Report de la présidentielle au Sénégal : le pays en pleine crise politique

  • il y a 6 mois

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Transcript
00:00 Gilles Yabie, on a entendu Elieman qui nous parle de tensions.
00:05 On a vu qu'il y avait également des tensions dans les rues.
00:08 Est-ce qu'on est dans une séquence sans précédent au Sénégal aujourd'hui ?
00:14 Oui, bonsoir. Alors, sans précédent, ce n'est pas la première crise politique.
00:22 On observe pas des premières manifestations.
00:24 On en a connu beaucoup depuis 2021, notamment.
00:27 Et puis, pour ceux qui ont un regard un peu plus ancien sur la politique sénégalaise,
00:32 il y a eu, bien sûr, beaucoup de moments de crispations, de tensions
00:35 et même de violences politiques par le passé,
00:38 ce qui cache souvent cette image de démocratie sénégalaise quasiment parfaite.
00:43 Ça ne correspond évidemment pas à la réalité,
00:46 même si par rapport à beaucoup de pays du continent,
00:50 c'est un pays, en tout cas, où il n'y a jamais eu de rupture de l'ordre constitutionnel.
00:55 Mais par contre, je pense que la première chose à dire,
00:58 c'est qu'effectivement, on a aujourd'hui de la tension, une situation de crise
01:02 et qu'en fait, avant la déclaration du président Macky Sall samedi,
01:06 une très grande majorité d'acteurs politiques,
01:09 mais aussi d'observateurs de la vie politique au Sénégal se disaient
01:12 non, il y a bien sûr eu des rumeurs d'un possible report,
01:15 mais au fond, il n'allait pas le faire.
01:17 Il allait confirmer le début de la campagne électorale
01:21 qui allait vraiment commencer quelques heures plus tard.
01:23 Donc, ce qu'il faut quand même observer, c'est qu'on a une annonce de la part du président
01:29 qui d'abord pourrait induire un dépassement de son mandat,
01:34 ce qui n'est pas permis par la Constitution.
01:37 Et lui-même, lorsqu'il était opposant, l'avait indiqué à l'époque par rapport au président Ouad
01:42 en disant qu'il ne peut pas avoir un jour de plus au-delà de son mandat.
01:45 Et donc, le président ne peut pas prendre une décision
01:48 qui a comme implication l'extension de son mandat.
01:51 Ça, c'est la première chose.
01:52 Et deuxièmement, les arguments qui sont évoqués,
01:54 une instabilité ou en tout cas un conflit entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel,
01:59 là aussi, je pense quand même qu'on est assez surpris
02:01 parce que le Conseil constitutionnel, comme dans toutes les constitutions ou presque,
02:06 le Conseil constitutionnel ou la Cour constitutionnelle,
02:08 l'équivalent d'un certain pays ou la Cour suprême,
02:11 ce sont des décisions qui sont sans recours.
02:13 Donc, à partir du moment où le Conseil constitutionnel a annoncé la liste de 20 candidats
02:17 pour l'élection présidentielle et qu'il y avait une convocation pour le 25 février
02:21 et que la campagne électorale allait commencer,
02:22 honnêtement, on a du mal à voir, disons, la justification possible d'une telle décision
02:28 qui crée une situation clairement d'incertitude aujourd'hui
02:31 et qui nuit aux activités économiques puisque les données mobiles, par exemple, ont été coupées quand même depuis hier.
02:36 C'est bien de le signaler.
02:37 Alors, Giliabi, vous le dites, il n'y a pas de recours pour revenir sur une décision du Conseil constitutionnel,
02:42 mais y a-t-il un recours aujourd'hui pour les opposants
02:44 qui menacent justement de faire le maximum pour empêcher ce report ?
02:51 Oui, alors déjà, on va attendre ce qui va sortir du Parlement,
02:56 mais je pense qu'à nouveau, même le décret, disons qu'il abroge le décret qui avait été pris par le président,
03:03 il fait l'objet quand même de polémiques aujourd'hui.
03:06 On croit savoir qu'il n'a pas été contre-signé par le Premier ministre actuel, Ahmad Oubah,
03:12 qui est aussi le candidat officiel de la coalition.
03:16 Et donc, effectivement, il pourrait y avoir tout à fait la possibilité d'attaquer le décret lui-même.
03:22 Et au fond, en réalité, dans l'architecture des institutions,
03:28 le Conseil constitutionnel, dans la plupart des cas, est vraiment plutôt le garant de la Constitution,
03:33 y compris de la séparation des pouvoirs.
03:35 Et donc, effectivement, il faudra vérifier que ce décret respecte lui-même la loi et la Constitution.
03:44 Mais on est dans une situation à nouveau très préoccupante parce que ce qui est attaqué aussi,
03:50 c'est quand même le Conseil constitutionnel, puisqu'on accuse deux de ses membres de corruption.
03:55 Ça veut dire qu'on attaque l'intégrité de la plus haute juridiction constitutionnelle,
03:59 qui va être quand même finalement celle qui va décider,
04:04 en tout cas qui va annoncer les résultats finales de l'élection présidentielle quand elle aura lieu.
04:08 Donc moi, je crains vraiment qu'on entre dans une période d'incertitude et d'affaiblissement des institutions,
04:14 à commencer par celle qui est la plus importante à nouveau pour protéger les libertés
04:18 et pour protéger les choix, les principes fondamentaux de la démocratie.
04:22 – Assange Diop, vous êtes d'accord avec cette analyse ?
04:24 Est-ce que vous pensez que la démocratie sénégalaise est fragilisée par cette décision ?
04:29 – Sur le plan technique, effectivement, Gilles a raison, sans doute.
04:33 Mais je pense qu'il y a quand même une surinterprétation de ce que l'on pourrait appeler
04:38 la confiscation démocratique ou la volonté de Macky Sall de mettre à bas la démocratie.
04:45 Je pense que l'ordre constitutionnel existe toujours
04:48 et que le fait de reporter des élections ne veut pas dire par là un recul démocratique,
04:54 comme on peut l'observer dans un certain nombre de pays.
04:56 – Mais visiblement, ce n'est pas possible une fois que le Conseil constitutionnel a validé…
04:59 – Alors ça, je pense que c'est un débat technique qui appartient effectivement aux juristes.
05:02 Je sais qu'il y a des opposants qui, effectivement, ont déposé des requêtes
05:08 auprès notamment de la Cour suprême pour contester cette décision.
05:13 Donc, si vous voulez, on est sur plusieurs fronts.
05:14 Il y a le front parlementaire, il y a le front de la Cour suprême.
05:18 Et d'ailleurs, le vote des parlementaires devrait ensuite être validé par la Cour suprême.
05:24 Bon, donc là, on est, si vous voulez, dans un parcours technique et juridique.
05:28 Mais je pense que sur le front politique, il y a une surinterprétation,
05:32 et ça c'est peut-être légitime et normal, parce qu'effectivement,
05:35 la plupart des candidats qui voient les élections reportées sont frustrés.
05:40 Ils devaient démarrer la campagne dimanche et ils doivent remettre ça plus tard.
05:47 Tout était prêt, les véhicules, etc. On peut le comprendre.
05:51 Mais de là à dire que la vitrine démocratique sénégalaise,
05:55 parce qu'il y a un report éventuel de six mois de l'élection, est définitivement fracturée,
06:01 je pense qu'il y a une certaine forme d'exagération
06:04 que le président Macky Sall effectivement estime, pour des raisons politiques d'ailleurs,
06:09 et je pense qu'il ne s'en cache pas, que ce qu'on appelle les partis politiques antisystèmes,
06:16 tels que le parti de Sonko, qui notamment menace les dirigeants d'aujourd'hui,
06:23 comme ceux d'hier, que s'ils venaient au pouvoir, ils les traduiraient en justice,
06:27 je pense que c'est aussi des menaces qu'il prend au sérieux.
06:29 Et que non seulement d'ailleurs pour les responsables politiques en place d'hier,
06:36 mais également il estime peut-être que pour le pays c'est un danger.
06:40 Évidemment, c'est au peuple de décider qui doit être élu ou pas,
06:46 mais en tous les cas, je pense que ça fait partie des enjeux aujourd'hui
06:51 qui s'opposent sur la scène politique sénégalaise.
06:53 Et ce n'est pas propre au Sénégal, ces partis antisystèmes,
06:56 on les voit et s'émet un peu partout à travers le monde.
06:59 – Alors Stéphane, est-ce que, on l'a entendu, Hassan vient de le dire,
07:05 il y a le droit et puis il y a la politique, est-ce que d'un point de vue politique,
07:08 finalement, Macky Sall, ou du moins la situation actuelle politique au Sénégal,
07:15 ne donnait pas lieu à des interrogations ?
07:17 Est-ce qu'il n'y a pas de bonne raison, finalement, de s'interroger
07:20 sur la solidité de ce scrutin ?
07:24 – Oui, non mais je suis à peu près d'accord avec ce qui vient d'être dit
07:30 par Hassan et Gilles, ce que je veux dire c'est qu'on est en politique
07:39 et les choses ne sont jamais noires d'un côté et blanches de l'autre.
07:44 Il y a toujours une zone grise, j'allais dire.
07:48 Parce que quand vous écoutez les arguments avancés par Macky Sall,
07:52 par exemple, est-ce qu'ils sont entendables ?
07:56 Moi j'ai envie de dire oui.
07:57 Quand on dit que le processus électoral fait l'objet de critiques,
08:03 on l'a entendu, on l'a dit nous-mêmes sur ces plateaux.
08:06 Le système de parrainage a fait l'objet de vives contestations, on l'a dit.
08:11 Le fichier électoral a fait l'objet de disputes, on l'a dit.
08:17 La question de la binationalité de certains candidats, notamment de Karim Ouad,
08:23 ont fait l'objet d'un débat de contestation, notamment de la part du parti de Karim Ouad.
08:30 Et pour ne rien arranger dans ce contexte déjà confus, on porte accusation,
08:36 on accuse l'institution la plus haute institution juridique constitutionnelle du pays.
08:42 On met en cause l'intégrité de certains membres de ce conseil constitutionnel.
08:49 Est-ce que ce sont des éléments qui sont entendables ?
08:52 Oui, c'est entendable.
08:53 Alors est-ce que c'est suffisant aujourd'hui pour décider du report du scrutin ?
09:01 C'est là tout le débat.
09:02 Parce que, en toile de fond, qu'est-ce qui va se passer ?
09:04 Quand on dit faisons table rase pour éviter d'avoir un scrutin qui, au bout, sera de toutes les façons contesté,
09:11 mais en fait ce qu'on ne nous dit pas c'est entre les deux, qu'est-ce qui va se passer ?
09:14 Est-ce qu'on va revoir entièrement les règles du jeu, sachant qu'on est déjà dans la compétition ?
09:21 Est-ce que dans ces conditions-là, alors je pose beaucoup de questions, j'attends que moi et mon...
09:25 Est-ce que dans ces conditions, il n'aurait pas fallu attendre, aller jusqu'au scrutin,
09:30 et dire en fait on a testé de nouvelles règles, on a vu que ça n'a pas marché,
09:34 donc dans le cas des prochaines séances électorales, on devrait revoir les règles du jeu.
09:42 Donc c'est tout ce qui se passe aujourd'hui, ce jour.
09:44 Et moi je pense que c'est aussi une forme de vitalité de la démocratie, je veux dire,
09:48 on n'est pas en train, en face d'avoir un président qui dit c'est comme ça et ça ne sera pas autrement,
09:54 on a en face de lui un parlement avec des députés de l'opposition qui contestent sa décision,
10:00 on a des populations qui descendent dans la rue pour contester,
10:06 et c'est ce qui fait aussi la particularité du Sénégal, c'est une démocratie, j'ai envie de dire,
10:11 qui vacille souvent, mais qui ne flanche, en tout cas jusqu'ici, qui ne flanche pas.
10:16 Alors Gili Abiy, qu'est-ce qu'il aurait fallu faire justement dans ce contexte,
10:20 où on a le droit constitutionnel et d'un autre côté on a la réalité de la situation ?
10:27 Non, je suis en profond désaccord, on ne peut pas avoir d'explication politique en disant qu'il peut y avoir des raisons
10:40 d'aller à l'encontre de dispositions constitutionnelles qui sont très claires.
10:43 Si on n'a plus besoin de règles constitutionnelles, qu'on le dise et qu'on l'assume,
10:49 on ne peut pas avoir une juridiction constitutionnelle qui tranche un dernier ressort.
10:52 Et en plus, avec une liste de candidats composée de 20 candidats, malgré le filtre des parrainages,
10:59 on a 20 candidats qui ont été validés pour cette élection présidentielle.
11:02 Ce n'étaient pas seulement les candidats qui étaient prêts pour commencer la campagne électorale,
11:05 ce sont aussi les citoyens et les électeurs sénégalais qui étaient prêts pour commencer la campagne électorale.
11:11 Je rappelle aussi que le candidat Ousmane Sonko, absent de cette liste parce qu'il a été condamné,
11:18 que celui qui l'a désigné comme étant son remplaçant est en détention provisoire
11:24 et on ne savait pas s'il allait être libéré pour pouvoir faire campagne comme les autres.
11:29 Mais malgré cela, les partisans aussi de la mouvance, disons Ousmane Sonko, étaient prêts pour aller à cette élection.
11:36 Sur les 20 candidats, on a une très large diversité, disons, politique et les électeurs sénégalais,
11:43 je pense, dans la grande majorité, à nouveau, voulaient respecter le calendrier électoral,
11:48 comme ce fut toujours le cas au Sénégal.
11:51 Donc je crois qu'il faut être quand même assez clair là-dessus.
11:53 Puis moi, je travaille pour, enfin j'anime un film en tant que citoyen sur l'Afrique de l'Ouest,
11:57 où j'estime qu'on est aujourd'hui dans une situation tellement difficile,
12:01 tellement dangereuse dans l'ensemble de la région ouest-africaine qu'on ne peut pas,
12:05 on ne peut pas, disons à un moment donné, ne pas être très clair sur le besoin de changer les pratiques politiques.
12:10 Ce n'est pas tout à fait normal qu'une décision même du chef de l'État,
12:16 avec des conseillers, bien sûr, sans doute dans ce sens-là, puisse aujourd'hui créer des conditions quand même
12:22 de crise, d'incertitude économique.
12:24 Des gens qui travaillent en dépendant d'Internet mobile, par exemple, ils ne peuvent plus travailler.
12:30 Ça crispe tout le monde, ça maintient des enfants hors de l'école.
12:33 Et je crois qu'on aurait pu simplement à nouveau commencer la campagne électorale
12:36 et avoir enfin justement un moment de vitalité démocratique.
12:40 Je ne pense pas qu'on ait besoin de crise à répétition pour montrer qu'on est une démocratie qui fonctionne.

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