À Voix Haute - Louise, j'ai retrouvé ma famille biologique à 25 ans

  • il y a 7 mois
Louise est une enfant adoptée d’origine vietnamienne. L’année dernière, alors que deux ami.e.s a elle sont au Vietnam, iels lui proposent de retrouver sa famille biologique. Elle nous raconte cette histoire folle qui lui a permis de redécouvrir ses origines.
Transcript
00:00 J'en ai jamais voulu à ma mère biologique.
00:02 Je pense qu'il y a un truc aussi très symptomatique chez les enfants adoptés,
00:04 c'est le fait d'être reconnaissant et redevable aussi parfois.
00:07 Je pense que si j'étais restée au Vietnam, ma vie aurait été différente,
00:10 mais pas forcément meilleure.
00:11 Je m'appelle Oui, j'ai 25 ans, j'ai été adoptée au Vietnam en 1998
00:14 et aujourd'hui je vais raconter mon histoire.
00:16 L'histoire de mon adoption, elle est assez simple.
00:19 C'est une adoption qu'on appelle directe.
00:21 Donc ça veut dire que ma maman adoptive va rencontrer mes parents biologiques
00:25 et que la passation s'est faite de bras à bras.
00:26 J'ai été adoptée quand j'avais cinq mois.
00:28 Je suis arrivée en France, à Cherbourg, en Normandie.
00:31 Moi j'ai toujours su que j'ai été adoptée.
00:32 J'ai toujours eu les papiers de l'adoption à dispo,
00:35 avec les adresses, les noms de mes parents biologiques, avec des photos.
00:40 Il n'y a jamais eu de secret.
00:41 Et de toute manière, ça se voyait avec mes parents adoptifs qu'il n'y avait pas de secret.
00:44 Donc il n'y avait pas franchement d'omerta autour de cette histoire.
00:47 Malheureusement, je n'ai pas reçu beaucoup d'enseignements autour de la culture vietnamienne.
00:51 Ils m'ont emmenée plusieurs fois au Vietnam.
00:54 Je ne me sentais pas du tout à l'aise au Vietnam parce que ce n'était pas ma culture.
00:58 Je n'y appartenais pas.
00:58 Ma place, elle a toujours été évidente pour moi et comme pour les membres de ma famille.
01:04 Je n'ai jamais subi de racisme,
01:05 mais parce que je pense que je ne l'intégrais pas, en tout cas à l'époque quand j'étais enfant,
01:08 tellement j'ai été aussi très imprégnée par une culture française.
01:12 Moi, je me suis toujours définie en étant française d'origine vietnamienne.
01:15 Donc le lien avec mes origines me paraissait flou et abstrait.
01:18 Mes parents adoptifs, ils ont gardé une correspondance,
01:22 ils ont entretenu une correspondance avec mes parents biologiques jusqu'en 2004,
01:25 donc de 1998 à 2004.
01:27 Cette correspondance, elle s'est arrêtée parce qu'il y avait des enjeux autour de l'argent.
01:31 C'est-à-dire que la famille biologique demandait de l'argent à mes parents adoptifs,
01:36 ce qui a mis un peu en difficulté mes parents adoptifs
01:37 parce qu'effectivement, on n'achète pas son enfant.
01:39 Donc la correspondance s'est arrêtée sur cette espèce d'omerta un peu compliquée.
01:42 Je crois que j'ai toujours voulu retrouver ces gens,
01:45 l'envie d'y retourner, de rencontrer surtout mes frères et sœurs.
01:48 Ça, c'est donc mes frères et sœurs vietnamiens.
01:50 Ça a toujours été super important pour moi.
01:52 Le commencement, c'est que je rencontre Antoine,
01:54 qui va devenir par la suite un de mes meilleurs amis.
01:56 Et puis un jour, il me dit, avec Marie, donc c'est ma copine,
02:00 on va faire un tour d'Asie et on va passer par le Vietnam.
02:02 Si tu as envie qu'on fasse un tour dans ton village ou pas,
02:05 ou si tu as juste envie d'avoir des photos, on est là.
02:09 À ce moment-là, je pense que je ne suis pas dans une période
02:11 où je suis extrêmement disposée à ça.
02:14 Et puis le temps passe.
02:15 Je pense aussi que je suis un peu dans le déni de cette proposition.
02:19 Et puis un jour, on s'appelle avec Antoine.
02:21 Il attend un bus pour aller au Vietnam.
02:23 Et là, je pense que le déclic, je me dis,
02:26 en fait, c'est bon, je lui envoie tous les papiers.
02:28 Et je lui dis, écoute, allez-y, allez retrouver ces gens.
02:32 Envoyez-moi tout ce que vous pouvez.
02:33 Ils arrivent à l'entrée du village.
02:35 Tout de suite, ils y vont un peu comme on verrait dans les films,
02:38 avec leurs petits papiers en disant,
02:40 est-ce que vous avez vu cette personne ?
02:41 Est-ce que vous connaissez telle personne ?
02:43 La facilité vietnamienne, le contact vietnamien
02:45 fait qu'ils sont envoyés vers l'équivalent de nos mairies en France.
02:48 Et au final, un des policiers finit par lui dire,
02:52 ah ok, je crois qu'on a trouvé quelqu'un qui correspond
02:55 au prénom et au nom que vous nous avez donné.
02:56 Et on l'a appelé.
02:57 Donc Marie et Antoine, à ce moment-là, sont un petit peu déconcertés.
02:59 Et voilà, une demi-heure plus tard, je crois,
03:01 il y a une petite dame qui arrive sur son scooter.
03:04 Et il se trouve que c'est ma mère.
03:05 Alors au début, elle n'a pas compris.
03:08 Elle n'a pas compris parce que ça fait 25 ans.
03:09 Et puis à un moment, ça y est, elle capte ce qui vient de se passer.
03:13 Et donc évidemment, elle s'effondre.
03:14 Tout le monde s'effondre.
03:15 Antoine, Marie pleurent.
03:16 Enfin voilà, tout le monde pleure.
03:17 Et je vois un message d'Antoine qui me dit,
03:19 excuse-moi Louise, je suis désolée,
03:20 ça ne se passe pas du tout comme prévu.
03:21 Parce qu'en fait, on a retrouvé tout le monde très, très vite
03:23 et qu'ils ont tous envie de te parler très vite
03:25 et qu'ils sont tous en train de t'appeler par FaceTime.
03:27 Je crois que la semaine d'après, je prends mes billets d'avion
03:29 et qu'un mois plus tard, je pars au Vietnam.
03:32 Alors l'arrivée au Vietnam, elle est un peu lunaire.
03:35 Donc je suis partie avec mes deux sœurs françaises
03:37 et mon compagnon de l'époque.
03:38 Ce qui avait été dit en amont, c'est que mon frère et ma sœur,
03:42 enfin un de mes frères et ma sœur, viennent nous chercher à l'aéroport.
03:44 Et donc on arrive à Hanoi à 6 heures du matin.
03:47 Et à un moment, je les aperçois qui m'attendent
03:50 sagement assis avec un gros bouquet de fleurs et tout ça.
03:53 Et là, je rencontre mon frère, ma sœur, ma nièce.
03:56 On se tombe dans les bras.
03:57 Évidemment, on pleure énormément.
03:58 Mais c'est une rencontre qui est très étrange
04:01 parce qu'on ne se parle pas.
04:03 Je ne parle pas du tout vietnamien.
04:04 Donc évidemment, il y a une barrière de la langue.
04:06 D'abord, on va chez mon grand frère, qui lui habite à Hanoi,
04:10 qui nous rejoint pour le déjeuner puisque lui est en train de travailler.
04:12 Je pense avec mon frère, celui du milieu,
04:15 et ma sœur, ma grande sœur.
04:17 Il y a un peu cette déception au début pour moi
04:19 parce que je ne leur ressemble pas.
04:20 Je suis un peu perplexe.
04:21 Je me dis que tout ce que j'ai fantasmé sur la ressemblance,
04:25 sur mes origines, ça n'existe pas encore.
04:27 Donc on va chez mon frère à la suite de ça.
04:29 Et je vois mon frère, mon grand frère, mon frère aîné de dos.
04:32 Et je me reconnais.
04:33 En fait, il marche comme moi.
04:34 Et là, je me dis c'est bon, je suis chez moi.
04:37 On passe deux jours à Hanoi au début.
04:38 On est un peu driveés par les frangins, les frangines.
04:41 On se fait amener partout à Hanoi.
04:42 On se fait la touristique.
04:44 Donc deux jours plus tard, on réserve un taxi.
04:46 Et c'est le moment de partir au village.
04:48 Et là, encore une fois, il y a des instants qui sont suspendus.
04:51 Moi, je suis derrière.
04:52 Je suis derrière, donc dans un espèce de grand van-taxi.
04:54 Je suis au dernier rang.
04:56 Et je suis la dernière à sortir.
04:57 Donc déjà, je pense que ce moment-là, dans ma tête, il dure trois heures.
05:00 Je sors et là, je vois ma mère.
05:05 Donc évidemment, c'est encore un grand moment émotion.
05:07 On pleure évidemment beaucoup.
05:08 Je rencontre mes tantes aussi, ma grand-mère, mon grand-père.
05:12 Là, j'avoue qu'à ce moment-là, je ne sais pas où je suis.
05:14 Je ne comprends pas qui est qui.
05:15 J'arrive juste dans mon village et tout le monde me connaît.
05:18 Et tout le monde est là.
05:19 "Ah, mais tu sais, moi, je t'ai vu quand tu étais bébé.
05:22 Moi, je t'ai porté.
05:23 Moi, je...
05:24 Je suis là.
05:25 Mais moi, je ne vous connais pas.
05:26 Je ne sais pas qui vous êtes, mais c'est super.
05:29 Je suis très heureuse de vous rencontrer."
05:30 Donc oui, c'est fort en émotion.
05:32 Donc on a une interprète aussi avec nous à ce moment-là.
05:34 Et tout de suite, ma mère biologique, je ne sais pas, vide son sac
05:38 et me déballe l'histoire de l'adoption.
05:40 Comment ça s'est passé pour elle ?
05:41 Pourquoi elle m'a fait adopter ?
05:43 Alors, en fait, c'est des choses que je connaissais,
05:44 les raisons de l'adoption, parce qu'adoption, direct, faisant,
05:47 j'ai toujours su les raisons, mais voilà.
05:49 Les raisons de mon adoption, c'est tout simplement la pauvreté au Vietnam en 98
05:53 et surtout une politique où mes parents biologiques ont déjà trois enfants.
05:58 Et au bout du quatrième enfant, il y a des pénalités
06:01 qui sont en fait une diminution de la parcelle agricole.
06:05 Et donc voilà, famille trop pauvre pour élever un quatrième enfant.
06:09 Je n'en ai jamais voulu à ma mère biologique.
06:11 Je pense qu'il y a un truc aussi très symptomatique chez les enfants adoptés,
06:13 c'est le fait d'être reconnaissant et redevable aussi parfois.
06:17 Je pense que si j'étais restée au Vietnam,
06:19 ma vie aurait été différente, mais pas forcément meilleure.
06:21 J'ai des contacts encore maintenant par Messenger.
06:24 Maintenant, c'est bon, on discute via les réseaux.
06:26 Je ne suis pas retournée les voir depuis mon premier voyage,
06:30 enfin depuis cette première rencontre.
06:31 J'ai envie de les retourner, mais dans un second temps peut-être.
06:35 Le fait d'avoir retrouvé ma famille,
06:36 je pense que ça a complètement complété mon identité.
06:40 Il y a pas mal de choses qui se sont résolues dans mes questions identitaires
06:43 sur qu'est-ce que je fais, c'est quoi ma place dans le monde,
06:47 qui suis-je tout simplement.
06:48 Ça a cassé la gueule à beaucoup de choses aussi,
06:50 parce que ça a été un grand chamboulement cette rencontre.
06:53 Je pense que ça a changé ma vie,
06:54 mais en tout cas, je me sens ancrée, je me sens à ma place maintenant.

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