d'intégrer
00:42:47 directement de la vidéo. On a pu s'embêter, et ça va inaugurer
00:42:51 une période dans l'histoire du jeu vidéo, qui est tristement célèbre,
00:42:56 qui est la période de ce qu'on appelle le FMV, le Full Motion Video,
00:43:00 qui consistait, tout simplement, à intégrer des vidéos, des fichiers vidéo
00:43:08 en prise de vue réelle, qui étaient également extrêmement compressés,
00:43:12 ce qui n'était pas forcément très joli à l'écran, mais qui a connu
00:43:15 une immense fortune dans les années 90. Là, vous avez un extrait
00:43:21 de MacDoug MacCree, qui est lui aussi un rail shooter publié
00:43:24 par American Laser Games en 1990, qui est présenté comme l'un
00:43:28 des premiers jeux en Full Motion Video. Et vous avez ici un extrait
00:43:34 de la séquence d'ouverture de Resident Evil, de Capcom, en 1996.
00:43:38 Donc là, vous voyez, l'intégration, maintenant, elle est devenue
00:43:41 absolument complète. Il s'agit tout simplement d'un fichier vidéo
00:43:44 qui a été compressé. L'intégration, ensuite, peut s'accompagner
00:43:52 ou non d'autres procédés. Dans le cas de MacDoug MacCree,
00:43:57 le jeu est intégralement composé de prises de vue réelles et de fichiers vidéo
00:44:02 qui se déclenchent en fonction des actions du joueur ou de la joueuse.
00:44:05 Dans le cas de Resident Evil, c'est pas le cas. Il s'agit juste
00:44:09 de la scène d'ouverture et ensuite, le reste du jeu se déroule
00:44:14 sur un moteur 3D. D'ailleurs, il n'est fait plus aucune allusion
00:44:22 ou référence de quelque sorte que ce soit, même technique,
00:44:25 aux acteurs et actrices qui apparaissent dans ce trailer.
00:44:29 On s'achemine petit à petit vers la question de la motion capture.
00:44:34 Vous voyez que l'itinéraire a été relativement long et tortueux
00:44:37 pour en arriver jusque là. C'est pourquoi je voulais prendre ce détour
00:44:41 parce qu'il me semblait que c'était intéressant de ne pas se cantonner là-dessus.
00:44:48 Je me suis rendu compte de quelque chose de très intéressant.
00:44:51 Quand vous tapez sur Google "First video game to use motion capture ever",
00:44:58 le premier résultat sur lequel vous tombez, c'est un jeu qui s'appelle Vixen,
00:45:03 développé par MarTech Games et sorti en 1988,
00:45:08 qui serait le premier jeu à utiliser de la motion capture.
00:45:11 Et qui aurait utilisé dans sa phase de production une comédienne,
00:45:19 en l'occurrence Corinne Russell, dont vous voyez une photo ici,
00:45:23 qui est une comédienne qui est surtout connue pour être une modèle de charme.
00:45:31 Le problème, c'est que chaque fois que vous trouvez la référence à ce jeu
00:45:37 et à la production de ce jeu, ça vous ramène au même article
00:45:39 de la presse spécialisée de jeux vidéo que j'ai été chercher.
00:45:42 Parce que je me suis dit "mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"
00:45:44 En 1988, ce jeu dont personne n'a jamais entendu parler
00:45:47 a utilisé pour la première fois la motion capture. C'est énorme.
00:45:50 Donc je suis allé lire l'article de Retro Gamer, écrit par Graham Mason.
00:45:55 Et quand vous lisez l'article, vous vous rendez compte en fait que...
00:45:58 Donc ils interviennent un développeur de l'époque qui dit
00:46:00 "oui, alors on a fait venir Corinne Russell, on l'a habillée en body,
00:46:04 on l'a filmée et ensuite on a fait de la motion capture,
00:46:07 et après par contre je me souviens plus trop comment on a intégré
00:46:11 les données dans le moteur du jeu."
00:46:13 Donc je pense que c'est n'importe quoi.
00:46:16 Il peut probablement qu'effectivement il y a eu une séquence de filmage
00:46:19 avec l'actrice en question.
00:46:21 Je soupçonne qu'ils aient utilisé quelque chose qui se rapproche
00:46:24 plutôt de la rotoscopie, mais ça m'étonnerait fort que ce jeu
00:46:27 qui en plus de ça est un jeu d'exploitation, fait vraiment sans grand moyen,
00:46:31 ait été réellement le premier jeu à utiliser la motion capture.
00:46:35 Peut-être que c'est le cas, peut-être que je me trompe,
00:46:37 mais je trouve qu'en tout cas cette histoire n'est pas suffisamment sourcée.
00:46:40 Donc si jamais vous êtes chercheur, chercheuse, ou étudiant, étudiante,
00:46:45 et que vous avez à travailler sur le sujet, je pense qu'il ne faut pas
00:46:48 prendre cette information au quai de la lettre.
00:46:50 Là je vous mets un petit extrait de quoi ça ressemble, Vixen.
00:46:53 Donc voilà, vous avez le personnage au centre de l'écran.
00:46:56 Alors, c'est vrai que pour 1988, ces mouvements sont légèrement
00:47:04 plus élaborés que la moyenne des jeux de l'époque.
00:47:08 De là à dire qu'il s'agit de motion capture, je ne pense pas.
00:47:12 Je vous dis au mieux, je pense qu'il s'agit de rotoscopier.
00:47:16 Les premiers jeux à utiliser de la motion capture, il s'agit de jeux de combat.
00:47:25 Notamment la série des Virtua Fighter et d'autres jeux de l'époque.
00:47:29 Mais j'en parlerai un petit peu plus tard.
00:47:33 On en arrive du coup à l'état auquel, enfin là où on est parti,
00:47:38 puis l'état auquel on est aujourd'hui.
00:47:42 Ce qui n'est plus uniquement de la motion capture,
00:47:44 ce qui est de la performance capture.
00:47:46 C'est à dire que les mouvements des acteurs et des actrices
00:47:48 sont entièrement captés, mais également leurs expressions du visage
00:47:52 à l'aide de tous ces petits pointeurs qu'ils ont sur le visage.
00:47:56 Et qui retranscrit leur jeu en théorie dans sa totalité, dans sa globalité.
00:48:02 Mouvement des corps, expression du visage.
00:48:06 Généralement, les dialogues ne sont pas enregistrés directement
00:48:13 pendant les sessions, ça peut varier.
00:48:15 C'est souvent redoublé à posteriori.
00:48:17 Mais vous arrivez à une incorporation quasi totale des corps,
00:48:24 des actrices et des acteurs dans le jeu vidéo.
00:48:26 En l'occurrence ici, ce que vous voyez, c'est des séquences de performance capture
00:48:29 des acteurs Norman Reedus et Léa Seydoux pour le jeu Death Stranding
00:48:33 de Kojima Production en 2019.
00:48:37 Maintenant qu'on a fait ce petit inventaire technologique,
00:48:41 j'aimerais qu'on se pose la question de pourquoi ?
00:48:45 A quoi ça sert ? A quoi ça sert d'intégrer des acteurs et des actrices
00:48:49 dans le jeu vidéo ? Qu'est-ce que ça apporte au jeu vidéo
00:48:53 dans son sens le plus large ?
00:48:55 On va essayer de développer tous les aspects de la question.
00:48:59 C'est donc ce que j'ai appelé ma deuxième partie, "Raisons des effets".
00:49:03 On reste sur Keanu Reeves, je ne l'avais pas prévu finalement.
00:49:06 Je fais une sorte d'apéritif à la séance de la semaine prochaine.
00:49:10 On va étudier d'abord l'impact sur les mécaniques de jeu.
00:49:14 On va étudier ensuite l'impact économique, parce qu'on ne va pas pouvoir y couper.
00:49:18 Même si moi, ce n'est pas la partie qui m'excite le plus,
00:49:20 je pense que c'est quand même un gros morceau de la réponse
00:49:24 à la question qu'on se pose.
00:49:25 Et on va enfin étudier quelque chose de plus intéressant
00:49:27 et de plus subtil, qui est l'impact sur l'expérience de jeu.
00:49:30 Ce qui est différent de l'impact des mécaniques.
00:49:32 Et je vais expliquer tout de suite pourquoi c'est différent
00:49:34 de l'impact sur les mécaniques.
00:49:36 Parce qu'en fait, l'impact sur les mécaniques, on va l'évacuer très rapidement.
00:49:39 Là, je vais me faire l'avocat du diable, je vais être de très mauvaise foi,
00:49:43 mais pour moi, il n'y en a pas.
00:49:45 Je vais illustrer ça de façon extrêmement, vous allez voir, universitaire,
00:49:51 académique, avec la comparaison de la tasse.
00:49:57 L'être de jeu vidéo, le signifiant vidéoludique,
00:50:03 que ce soit un personnage, un objet, un décor ou quoi que ce soit,
00:50:06 c'est un être fonctionnel.
00:50:08 Il est là pour remplir une fonction dans le jeu vidéo.
00:50:11 Ensuite, on injecte à cette fonction d'autres choses.
00:50:15 Une représentation, un discours, tout ce qu'on veut.
00:50:17 Mais à l'origine, il s'agit d'un être fonctionnel.
00:50:20 Je prends l'exemple de la tasse de café.
00:50:22 Vous avez une tasse de café, vous buvez dedans tous les matins,
00:50:25 vous cassez votre tasse de café, vous en rachetez une autre et tout va bien.
00:50:28 Elle remplit exactement la même fonction que la précédente.
00:50:31 Il s'agit d'un objet usuel.
00:50:34 Et à partir du moment où la fonction est remplie,
00:50:37 peu importe que ce ne soit pas la même tasse de café.
00:50:40 Maintenant, imaginez que vous avez une tasse de café, Kenny Reeves.
00:50:44 Vous la cassez, qu'est-ce qui se passe ?
00:50:47 Peut-être que vous étiez attaché à cette tasse de café.
00:50:49 Peut-être que vous avez un lien émotionnel avec cette tasse de café.
00:50:52 Et à ce moment-là, le fait d'en racheter une blanche et ennuyeuse
00:50:56 ne comblera pas le manque suscité par la destruction de cette tasse.
00:51:02 Peut-être que cette tasse de café vous a coûté cher.
00:51:06 Peut-être qu'il s'agissait d'une édition limitée, etc.
00:51:10 Et effectivement, si vous en rachetez une à Ikea,
00:51:13 vous perdez de l'argent, vous ne revenez pas sur votre investissement.
00:51:18 Et là, avec cette comparaison un peu stupide, on touche à une des clés du problème.
00:51:22 Et qui est très bien incarnée d'ailleurs par la plupart des incursions
00:51:28 d'acteurs et d'actrices dans le processus de développement des jeux vidéo.
00:51:31 Si je prends l'exemple de Kenny Reeves, qui était celui de ma slide introductive.
00:51:37 Kenny Reeves apparaît, c'est une incursion iconique d'un acteur de cinéma
00:51:46 dans le monde du jeu vidéo, il apparaît dans le jeu Cyberpunk 2077
00:51:50 qui est paru en 2020 du studio CD Projekt Red.
00:51:54 Quand est-ce que CD Projekt Red a lancé la production de Cyberpunk 2077 ?
00:51:59 En 2012.
00:52:01 Quand est-ce que Kenny Reeves a rejoint le processus de développement ?
00:52:05 En 2017 ou 2018.
00:52:07 Il est évident que le jeu serait sorti et que le personnage joué par Kenny Reeves
00:52:13 aurait occupé exactement la même fonction si Kenny Reeves avait refusé ou décliné
00:52:19 de participer au projet.
00:52:22 Sa valeur fonctionnelle aurait été strictement la même,
00:52:27 que ce soit Kenny Reeves ou n'importe quel autre star de cinéma,
00:52:31 de cinéma d'action ou quoi que ce soit.
00:52:34 Donc l'impact sur les mécaniques de jeu, pour moi,
00:52:38 et ça j'attends évidemment vos retours parce que je suis prêt à débattre là-dessus,
00:52:42 je pense qu'il est nul. Je pense qu'il est complètement nul.
00:52:45 Le fait que ce personnage ait la tête de Kenny Reeves ne change strictement rien
00:52:48 à la façon dont vous jouez le personnage en question.
00:52:52 Parce qu'il s'agit d'un personnage non joueur dans Cyberpunk 2077,
00:52:55 mais il y a quelques séquences dans lesquelles vous l'incarnez malgré tout.
00:52:58 J'ai été prendre un article récent d'un chercheur turc
00:53:03 qui s'est posé la question de comment est-ce que les acteurs de cinéma
00:53:09 ont transitionné progressivement vers le jeu vidéo,
00:53:12 et dans lequel il dit que l'analyse des résultats obtenus,
00:53:14 donc là on est dans la conclusion de son article,
00:53:16 montre que la participation des stars de cinéma au jeu vidéo est bénéfique
00:53:18 à la fois pour elle-même et pour les deux secteurs.
00:53:21 C'est ce qu'il décrit comme une win-win situation à un autre moment de l'article.
00:53:25 Il a été conclu que les jeux vidéo qui créent de nouvelles opportunités de carrière pour les acteurs
00:53:28 offrent à ces derniers la possibilité de, reconnus par les générations suivantes,
00:53:32 j'imagine, d'enrichir leur portefeuille et de devenir plus visibles.
00:53:36 On constate que la convergence qui offre non seulement une plus grande notoriété
00:53:39 mais aussi un gain financier plus important sera plus profitable non seulement aux acteurs
00:53:42 mais aussi à l'industrie du cinéma et des jeux vidéo.
00:53:46 Donc là, on évacue la question des mécaniques
00:53:48 et on arrive tout de suite sur la question purement économique.
00:53:52 La manière dont les joueurs ou les spectateurs perçoivent et sont affectés
00:53:56 par l'apparition de stars de cinéma dans les jeux vidéo est suggérée
00:53:58 comme problématique de recherche pour de futures études.
00:54:00 Donc voilà, si ça vous intéresse, l'impact de l'intégration des acteurs
00:54:05 et des actrices de cinéma dans le jeu vidéo du point de vue de l'expérience,
00:54:08 et bien voilà, c'est à vous de jouer, futurs chercheurs et chercheuses,
00:54:12 mais je vais donner quelques pistes de réflexion à la fin de cette présentation.
00:54:16 Alors, les questions économiques.
00:54:20 La première question économique, et peut-être la question la plus bizarre
00:54:24 mais en même temps qui a existé, c'est la logique de production transmédiatique.
00:54:29 Il existe des exemples de jeux vidéo qui ont été produits
00:54:34 non seulement pour accompagner la production d'un film,
00:54:38 comme une sorte de produit dérivé, mais qui ont la particularité
00:54:44 d'avoir été produits aussi pendant le développement du film,
00:54:47 de façon conjointe avec le film lui-même.
00:54:50 C'est-à-dire qu'il y avait plusieurs équipes de tournage,
00:54:53 certaines qui s'occupaient de tourner les images pour le film,
00:54:55 pour le long métrage, et d'autres qui, en profitant de la présence
00:54:59 des acteurs sur le plateau, des équipes techniques, des décors, etc.,
00:55:02 ont filmé des images pour servir à la production d'un jeu au même moment.
00:55:06 Donc là, on a une sorte de logique économique de production
00:55:10 qui est la logique d'une pierre deux coups, en quelque sorte.
00:55:13 Et vous avez des exemples célèbres dans l'histoire du jeu vidéo
00:55:16 qui se sont servis de cette technique-là, qui est donc purement économique.
00:55:20 Vous avez le jeu "Soldier Boys" de Hitnotix, qui est paru en 97,
00:55:25 qui vient accompagner la sortie du film "Soldier Boys" de 96,
00:55:30 et dont les prises de vue qui ont servi à la production du film
00:55:35 ont été réalisées directement sur le plateau de tournage.
00:55:39 D'ailleurs, c'est assez célèbre, puisque c'est Darren Aronofsky
00:55:44 qui s'occupait de la direction de l'équipe de tournage
00:55:46 pour les images du jeu, à l'époque.
00:55:49 Et vous avez le jeu "Enter the Matrix" de Shiny Entertainment de 2003,
00:55:53 dans lequel vous avez des personnages, des acteurs et des actrices,
00:55:57 qui pourtant n'apparaissent pas dans le film "Matrix",
00:56:01 mais qu'on a fait tourner dans les décors du jeu,
00:56:05 à qui on a fait donner la réplique à d'autres personnages secondaires du film, etc.
00:56:10 pour accompagner la sortie du jeu, et donc pour créer une sorte d'aubaine
00:56:14 sur le plan de la production, histoire de contracter les coups le plus possible.
00:56:21 Le premier ou la première actrice, acteur de cinéma
00:56:27 à apparaître de son plein gré dans une production vidéoludique à part entière, dédiée,
00:56:34 on considère que c'est l'actrice Dana Plato,
00:56:38 qui était une actrice de sitcom,
00:56:41 qui est connue pour avoir joué dans la série "Different Strokes",
00:56:45 qu'on connaît en France sous le nom d'Arnold et Willie,
00:56:48 de 1978, et qui, de son plein gré,
00:56:52 si je puis dire, est recrutée pour jouer des scènes, cette fois-ci,
00:56:56 originales, qui n'ont rien à voir avec Arnold et Willie,
00:56:59 dans un jeu en full motion vidéo,
00:57:02 qui s'appelle "Night Trap", de Digital Pictures,
00:57:05 qui sort en 1992.
00:57:07 Et là, donc, il s'agit a priori, alors non pas du coup, de la première actrice,
00:57:11 puisqu'on a vu qu'en fait, il y avait énormément d'acteurs, d'actrices,
00:57:14 comédiens, comédiennes, ça dépend comment on les caractérise,
00:57:17 qui apparaissaient dans le jeu vidéo avant cela,
00:57:19 mais de la première actrice, je dirais, hollywoodienne,
00:57:22 de la première célébrité du cinéma à apparaître dans le jeu vidéo.
00:57:27 Ce qu'il est intéressant de noter ici, c'est que l'actrice, en 1992,
00:57:32 alors le tournage du jeu précède de plusieurs années sa sortie,
00:57:37 donc on est plutôt fin des années 80,
00:57:40 mais l'actrice, à l'époque, non seulement n'est pas une star interplanétaire,
00:57:43 elle est connue d'un certain public états-unien, mais ça s'arrête là,
00:57:46 et en plus de ça, à la fin des années 80,
00:57:49 elle est en perte de vitesse complète.
00:57:52 C'est une actrice qui a une carrière assez malheureuse,
00:57:55 et qui à l'époque, voit le jeu vidéo comme une opportunité économique pour elle.
00:58:02 Donc il s'agit plus ici d'une sorte de second choix d'acteurs et d'actrices
00:58:06 en perte de vitesse, que vraiment d'une collaboration
00:58:14 purement win-win, comme le mentionnait le chercheur un petit peu plus tôt.
00:58:21 Le phénomène se développe dans les années 90,
00:58:24 là vous avez une image du jeu Wing Commander 3,
00:58:27 dans lequel vous voyez apparaître John Rhys-Davies et Mark Hamill,
00:58:32 donc jeu publié par Origin Systems en 1994,
00:58:36 et là, vous commencez à avoir des poids lourds de l'industrie cinématographique,
00:58:42 des acteurs qui jouissent quand même d'une renommée internationale.
00:58:46 Alors en 1994, on pourrait faire à peu près la même analyse,
00:58:50 avec la carrière de Mark Hamill, on n'est pas non plus au sommet,
00:58:53 mais on est quand même sur un degré de notoriété qui est beaucoup plus important que Dana Plateau.
00:58:59 Et d'ailleurs ce qui est intéressant avec cet exemple,
00:59:01 c'est que vous voyez la jaquette du jeu,
00:59:04 on se pose la question de savoir,
00:59:06 est-ce que c'est l'image des acteurs qui est utilisée pour valoriser le produit jeu vidéo,
00:59:15 ou est-ce que c'est l'image du cinéma ?
00:59:18 La question se pose, parce que la jaquette du jeu ici, c'est une jaquette de film.
00:59:23 Et c'est une jaquette de film qui en plus de ça fait un clin d'œil appuyé
00:59:27 à une série de science-fiction célèbre et rentable de l'histoire du cinéma,
00:59:33 qui est Star Wars, vous avez la figure de Mark Hamill avec à côté une espèce de pseudo Chewbacca,
00:59:38 et surtout vous avez une mise en page qui est complètement calquée sur l'affiche de cinéma.
00:59:45 Donc là il y a une question qui se pose,
00:59:47 quel est le gain symbolique recherché par le jeu vidéo dans ces occurrences-là ?
00:59:53 Encore une fois, est-ce que c'est l'image de l'acteur qui vient apporter son aura symbolique au jeu vidéo,
00:59:59 ou est-ce que c'est à travers lui l'image du cinéma, l'image d'Hollywood ?
01:00:03 Et c'est corroboré lorsqu'on regarde les discours paratextuels.
01:00:07 Là je vous ai mis quelques extraits de l'arrière de la jaquette de Night Trap et Wing Commander 3.
01:00:14 Voyez, Night Trap, on vous dit "a real interactive movie, not a computer-generated game".
01:00:19 Ça n'est pas un jeu vidéo ! C'est un vrai film.
01:00:23 Et dans Wing Commander 3, on vous dit que ça a été professionnellement scripté et filmé à Hollywood.
01:00:30 C'est important que ça ait été filmé à Hollywood.
01:00:33 S'il s'agit d'un jeu, un space opéra, qui se place sur des planètes désertiques,
01:00:38 c'est important que ça ait été filmé à Hollywood.
01:00:41 Donc ici c'est vraiment l'image de l'industrie cinématographique qui est utilisée plus,
01:00:46 ou en tout cas conjointement à celle des acteurs et des actrices.
01:00:51 Je vais essayer d'accélérer, histoire de garder un peu de temps pour les questions.
01:00:57 Je vais vous montrer ce qui constitue selon moi la première collaboration, je dirais,
01:01:03 vraiment d'une personnalité du cinéma au sommet de sa carrière.
01:01:13 À quel moment est-ce qu'un acteur au sommet de sa notoriété décide d'apparaître dans un jeu vidéo ?
01:01:19 Pour moi, c'est ce jeu-là.
01:01:22 Bienvenue à Apocalypse, un nouveau jeu de l'activision qui est le premier à
01:01:25 texturer la tête d'une personne réelle sur le corps d'un mannequin CG.
01:01:28 Bienvenue au paradis, garçon.
01:01:30 Et cette tête appartient à l'action-film d'Action Bruce Willis.
01:01:33 C'est l'heure de se faire le cul ou de le faire.
01:01:35 Bruce Willis est le personnage de Trey Kincaid, ton partenaire virtuel dans l'aventure d'Apocalypse.
01:01:40 La technologie de motion capture a été utilisée pour intégrer Bruce complètement dans le jeu.
01:01:44 Apocalypse est un futur sombre et violent, où la science et la religion sont des forces compétentes de la société.
01:01:49 Vous pouvez courir, mais vous ne pouvez pas vous cacher !
01:01:52 Un faux prophète appelé le Réverend a appelé les 4 Horsemens de l'Apocalypse.
01:01:57 La mort, la guerre, l'animal et la pluie, joués par le chanteur de la roche Poe.
01:02:02 Ces 4 forces de destruction rôment la Terre en vêtements humains et attendent un signal pour obliter l'humanité.
01:02:08 Votre travail est de ne pas que ça se passe.
01:02:10 Et votre premier asset est Trey Kincaid.
01:02:12 Bien sûr, sauver le monde n'a jamais été facile.
01:02:17 Pour vous faire sentir complètement absorbé dans l'univers de l'Apocalypse,
01:02:20 de nouvelles techniques ont été utilisées pour améliorer l'expérience du jeu.
01:02:23 En prenant une approche de motion capture, les actions de Bruce ont été digitisées
01:02:27 et ont pu être manipulées pour différentes mouvements.
01:02:29 La technologie de caméra dynamique ou intelligente
01:02:32 ajuste la caméra au meilleur angle pour le jeu actuel.
01:02:35 L'entrée de Bruce dans chaque étape du processus a aussi ajouté une considérable quantité au jeu.
01:02:42 "L'enfer est venu."
01:02:44 Une priorité importante dans la création du jeu
01:02:53 était de s'assurer que la tirée fonctionnait dans chaque scène.
01:02:55 Vous pouvez voir exactement comment tout ce travail a été fait.
01:03:00 "L'enfer est venu."
01:03:02 Une chose est sûre, entrez dans l'univers de l'Apocalypse et vous ne partirez jamais.
01:03:18 "L'enfer est venu."
01:03:21 "L'Apocalypse, par Activision."
01:03:38 On est en 1998, lorsque le jeu "L'Apocalypse" d'Activision sort,
01:03:43 avec la star de cinéma, Bruce Willis, qui est complètement intégrée dans le développement du jeu,
01:03:48 puisque vous voyez qu'elle s'adonne à des sessions de performance capture,
01:03:53 elle double le personnage, le personnage est modélisé à partir de son visage, etc.
01:03:57 Et en 1998, Bruce Willis est au sommet de sa popularité.
01:04:01 "Le cinquième élément" c'est 1997, "Armageddon" c'est la même année,
01:04:04 et "Le sixième sens" c'est 1999.
01:04:06 Donc là on ne peut pas analyser cela comme une sorte de porte de sortie d'un acteur à court de contrat, etc.
01:04:15 Pas du tout.
01:04:16 Là il s'agit d'une incursion franche et claire d'une célébrité du cinéma à l'intérieur du monde du jeu vidéo.
01:04:22 La question c'est pourquoi ?
01:04:23 Pourquoi est-ce qu'en 1998, Bruce Willis décide de libérer son emploi du temps pour tourner dans "Apocalypse" ?
01:04:29 Qui en plus de ça va être un flop absolu, tout le monde s'en fiche de "Apocalypse",
01:04:33 le jeu ne va pas du tout fonctionner.
01:04:35 Ça il ne pouvait pas le prévoir, mais voilà.
01:04:37 Pourquoi ?
01:04:39 Tout simplement parce qu'en fait, c'est à cette période-là que l'industrie vidéoludique
01:04:43 commence à concurrencer l'industrie cinématographique en termes de chiffre d'affaires.
01:04:49 1994, c'est le moment où le chiffre d'affaires de l'industrie vidéoludique
01:04:54 uniquement pour les consoles, c'est-à-dire pour les cartouches de jeux et les systèmes de jeux de salons,
01:05:01 dépasse le chiffre d'affaires de l'industrie cinématographique aux Etats-Unis.
01:05:06 6 milliards versus 5 milliards.
01:05:08 Donc là on est à un point de convergence, où tout à coup l'industrie du jeu vidéo,
01:05:13 malgré son infériorité symbolique, acquiert une supériorité économique.
01:05:25 Et donc devient attirante par les contrats qui sont proposés aux comédiens et aux comédiennes,
01:05:31 et même à ceux et celles qui sont au sommet de leur popularité, au sommet de leur gloire.
01:05:35 Et ça ne serait concerné que les revenus de l'industrie pour les consoles aux Etats-Unis.
01:05:40 L'industrie de l'arcade, même en 1994, rapportait environ 7 ou 8 milliards de plus.
01:05:48 Donc c'est colossal.
01:05:51 Et cette bascule s'opère au milieu des années 90.
01:05:56 J'enchaîne très rapidement avec un autre cas intéressant, c'est Activision qui a développé Apocalypse en 98.
01:06:02 Le jeu a flopé, mais ils ont quand même démontré leur savoir-faire,
01:06:07 et donc ils ont été placés à la production d'un autre grand succès du jeu vidéo de la fin des années 90,
01:06:13 qui est Tony Hawk's Pro Skater.
01:06:15 Pourquoi je vous parle de Tony Hawk's Pro Skater ?
01:06:17 Parce que ça me semble aussi très symptomatique de la manière dont l'intégration des acteurs et actrices est utilisée,
01:06:23 en l'occurrence ici plutôt de personnalité,
01:06:25 est utilisée dans le discours promotionnel du jeu vidéo.
01:06:29 Donc je vais vous montrer, pareil, un peu comme Apocalypse,
01:06:32 une petite vidéo qui montre les séquences de motion capture
01:06:37 qui ont été réalisées sur Tony Hawk,
01:06:40 qui est l'athlète emblématique du skateboard,
01:06:47 et qui donne son nom au jeu.
01:06:49 Là vous voyez Tony Hawk qui joue au jeu.
01:06:57 Là on l'habille avec une combinaison de motion capture.
01:07:07 Et visiblement on capture des données.
01:07:11 Et ça fait sens.
01:07:13 Ça fait sens parce qu'il s'agit d'un jeu de skate.
01:07:18 Et dans un jeu de skate, le mouvement, la chorégraphie, la corporealité est centrale.
01:07:22 C'est presque un jeu de danse, un jeu de skate.
01:07:24 Donc ça fait sens d'avoir un vrai corps derrière les animations.
01:07:28 Et a fortiori le corps de la star de la discipline, Tony Hawk.
01:07:32 Le seul problème c'est que cette vidéo a été publiée sur le compte Facebook de Tony Hawk lui-même,
01:07:37 en 2019, pour fêter les 20 ans du jeu,
01:07:40 dans lequel il dit "ouais voilà nos sessions de motion capture,
01:07:43 alors we didn't end up using any of this data
01:07:47 because there wasn't enough time to program it into the final game, etc."
01:07:51 Donc il dit "voilà, finalement on a utilisé aucune des données
01:07:53 qui ont été collectées lors de cette session de performance capture
01:07:55 parce qu'on n'avait pas le temps."
01:07:57 C'est n'importe quoi comme argument.
01:07:59 C'est-à-dire que le studio de développement, ils savaient très bien quel était leur calendrier.
01:08:02 Donc pourquoi est-ce qu'ils ont organisé une séance de motion capture
01:08:05 si ils étaient à deux mois de la sortie du jeu ?
01:08:09 Il est évident que ça c'est une mise en scène pour la presse.
01:08:12 Et d'ailleurs on a les caméras pour le prouver.
01:08:14 Donc c'est évident qu'il s'agit maintenant d'un argument de vente,
01:08:17 de dire "regardez on a Tony Hawk dans une combinaison, c'est extraordinaire."
01:08:20 Et d'ailleurs vous voyez que ça marche, puisque vous avez le commentaire Facebook
01:08:23 "Just fucking wow, way before your time my friend."
01:08:27 Pas du tout, pas du tout "before your time", absolument pas.
01:08:30 Au contraire, puisque finalement l'animation a été faite à la main
01:08:33 et que ça il s'agit juste d'une mise en scène pour renforcer l'attrait,
01:08:39 le pouvoir de séduction du jeu vidéo en prétextant qu'il est le produit
01:08:45 de l'intégration de personnalités réelles, etc.
01:08:49 Là on commence à voir les effets pervers si vous voulez de la question.
01:08:52 Enfin pervers ou pas, mais bon vous voyez.
01:08:55 On a d'autres exemples de ça, par exemple je reviens sur Kenny Reeves.
01:08:59 Lorsque sa participation au jeu Cyberpunk a été révélée à la presse,
01:09:07 c'était lors de l'E3 2019, très précisément le 9 juin 2019,
01:09:12 il est arrivé sur la scène, la salle s'est enflammée, etc.
01:09:17 Et évidemment le même jour, l'action du studio CD Projekt Red a bondi,
01:09:23 je vous ai mis une coupe, le 10 juin 2019 et on a un pic qui correspond
01:09:28 juste à l'arrivée de Kenny Reeves sur scène.
01:09:30 Il n'a rien fait pour l'instant, on n'a même pas joué au jeu.
01:09:33 Mais il est là et ça suffit à rajouter du poids économique au produit.
01:09:38 En plus de ça, ça a des effets vertueux sur l'industrie.
01:09:42 Il ne faut pas croire que je développe un discours cynique du genre
01:09:44 "regardez c'est que pour le pognon", pas du tout.
01:09:46 Parce que là il y a un article intéressant que j'ai trouvé
01:09:48 dans lequel les développeurs d'un autre jeu,
01:09:51 qui est un jeu indépendant qui s'appelle Spiritfarer,
01:09:53 il y a peut-être certains d'entre vous qui connaissent,
01:09:55 qui est un jeu indépendant très mignon, très intéressant,
01:09:59 a profité de l'apparition de Kenny Reeves ce jour-là,
01:10:02 parce qu'ils étaient le jeu qui suivait immédiatement
01:10:05 la présentation de Cyberpunk.
01:10:07 Et donc ils ont eu une exposition énorme, juste grâce à Kenny Reeves.
01:10:13 Alors que Kenny Reeves n'apparaît pas une seconde dans leur jeu.
01:10:17 Donc effectivement, c'est un win-win, puisque même des petits jeux indépendants,
01:10:20 d'une certaine façon, bénéficient de l'aura et de la participation.
01:10:24 Donc voyez où je veux en venir, l'impact économique il est total.
01:10:29 Maintenant on va parler, et je vais terminer là-dessus,
01:10:32 en 10 minutes peut-être, c'est bien,
01:10:35 sur l'impact en termes d'expérience de jeu.
01:10:39 On va essayer d'ouvrir des pistes,
01:10:41 parce que je n'ai pas nécessairement les réponses,
01:10:43 là pour le coup c'est vraiment des hypothèses,
01:10:45 et j'attends que vous me contredisiez ou que vous m'apportiez
01:10:47 d'autres éléments de réponse.
01:10:49 Qu'est-ce que ça apporte à l'expérience de jeu,
01:10:52 d'avoir un jeu qui intègre des images de véritables acteurs
01:10:55 ou de véritables actrices ?
01:10:57 Le premier argument, celui qu'on retrouve partout,
01:11:01 sous la plume de certains ou certaines journalistes,
01:11:04 pas forcément toujours très inspirés,
01:11:06 c'est le fait que ça rend les jeux plus réalistes, plus immersifs.
01:11:12 Évidemment, lorsque vous développez un jeu de western en 1990,
01:11:17 à partir de prises de vue réelles,
01:11:19 qui met en scène de vrais comédiens et de vraies comédiennes,
01:11:22 et qu'en face la concurrence, c'est ça,
01:11:25 qui est parue exactement la même année,
01:11:27 et je suis assez fier de ma comparaison de screenshots,
01:11:30 parce que j'ai réussi à prendre deux images
01:11:32 qui montrent quasiment la même chose,
01:11:34 l'une en prise de vue réelle et l'autre en images de synthèse,
01:11:38 en quelque sorte.
01:11:40 Oui, oui, effectivement, c'est plus réaliste.
01:11:44 C'est plus réaliste.
01:11:46 Qu'est-ce qu'on a dit une fois qu'on a dit ça ?
01:11:49 Je sais pas grand-chose, je sais pas nécessairement.
01:11:51 Est-ce que réellement j'ai l'impression d'être au western,
01:11:54 lorsque je joue à Mad Dog McCree ?
01:11:56 C'est pas sûr.
01:11:58 C'est pas sûr parce que, notamment,
01:12:00 il y a quelque chose d'important avec la prise de vue réelle
01:12:03 intégrée aux jeux vidéo,
01:12:05 c'est que...
01:12:07 elle a un effet extrêmement limitant sur les mécaniques de jeu.
01:12:14 C'est pas pour rien que tous les jeux en full motion vidéo
01:12:18 sont des jeux où vous ne faites quasiment rien.
01:12:21 C'est-à-dire que c'est des rail shooters,
01:12:23 vous vous contentez de cliquer sur l'écran une fois de temps en temps,
01:12:26 c'est des jeux d'enquête,
01:12:29 vous cliquez sur des décors,
01:12:31 vous cliquez sur la tasse,
01:12:33 le personnage va voir la tasse, il repose la tasse, etc.
01:12:36 Parce qu'en fait, évidemment,
01:12:38 les mécaniques de jeu sont limitées par le nombre d'images disponibles,
01:12:43 et vous ne pouvez pas filmer vos comédiens pendant 3 ans
01:12:46 dans toutes les situations imaginables.
01:12:48 Donc vous avez un stock d'images fixe et limité,
01:12:51 et donc derrière vous avez une jouabilité qui est nécessairement limitée.
01:12:55 Il y a quelque chose d'un peu pervers avec ce genre d'intégration,
01:12:57 c'est que d'un côté j'ai l'impression que le jeu vidéo limite
01:13:01 l'acting des acteurs,
01:13:04 et qu'à l'inverse, l'acting des acteurs limite le jeu vidéo.
01:13:08 C'est un peu le cercle pervers de la full motion vidéo.
01:13:12 Donc est-ce qu'on a l'impression d'être au Far West quand on joue à Mad Dog McRee ?
01:13:15 Bah je sais pas.
01:13:17 On a sans doute l'impression de voir un film sur le Far West, ça c'est sûr.
01:13:20 On a une expérience de jeu qui est beaucoup plus proche
01:13:23 de celle d'un spectateur ou d'une spectatrice de cinéma,
01:13:25 et de là à dire est-ce que c'est plus immersif, je sais pas.
01:13:29 Là j'attends vos avis, j'ai pas vraiment la réponse.
01:13:33 Ensuite il y a un autre effet qui est intéressant,
01:13:35 c'est que j'ai l'impression que l'intégration d'acteurs et d'actrices
01:13:39 dans le jeu vidéo vient répondre à un besoin,
01:13:44 qui est un besoin, je dirais, générique.
01:13:47 C'est-à-dire qu'il y a certains genres de jeux
01:13:50 qui ont besoin de corps, qui ont besoin de corporealité.
01:13:55 Et c'est le cas de trois d'entre eux.
01:13:58 Premièrement, les jeux de baston, enfin les jeux de combat, pardon.
01:14:02 Donc ici vous avez encore une fois des performances,
01:14:05 des enregistrements, motion capture pour Virtua Fighter 3,
01:14:08 donc probablement l'un des premiers jeux à utiliser la motion capture.
01:14:11 Parce que le combat, tout est dans la chorégraphie,
01:14:14 tout est dans la danse, donc là, effectivement,
01:14:17 il y a une valeur ajoutée qui est immense à intégrer des vrais corps.
01:14:21 Deuxième genre, les jeux pornographiques, évidemment.
01:14:25 Parce que le fait de voir des vrais corps
01:14:29 est sans doute plus...
01:14:34 ne répond davantage aux objectifs du jeu que voir une mauvaise modélisation des mêmes corps.
01:14:40 Et enfin, les jeux de danse.
01:14:43 Les jeux de danse aussi. Les jeux de danse, effectivement,
01:14:46 d'avoir des personnages qui sont filmés, qui exécutent les chorégraphies,
01:14:49 qui sont ensuite intégrés dans un environnement numérique, ça a du sens.
01:14:52 Parce que là, on est face à trois genres
01:14:55 qui mettent une emphase particulière sur la corporealité.
01:14:59 Ensuite, il y a un autre effet impact sur l'expérience de jeu,
01:15:03 que j'ai bientôt terminé, c'est quelque chose qui est peut-être plus subtil,
01:15:07 mais qui est ce que j'appellerais le sentiment de corporealité,
01:15:11 qu'on analyse parfois avec ce terme qui est un petit peu technique,
01:15:15 qu'on appelle la pseudo-haptique, c'est-à-dire le fait de ressentir
01:15:19 en quelque sorte la résistance d'un univers médiatique
01:15:24 à travers les mouvements de son avatar au sein de cet univers.
01:15:30 Le retour haptique, ça serait d'avoir vraiment des capteurs
01:15:36 qui nous infligent des sensations au moment où on joue.
01:15:39 Par exemple, je donne un coup de poing dans un mur,
01:15:42 j'ai un dispositif qui me fait mal à la main.
01:15:44 La pseudo-haptique, c'est un sentiment qui est légèrement plus subjectif,
01:15:48 mais qui a trait à une forme de résistance, de pesanteur,
01:15:54 en quelque sorte, que l'univers médiatique inflige à mon action,
01:15:59 selon certaines circonstances.
01:16:00 Et là, je vous mets deux jeux qui sont très emblématiques de ça,
01:16:04 Red Dead Redemption 2 de Rockstar, publié en 2018,
01:16:07 et Death Stranding de Kojima Productions en 2019,
01:16:10 qui sont deux jeux très lourds, très pesants,
01:16:14 où il y a une gravité physique qui est réelle,
01:16:18 que ce soit dans les déplacements du cow-boy Arthur Morgan
01:16:24 dans Red Dead Redemption 2, où tout est laborieux,
01:16:27 parce qu'en plus votre personnage est malade,
01:16:29 donc tout vous demande énormément d'efforts, etc.
01:16:31 Ou dans Death Stranding, où le but du jeu est littéralement
01:16:34 de porter des caisses sur votre dos, et d'essayer d'éviter de tomber,
01:16:37 de se laisser entraîner par le déséquilibre, etc.
01:16:40 Il y a quelque chose dans la performance capture et dans la motion capture
01:16:44 qui ajoute au sentiment de corporealité,
01:16:46 et qui peut être utilisé de façon fine et intelligente par certains jeux,
01:16:50 j'ai l'impression.
01:16:51 Après, vous avez tiré parti de l'intermédialité.
01:16:54 Il y a peu de jeux qui le font, mais qu'est-ce que ça fait
01:16:57 de juxtaposer des images réelles et des images numériques ?
01:17:00 Un bon exemple de ça, c'est Myst. Je ne développe pas, mais Myst,
01:17:03 vous êtes plongé dans un monde qui est un monde bizarre,
01:17:05 c'est thématisé qu'il est bizarre, vous ne savez pas pourquoi vous êtes là,
01:17:08 vous ne savez pas où vous êtes, c'est merveilleux, mais c'est déroutant.
01:17:11 En voyant apparaître des images réelles au milieu d'environnements numériques,
01:17:14 ça renforce ce sentiment d'étrangeté,
01:17:18 qui est loin de l'espèce de naturalisme naïf d'un Mad Dog McCree,
01:17:22 où on essaie de vous faire croire que vous êtes vraiment au Far West.
01:17:24 Là, l'intermédialité est thématisée.
01:17:28 Et enfin, vous avez les jeux qui produisent un discours méta-cinématographique.
01:17:31 Alors ça, c'est peut-être l'exemple le plus parfait.
01:17:34 C'est-à-dire que, par exemple, je vous ai mis un exemple du jeu Immortality,
01:17:37 de Sam Barlow, qui est paru en 2022, qui est un jeu qui, littéralement,
01:17:40 nous fait réfléchir sur ce que c'est qu'être une actrice de cinéma.
01:17:44 Et tout le jeu consiste à étudier des rushs de cinéma
01:17:48 que vous allez examiner, remonter, etc.,
01:17:51 pour reconstituer le destin d'une actrice de cinéma
01:17:54 malmenée par l'industrie de son époque, etc.
01:17:57 Donc là, évidemment, l'intégration de véritables acteurs, de véritables actrices
01:18:00 prend un sens qui est total, parce que c'est un sens réflexif,
01:18:04 méta-cinématographique, d'accord ? La matière elle-même est interrogée.
01:18:08 Bon, voilà. Je vais m'arrêter ici pour les pistes de réflexion.
01:18:10 Et je vous remercie.
01:18:12 [Applaudissements]
01:18:19 [Rire]
01:18:21 Merci à tous !

Recommandations