Carla Baltus : "À Mayotte, on n'a plus de vie"

  • il y a 6 mois
Depuis le 22 janvier, des habitants bloquent les routes de l’île pour protester contre l'insécurité et une immigration qu'ils jugent trop importante : Carla Baltus, présidente du MEDEF Mayotte, est l'invitée de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-07-fevrier-2024-3707834
Transcript
00:00 Mayotte cognait un énième accès de fièvre, l'île est même paralysée depuis plus de deux semaines.
00:05 Des collectifs de citoyens multiplient les barrages sur les routes pour protester contre l'insécurité
00:10 et une immigration trop forte à leurs yeux.
00:12 Et hier, un millier de personnes ont manifesté à Mamoudzou.
00:15 Bonjour Carla Bartlett-Beltus, vous êtes la présidente du MEDEF à Mayotte.
00:20 Il y a une députée de Mayotte, Estelle Youssoupha, qui dit carrément que c'est l'anarchie à Mayotte.
00:24 Est-ce que vous partagez ce constat ?
00:26 En tout cas, actuellement, ce qu'on vit aujourd'hui, c'est le chaos sur le chaos.
00:31 Du chaos par-dessus le chaos. Pourquoi ? Parce qu'on a effectivement les barrages des collectifs.
00:35 Mais entre chaque barrage, les barrages c'est quasiment tous les kilomètres,
00:39 on a aussi des barrages de jeunes délinquants qui raquettent, qui agressent, qui caillassent.
00:46 Et du coup, c'est impossible de circuler.
00:50 Nos avions sont à moitié remplis, on ne peut pas traverser entre la grande terre et la petite terre.
00:54 C'est vraiment une situation dramatique qu'on vit.
00:57 Et donc, il n'y a plus rien qui fonctionne, il n'y a plus rien qui marche à Mayotte en ce moment ?
00:59 100% du BTP à l'arrêt.
01:01 100% du BTP ?
01:01 100% du BTP à l'arrêt. Donc déjà, ça veut dire beaucoup, parce qu'on ne peut pas arriver au chantier.
01:06 Quand tout va bien, en moyenne, on a 25% des effectifs dans les entreprises.
01:11 Parce que les trois quarts des effectifs ne peuvent pas se déplacer ?
01:14 Ils ne peuvent pas se déplacer.
01:16 Le port est quasiment bloqué, donc on a beaucoup de marchandises qui sont bloquées,
01:20 des frais, des restaurés à venir.
01:22 Donc ça veut dire des supermarchés, des magasins qui n'arrivent pas à s'approvisionner ?
01:26 Tout à fait.
01:27 Donc il y a des accords où plus ou moins on arrive à passer certains jours pour apprévisionner.
01:32 Mais il commence à y avoir des pénuries dans les magasins.
01:35 Et puis, on a beaucoup de commerçants qui ne vont pas s'en sortir.
01:38 Les désistements dans les hôtels, les restaurants, personne n'y va.
01:44 Ça devient un cercle vicieux où toute l'économie est totalement paralysée.
01:48 J'ai vu que les poubelles non plus n'étaient plus ramassées.
01:50 Oui, on a un problème sanitaire.
01:51 On a aussi des médecins, on a aussi des libéraux, des professionnels de santé
01:56 qui ont du mal à passer les barrages.
01:58 Parce qu'entre les barrages "officiels" des collectifs,
02:01 il y a ces fameux barrages aussi.
02:04 On a eu un témoignage poignant d'un pharmacien qui nous dit
02:08 qu'il a six barrages avant d'aller à sa pharmacie pour faire six kilomètres.
02:12 Les livreurs aussi n'arrivent pas à livrer les pharmacies.
02:16 Donc ça veut dire que dans les pharmacies, on manque de médicaments aussi ?
02:18 Il manque des médicaments.
02:19 Il y a des gens qui ont besoin de traiter, qui ont des soins quotidiens
02:24 et ils ne peuvent pas avoir leurs médicaments.
02:26 On aura l'occasion de faire les bilans sanitaires par la suite.
02:30 Mais on sait qu'il y a déjà des décès qui sont liés à ces barrages.
02:33 Parce que par exemple, des urgences ou le SAMU n'ont pas pu se rendre ?
02:37 Non, ils n'ont pas pu se rendre.
02:40 C'est vraiment dramatique ce qu'on vit à Mayotte.
02:42 Et pour les établissements scolaires ?
02:44 Alors moi par exemple, je suis transporteur par bus.
02:49 Tous les jours, nos conducteurs ont du mal à passer.
02:52 On essaie tant bien que mal, mais on n'arrive pas à emmener les enfants.
02:56 Et quand les enfants ne sont pas scolarisés, ils se retrouvent dans les rues.
03:00 Donc ça fait beaucoup de monde dans les rues, dans les barrages.
03:04 Et ce n'est pas une bonne chose pour l'éducation de manière générale.
03:10 C'est très compliqué et peu d'enfants arrivent à l'école.
03:14 France Inter envoie régulièrement des reporters à Mayotte.
03:17 On a aussi beaucoup d'échanges avec les habitants quand on ne peut pas aller sur place.
03:21 Et on a entendu récemment dans un reportage des habitants dire que
03:24 grosso modo, ils vivent cloîtrés, que dès que la nuit tombe, tout le monde est chez soi.
03:28 C'est ça la réalité ? Vous avez peur, vous, de sortir de chez vous ?
03:31 Moi souvent, je dis à Mayotte, on n'a plus de vie.
03:34 On ne parle même pas de qualité de vie, c'est qu'on n'a plus de vie.
03:37 À 18h, on est tous cloîtrés chez nous.
03:40 Même aller à la plage, c'est quelque chose qui est dangereux.
03:44 Sortir du restaurant un petit peu tard.
03:46 Oui, on craint pour notre vie tous les jours.
03:48 On se fait caillasser tous les jours dans les bus et autres.
03:52 Et effectivement, il n'y a pas de vie à Mayotte depuis déjà des années.
03:57 Et les entreprises aussi souffrent depuis des années.
04:00 On survit. On survit franchement au quotidien.
04:04 Et que fait l'État ? Que font les pouvoirs publics face à cette crise ?
04:08 On sait que Gabriel Attal a promis une loi pour Mayotte.
04:11 Elisabeth Borne avant lui et Gérald Darmanin sont venus ces derniers mois.
04:14 Il y a eu l'opération Wambushu qui a été lancée pour détruire des bidonvilles.
04:18 On a l'impression qu'ils n'y arrivent pas, que ça ne change pas.
04:21 Ils essayent, mais ça ne marche pas.
04:22 Ce n'est pas paradoxal parce qu'on a eu déjà les derniers mouvements de 2018.
04:26 Où on a vu que ce gouvernement a mis énormément de moyens financiers sur Mayotte.
04:31 Et malgré ça, on n'y arrive pas.
04:33 La crise de l'eau a été gérée.
04:35 Je crois qu'ils ont injecté plus de 100 millions d'euros.
04:37 Et on a toujours les coupures d'eau par-dessus la crise qu'on a aujourd'hui.
04:41 Malgré tous les moyens financiers qu'on met, on n'y arrive pas.
04:44 Pourquoi ? Parce qu'il faut se poser les bonnes questions.
04:46 Combien d'habitants savent nous ?
04:48 On soupçonne que plus de 50% de la population est clandestine.
04:52 Il faut aussi savoir comment et pourquoi, malgré cette insécurité, vous voulez investir.
05:02 Mais même nous, les chefs d'entreprise, quand on est agressé tous les jours et au quotidien,
05:07 on a un problème d'attractivité.
05:09 Et c'est vrai qu'on a besoin de parler, que tout le monde comprenne,
05:14 dans toute la France, en Outre-mer et en Hexagone,
05:17 ce qui se passe à Mayotte pour qu'on ait rapidement, dans l'urgence,
05:22 quelqu'un de l'État qui vienne à Mayotte.
05:25 Un médiateur, c'est ce qu'ils réclament.
05:27 Pour arrêter tout ça, je pense qu'aujourd'hui, que ce soit les élus,
05:30 que ce soit le collectif, que ce soit le monde économique,
05:32 nous sommes tous d'accord, il faut que ça s'arrête.
05:34 Parce que ce mouvement est en train de dépasser tout le monde.
05:36 Et ça va s'empirer. Et les dégâts collatéraux,
05:40 malgré tous les efforts et les investissements que l'État aura fait,
05:42 ne serviront à rien si ce mouvement ne s'arrête pas dans les jours à venir.
05:45 Donc c'est pour ça que moi, solennellement, je demande
05:48 à ce qu'un représentant de l'État vienne à Mayotte
05:51 pour s'asseoir autour de la table et qu'on essaie de comprendre ce qui se passe.
05:54 Et je demande aussi la clémence à tout le monde,
05:57 que tout le monde puisse comprendre qu'on n'aura pas tout, tout de suite.
06:00 Parce qu'effectivement, on parle des sujets comme la convergence,
06:03 ne serait-ce que pour nous les entreprises, qui est réclamée aussi sur la table.
06:07 Mais on ne pourra pas faire tout, tout de suite.
06:09 On ne pourra pas construire ce département qui est très jeune,
06:11 que depuis 2011, ça ne fait que 10 ans, 12 ans, 13 ans,
06:14 on va dire que nous sommes département.
06:16 Et on ne pourra pas faire tout du jour au lendemain.
06:18 Donc il faut prendre les dossiers les plus urgents d'abord,
06:20 et après les uns, après les autres.
06:21 Merci beaucoup pour votre témoignage,
06:22 Jacquard Labaltus, présidente du Medef à Mayotte.

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