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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, bonjour.
00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:09 Pas de pain, mais des jeux au menu de ce matin.
00:12 Il n'est pas une journée sans qu'éclate un nouveau scandale à propos des Jeux Olympiques
00:17 qui se dérouleront cet été à Paris.
00:18 Il y a l'enquête sur la rémunération de Tony Estanguet, les soupçons de prise illégale
00:23 d'intérêt, de favoritisme, de détournement de fonds publics qui pèsent sur certains
00:27 marchés, l'affaire de la barrière de Corail, celle des bouquinistes délogés, des étudiants
00:32 expulsés, des SDF mis à l'abri loin des regards.
00:34 Et encore je m'en tiens aux grands sujets qui ont fait la une des journaux.
00:38 Tandis que vous, Jade Lingard, vous qui êtes journaliste à Mediapart, vous avez mené
00:42 une enquête sortie récemment aux éditions Divergence, Paris 2024, une ville face à
00:47 la violence olympique.
00:48 Merci d'être avec nous ce matin.
00:49 Bonjour.
00:50 Comment expliquer qu'aucun débat, aucune consultation n'ait été organisé sur l'opportunité
00:56 d'accueillir les Jeux olympiques à Paris ?
00:58 Alors, ça faisait partie du dossier de candidature de Paris pour les JO de 2024.
01:03 Quand on lit ce dossier de candidature qui est accessible en ligne, on voit que dans
01:07 les critères mettant en valeur la candidature parisienne, il y avait le fait qu'il n'y
01:11 aurait pas de consultation.
01:12 Et même c'est précisé, c'est légalement, juridiquement impossible d'organiser un référendum
01:17 en France sur les Jeux olympiques, en tout cas sur leur opportunité.
01:20 Pourquoi est-ce qu'à l'époque, Paris, la France avait pris ces précautions de communication ?
01:25 Parce qu'au moment où cette candidature a lieu, c'est-à-dire en 2015, il y a toute
01:29 une série de villes qui avaient envisagé de candidater et qui s'étaient retirées
01:33 suite soit des référendums, soit des votations populaires, soit des manifestations.
01:39 On peut penser à la ville de Rome, on peut penser à Hambourg, la ville de Boston aux
01:43 Etats-Unis, etc.
01:44 Et à ce moment-là, en fait, le CIO, le Comité international olympique, qui est l'instance
01:48 qui organise, qui est la grande instance organisatrice de ces Jeux olympiques, a eu peur de ne plus
01:54 avoir de ville candidate et donc a priorisé celle qu'il pouvait.
02:00 Ce qui fait que quand Paris, en 2017, obtient l'organisation des Jeux, c'est la seule
02:05 ville candidate.
02:06 L'autre argument de la candidature de Paris, mais alors à destination des Français cette
02:09 fois, c'était des Jeux sans dépense d'argent public avec un slogan "Les Jeux financent
02:15 les Jeux".
02:16 Est-ce que vous avez pu le vérifier, Jade Lingard ?
02:18 Alors évidemment, c'est plus compliqué et ce n'est pas complètement vrai.
02:20 "Les Jeux financent les Jeux", ça a été une formule géniale qui a débloqué les
02:24 réticences à l'époque sur le risque de débords financiers.
02:28 Parce qu'il faut savoir que les Jeux olympiques coûtent toujours plus que ce qui a été
02:32 prévu.
02:33 Et ça, ce sont des chercheurs, notamment à Oxford University, qui ont comparé tous
02:38 les budgets des Jeux sur 50 ans et même plus.
02:41 Ils arrivent à cette conclusion de tous les méga-projets.
02:44 Exposition universelle, la Coupe du monde de foot, etc.
02:47 Alors, EPR étant en soi un phénomène financier tout à fait dysfonctionnant.
02:54 Mais en tout cas, de tous ces méga-événements, ce sont les méga-événements qui débordent
02:57 toujours le plus.
02:58 Et qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ?
02:59 C'est quand même très intéressant.
03:00 On a des Jeux qui, aujourd'hui, on peut estimer pour Paris 2024, l'argent dépensé
03:06 c'est autour de 9 milliards d'euros, un petit peu moins.
03:08 On verra à la fin combien ça coûte.
03:10 C'est partagé entre le budget du comité d'organisation des Jeux, donc c'est là
03:14 où se trouve M. Tony Estanguet, et le budget de la Solideo, qui est la société de livraison
03:19 des Jeux olympiques, qui est la partie publique, l'aménageur public des Jeux, donc qui
03:23 construit la grande piscine de Saint-Denis, les différents aménagements, pour ne pas
03:30 tout citer.
03:31 Or, le Cojo, à 97%, c'est de l'argent privé, donc à peu près 4 milliards et
03:35 demi d'euros.
03:36 La Solideo, c'est un opérateur public, mais avec beaucoup d'argent privé.
03:40 Pour prendre un exemple, le village olympique, le village des athlètes, où vont habiter
03:44 les athlètes pendant la durée des Jeux, est un lieu, entre Saint-Denis et Saint-Ouen,
03:50 pour préciser, au nord de Paris, pour les personnes qui ne connaissent pas.
03:53 Ce village olympique a fait l'objet d'un investissement de 2 milliards d'euros, c'est
03:57 quand même considérable, et cet argent est en très grande partie privé.
04:01 En fait, argent public et privé sont entremêlés dans le budget, dans les dépenses de ces
04:07 Jeux olympiques, si bien que la Cour des comptes elle-même, qui est quand même la gardienne
04:11 des comptes publics, comme on le sait, qui a déjà publié plusieurs rapports sur l'économie
04:16 des Jeux olympiques, l'année dernière, est arrivée à la conclusion qu'elle-même
04:19 n'arrivait pas à dire in fine combien ça coûterait à la puissance publique, donc
04:23 aux contribuables.
04:25 Son président a fait une estimation, disant peut-être autour de 3 milliards d'euros
04:30 pour la sphère publique, mais ça a confirmé ce qu'encore une fois, c'est relativement
04:33 opaque, c'est difficile de calculer, les périmètres de dépenses évoluent, parfois
04:37 on prend l'inflation, parfois on ne prend pas, on ne compte pas toutes les dépenses,
04:40 par exemple pas les transports, pas la sécurité, pas la mise à disposition de la Seine, qui
04:44 est quand même un espace public, bon bref, c'est vraiment très complexe et relativement
04:48 opaque.
04:49 Et le grand bénéficiaire, c'est surtout le CIO, parce que le contrat est drastique
04:53 en réalité.
04:54 Le contrat est drastique, c'est-à-dire en gros, s'il y a des bénéfices à la fin
04:56 des Jeux, il y en a une partie pour le CIO, mais par contre, si c'est déficitaire, pour
05:00 la ville organisatrice, c'est pour la ville organisatrice, et donc pour l'État, ça
05:04 a été voté au Parlement, donc c'est vrai qu'il y a un rapport de force, si on peut
05:08 dire, qui est très en faveur du CIO.
05:12 Et après, à qui bénéficient les Jeux ? On voit bien en fait, il y a énormément
05:15 d'entreprises, d'industries, qui à la fois sont organisatrices des Jeux et à la
05:20 fois qui vont en bénéficier en termes de recettes.
05:23 On peut penser aux aménageurs et au secteur immobilier qui construit les Jeux Olympiques,
05:28 le BTP, même si on construit moins pour Paris 2024, on construit quand même, l'industrie
05:33 du tourisme qui est très promotrice des Jeux Olympiques.
05:36 Venons à cette question immobilière, s'il y a un endroit censé bénéficier des Jeux,
05:40 c'est l'Ouest de la Seine-Saint-Denis, vous en avez parlé, le village des athlètes
05:43 est en train d'y être finalisé, alors on ne va pas détailler l'ensemble de cette
05:46 vaste opération de promotion immobilière qui a permis de doubler le prix du mètre
05:50 carré, mais Gabriel Attal a quand même expliqué dans son discours de politique générale
05:54 qu'on allait résoudre la crise du logement en partie grâce à la construction de 30
05:58 000 logements en 3 ans sur ce modèle olympique.
06:02 Alors voilà, j'aimerais, Jade Lingard, que vous nous expliquiez cette méthode,
06:05 qu'est-ce qui a fait son succès ?
06:06 Alors, le modèle olympique, en gros, c'est une simplification juridique qui a été votée
06:09 par la loi en 2018, la première loi olympique, qui en gros réduit le nombre de recours des
06:15 opposants et crée, alors c'est hyper technique, ça crée toute une série de simplifications
06:20 pour aller plus vite pour les promoteurs.
06:21 De fait, dans ce cas-là, ça n'a pas été tellement utile pour le village des athlètes
06:25 parce qu'il n'y a pas eu de recours contre la construction du village.
06:28 Et après, c'est quoi le "secret" ?
06:30 D'abord, la simplification réglementaire.
06:32 Et ensuite, il y a beaucoup d'argent, en fait, énormément d'argent qui a été
06:37 dépensé, qui a été investi parce qu'on a des gros groupes de BTP, Vinci, Eiffage
06:42 Alliés Annexity, la Caisse des dépôts et avec sa branche ICAD parce qu'il y a un
06:47 peu de logement social qui est minoritaire, 30%.
06:49 Et en fait, ce qui est intéressant, c'est de voir que ce village des athlètes va devenir,
06:53 ensuite, après les Jeux, un quartier d'habitation.
06:55 C'est ça qui est présenté comme étant l'héritage positif des Jeux, donc des habitations
07:00 pour 6000 personnes et des espaces de travail pour 6000 autres personnes.
07:04 Le problème, c'est toujours la même chose en immobilier, c'est pour qui construit-on ?
07:07 A combien, à quel prix sortent les logements ?
07:10 Or, ce qu'on voit, c'est que les logements qui sortent, qui sont déjà en vente aujourd'hui
07:14 sur le marché, les logements qui sortent, ils sont à des prix très supérieurs à
07:18 la moyenne des prix de la Seine-Saint-Denis.
07:20 Donc, on construit, certes, du logement en plus, mais qui va bénéficier, en tout cas
07:25 qui sera accessible en très grande majorité à des personnes qui n'habitent pas déjà
07:28 en Seine-Saint-Denis.
07:29 C'est là qu'il y a une forme de violence, de trahison de la promesse, d'héritage
07:34 très biaisé.
07:35 C'est que 2 milliards d'euros, on a dit, dépensés sur le village des athlètes, c'est
07:38 quasiment autant, c'est de l'argent privé donc en grande partie, c'est quasiment autant
07:42 que tout ce que l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine, l'ANRU, dépense pour la rénovation
07:48 des quartiers populaires en Seine-Saint-Denis où vivent 600 000 personnes.
07:51 C'est 2 milliards 300 millions, donc c'est un peu plus.
07:54 Mais c'est pour dire, en fait, ce qui est exceptionnel avec les Jeux, ce que tout est
07:57 giga avec les Jeux, c'est beaucoup d'argent, d'un coup, un soutien sans faille de la puissance
08:03 publique.
08:04 Donc il y a vraiment une alliance très particulière de gros intérêts privés et d'une très
08:07 forte puissance publique.
08:09 Tout ça s'organise de concert et tenu par une deadline qui fait que ça avance un peu
08:14 comme un bulldozer, un rouleau compresseur.
08:16 - Merci beaucoup, Chate Dingard.
08:18 Je rappelle que vous êtes journaliste à Mediapart.
08:20 Votre ouvrage, c'est Paris 2024, une ville face à la violence olympique aux éditions
08:23 de Divergence.