• il y a 9 mois
Le professeur Alain Fischer est l'auteur du livre "Protéger les vivants", publié aux éditions Odile Jacob. Il fait le constat que la recherche a du retard en France. Alain Fisher était l'invité mercredi du grand entretien de 8h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-14-fevrier-2024-1827589

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00:00 S'il est un sujet qui nous concerne toutes et tous, c'est bien celui-là, celui de la santé.
00:05 Notre invité y a consacré sa vie.
00:07 Il raconte dans un livre les leçons qu'il tire de ses plus de 50 ans de médecine et de recherche.
00:13 Vous l'avez connu pour la plupart d'entre vous comme le monsieur vaccin pendant la crise Covid.
00:18 Bonjour Alain Fischer.
00:19 Bonjour.
00:19 Vous êtes bien plus que cela, pédiatre, spécialiste d'immunologie, actuellement président de l'Académie des sciences.
00:26 « Protéger les vivants », c'est le titre de votre récit qui vient de sortir chez Old Hill Jacob.
00:31 01 45 24 7000 et application de France Inter, vous le savez évidemment, pour vos questions et vos réactions à mi-auditeur.
00:39 On pense, quand on lit le titre de votre livre, à celui du roman de Miley de Kerangal, « Réparer les vivants »,
00:45 dans lequel elle racontait un don d'organe qui permet à une femme de survivre.
00:50 Protéger plutôt que réparer, c'est ce que vous dites ?
00:54 Oui, la protection peut passer par la réparation, mais la notion de protection est plus large.
00:59 Et comme vous l'avez évoqué, ça fait un bon paquet d'années que j'ai soigné.
01:04 Et j'ai soigné en particulier des enfants.
01:06 Quand je dis j'ai, c'est toujours une équipe. Il faut avoir ça en tête.
01:09 Soigner des enfants qui atteignent ce qu'on appelle de déficience du système immunitaire,
01:13 donc qui ont du mal en particulier à se défendre contre les microbes.
01:17 Et donc, il fallait les protéger. Il faut d'ailleurs continuer à les protéger.
01:21 Donc cette notion pour moi est assez forte et un certain nombre de mesures thérapeutiques,
01:25 dérivées de recherches, ont permis d'avancer dans ce sens.
01:28 Mais par exemple, la protection, c'est aussi la vaccination, donc la prévention.
01:31 La thérapeutique et la prévention sont deux notions cardinales de la santé.
01:35 Ces enfants dont vous parlez, dont le système immunitaire ne les protège pas, c'est ça ?
01:42 C'est ce qu'on a appelé les enfants bulles, les bébés bulles.
01:45 Vous citez au début de votre livre l'exemple de Guillaume que vous avez croisé quand il était enfant.
01:51 Il y a 46 ans, et vous écrivez qu'aujourd'hui, Guillaume est un père de famille heureux.
01:55 C'est ce genre d'histoire qui vous a permis de vous lever, qui vous a donné envie de vous lever tous les matins ?
02:01 Sûrement. Alors il faut peut-être nuancer un tout petit peu cette notion d'enfant bulles,
02:06 que les médias aiment bien, et relativiser.
02:08 Aujourd'hui, ça n'existe plus. Les bulles qui étaient des enceintes stériles plastiques
02:11 pour protéger des tout petits bébés, qui avaient les formes les plus sévères de ces déficiences.
02:15 Il faut savoir qu'à côté, en fait, il y a des centaines de maladies
02:17 qui sont pour la plupart héréditaires, donc transmises,
02:20 et qui provoquent des déficiences à des degrés variables,
02:23 heureusement parfois beaucoup moins sévères, de nos défenses immunitaires.
02:27 Guillaume est un exemple, effectivement, d'un enfant qui a pu bénéficier,
02:31 quand j'étais interne en médecine, donc jeune médecin...
02:34 En 77.
02:35 En 77, merci de me le rappeler, c'est un peu cruel.
02:38 Pardon.
02:38 Vous avez raison.
02:39 Et qui aujourd'hui est quelqu'un qui est en bonne santé, avec lequel je continue à avoir des relations,
02:44 ce qui est merveilleux, parce que c'est à la fois...
02:47 Évidemment, il y a une dimension extrêmement forte, humaine, de cette médecine,
02:50 et aussi, à vrai dire, de recherche, parce que le gentil Guillaume, il est sympa,
02:54 de temps en temps, il vient donner un peu de sang pour continuer à...
02:57 à ce qu'on puisse étudier des caractéristiques de son système immunitaire.
03:00 Et c'est ce genre d'histoire qui, j'imagine, vous fait dire...
03:02 Absolument.
03:03 "J'ai pas raté ma vocation."
03:04 Non, non, c'est vrai.
03:05 Même si parfois, les histoires sont malheureusement plus douloureuses.
03:08 C'est bébé bulle, même si, on le comprend,
03:12 voilà, vous nuancez le terme, mais c'est une grande partie de votre vie,
03:15 vous avez, avec votre équipe, en 2000, été à l'origine d'une avancée décisive
03:19 sur les thérapies géniques, c'est-à-dire, pour résumer à gros traits,
03:24 vous avez traité le déficit immunitaire de ces enfants
03:27 en leur implantant du matériel génétique comme un médicament.
03:31 On peut dire ça comme ça.
03:32 Où est-ce qu'on en est, 24 ans plus tard, sur les progrès de ces thérapies géniques ?
03:37 C'est ce qu'on appelle donc, comme vous dites, la thérapie génique.
03:39 On a consacré beaucoup d'années de recherche avec plusieurs collègues
03:43 assez remarquables à faire avancer ce domaine.
03:46 Donc, c'était les premiers résultats où la mise dans les cellules malades,
03:51 qui sont les cellules de la moelle osseuse qui fabriquent les cellules du sang,
03:54 d'une copie normale d'un gène qui n'était pas ailleurs muté,
03:56 a permis de corriger en grande partie et de façon stable,
04:00 donc c'est toujours le cas, 25 ans plus tard, la déficience du système immunitaire.
04:05 Depuis, beaucoup d'équipes de recherche dans le monde,
04:08 il y en avait déjà beaucoup à l'époque, mais aujourd'hui,
04:10 cela foisonne et ces thérapies géniques sont utilisées avec succès
04:14 pour d'autres maladies génétiques, aussi de la moelle osseuse,
04:16 comme des maladies des globules rouges qu'on appelle
04:19 thalassémie ou la drépanocytose, certaines maladies métaboliques,
04:22 et de façon très différente, pour traiter quelques maladies neuromusculaires,
04:26 même si c'est encore très peu, comme une maladie qui s'appelle l'amiotrophie spinale.
04:28 Il y a aujourd'hui des médicaments qui sont commercialisés,
04:33 qui permettent de traiter certaines de ces maladies.
04:35 Et puis, une grande avancée, je n'ai rien à voir,
04:38 elle concerne le domaine du cancer, ou ce qu'on appelle,
04:41 dans notre jargon, les cas artés, qui sont des lymphocytes T,
04:45 donc une de nos catégories de globules blancs ont été génétiquement modifiées,
04:48 les propres lymphocytes du malade, pour s'attaquer à certains types de cancers.
04:51 - Est-ce qu'on peut espérer, grâce à ces thérapies géniques,
04:54 voir à terme toutes les maladies rares, génétiques,
04:57 voir certains cancers, vous l'avez dit, soignés ?
05:00 - Je ne dirais pas les choses ainsi.
05:01 Je pense que l'arrivée de la thérapie génique,
05:04 progressivement depuis ces 25 dernières années,
05:07 apporte une arme supplémentaire en médecine,
05:09 à côté des médicaments chimiques classiques,
05:12 mais aussi de ce qu'on appelle des biothérapies avec des anticorps,
05:15 avec des cellules, avec des ARN,
05:17 et là c'est la thérapie génique avec les ADN.
05:19 Donc c'est une arme de plus,
05:21 qui augmente les chances d'apporter des solutions,
05:24 je l'espère, pour d'autres maladies génétiques rares,
05:26 et peut-être des maladies moins armées.
05:28 Il ne faut pas considérer que c'est la solution,
05:31 c'est évidemment pas ça,
05:32 plus ça coûte très cher, c'est assez complexe.
05:34 Mais c'est une arme de plus, c'est ainsi qu'il faut le voir.
05:36 Une conviction en tout cas ne vous a jamais quitté Alain Fischer,
05:39 vous l'avez eu dès votre premier stage en médecine à l'hôpital,
05:43 c'est la conviction que la médecine et la recherche étaient indissociables.
05:48 Pourquoi ?
05:49 Oui, pour moi c'est une évidence,
05:50 je pense que c'est ainsi pour beaucoup.
05:52 C'est le fait que la médecine a des limites,
05:54 un grand nombre de limites,
05:56 mais en grande partie des limites scientifiques,
05:58 par défaut de connaissances suffisantes,
06:00 des processus qui provoquent une maladie.
06:03 Et donc si on veut que la médecine progresse,
06:05 et on pense qu'il y a des domaines qui sont malheureusement
06:07 aujourd'hui encore plus en retard,
06:08 comme je pense aux maladies du cerveau, du système nerveux,
06:11 où les connaissances sont encore insuffisantes
06:14 malgré des énormes efforts de recherche,
06:16 il n'y a pas de progrès de la médecine sans progrès de la recherche.
06:19 Donc les deux sont consubstantiellement liés.
06:21 Ça commence avec la recherche fondamentale,
06:23 qu'il ne faut absolument pas oublier,
06:25 jusqu'au lit du malade et à l'application.
06:27 Et je pense que ceci doit avoir aussi un impact
06:29 à la fois dans la réflexion individuelle de médecins
06:32 qui souhaitent s'investir dans ce domaine,
06:35 mais aussi en termes d'organisation,
06:37 des soins associés à la recherche.
06:39 On va continuer à parler de l'état de la recherche en France,
06:41 mais d'abord je voudrais vous faire entendre un témoignage en direct
06:45 au Standard Inter.
06:46 Alain Fischer, pour vous, c'est Claude qui nous appelle de Vatigny,
06:49 c'est ça ? Bonjour Claude.
06:50 Oui, bonjour à tous, bonjour Alain Fischer.
06:54 Il y a l'image de Guillaume, il y a 46 ans,
06:57 on a mené notre petit fiston au Romain.
06:59 Il y a 43 ans, au jeune interne Fischer,
07:01 qui allait mourir d'une lymphoéthiocytose.
07:04 Alain a pris les choses à bras et le corps,
07:06 il a sauvé Romain qui est en parfaite forme maintenant.
07:09 Alors je voulais juste dire que lorsque Alain Fischer
07:11 conseille à la population de se vacciner,
07:14 il vaut mieux l'écouter lui que les gourous sur certaines antennes.
07:18 Voilà ce que je voulais vous dire,
07:19 vous apporter un témoignage vivant,
07:21 d'une chose bien vivante grâce à Alain Fischer.
07:23 Merci beaucoup pour ce très joli témoignage, Claude.
07:26 On parlera des vaccins d'ailleurs tout à l'heure.
07:28 Alain Fischer, ça vous fait plaisir.
07:30 Merci beaucoup, Claude.
07:32 Ce témoignage est touchant et évidemment,
07:34 je ne peux que souscrire à la conclusion de ce témoignage.
07:38 Alors, on parle de la recherche qui permet donc très concrètement
07:42 de sauver ces enfants dont on parle,
07:44 de faire des progrès tous les jours.
07:45 Est-ce qu'aujourd'hui, les jeunes médecins
07:47 ont les moyens de cette ambition dont vous parliez,
07:50 d'associer toujours médecine et recherche ?
07:51 Vous dites que la recherche en France est en mauvaise santé.
07:54 Oui, alors il y aurait beaucoup de choses à dire
07:56 à propos de ce que vous venez d'évoquer.
07:59 Il y a heureusement toujours de jeunes médecins,
08:01 et j'en connais beaucoup aujourd'hui là où je travaille à l'Institut,
08:04 j'imagine qu'ils ont la pêche, la niaque
08:06 et qui ont envie de faire progresser la médecine.
08:08 Et c'est un plaisir de les voir au quotidien s'investir.
08:11 Il faut, la deuxième chose à dire,
08:12 c'est qu'il n'y a pas que des médecins qui font de la recherche.
08:15 Il y a des scientifiques, purs et durs, entre guillemets,
08:17 c'est une façon de parler,
08:18 mais dont on a besoin, notamment sur tous les aspects
08:20 de recherche fondamentale et globalement.
08:22 Est-ce que la France est au rendez-vous sur la recherche ?
08:24 J'allais y arriver, mais je voulais resituer le cadre.
08:28 La recherche en France et la recherche dans mon domaine,
08:32 la science de la vie et la médecine,
08:34 n'est pas tout à fait au niveau où elle devait être.
08:37 Pour moi, elle est par rapport, c'est un jugement relatif,
08:39 il se passe des choses, il y a des gens formidables en France
08:42 et dans de merveilleux instituts.
08:44 Néanmoins, globalement, si on se compare à nos voisins,
08:47 les Allemands, les Scandinaves et quelques autres,
08:50 nous sommes un peu stagnants,
08:51 parce que je pense que nous investissons pas assez,
08:54 ni dans la recherche publique, ni dans la recherche privée.
08:56 Les deux posent problème.
08:58 Et que nous avons un système, une organisation
09:01 qui est extraordinairement compliquée,
09:03 je ne vais pas entrer dans les détails ici,
09:05 et enfin, une attractivité,
09:07 je pense plutôt aux scientifiques cette fois-ci,
09:10 pour entrer dans ces métiers, autrement dit les salaires,
09:13 c'est pas que les salaires, c'est aussi l'environnement de travail,
09:15 qui sont comparés à nos voisins, on est en dessous.
09:17 Donc ça pose problème.
09:18 Le président de la République, lui, dit,
09:21 en résumé, les investissements ont été faits,
09:23 25 milliards sur 10 ans, je crois.
09:25 Aujourd'hui, il faut s'attaquer à la bureaucratie,
09:27 à l'administration, à ce mille-feuille dont vous parliez.
09:30 Je partage partiellement ce constat,
09:33 c'est-à-dire que la seconde partie, je suis 100% d'accord,
09:35 et à l'Académie des sciences en particulier,
09:37 on est largement prêts à aider en ce sens,
09:41 Mme Retaillot le sait bien,
09:42 mais sur la première partie, je ne suis pas tout à fait d'accord.
09:44 Un effort a été fait à travers la loi de programmation de la recherche,
09:47 qui a été votée il y a quelques années,
09:49 à travers le plan France 2030,
09:51 mais qui concerne plus l'innovation que la recherche.
09:53 Ce sont deux concepts importants mais distincts.
09:56 Donc je pense, malheureusement, malgré cet effort,
09:58 il faut aller plus loin.
09:59 Vous dites qu'il y a un problème de culture scientifique en France,
10:02 c'est peut-être l'origine de ce retard dont on parle,
10:05 c'est-à-dire que les grands décideurs ont très rarement
10:08 une formation scientifique dans notre pays,
10:11 par exemple, Angela Merkel est doctorée en chimie quantique, je crois.
10:16 Alors, oui, ce serait absurde de dire que pour être un homme politique
10:20 ou d'une manière générale un décideur,
10:21 il faut avoir fait de la recherche,
10:23 donc autrement dit, avoir un doctorat en sciences,
10:25 ça n'a pas de sens.
10:26 Il ne doit pas en être ainsi.
10:28 Néanmoins, ce qui est exact,
10:30 si on regarde quelle est la formation,
10:32 dans l'immense majorité des cas,
10:33 de nos décideurs politiques, mais aussi économiques, on va dire,
10:37 ils ont fait des études dans lesquelles il y a très peu de sciences,
10:40 et en tous les cas, pas de pratiques, à un moment donné,
10:43 ce que j'appellerais d'une formation par la recherche.
10:45 Ce serait bien qu'il y en ait quelques-uns.
10:47 Encore une fois, un exemple,
10:50 en Allemagne, deux tiers des ingénieurs ont une thèse de sciences.
10:53 En France, c'est beaucoup moins.
10:55 Et en France, le diplôme de doctorat qui, universellement,
10:58 est reconnu dans le monde,
11:01 est beaucoup moins bien reconnu en France.
11:02 Et je pense que ça participe d'une vision
11:06 où il y a une certaine distance,
11:08 une méconnaissance entre, d'un côté,
11:10 les décideurs politiques,
11:11 et éventuellement industriels,
11:12 et le monde scientifique.
11:13 Vous racontez une scène dans le livre,
11:15 discours de François Hollande, président de la République en 2014,
11:18 devant des dizaines de pontes de la médecine et de la recherche.
11:21 À la fin de son discours,
11:22 les cinq premiers rangs de l'amphithéâtre
11:25 se lèvent et quittent la salle sans écouter la suite du colloque.
11:28 C'est une illustration de cette fracture
11:30 entre monde scientifique et monde politique.
11:32 Alors, un, je ne veux pas personnaliser,
11:33 parce que ça aurait pu être le cas avec d'autres présidents.
11:36 Mais c'est vrai que ça m'avait choqué.
11:37 C'était à la Sorbonne, à l'occasion du 50e anniversaire de l'INSERM,
11:41 donc un moment important d'un institut de recherche
11:43 qui joue un rôle non négligeable
11:46 dans la recherche médicale française.
11:48 Donc, il y a une belle cérébration préparée
11:50 avec un certain nombre de jeunes scientifiques
11:51 qui doivent s'exprimer.
11:52 Et le discours du président passé,
11:55 entre guillemets, les pontes s'en vont,
11:56 n'ont pas écouté une seconde de description de recherche.
12:00 Je ne veux pas surinterpréter ce moment.
12:04 C'est sûr que ces gens sont des gens importants,
12:05 qui ont beaucoup de choses à faire.
12:06 Néanmoins, je pense que ça signifie un tout petit peu quelque chose,
12:09 au minimum un défaut de curiosité de leur part.
12:12 Vous avez pointé aussi le rôle du privé.
12:13 Vous dites, il y a une fondation Vuitton,
12:15 il y a une fondation Pinault pour l'art contemporain.
12:17 Il n'y a pas de grands mécènes aujourd'hui
12:19 pour la recherche en France ?
12:21 À une exception près,
12:22 qui est la fondation Béthancourt-Schuller.
12:25 C'est le cas si on compare avec le monde anglo-saxon.
12:28 Le financement par mécénat de la recherche en France est faible,
12:32 alors qu'il est relativement important,
12:33 je crois, dans le domaine de l'art.
12:34 Et à mon avis,
12:36 ça rejoint la même idée que dans la culture,
12:39 la place de la science, donc la culture scientifique,
12:42 n'est pas mise au même niveau que la culture artistique,
12:45 littéraire, etc.
12:46 Autre problème auquel la science est confrontée,
12:49 il vient de l'intérieur.
12:49 Il nous ramène à la crise du Covid.
12:51 Vous écrivez que la plupart des attaques,
12:54 des fausses informations qui suscitent le doute
12:57 sur la vérité scientifique,
12:59 viennent de l'intérieur.
13:00 Comment vous expliquez cela ?
13:01 Que des chercheurs, des médecins sèment le trouble ?
13:05 Oui, dans l'histoire, il en a toujours été ainsi.
13:08 Parce qu'avant le Covid, évidemment,
13:09 ce genre d'événement est déjà survenu.
13:11 Parce qu'il faut avoir, en gros,
13:14 la légitimité d'être un médecin, un scientifique,
13:17 pour s'exprimer et éventuellement, malheureusement,
13:19 dériver dans ses propos
13:21 et prétendre ou présenter des informations qui sont fausses.
13:25 Mais auréolé du prestige,
13:27 je suis professeur de médecine
13:29 ou je suis professeur de biologie moléculaire,
13:31 peu importe.
13:32 Mais j'ai une légitimité.
13:33 Vous évoquez le cas problématique de Didier Raoult à Marseille.
13:36 Absolument, cela dit, ce n'est pas le seul.
13:37 Il y a aussi une personne de notre institut
13:39 qui a fait un peu moins de bruit, mais quand même.
13:41 Et ces personnes, évidemment, posent problème.
13:43 Ce n'est pas un problème spécifique au Covid.
13:45 L'accentuation et le développement de fake news
13:48 dans le domaine de la santé,
13:49 comme cela existe dans d'autres domaines,
13:51 existe depuis longtemps.
13:53 Mais évidemment, ils s'exacerbent en période de crise.
13:56 Et je pense que nous, médecins, scientifiques,
13:58 avons à être extrêmement vigilants,
14:00 à être plus vigilants que nous l'avons été.
14:02 Honnêtement, je pense qu'on peut battre notre coupe
14:04 pour limiter l'impact de ces personnes.
14:07 Question d'auditeur à ce sujet pour vous, Alain Fischer.
14:10 Frédéric, qui nous appelle de Pau, bonjour.
14:12 -Oui, bonjour à t'aves. Alain Fischer, bonjour.
14:15 C'est peu de dire que la période Covid a été marquée
14:18 par des polémiques scientifiques qui n'ont pas été résolues,
14:21 si ce n'est, comme l'a dit le précédent auditeur,
14:23 par des insultes à des gens traités de gourous, de complotistes,
14:27 alors que ce sont des chercheurs et des soignants
14:29 de renommée et de capacité mondiale.
14:31 Alors, ma question est ce que vous ne pensez pas
14:34 qu'il serait temps aujourd'hui
14:35 d'avoir un vrai débat scientifique contradictoire public
14:40 qui aurait dû venir obligatoirement
14:43 après une telle crise et qui n'est pas venu
14:45 et j'aurais aimé éventuellement avoir comme resuite.
14:48 -Votre réponse Alain Fischer, est-ce qu'il faut un débat ?
14:51 -Le débat a lieu en permanence dans le monde scientifique.
14:55 Si vous faites allusion, soyons très concrets,
14:58 est-ce que la chloroquine permet, ou l'hydroxychloroquine,
15:00 permet de traiter le Covid ?
15:02 Je peux vous dire que ce sujet a été discuté abondamment
15:05 et intensément par un grand nombre d'équipes de recherche
15:08 et de médecine dans les courants de l'année 2020
15:11 puisque c'est là que ça s'est passé.
15:12 Ça a généré trop d'essais cliniques pour tester
15:16 l'efficacité éventuelle de ce médicament.
15:19 Tous ces essais cliniques se sont terminés,
15:20 ce qui ont été faits dans les règles de l'art
15:23 par une conclusion qui était que l'hydroxychloroquine
15:25 est inefficace et parfois en plus, un tout petit peu dangereuse.
15:28 Donc le débat scientifique, il est clos.
15:30 Après, il faut distinguer ce qui est du domaine
15:33 de la recherche scientifique, la médicale en l'occurrence,
15:36 l'évaluation d'une éventuelle thérapeutique
15:38 et ensuite la pédagogie, de l'information,
15:41 de la nécessité d'expliquer, ce que j'essaie de faire à la minute,
15:43 mais qu'il faudrait faire plus auprès du grand public,
15:47 auprès des enfants.
15:48 Je pense que l'éducation en sciences à l'école est très importante.
15:52 C'est ça qu'il faut faire.
15:53 Mais il faut bien distinguer ce qui est de la discussion scientifique
15:57 et ensuite de l'explication.
15:58 Par exemple, vous avez été en partie à l'origine d'un autre sujet
16:01 de débat pour certains parents.
16:03 En tout cas, c'est l'obligation de vaccination pour onze vaccins
16:07 sur les enfants de moins de deux ans, largement accepté,
16:10 mais aussi rejeté par une partie de la population.
16:12 Est-ce que vous admettez que la vaccination puisse être,
16:15 encore une fois, l'objet de débats ou vous dites
16:16 c'est indiscutable, c'est une question de santé publique ?
16:20 Les deux, mon capitaine.
16:22 C'est à la fois une question de santé publique
16:23 que je n'aurais pas le temps de développer largement,
16:25 mais en gros, les vaccins, à la fois ceux-là et d'autres,
16:28 protègent les personnes vaccinées et aussi pour beaucoup d'entre eux,
16:31 pas la totalité, mais pour beaucoup d'entre eux,
16:33 évite la dissémination, la transmission à d'autres,
16:36 y compris à des personnes très malades.
16:38 Donc, on protège les personnes en situation de fragilité.
16:42 Et ceci est très important.
16:44 Mais ce qui est légitime, c'est que les personnes,
16:47 les parents, dans l'exemple des jeunes enfants,
16:50 se posent des questions.
16:51 Ça, c'est absolument légitime, comme dans tout autre domaine.
16:53 Et ces personnes ont droit à des réponses,
16:55 des réponses qui doivent être éclairées,
16:57 qui doivent être honnêtes, qui doivent être compréhensibles.
17:00 Et voilà, ça, c'est essentiel.
17:03 C'est que le monde de la santé, les médecins,
17:06 mais aussi les pharmaciens, les infirmières,
17:08 bref, tous ceux qui sont au contact du public,
17:10 apportent les explications adéquates,
17:13 encore une fois, justes, auprès des personnes qui s'interrogent.
17:17 Ça, c'est légitime, mais ce n'est pas une raison de remettre en cause,
17:22 par contre, des acquis scientifiques.
17:23 - Vous disiez, il faut mieux encadrer, sans doute,
17:26 la parole des médecins, des chercheurs,
17:28 davantage les responsabiliser.
17:29 Mais vous voyez qu'un projet de loi qui est discuté en ce moment
17:33 à l'Assemblée nationale suscite la polémique,
17:34 accusé de vouloir, en résumé, interdire la contestation,
17:39 la critique du vaccin.
17:41 Vous voyez que c'est un sujet à prendre avec des pincettes aussi.
17:43 - Je suis conscient qu'il s'oppose deux notions,
17:46 celle de la liberté d'expression,
17:48 qui est quand même un acquis important de nos sociétés,
17:52 et on le voit malheureusement ailleurs dans le monde,
17:54 ce que ça peut provoquer quand elle n'est pas respectée,
17:57 et le fait que cette liberté d'expression favorise
18:00 la dissémination d'informations fausses.
18:02 Donc, je ne suis pas spécialiste de savoir
18:05 comment il faut encadrer la liberté d'expression.
18:08 Ce que je peux sans doute dire,
18:09 et je reviens à un point que j'ai évoqué tout à l'heure,
18:11 c'est que nous, scientifiques médecins,
18:14 devons être présents dans la sphère médiatique,
18:17 et à l'école, l'école est essentielle aussi,
18:19 pour répondre et apporter les éléments d'information.
18:22 Et ceci, nous ne le faisons pas assez.
18:24 Pas assez de nos collègues, et moi-même,
18:26 sommes impliqués dans cela.
18:28 Une question de Chantal,
18:30 puisque nous parlions de la crise Covid.
18:32 Bonjour Chantal.
18:33 Oui, bonjour.
18:34 Nous vous écoutons.
18:35 Bonjour.
18:36 Oui, j'ai une question qui me taraude,
18:38 moi depuis des mois.
18:39 J'ai attrapé le Covid en 2021,
18:43 je l'ai attrapé une autre fois,
18:45 pas de forme extrêmement grave,
18:47 sauf que j'ai perdu le goût,
18:48 et je ne l'ai jamais retrouvé.
18:50 Et puis, neurologiquement,
18:52 enfin, nerveusement parlant,
18:55 j'ai senti que je n'étais plus tout à fait la même.
18:58 Est-ce que la recherche pour le Covid long continue ?
19:02 Est-ce qu'elle est vraiment effective ?
19:03 Est-ce qu'elle donne des résultats ?
19:05 Nous n'en entendons plus jamais parler.
19:08 C'est vrai. Merci Chantal de poser la question.
19:10 Et là, Fischer,
19:11 pas forcément tout à fait un spécialiste de cette question,
19:13 mais ce que j'en sais,
19:15 c'est que la recherche continue.
19:16 Il y a eu encore récemment des publications scientifiques
19:19 de très haut niveau,
19:20 au minimum décrivant les symptômes,
19:22 parce qu'il faut déjà,
19:23 quand une nouvelle maladie,
19:25 il faut la décrire.
19:26 Et ensuite, apportant des éléments,
19:28 des pistes de compréhension
19:29 qui peuvent, je l'espère,
19:30 déboucher sur des thérapeutiques.
19:32 Ce que je peux ajouter à propos du Covid long,
19:34 et parfois il y a une confusion dans l'esprit des gens,
19:36 c'est que la vaccination protège contre le Covid long
19:38 et ne provoque pas le Covid long.
19:39 C'est le Covid qui provoque le Covid long.
19:42 Vous ouvrez la dernière partie de votre livre,
19:45 Alain Fischer, par un exercice d'anticipation.
19:48 C'est l'histoire de Jean.
19:49 Il rentre du travail,
19:51 on est en 2035.
19:52 Il ne se sent pas bien.
19:54 Il va sur massanteconnecté.fr
19:56 et là, une intelligence artificielle
19:58 lui fait le diagnostic.
20:03 Et Jean, ensuite, reçoit ses médicaments
20:05 grâce à Amazon ou Uber.
20:07 Est-ce que c'est un rêve ou un cauchemar ?
20:10 C'est quelque part entre les deux.
20:11 Il faut nuancer les choses.
20:12 L'intelligence artificielle,
20:13 elle évidence une technologie,
20:16 je vais l'appeler ainsi,
20:17 qui est une avancée,
20:19 qui aide déjà en santé et en médecine.
20:22 Par exemple, les systèmes d'intelligence artificielle
20:24 qui interprètent mieux que les médecins
20:26 des images radiologiques
20:27 ou des images de biopsies d'anatomo-pathologie.
20:31 C'est un outil essentiel
20:33 au développement de la médecine de demain
20:35 au prix d'un certain nombre de conditions,
20:37 le respect en particulier de l'anonymat des personnes,
20:41 qu'il n'y ait pas de diffusion de leur information.
20:43 Aussi, il faut qu'elle soit fondée
20:44 sur des bases de données adéquates
20:46 et qui correspondent aux populations.
20:48 Si vous avez des données sur les caucasiens,
20:51 c'est-à-dire en gros les habitants de l'Europe
20:52 et que vous voulez l'appliquer aux Africains,
20:54 ça ne marchera pas.
20:55 Donc, il faut une équité d'information
20:57 sur l'ensemble du monde.
20:59 Donc, ça, c'est un premier point.
21:00 L'autre point, c'est qu'elle ne doit pas se substituer
21:03 à la médecine telle qu'elle se fait aujourd'hui.
21:05 Il est évident,
21:07 c'est intuitif,
21:09 que le contact humain entre un médecin,
21:11 un soignant d'une manière générale d'ailleurs,
21:13 et un patient est irremplaçable.
21:15 Donc, l'intelligence artificielle
21:17 doit être vue comme une aide
21:18 et non pas une substitution à la pratique médicale.
21:21 - Est-ce qu'on anticipe assez justement pour encadrer ?
21:24 - Alors, il y a beaucoup de débats et de discussions
21:26 à ce jour au niveau européen.
21:29 Il y a un certain nombre d'éléments de régulation
21:32 qui se mettent en place.
21:33 La réflexion est très, très forte.
21:35 Il y a un petit point d'inquiétude,
21:36 c'est que l'essentiel des recherches
21:38 en intelligence artificielle,
21:39 tous domaines confondus d'ailleurs,
21:41 se fait dans le privé.
21:42 Les grands que l'on connaît, Google, etc.
21:45 et pas assez dans les universités
21:47 et les centres de recherche à l'échelle mondiale.
21:49 Je ne parle pas spécifiquement de la France.
21:51 Ceci peut éventuellement peser problème.
21:53 - Et sur les thérapies géniques,
21:54 dont vous êtes un spécialiste,
21:55 il y a des risques de dérive aussi ?
21:57 - Pas de dérive en termes de développement scientifique.
22:00 En gros, il y a aujourd'hui un problème,
22:03 c'est que ces thérapeutiques-là,
22:04 comme d'autres thérapeutiques innovantes
22:06 de haut niveau, de grande qualité,
22:08 sont devenues des médicaments extraordinairement chers,
22:12 de l'ordre, mettons, de 2 millions d'euros
22:13 pour un traitement.
22:15 Et que ceci n'est, à mon sens,
22:17 il y a débat avec l'industrie pharmaceutique,
22:19 n'est pas justifié et que j'appelle
22:21 une réglementation plus stricte,
22:23 ce qui est difficile parce que c'est un problème mondial.
22:25 Mais il y a peut-être aussi des solutions alternatives
22:28 en montant des unités de production
22:30 de ces médicaments à but non lucratif.
22:32 - Un dernier mot Alain Fischer,
22:34 vous regrettiez tout à l'heure que la science
22:35 ne soit pas valorisée en France au même titre que l'art.
22:38 Pourtant, rien qu'en lisant l'index de votre livre,
22:41 on croise adénosine, désaminase, citrullination,
22:44 eucaryote, hématopoïèse, hétérosygotie
22:48 et même un clin d'œil à la littérature.
22:49 J'apprends que Germinal n'est pas seulement un roman de Zola,
22:52 mais aussi un mot qui qualifie les cellules reproductrices.
22:55 Est-ce que vous dites que la médecine,
22:57 la recherche, comporte leur part de poésie ?
23:01 - Poésie, je ne sais pas, difficulté
23:02 et peut-être réticence à entrer dans ce monde,
23:04 évidemment, vous évoquez ces douloureux là.
23:08 Presque un jargon, mais tout domaine technique
23:10 a les mots nécessaires pour qualifier
23:13 les différents événements,
23:17 les observations et les expériences qui sont faites.
23:19 - Ce sont de beaux mots aussi.
23:19 - Ça peut être de beaux mots,
23:21 mais je pense qu'en tout cas, il ne doit pas faire peur.
23:23 Et que, peut-être moins important,
23:25 c'est que pour de jeunes scientifiques ou de jeunes médecins,
23:28 développer une activité de recherche à côté de la médecine,
23:31 je trouve ça absolument extraordinaire
23:33 et que malgré les difficultés évoquées,
23:35 c'est un super métier vers lequel il faut aller.
23:38 - "Protéger les vivants", Alain Fischer, votre livre
23:42 paraît chez Odile Jacob,
23:43 vous êtes président de l'Académie des sciences.
23:45 Merci d'avoir accepté l'invitation d'Inter ce matin.
23:47 Merci à vous.

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