Alors que la France envisage le renvoi de Caucasiens du Nord (notamment des Tchétchènes) vers la Russie, Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France, dénonce cette décision. Il est notre invité. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-jeudi-18-janvier-2024-5639348
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00:00 6h21, le point de non-retour, c'est le titre du rapport publié cette nuit par Amnesty International.
00:14 L'ONG accuse la France de ne pas respecter le droit international.
00:18 Elle lui reproche de vouloir expulser vers la Russie des Tchétchènes.
00:22 Bonjour Jean-Claude Samouyer.
00:23 Bonjour.
00:24 Vous êtes le président d'Amnesty International France.
00:26 Alors je dis des Tchétchènes mais pas seulement, vous parlez dans votre rapport de personnes qui viennent de tout le nord du Caucase,
00:31 donc du Daguestan ou d'Ingouchi par exemple, qui font partie de la Fédération de Russie.
00:35 Si vous vous opposez à ces expulsions, c'est parce que ces personnes sont menacées si elles retournent en Russie ?
00:41 Absolument.
00:42 Il y a un principe général en droit international, c'est le principe de non-refoulement.
00:46 C'est-à-dire qu'on retrouve dans la convention contre la torture de 1984, qu'on retrouve également dans la convention de 1951 sur les réfugiés et les droits d'asile,
00:55 on ne peut pas renvoyer une personne dans un pays où elle risque la vie, la torture ou les mauvais traitements.
01:01 Et c'est la raison pour laquelle nous avons sorti ce rapport, parce que nous avons documenté le fait que la Croatie, l'Allemagne, la Pologne, la Roumanie et la France
01:10 renvoient ou tentent de renvoyer des personnes Tchétchènes du Daguestan ou d'Ingouchi en Russie où elles risquent la torture ou la mort.
01:18 Vous avez recueilli des témoignages qui nous racontent ce que risquent exactement ces personnes ?
01:22 Nous avons le témoignage de M. Daoud Maranoff, qui était une personne qui était en France, qui a été refoulée en Russie.
01:30 Il a été arrêté, il a subi la torture en Russie et il est décédé.
01:34 Donc c'est quelque chose qui peut arriver à n'importe qui qui est renvoyé aujourd'hui en Russie.
01:40 On connaît la situation en Russie.
01:42 Les personnes risquent la torture, risquent les disparitions forcées, les détentions arbitraires et risquent aussi l'incorporation dans l'armée.
01:51 Un demandeur d'asile tchétchène nous racontait qu'on peut être arrêté n'importe quand dans la rue en Tchétchénie.
01:58 Et on a le choix soit dix ans de prison, soit d'être incorporé dans l'armée et être renvoyé en Ukraine.
02:03 Et en dix ans de prison en Tchétchénie, on disparaît de la circulation pendant dix ans.
02:09 Mais au moins, on espère que dans dix ans, on sera toujours vivant, ce qui n'est pas le cas si on est envoyé en Ukraine.
02:13 Pour qu'on comprenne bien la situation, ces renvois, ces expulsions ont été interrompus depuis le début de la guerre en Ukraine,
02:22 depuis l'invasion russe en Ukraine.
02:24 Mais depuis récemment, il y a eu l'attentat d'Aras, un homme originaire du Caucase Nord qui a poignardé à mort un enseignant.
02:30 Évidemment, ça nous a tous rappelé l'assassinat de Samuel Paty qui était de Tchétchène.
02:34 Et à ce moment-là, Gérald Darmanin a dit qu'il voulait reprendre les renvois vers la Russie qui sont interrompus depuis la guerre.
02:41 C'est l'objet de votre rapport, évidemment, aujourd'hui, Jean-Claude Samouyer, rapport d'Amnesty International.
02:46 Combien de personnes aujourd'hui risquent cette expulsion ?
02:49 Il y a 60 personnes, on a estimé à 60 personnes le nombre de personnes qui risquent d'être expulsées.
02:55 Des personnes qui ont quel statut ? Ce sont des réfugiés, des demandeurs d'asile ?
02:59 Ça peut être des demandeurs d'asile, ça peut être des réfugiés, ou ça peut être des personnes.
03:02 À la limite, ça peut concerner des personnes qui n'ont pas de titre de séjour aujourd'hui en France.
03:06 Mais le principe de non-refoulement s'applique à tout le monde.
03:09 Y compris à des personnes en situation régulière ?
03:10 Y compris à des personnes en situation irrégulière.
03:13 Et l'attentat d'Aras, qui est un attentat atroce, c'est un crime abominable, ne doit pas servir de prétexte
03:19 pour renvoyer des personnes à qui on n'a rien à reprocher de façon factuelle,
03:24 de les renvoyer à la mort ou de les renvoyer à la torture.
03:26 C'est ça notre message, le message que nous voulons faire passer dans ce rapport.
03:30 Alors, le ministère de l'Intérieur dit que ces 60 personnes sont inscrites au fichier de traitement des signalements
03:35 pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.
03:38 Donc, même en cas de risque terroriste, la France ne doit pas les expulser ?
03:42 Non. Si un risque terroriste est avéré, la France doit poursuivre, doit inculper, doit juger, doit condamner,
03:48 mais ne doit pas renvoyer les personnes dans un pays où elles risquent d'être exécutées de façon sommaire.
03:53 C'est quoi le fondement juridique de cette renseignement ?
03:55 C'est le principe de non-refoulement. C'est un principe général du droit international.
03:59 Et encore une fois, c'est un principe qu'on retrouve dans un certain nombre de conventions internationales
04:03 qui ont été signées, ratifiées par la majorité des États.
04:06 Et en particulier tous les États de l'Européenne et en particulier la France.
04:10 Donc, on ne peut pas transiger avec le respect de ce principe de non-refoulement.
04:15 C'est une protection qu'on accorde aux personnes pour leur accorder une protection internationale.
04:20 Donc, pour vous, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, cède à la pression politique ou à la pression de l'opinion publique ?
04:25 Exactement. Et on ne peut pas céder à l'opinion publique, on ne peut pas céder aux pressions politiques
04:30 en transigeant avec le droit international, en violant les principes que la France a signés,
04:38 les conventions que la France a signées, les engagements que la France a pris au niveau international.
04:42 Et s'il y a des expulsions, si les expulsions reprennent, effectivement, que risque la France ?
04:46 Elle risque d'être condamnée, enfin on ira en justice, elle risque d'être condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, par exemple.
04:54 C'est une condamnation qui est symbolique, qui est politique, qui est diplomatique, mais c'est quelque chose qui est très important.
04:59 Encore une fois, un État de droit doit respecter ses engagements internationaux.
05:03 C'est très important, mais visiblement pas aux yeux du ministre de l'Intérieur.
05:06 On arrive à une situation qui est très grave, on est face à un ministre de l'Intérieur qui dit qu'il ne veut pas respecter le droit international,
05:16 qui dit qu'il ne veut pas respecter les engagements de la France. La situation est très très grave et on ne peut pas tolérer ça.
05:21 Et donc pas que la France, pour élargir un petit peu, vous nous disiez qu'il y a d'autres pays.
05:24 Effectivement, il y a un certain nombre de pays de l'Union Européenne, la Croatie, l'Allemagne, la Pologne et la Roumanie,
05:30 qui également renvoient ou tentent de renvoyer des personnes de Tchétchénie, d'Augustin ou d'Ingouchi en Russie.
05:39 Et il n'y a pas de réaction à l'échelle de l'Union Européenne ?
05:42 Non, il n'y a pas de réaction. Les réactions, ce sont les ONG, ce sont les ONG de défense des droits humains,
05:47 ce sont les différentes sections d'amnestie internationale et puis d'autres.
05:50 En France, il y a la CIMAD et en France, il y a la Ligue des droits de l'homme, qui travaillent justement pour éviter ces renvois forcés.
05:56 Merci Jean-Claude Samouillé, président d'Amnestie Internationale France.
06:00 Vous avez publié cette nuit un rapport qui a pour titre "Le point de non-retour". J'imagine qu'on peut le trouver facilement sur Internet ?
06:06 Absolument, il est sur notre site.
06:07 Merci, bonne journée à vous !
06:09 *musique*