• il y a 9 mois
Premières proies des conflits, les femmes sont aussi des figures clés de la reconstruction après la tempête... Mais quel est leur rôle dans la révolution ? La sortie d'une nouvelle biographie de la grande communarde Louise Michel est l'occasion de s'intéresser à des épisodes inconnus de sa vie.

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Amusant
Transcription
00:00 C'est l'heure de la question de Maya qui a voulu savoir si la révolution c'est ou pas un truc de bonne femme, un truc de gonzesse.
00:06 C'est l'heure de la question de Maya Mazorette.
00:08 *Musique*
00:12 *Bruit de vent*
00:14 "On ne va pas se laisser faire. La révolution c'est la nôtre aussi et ça personne ne pourra nous l'enlever.
00:18 Moi j'étais aussi à la Bastille. Moi aussi je suis contre la condition de l'impôt.
00:22 Et je soutiens le suffrage universel. Mais un suffrage vraiment universel où les femmes elles doivent pouvoir voter."
00:29 *Musique*
00:31 La révolution est-elle une affaire de bonne femme ?
00:34 Pour les deux grands d'une division très binaire des genres, évidemment c'est une hérésie.
00:37 La femme c'est la garde du foyer, c'est la stabilité, la coopération, la négociation, la continuité entre les générations.
00:42 Alors que l'homme, bien sûr, vous le savez, Hervé Lecor, c'est l'instabilité, l'espace, c'est la rébellion, l'intransigeance, la disruption, l'héroïsme.
00:51 Bref, dès qu'on parle de révolution, on est dans l'imaginaire viril par excellence.
00:55 Un imaginaire qui est soutenu par certains adeptes de psychologie évolutionnaire.
00:59 Les femmes auraient trop d'empathie pour faire la révolution. Elles ne seraient pas câblées pour les barricades.
01:03 Elles seraient biologiquement passives. Et à citre, les femmes seraient censées subir l'histoire et certainement pas la faire advenir.
01:09 Et pourtant, depuis quelques décennies, les historiennes remettent sous les projecteurs le potentiel hautement inflammable des femmes.
01:16 Révolution française, révolution russe, révolution haïtienne des esclaves, révolution orange en Ukraine, révolution en Iran.
01:21 Actuellement, les femmes sont de tous les combats, parfois elles sont à l'origine des combats.
01:26 D'ailleurs, à mon avis, ce n'est pas complètement hasard.
01:28 Si quatre ans à peine après la révolution française, les hommes ont décidé d'interdire aux femmes de participer à l'armée et même à des clubs,
01:35 elles ont dû se sentir menacées. Mais bon, vous savez ce qu'on dit, faites sortir les femmes par la fenêtre, elles rentreront par la porte.
01:41 Vu qu'en tant que gardiennes du foyer, c'est elles qui ont les clés.
01:43 Pour creuser le destin des femmes révolutionnaires, Maya, aujourd'hui tu reçois Marie-Hélène Bellac.
01:48 Bonjour Marie-Hélène Bellac. Vous êtes historienne, vous venez de publier une biographie de Louise Michel aux éditions Perrin.
01:55 Alors en une minute, pour les gens qui ont eu zéro en histoire au bac, qui était Louise Michel ?
01:59 Alors qui était Louise Michel ? La mère de l'anarchie, qui a été dans un monde d'hommes.
02:05 Oui c'est vrai, c'est comme ça qu'on l'a appelée.
02:07 Et qui a été dans un monde d'hommes, disons les vingt dernières années du 19ème siècle, la seule vraie femme publique.
02:13 C'est-à-dire que par exemple, quand elle est revenue de Nouvelle-Calédonie, où elle avait été envoyée en enceinte fortifiée,
02:19 il y avait dix mille personnes à la gare Saint-Lazare pour l'accueillir.
02:22 Et ensuite elle a enchaîné conférence sur conférence pendant vingt-cinq ans, et il y avait toujours du monde.
02:27 Pas toujours des milliers, mais il arrivait qu'il y ait deux mille personnes.
02:30 Elle a été suivie par la police toute sa vie, il y avait toujours des policiers en bas de sa maison pour la surveiller.
02:37 Elle a fait plusieurs séjours en prison, et pareil en 1905, quand elle est décidée à Marseille,
02:43 la foule l'attendait à la gare Saint-Lazare, et plusieurs milliers, la police dit,
02:48 huit mille personnes l'ont amenée jusqu'au cimetière de Levallois.
02:51 Donc c'est vraiment une femme d'exception.
02:54 Et est-ce qu'elle a fait la révolution comme un homme ?
02:56 Oui, alors elle a pris les armes, parce que justement à une époque où les femmes étaient ambulancières, étaient brocardières,
03:04 elle a pris les armes et là, pendant la commune de Paris, effectivement, montait souvent la gare de Fort-Dixi,
03:12 Clémenceau disait "elle tuait pour qu'on ne tue à point".
03:16 Et elle dit d'ailleurs que l'odeur de la poudre l'excitait.
03:20 Donc pas de passivité féminine face à l'histoire ?
03:24 Non, non, non, non, Louise Michel n'était pas une femme passive, même si c'est drôle, parce qu'elle prêchait les pires horreurs.
03:30 C'était quand même une anarchiste, elle voulait le renversement du monde, du monde ancien, par une révolution brutale,
03:36 qui amènerait, on ne sait pas comment, un monde nouveau extraordinaire.
03:39 Mais elle le faisait avec une voix douce.
03:41 C'est très curieux, qui fascinait d'ailleurs ceux qui l'écoutaient, parce qu'elle disait les pires horreurs, mais doucement, comme gentillesse.
03:49 Et puis il y avait aussi une dimension sacrificielle, parce qu'elle a appelé par exemple les juges à la condamner à mort.
03:54 Absolument, elle a appelé les juges à la condamner à mort, en grande partie parce que le seul amour de sa vie, Théophile Ferré, avait été fusillé,
04:04 pour sa participation aussi à la Commune, peu de temps avant qu'elle-même ne fasse son jugement.
04:09 Donc en fait, elle n'avait pas envie de vivre, elle avait envie de le rejoindre dans la mort.
04:14 Et d'ailleurs ensuite, comme elle a été condamnée donc simplement à être déportée, elle a eu une phase de dépression assez longue.
04:20 Puis on l'avait même accusé d'être folle, par exemple.
04:22 Ah, on l'a accusé d'être folle, d'ailleurs dès le début, lors de son procès, certains disaient "c'est une folle, c'est une hystérique".
04:28 Et toute sa vie donc, ce thème a couru, et à un moment, justement, après une des conférences à Vienne en France,
04:36 elle a failli être internée parce qu'elle avait tout cassé dans sa cellule, parce qu'elle était mécontente, parce qu'on voulait la libérer, et pas ses compagnons.
04:44 Et du coup, elle a failli être envoyée en asile psychiatrique.
04:47 Et là, elle a eu peur, parce que comme elle disait, la prison ça ne me gêne pas, au contraire, j'écris, je suis tranquille, je suis plutôt mieux nourrie qu'à la maison, c'est vrai.
04:55 Quand elle allait en prison, elle revenait avec un peu plus d'embonpoint.
04:57 Mais l'asile psychiatrique, en plus, elle connaissait les fous, elle s'était intéressée aux asiles, elle avait écrit sur eux, et ça, elle ne pouvait pas.
05:04 Donc, elle s'est exilée à Londres.
05:06 Qu'est-ce qu'il nous reste aujourd'hui de Louise Michel ?
05:08 Alors, qu'est-ce qu'il nous reste de Louise Michel ?
05:10 Pas mal de bibliothèques, on les appelait comme ça.
05:12 On a eu plein d'établissements de métro.
05:14 Pendant très longtemps, ça a été la seule station de métro ayant un nom féminin, c'était la sienne.
05:20 Près de 190 établissements scolaires.
05:23 Et puis, je dirais, une légende, et aussi une femme qui continue à vraiment partager, parce qu'il y a toute la gauche qui voit en elle une femme qui a fédéré la gauche, c'est vrai d'ailleurs à un moment.
05:37 Et qui en plus, c'était en même temps une femme capable de dire des horreurs, mais extrêmement soucieuse des misérables, extrêmement attentive.
05:47 Des kanaks notamment ?
05:49 Notamment, quand elle est en Nouvelle-Calédonie, elle s'est intéressée à la culture kanak.
05:53 Elle pensait que les européens étaient supérieurs, mais elle pensait qu'il fallait les civiliser, qu'ensuite il y aurait une sorte de mixité qui se ferait entre les kanaks et les européens.
06:04 Et donc, à côté de ça, la droite au contraire, elle a toujours traité de pétroleuse, de nafuran...
06:11 Qui est une super insulte !
06:13 Pétroleuse, c'est vraiment...
06:15 Et du coup, je pense que même aujourd'hui encore, je le vois maintenant, il y a encore des clivages.
06:22 Sur Louise Michel.
06:25 Et aussi, parce qu'elle était une femme, elle n'était pas forcément prise au sérieux. Vous citez un journal qui écrit...
06:30 "À sa mort, qu'elle a été révolutionnaire d'instincts et de sentiments plutôt que de calculs et de raisons."
06:35 Comme si quand on était une femme, on faisait la révolution parce que ça nous passe par la tête, comme ça ?
06:39 Oui, mais bien sûr, parce que...
06:41 Il y a des luttes féminines depuis la révolution de 89.
06:45 Mais enfin, il faut bien être réaliste que le monde est extrêmement misogyne.
06:49 D'ailleurs, même avant, Proudhon, qui est quand même le père de l'anarchie, disait que les femmes devaient rester au foyer.
06:54 Du coup, le père et la mère de l'anarchie ne s'entendaient pas très bien.
06:58 Pas très bien, absolument.
07:01 Et donc, comme elle disait, elle citait toujours cette parole de Molière qui disait "la femme est le potage de l'homme".
07:06 Mais donc, vous voyez, c'était...
07:09 Oui, c'est sûr, mais enfin, elle était dans un monde d'hommes.
07:12 Et elle, tous les hommes l'appelaient parce qu'elle était le clou des conférences.
07:16 Mais c'était aussi une femme exceptionnelle. Alors, est-ce que justement, c'est une exception ?
07:20 Ou alors, est-ce qu'on a toutes en nous quelque chose de Louise Michel ?
07:22 Alors, bien sûr, c'est une personnalité exceptionnelle.
07:25 Mais je pense qu'on a tout en nous.
07:27 Justement, c'est même une supériorité des femmes.
07:29 Les femmes ont quand même, de par leur...
07:31 D'accord avec vous.
07:32 Si, si, de par leur situation.
07:34 Parce que, comme il y a cette longue culture quand même de répression, soyons clairs.
07:39 Elles savent se battre.
07:41 Elles sont toujours aux premières loges.
07:44 Vous parliez des révolutions, oui, parce qu'il faut qu'elles fournissent le pain aux enfants.
07:47 Donc, par exemple, au moment de la révolution de 89, ce sont les femmes qui vont chercher le roi à Versailles.
07:52 En 48, elles demandent du travail, comme les hommes.
07:56 Et puis aujourd'hui, elles sont sur les barricades.
07:58 Et aujourd'hui, elles sont aussi concernées.
08:00 Donc, les femmes sont amenées dans la vie à faire souvent des choses beaucoup plus diverses que les hommes, en fait.
08:06 Et donc, elles savent se battre.
08:09 Souvent, je pense.
08:11 Et ça, on sait se battre aussi aujourd'hui.
08:13 Battons-nous.
08:14 Faisons du pain et nourrissons nos enfants.
08:16 Merci beaucoup, Marie-Hélène Bellac.
08:17 Votre livre, il est vraiment super et vient de paraître.
08:19 Il s'appelle Louise Michel, tout simplement.
08:21 C'est aux éditions Perrin.

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