Le débat économique dans le 7/10 par Dominique Seux et Thomas Porcher (7h45 - 22 Novembre 2024)
Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
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00:00Le débat du vendredi entre Thomas Porchet et Dominique Seux, Thomas Porchet, membre
00:04des économistes atterrés, professeur à la Paris School of Business, c'est Dominique
00:09Seux, éditorialiste à France Inter et aux Echos, bonjour messieurs, c'est le ministre
00:15de l'économie Antoine Armand qui a tiré la sonnette d'alarme hier et c'est assez
00:19paradoxal que ces mots viennent de lui, attention à l'impôt de trop, ces mots sont entre
00:26guillemets et il les a prononcés dans le parisien aujourd'hui en France, c'est plutôt
00:31inhabituel et c'est donc le sujet du jour de ce débat, faut-il craindre un ras-le-bol
00:36fiscal des français ? J'aimerais d'abord qu'on parte de l'expression et des mots
00:40qu'on utilise, matraquage, ras-le-bol fiscal, impôt de trop pour reprendre les mots d'Antoine
00:48Armand, d'où ça vient et est-ce que ça correspond à un critère objectif messieurs ?
00:54Critère objectif, non, mais on a des références historiques, Keynes considérait qu'au-delà
00:59de 30%, c'était non pas forcément confiscatoire mais il y avait de l'inefficacité économique,
01:06ça remonte à assez loin, Vauban, vous savez les fortifications, Vauban considérait à
01:11peu près le même chiffre de 30%, d'autres avaient dit 20%, Jean-Baptiste Sey, et après
01:16je laisse la parole à mon camarade, Jean-Baptiste Sey, donc c'est sous la restauration, avait
01:20pris l'exemple d'un ouvrier qui travaille dans son atelier, qui fabrique une pièce à
01:268 sous, le suif pour s'éclairer c'est 4 sous, une taxe arrive de 5 sous, et bien 9
01:33sous de coût, il n'a arrêté de travailler parce qu'il n'arrivait plus à vendre à
01:378 sous, évidemment, ce n'est pas scientifique, c'est concret, il n'y a pas de chiffre magique
01:43évidemment.
01:44Tout à fait, il y a eu beaucoup de théories, il y a la théorie de la courbe de l'affaire,
01:48qui est une courbe en U inversée, qui a été faite en 74 sur un coin de table, donc
01:54toutes ces théories…
01:55C'est un économiste américain, l'affaire, et il dessine ça sur une table de restaurant
02:00avec deux personnes qui ne sont pas n'importe qui, puisque c'est Dick Cheney et Rumsfeld,
02:05c'est-à-dire deux membres éminents de l'administration Bouchefice.
02:08Exactement, mais toutes ces théories qui sont intéressantes, puisqu'on en discute
02:12ce matin, n'ont pas eu de vérification empirique en réalité, parce que c'est
02:16un peu plus compliqué que ça.
02:17On se rend compte que certains pays, par exemple, qui ont des taux de prélèvement obligatoires
02:20beaucoup plus élevés que d'autres, vont avoir des meilleures croissances, ça peut
02:23arriver sur certaines périodes, par exemple, quand on compare le Japon et la Suède, on
02:27se rend compte dans les années 90, sur la décennie, que la Suède a eu un meilleur taux
02:30de croissance.
02:31Quand on regarde aujourd'hui les pays du nord de l'Europe qui ont des taux de prélèvement
02:34obligatoires très élevés, ils ont parfois des meilleures croissances que certains pays
02:37du sud et ils innovent plus, donc c'est très difficile de voir s'il y a des correlations
02:41entre niveau d'imposition et niveau de croissance.
02:42Et comment ça relève de quelque chose d'impalpable, avant de rentrer dans le fond et les problèmes
02:48budgétaires majeurs auxquels est confronté le gouvernement français ?
02:51C'est à la fois scientifiquement difficile, ça dépend des moments, des circonstances
02:57bien sûr, mais c'est assez intuitif quand même.
03:00C'est quand même assez intuitif que si vous travaillez et qu'on vous prend entre 10%
03:07et 90%, il se passe peut-être quelque chose.
03:09La motivation n'est pas exactement la même, mais ça dépend naturellement des circonstances.
03:14On espère qu'il n'y a pas de lien direct entre le niveau de prélèvement et l'efficacité
03:21économique puisque la France est de très loin le pays qui a le plus de prélèvements.
03:25Alors on va en parler justement, attention à l'impôt de trop, comment recevoir cette
03:30phrase ? On est dans un moment très particulier Thomas Porcher.
03:32Pour moi le ras-le-bol fiscal ou l'impôt de trop c'est des formules creuses en réalité
03:37parce que vous interrogez n'importe quelle personne, êtes-vous content de payer plus
03:40d'impôts l'année prochaine ? En majorité ils vont dire non et d'ailleurs les sondages
03:42montrent qu'ils disent non.
03:43Et puis vous prenez n'importe qui dehors, vous dites est-ce que vous voulez gagner plus
03:46demain ? Ils vont dire oui, on veut gagner plus, ça c'est sûr que vous allez avoir
03:49quasiment 80% de gens qui vont dire oui.
03:52En réalité la question ce n'est pas plus ou moins d'impôts, c'est celle de la justice
03:56fiscale qui est importante.
03:57Et la justice fiscale aujourd'hui, un certain nombre de travaux montrent que les PME ont
04:01une pression fiscale plus forte qu'un certain nombre de grands groupes qui arrivent à pratiquer
04:04de l'évasion fiscale ou que les très très hauts revenus, avec les travaux notamment
04:08de Gabriel Zucman, arrivent à échapper à l'impôt.
04:11Donc aujourd'hui la vraie question c'est la progressivité et la justice fiscale.
04:14Il y a quand même un consensus pour dire que trop d'impôts finit par tuer l'impôt.
04:18Patrick Cohen évoquait Georges Rey, il a cité François Mitterrand.
04:21François Mitterrand en 1983 va devant les français pour dire trop d'impôts, pas d'impôts.
04:27Donc en fait il y a un peu un consensus qui honnêtement…
04:30Trop d'impôts, pas d'impôts, la formule est paradoxale, l'explication ?
04:34Trop d'impôts, vous augmentez les impôts, à la fin il n'y a plus d'activité économique.
04:38Et donc on ne peut plus prélever d'impôts.
04:41Pourquoi Antoine Armand a dit ça ?
04:43Oui, on va rentrer dans le vif du sujet justement.
04:45Pourquoi Antoine Armand a dit ça ?
04:46Bon d'abord c'est intéressant, il a donné une interview au Parisien qui n'a pas été relue par Matignon
04:50et il n'avait même pas, je crois, averti Matignon de la publication.
04:53Donc on voit bien, on voit avec la situation politique dont on parle régulièrement,
04:57elle est compliquée mais elle est compliquée de plus en plus.
04:59Il y a une explication politique, les macronistes veulent se faire entendre
05:06et défendre la politique qui est suivie, même d'ailleurs non pas depuis 2017 mais depuis 2014.
05:11Ce qu'on appelle cette politique pro-business.
05:13La politique favorable aux entreprises.
05:15Donc ne pas augmenter les impôts des entreprises.
05:17Voilà, ils considèrent que dans cette période de retournement économique,
05:22c'est un signal compliqué et destructeur d'augmenter les impôts, notamment des entreprises.
05:27Et puis il y a l'explication, effectivement économique, qui est de dire
05:32la France est connue pour avoir beaucoup d'instabilité fiscale depuis toujours.
05:36Là, il y avait de la stabilité fiscale, le signal est désastreux.
05:40Ce n'est pas la première fois.
05:41Vous vous souvenez que dans ce studio, en août 2013, Pierre Moscovici,
05:45alors ministre de l'économie et des finances, était venu dire ici, c'était Bruno Deville je crois,
05:51il avait inventé la formule et il avait dit, enfin il avait inventé la formule,
05:54je crois qu'elle existait avant lui, mais il avait dit, je fais attention au ras-le-bol fiscal.
05:58Mais on était au deuxième budget de François Hollande et non pas trois mois avant l'arrivée du premier ministre.
06:04Et sans savoir exactement à quoi ressemblera le budget de Michel Barnier, Thomas Porcher,
06:09sur la question des impôts des entreprises, revenons en 2024.
06:13Alors je parle quand même de 83, on peut parler aussi de 2013,
06:16mais ce qui est assez marrant, c'est que je pense que François Mitterrand comme François Hollande
06:20voulaient changer l'avis des Français et puis à un moment, ils ont changé d'avis.
06:23On l'a bien vu avec François Hollande qui est passé à la politique de l'offre avec le CICE
06:27et qui a fait des coupes drastiques dans les collectivités locales.
06:30Alors je veux bien peut-être qu'il y ait quelque chose d'instinctif dans la courbe de l'affaire
06:35et qu'à un moment, quand on augmente les impôts, il y a moins de recettes fiscales,
06:38mais une chose est sûre, et là on le voit, c'est que quand on baisse les impôts, il y a aussi moins de recettes fiscales.
06:42Puisque les recettes fiscales n'ont jamais autant baissé sous Macron
06:45et une grosse partie du déficit est expliquée par un manque de recettes fiscales
06:48et la baisse d'impôts qui a été faite sur les grandes entreprises et sur les ménages.
06:52Mais le débat, il porte sur la question d'augmenter ou non les impôts des entreprises.
06:57Dominique devrait être content parce que quand on regarde les prélèvements obligatoires,
06:59depuis 2017, ils ont diminué.
07:01Donc oui, ils ont diminué, mais la moitié du déficit s'explique aussi par la baisse d'impôts.
07:07En fait, si on parle d'une période de 10 ans, ça augmente régulièrement.
07:11De quoi parle-t-on très précisément ?
07:12Moi, j'ai fait le compte ce matin avant de venir, j'en suis à 13 hausses d'impôts dans le budget.
07:17Honnêtement...
07:18Du budget qui n'a toujours pas été adopté.
07:21J'ai vécu, j'ai vu un certain nombre de budgets, donc merci de le croire.
07:25J'en ai compté 13.
07:26Je vais vous les donner, mais extrêmement rapidement.
07:27Pour les particuliers, hausse des taxes sur l'électricité,
07:30les frais de notaire, droit de mutation quand vous achetez un bien,
07:33les sucres, les sucres ajoutés, 200 millions quand même,
07:35les tabacs, plus 40 centimes au 1er janvier.
07:38On s'approche des 13 euros par paquet.
07:40Les malus voiture au poids et une taxe sur les contribuables très aisés.
07:44Ce qui est drôle, c'est qu'on ne parle que de la taxe sur les contribuables aisés,
07:47mais en fait, il y a quand même pas mal de choses.
07:48Et pour les entreprises, vous en avez 5.
07:50La taxation des bénéfices des grandes entreprises.
07:52Vous avez les allégements de quotidien social, j'imagine que c'est le cœur du sujet.
07:56On va en parler. Les rachats d'actions, la taxe.
07:59Il y a quand même une taxe sur les entreprises de 2,5 milliards qui a été votée avant-hier
08:02pour l'autonomie des personnes âgées, avec en contrepartie l'augmentation
08:07de la durée de travail d'une journée de 7 heures par an par français.
08:11Vous savez, comme on est dans la pagaille totale,
08:13une information aussi importante que ça, 7 heures de travail de plus dans l'année,
08:16ça passe totalement inaperçu.
08:18On est dans une situation assez étonnante.
08:20Je ne parle même pas du versement de transports pour les entreprises
08:23ou la taxe sur les billets d'avion.
08:24Ryanair qui a dit hier, écoutez les amis,
08:27s'il y a une taxe sur les billets d'avion, je ferme 10 aéroports en France.
08:32Donc ça va pour vous avoir des conséquences, Thomas Porcher ?
08:35Je ne sais pas, moi, Dominique a souvent dit que le déficit était très important,
08:39qu'il trouvait ça très grave.
08:40Et donc pour réduire un déficit, soit on coupe dans les dépenses publiques,
08:43soit on augmente les impôts, soit on fait les deux.
08:45Ils veulent faire les deux, donc il va y avoir ça.
08:47Pour vous, il est juste d'augmenter par exemple les cotisations personnelles ?
08:50J'étais partisan de le faire sur un temps beaucoup plus long,
08:52parce qu'on avait un déficit qui était encore inférieur à celui des Etats-Unis
08:55et au même niveau de celui du Japon,
08:56légèrement un peu au-dessus de celui du Royaume-Uni.
08:58Je ne trouvais pas ça si grave que ça.
09:00Et donc je pense qu'on aurait pu faire ça sur un temps beaucoup plus long.
09:02Maintenant, si on part du principe que c'est grave,
09:04c'est ce que dit Dominique, c'est ce que dit le gouvernement,
09:07c'est ce que dit à peu près tout le monde.
09:08Dans ce cas-là, il va falloir faire ce qui a été dit.
09:12Mais rappelons une chose quand même, rappelons une chose,
09:14c'est qu'il y a eu 60 milliards de baisses d'impôts sous Macron.
09:18Et entre 2000 et 2010, un rapport parlementaire a estimé
09:20à 100 milliards les baisses d'impôts,
09:22à 30 milliards les exonérations de cotisations fiscales.
09:24Donc ça fait quand même un certain nombre d'années
09:26qu'on baisse les impôts en espérant que ça va faire une impulsion sur le PIB,
09:29qui n'a pas lieu.
09:30Et donc quand on compare les prélèvements obligatoires,
09:32quand on met tous les prélèvements en fonction du PIB,
09:34le PIB n'augmente jamais aussi vite que la baisse des prélèvements.
09:36Et donc on a un pourcentage qui est toujours très élevé.
09:38Vous ne voulez pas parler des cotisations patronales ?
09:40Avec Thomas, on est dans une affaire inversée.
09:42Plus on baisse les impôts, et curieusement,
09:44plus les prélèvements obligatoires augmentent.
09:46Oui, parce que le PIB augmente moins vite,
09:47parce que les prélèvements obligatoires sont en fonction du PIB.
09:49Ce qui ne va pas en fait dans la situation actuelle,
09:51c'est que les impôts augmentent pour à peu près tout le monde.
09:55Mais à la fin, le déficit public ne sera pas tenu à 5% du PIB.
09:59Ça paraît quasiment inservi maintenant.
10:01Donc c'est quand même un peu un souci de demander des efforts à peu près à tout le monde.
10:04Mais c'est l'objectif de Michel Barnier.
10:05Et j'invite les auditeurs à se poser une question très simple.
10:08Chacun, j'ai cité, 13 impôts qui augmentent.
10:10Qui peut, dans sa cuisine, dans sa salle de bain, dire
10:13quelle économie forte sur les dépenses publiques a été faite sur l'État lui-même ?
10:16Je laisse trois secondes de silence,
10:17et je demande à chacun de dire, posez les questions.
10:19Si on se pose dans l'éducation nationale en moins, c'est quand même une certaine...
10:21Alors pas 6 000.
10:23Oui, 6 000 quand on prend tout avec les auxiliaires.
10:26Il y a quand même une petite difficulté, c'est-à-dire,
10:29les Français ne sont pas satisfaits de leur service public,
10:32les dépenses sont importantes, les impôts sont importants,
10:34donc il y a peut-être un petit problème quand même.
10:36Je vais quand même rappeler un chiffre,
10:37l'écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres,
10:39quand on prend les revenus primaires, le facteur est de 18.
10:43Dès qu'il y a les transferts, on passe à 6,7.
10:45Dès qu'on prend le service public, on passe à 3.
10:47Donc, les dépenses publiques servent à quelque chose,
10:50elles réduisent les inégalités.
10:52Augmenter les taxes sur le sucre et les cigarettes,
10:55vous y êtes favorables, tous les deux ?
10:56Non, mais je suis ravi de voir que Thomas dit qu'il n'y a quasiment pas d'inégalité
11:01de revenus en France. Je tombe de ma chaise.
11:04Mais moi, je veux le préserver, je ne veux pas le détruire, Dominique.
11:06Les taxes sur les clopes et le sucre.
11:09Thomas Porcher pour Gontreuf.
11:10Mais c'est toujours pour les bonnes raisons.
11:12Oui, les boissons sucrées, pourquoi pas.
11:13Mais ça, ça rapporte quasiment rien.
11:15Le tabac aussi.
11:16200 millions, quand même.
11:17Non, mais je veux dire, ce n'est pas l'allener de la guerre.
11:18Parce que vous êtes un fumeur, Dominique Seux.
11:22Ce ne sera pas la fin de ce débat.
11:23Non, mais il faut que ce soit entre les sucres ajoutés et il faut...
11:29Non, mais c'est plutôt une bonne idée.
11:31On est d'accord là-dessus.
11:32En effet, je prends assez de boissons sucrées et je ne fume pas, on est d'accord.
11:37Thomas Porcher, Dominique Seux, merci messieurs.