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Le sociologue, spécialiste des croyances collectives, Gérald Bronner évoque son passé "d'illuminé", dans son livre "Exorcisme", publié ce 17 janvier chez Grasset. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-18-janvier-2024-6667781

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00:00 publié aux éditions Grasset un récit autobiographique intitulé « Exorcisme ».
00:04 Exorcisme ! Le spécialiste des croyances collectives qui a dénoncé à longueur de
00:09 livres et de micros, ici même, les idolâtres, les charlatans, les complotistes, les fanatiques
00:14 et autres faux soyeurs de la raison. Mais qu'est-ce qu'il a donc à exorciser ? Si
00:19 ce n'est que lui aussi, un jour, il a voulu croire et qu'il a cru.
00:23 Bonjour Gérald Brunner.
00:24 Bonjour.
00:25 Vous êtes membre de l'Académie de médecine et professeur à la Sorbonne. Adolescent,
00:29 vous avez tiré le tarot, traqué des envoûtements, entendu des bruits de sabots la nuit, scruté
00:35 les prophéties de Nostradamus, tenté la télékinésie, parlé aux fées, lu les arcades
00:42 majeurs et conçu des talismans. Est-ce que vous étiez ce qu'on appelle un illuminé ?
00:46 Oui, je crois qu'on peut dire ça comme ça. En tout cas, j'étais très radical
00:50 dans mes croyances. Je n'en ai d'ailleurs jamais fait secret puisque à plusieurs reprises
00:54 dans des interviews, j'ai expliqué que probablement ma passion pour l'objet croyance
00:59 en tant que sociologue venait des racines profondes de mon adolescence et jeune homme.
01:03 Simplement, je n'avais pas encore expliqué pourquoi, dans le détail, ni raconté cette
01:07 histoire. C'est mon éditeur Christophe Bataille qui, à l'occasion d'un déjeuner,
01:11 quand il m'a demandé ce qui s'était passé, m'a dit « tu ne peux pas ne pas
01:14 en faire un livre » et le voici aujourd'hui.
01:16 Votre mère était femme de ménage, vous avez grandi en HLM du côté de Nancy, taraudé
01:22 par une profonde envie d'échapper à cette vie de pauvreté. Assis, je vous cite, face
01:27 à des murs sans livre, entourés d'êtres qui ne pensaient qu'à survivre économiquement.
01:31 Qu'est-ce qui vous manquait à cette époque-là, Gérald Bronner ? Est-ce qu'il vous manquait
01:35 un pouvoir transcendant, capable de vous sortir de là ? Ou est-ce qu'il vous manquait
01:39 une histoire, avec un grand H, un récit, dans lequel vous inscrire pour donner un sens
01:43 à votre vie ?
01:44 Oui, je crois que c'est la volonté de plier le réel à son désir. C'est-à-dire
01:49 qu'originellement, ce n'est même pas la pauvreté de mon milieu dont je ne me rendais
01:53 pas compte en réalité, parce qu'on ne sait pas qu'on est pauvre. Quand on est
01:56 jeune pauvre, ne pas avoir de livre sur les murs, ça m'a manqué, mais je ne savais
01:59 pas tellement qu'ils existaient non plus. Par contre, le réel, tel qu'il était,
02:03 ne me plaisait pas. Et à l'âge de 4 ans, parce que ma soeur avait 3 ans de plus que
02:06 moi, elle m'a initié au fait que le Père Noël n'existait pas. Et je crois que je
02:10 ne m'en suis jamais tout à fait remis. Lorsque j'ai découvert ça, j'espère
02:13 qu'il n'y a pas d'enfant qui écoute, pardon, je me suis dit, quand j'ai découvert
02:23 ça, les choses vont mal se passer en fait. Si le barbu avec un habit rouge n'existe
02:28 pas, c'est que tout va être contaminé. Sauf que quand on est tout seul, on ne peut
02:32 pas plier vraiment le monde par son désir. Donc il m'a fallu trouver des compagnons,
02:36 des camarades. - Alors justement, comment ça a commencé ?
02:38 - Eh bien, assez tardivement en fait, parce que j'ai essayé à plusieurs reprises de
02:42 convaincre des camarades de rêver avec moi, mais à juste titre, et tant mieux pour eux,
02:45 ils ne se sont pas vraiment souhaités. Sauf que j'ai pratiqué les sports de combat,
02:49 et ce qui m'a sorti un peu d'une micro-délinquance au bord de laquelle je me trouvais, comme
02:54 beaucoup de jeunes, de quartiers comme ça, disons populaires. Et la personne que j'ai
03:00 rencontrée, Nahil, dans le texte, avait une autre représentation du monde, elle venait
03:05 de la même banlieue que moi, et il m'a proposé qu'on rêve ensemble. Et on s'est mis, à
03:09 deux d'abord, et puis bientôt à soixante, jeunes gens, à imaginer que Nancy, la ville
03:15 où nous vivions, était le centre du monde, et qu'allait s'y passer l'événement
03:19 le plus considérable de l'histoire de l'humanité. Alors, je sais que c'est très perché, aujourd'hui
03:23 j'ai beaucoup pris de distance par rapport à cette proposition, mais pourquoi le taire ?
03:26 Nous pensions que l'apocalypse allait survenir, mais nous le croyons pour des tas de raisons,
03:32 c'est-à-dire qu'il faut bien comprendre, et c'est comme ça que je fais de la sociologie
03:35 aujourd'hui, que même lorsqu'on croit à des choses folles, on n'est pas forcément
03:38 fou. C'est-à-dire qu'on a des raisons de croire, et j'essaie d'expliquer, c'est
03:42 une des raisons de l'écriture de ce livre, eh bien tous les processus qui font qu'on
03:47 peut se radicaliser. Par exemple, la perception de coïncidences extraordinaires. Nous étions
03:51 obsédés par le chiffre 22. Vous savez, quand vous interrogez le monde avec une obsession,
03:56 il finit par vous répondre.
03:57 Et à Nancy, les voix vous appelaient, parce que justement, dans ce livre, il y a une sorte
04:01 de topographie complètement chimérie, complètement hallucinée de Nancy, parce qu'il y a des
04:07 portes magiques, place Stanislas, et les voix vous enjoignent à trouver les souterrains.
04:13 Ces souterrains qui vont être la pièce finale de ce puzzle cosmique. Vous les avez trouvés,
04:18 ces souterrains ?
04:19 Justement, c'est assez drôle, parce qu'à défaut de souterrains, nous descendions dans
04:22 les égouts. Et je trouve que ce parallèle entre souterrain magique et égout, je ne
04:26 vais pas rentrer dans les détails ce matin, montre bien comment notre imaginaire s'est
04:31 désacralisé peu à peu. C'est-à-dire que l'apocalypse, nous l'avons peu à peu
04:35 troqué pour le grand soir, parce que nous nous sommes politisés, plutôt vers l'anarchie
04:40 d'ailleurs. Nous voulions faire une révolution pacifique, parce que quand vous attendez l'apocalypse,
04:44 le problème c'est qu'elle ne vient pas. Donc ça dure longtemps.
04:46 Et la désacralisation, elle passe aussi par cette politisation, c'est-à-dire que comme
04:50 il n'y a pas de mages noirs contre lesquels œuvrer, finalement vous vous battez contre
04:54 des fachos.
04:55 Oui, voilà, comme beaucoup de jeunes aussi dans les années 80. C'est vraiment aussi
04:59 une chronique des années 80. Nous troquons là aussi des satanistes qui n'existaient
05:03 pas d'ailleurs, mais nous avons quand même suivi des gens dans la rue, nous avons organisé
05:05 des filatures. Donc tout ça c'est une histoire un peu de pied-niclé si vous voulez. J'espère
05:09 la raconter avec beaucoup d'ironie. Mais malgré tout, elle a quelque chose d'exemplaire
05:14 pour tous ceux qui veulent comprendre la dynamique des croyances. Comment on se radicalise et
05:19 comment on peut prendre de la distance même quand on s'est engagé. Ça prend pas mal
05:23 d'années.
05:24 Est-ce que c'est une radicalisation Gérald Bronner ? Une bascule d'adolescents avant
05:29 Internet, avant les radicalisations religieuses en ligne, avant les milliers de contenus conspirationnistes
05:35 pour ne pas dire les millions de contenus conspirationnistes ?
05:38 Alors, faire de l'histoire contre-factuelle c'est toujours difficile, mais je crois
05:42 que si par malheur Internet avait existé à l'époque, je me serais enfoncé beaucoup
05:46 plus loin dans cette radicalité parce que j'aurais trouvé beaucoup plus de gens encore
05:49 pour rêver ou cauchemarder avec moi si je puis dire. Et surtout j'aurais trouvé beaucoup
05:53 plus de signes qui confirment toutes mes croyances. Que le biais de confirmation est permanent
05:58 évidemment sur Internet, ça c'est l'illustration d'autres travaux que j'ai pu mener, mais
06:02 je me suis retrouvé moi-même comme un objet de mes propres recherches en fait.
06:06 C'est le savoir qui vous a sorti de là, c'est l'université, c'est la rencontre
06:10 avec deux disciplines qui ont fait ensuite toute votre vie, la sociologie et la philosophie.
06:15 J'étais devenu un ogre, écrivez-vous.
06:18 Oui, moi je suis allé à la culture et aux livres comme quelqu'un d'affamé en fait.
06:24 J'étais dans le désert, j'avais soif, mais je ne trouvais pas de source. Sauf mon
06:27 oncle qui est un des personnages principaux de l'histoire, qui a une histoire pathétique
06:31 et terrible, mais qui avait enfermé chez lui toute sa vie et chez sa mère. Qui avait
06:35 par contre les murs tapissés de livres et qui m'a ouvert à l'ésotérisme et aussi
06:40 au surréalisme, André Breton, etc. Et en effet le déclic, un des paramètres fondamentaux,
06:47 ça a été la sociologie. Et le mémoire que j'ai réalisé en Master 1, comme on
06:51 dirait aujourd'hui, j'ai voulu travailler sur la superstition, j'étais encore croyant
06:55 à l'époque, mais j'ai découvert, ce que tout le monde sait, c'est qu'on pratique
06:58 la superstition, en particulier quand on est confronté à des situations anxiogènes,
07:02 d'incertitude, c'est une stratégie de réduction de l'incertitude, n'est-ce pas ? Et tout
07:07 à coup, en découvrant cela, en écrivant ce mémoire, je me suis vu dans un miroir
07:12 et je me suis dit "c'est moi", mais ce n'était que la première étape. Après
07:16 ça, j'ai essayé de défendre la forteresse de crédulité dans laquelle je me situais.
07:20 Ça a été long.
07:21 Je ne voulais pas devenir l'homme que je suis devenu aujourd'hui et qui se tient
07:23 devant vous.
07:24 Quand vous dites qu'on comprend progressivement qu'on peut croire à des choses folles
07:28 sans être fou soi-même et que ça a été une boussole ensuite dans toute l'histoire
07:33 de vos recherches, c'est l'idée qu'on peut se jeter à corps perdu dans une croyance
07:37 et que ce n'est jamais par folie, mais que c'est par manque, que c'est par colère,
07:42 que c'est par frustration, que c'est par peur ?
07:44 Que c'est pour tout ça et que c'est en plus pour des raisons, paradoxalement. C'est-à-dire
07:48 que l'esprit est toujours raisonneur, même lorsqu'il s'enfonce dans des croyances
07:51 folles. Et c'est pour ça d'ailleurs, ce n'est pas une coïncidence, que j'ai
07:55 rejoint dans mes travaux une grande tradition intellectuelle qui part de Max Weber et rejoint
08:00 Raymond Boudon.
08:01 C'est-à-dire des gens qui font comme sociologues le travail de reconstruire l'univers mental
08:06 des autres par charité interprétative en quelque sorte.
08:08 On cherche les raisons des autres, ce qui ne veut pas dire qu'on leur donne raison.
08:12 Ce n'est pas une compromission intellectuelle, mais on a bien fait son travail quand on a
08:15 vu la logique qui peut sembler paradoxale quand on n'adhère pas à ses croyances,
08:19 et bien qui soutient les individus même lorsqu'ils commettent le pire à cause de leurs croyances.
08:24 Vous aimez toujours le Seigneur des Anneaux ?
08:26 J'adore le Seigneur des Anneaux.
08:28 Vous seriez plutôt Aragorn, plutôt Légolas, plutôt Gimli, plutôt Frodon ?
08:34 Alors, si vous me demandez de choisir, c'est terrible, mais je préfère quand même Aragorn.
08:38 M'auriez dit Gandalf ou Aragorn et là j'aurais vraiment fait une réponse normale.
08:41 Merci beaucoup Gérald Brunner.
08:43 Exorcisme, publié aux éditions Grasset.

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